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samedi 31 août 2013

Libre arbitre doxastique







Complainte du libre arbitre doxastique

Rencontrant un jour le Christ,
Pierrot de loin lui a fait : psitt!
Venez-ça; êt' vous un fatalist' doxastic?

Pourriez-vous m' concilier un peu
Comment on est libre de croire, responsableu,
De ses pensées , de ses croyanceux
Si les croyances sont involontair' ?

Et voici que not' Seigneur Jésus,
Tout pâle, il lui a répondu :
« Ça ne serait pas de refus,

« Mais.., votre conduite accuse
« Un cœur que le malheur amuse,
« Et puis vous êtes sans excuse,

« Pire que le méchant soldat
« Romain qui m' molesta
« Quand j'étais su'l' Golgotha.

« Dieu, qui voit tout, apprécie
« Vot' conduite envers le Messie,
« Que vous lui montez une scie.

«En enfer, et sans façon,
«Vous irez, triste polisson,
« Et ce s'ra un' bonne leçon. »

Et il lui tourna les talons.
Mais Pierrot dit : « T'en sais pas long,
Car t'as déplacé la question. »
 
 
PCC Jules Laforgue 

11 commentaires:

  1. En parcourant ce Blog à la recherche des billets sans commentaires, je suis tombé sur cette photo de soucoupe des années 50, qui rappelle les films de série Z de Sam Wood, que Tim Burton avait redécouverts. Je m'attendais à un billet sur le livre de Léon Festinger, qui tient la route et qui donne encore des idées aux chercheurs, "When Prophecy Falls". A vrai dire, j'ai découvert ce livre par hasard, en voyant une jolie fille le lire en anglais dans le Métro. C'était sans doute l'effet des merveilles de la psychologie sociale, rendre intelligents les gens beaux.
    Le livre de Festinger avait pour thème la résistance des croyances de millénaristes, attendant des soucoupes volantes pour les sauver du déluge, malgré l'infirmation de leurs croyances. Il y aurait donc un volontarisme doxastique, s'appuyant sur la rationalisation, qui donnerait à penser que l'on serait responsable de ses croyances.
    En mettant à jour le fonctionnement d'une secte, qui cherche à résoudre son problème de dissonance cognitive, on peut estimer que la psychologie sociale offre des leviers pour modifier le comportement d'autrui, ce qui réveille un débat ancien. Les psychologues sont parvenus à faire manger des sauterelles grillées à un panel, lors d'une expérience, ou à faire pratiquer une forme de torture par des participants, en les soumettant à l'autorité. Il existe aussi des thérapies à base de programmation neuro-linguistique, qui pourraient changer un individu en développant ses modèles de réussite.
    La psychologie sociale a aussi un aspect intéressant, parce qu'elle montre l'importance de l'engagement personnel dans nos croyances et dans nos convictions. Ainsi, on défendra farouchement la culture classique et on y croira dur comme fer, quand l'aura acquise en souffrant dans sa jeunesse sous la férule d'un professeur aux méthodes de jésuite.
    La dissonance cognitive, quand elle est borderline, se nomme l'injonction paradoxale, chez Gregory Bateson.
    La richesse de la théorie de Bateson nous rappelle que l'Ecole de Palo Alto fut le dernier rassemblement de touche-à-tout géniaux, qui pouvaient encore s'inviter dans des disciplines pour en être les pionniers. On dit que c'est sa proximité avec l'Université de Stanford qui aurait produit l'Ecole de Palo Alto.

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  2. Merci de venir là où les commentaires ne sont pas venus. Je suis d'ailleurs quelquefois étonné que certains billets que j'imaginais un peu provocateurs ou originaux n'aient eu pratiquement pas de lecteurs et pas de commentaires, alors que d'autres très banals ou un peu pouet pouet ont reçu d'abondants commentaires.

    Les ouvrages de Festinger sont des classiques de la psychologie sociale, comme les expériences de Milgram. Cela dit seule la dissonance cognitive a des affinités avec le volontarisme doxastique, qui est habituellement la thèse selon laquelle on peut décider de croire, par l'effet d'un acte de volition conscient, dont l'effet est une croyance. Ce n'est pas la même chose que le fait de prendre ses désirs pour des réalités, qui n'est pas , en général , un comportement conscient. Ce n'est pas non plus le fait d'obéir, malgré des raisons très bonnes et reconnues par l'agent, à l'autorité. Ni non plus ce que l'on appelle la self deception. ce n'est pas non plus le double bind batesonien. Mais vous avez raison de que ces phénomènes sont dans la même aire.
    une vaste littérature existe sur ces sujets et certains bons auteurs ont beaucoup écrit là dessus.

    Le poème de Laforgue était pour l'auteur du blog un incitation à rappeler que le Petit Jésus aussi avait dû rencontrer cette question classique

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  3. Le dernier Prix Nobel d'Économie a encore honoré l'économie comportementale en la personne de Richard Thaler, l'auteur de la théorie du "Nudge", ce coup de pouce qui contraint doucement les agents économiques et les citoyens, par un paternalisme libertaire, et qui inspire aussi le macronisme, ce qui l'éloigne de la pensée de Paul Ricœur, pourtant ouverte à tout.
    Le "Nudge" admet l'irrationalité foncière de l'"homo economicus" et ambitionne de lui faire prendre les meilleures décisions possibles, pour aboutir à l'optimum collectif, en lui laissant croire qu'il conserve sa liberté de choix : "Vous faites ce que vous voulez mais nous allons vous diriger vers le meilleur choix possible", ou encore "L’homo economicus des manuels d’économie ne possède ni le cerveau d’Einstein, ni les capacités de mémorisation du Big Blue d’IBM, ni la volonté du Mahatma Gandhi. Il est plus comparable à Homer Simpson qu’à Superman."
    Que penser de cette rationalité imposée, qui ressemble à de la manipulation, et quelle est sa valeur d'un point de vue strictement épistémique ? La rationalité de l'agent économique dans ses choix, à laquelle le "Nudge" l'incite, est le résultat d'un pragmatisme : réduire des coûts, faire investir et respecter l'environnement.
    Richard Thaler a un exemple rassurant et un peu surprenant, sans doute inspiré de Marcel Duchamp. En faisant peindre des mouches dans les urinoirs, on donne une cible aux utilisateurs maladroits dans leurs évaluations intuitives, ce qui fait chuter les dépenses de nettoyage. L'exemple de l'escalier musical, par la pression des pieds sur les marches, qui vise à faire renoncer à l'escalator, ferait penser aux goûts d'un dandy décadent.
    L'économiste comportemental rencontre des problèmes méthodologiques, quand il doit combiner la neuroéconomie, pour les biais cognitifs et émotionnels de l'agent économique, et la sociologie, pour la sous-réaction et la surréaction de cet agent économique. Cela ne ressemble-t-il pas à un bricolage ? On notera que l'économie comportementale est difficilement séparable de la finance comportementale.

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    1. pourquoi l'économie comportementale n'a-t-elle pas de solutions à des problèmes de coordination assez simples et banals de la vie quotidienne, tels que monter un escalator en laissant ceux qui sont immobiles à droite et les autres monter à pied? ou laisser d'abord sortir des rames de métro ceux qui descendent ? ou pour prendre un bus, faire la queue? Les japonais et les British y arrivent , pas les français. on multiplierait les exemples .

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  4. À son époque, Davidson s'était posé la question de la rationalité idéale de l'agent. Elle exclut la non-transitivité des préférences, déjà abordée dans ce Blog. On en a un exemple avec le Bookmaker Hollandais, qui transforme en pompe à phynance l'agent doué de préférences non-transitives.
    Les économistes hétérodoxes mettent en question ce modèle idéal de l'agent maximisateur ou optimiseur, en proposant de définir une rationalité limitée ou minimale de l'agent. Comment un épistémologue rationaliste peut-il penser les fondements de l'économie, quand elle devient une science molle ?

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    1. Certes, c'est la question. C'est ce que font les économistes depuis les années 90 en gros. Mais ils ne me convainquent pas. La rationalité sera idéale, ou ne sera pas .
      C'est comme la Révolution française. On sacrifiera à l'idéal quelques victimes: pas des morts, mais des idiots .

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  5. Si je puis me permettre de revenir sur la question de la rationalité de l'agent économique, je constaterai que les thèses en présence ont leurs avantages et leurs inconvénients.
    Que faire d'un modèle de l'agent idéal, l' homo oeconomicus, à la rationalité maximale servie par un calcul toujours adéquat, alors qu'il n'existerait jamais dans la vraie vie, parce qu'il ne changerait jamais de préférences, et qu'il serait censé tout connaître, y compris le futur, sans avoir besoin d'apprentissage ?
    Il conviendrait donc plutôt d'introduire la notion réaliste de degrés de rationalité de l'agent économique, lequel pourrait avoir une rationalité limitée, voir minimale. Dans cette optique, l'agent ne se tromperait jamais, même quand ses choix ne sont pas optimaux, parce qu'il aurait des raisons qui lui seraient propres.
    Les idéalistes en matière de rationalité admettent que l'agent ne colle pas vraiment aux modèles d'optimisation. Néanmoins, le modèle idéal a l'avantage de la précision et de la généralité, dans l'analyse des actions et de leurs conséquences. Les idéalistes reprochent à juste titre aux modèles réalistes leur approximation : jusqu'où faut-il descendre pour définir une rationalité limitée, voire minimale ? Pourquoi et comment calculer des degrés sous-optimaux de rationalité, tandis que le maximum de rationalité est toujours calculable et unique ? On sait que l'agent idéal n'existe pas, mais on sait exactement ce qu'il pourrait être, alors que l'agent limité, étant trop flou et trop incertain, n'a ni existence possible, ni existence réelle. D'ailleurs, comment distinguer une rationalité minimale de l'absence de rationalité ?
    Les réalistes répondent que les idéalistes minimisent le fait, qui crève les yeux, que l'agent réel ne ressemble pas du tout à l'agent idéal.
    Le modèle idéaliste ne tiendrait donc pas la route, même s'il est cohérent d'un point de vue formel. En examinant la maximisation, pour renvoyer la balle, les réalistes la trouvent, elle aussi, imprécise, fluctuante, et même contradictoire. Dans le cadre de la rationalité maximale, l'agent idéal fait des inférences appropriées, à partir de croyances justes, par un pouvoir de déduction illimité, pour agir en vue de satisfaire des désirs cohérents. Or les agents ne sont pas doués de la même capacité déductive, et cette capacité est elle-même inégale, en fonction de la complexité des inférences. L'agent idéal pourrait donc être plus ou moins rationnel, et il y aurait ainsi des degrés dans son idéalisation. De même, des croyances, qui lui servent de prémices, pourraient être fausses. Dans le domaine de ses préférences, il pourrait négliger le long terme au profit du court terme, et donc être irrationnel. D'ailleurs, l'agent idéal a-t-il une idée claire de l'ensemble de ses préférences, et sont-elles transitives ? Ne pourraient-elles pas évoluer dans le temps ? Un agent idéal peut-il se concevoir sans changements de goûts, ni apprentissages qui les provoquent ? Dire que la rationalité idéale subsiste entre deux changements de goût, n'est-ce pas pécher par incohérence ? Les nouvelles préférences sont dues à de nouvelles croyances, produites par de nouveaux apprentissages, qui rendent instable la rationalité de l'agent idéal. C'est le fameux "paradoxe de la Préface". Cela implique que l'agent idéal est intemporel, ou bien qu'il peut exactement prévoir son futur.

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    1. mais la conception idéale n'interdit pas qu'il y ait, quand on considère les affaires empiriques des degrés de rationalité

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  6. Les idéalistes répondent que la maximisation demeure un outil méthodologique, un modèle pour apporter des solutions à des problèmes bien délimités. Mais cela signifie que la nécessaire délimitation des problèmes traduit une limitation de la rationalité humaine ! On en arrive au "modèle P" de Kahneman, qui tente de rendre crédible et acceptable cette nouvelle forme de rationalité à deux vitesses, en rendant claires les règles et les attitudes qui expliquent ce qui est rationnel et ce qui est "moins rationnel", selon les circonstances. Quant aux partisans de la rationalité minimale, ils affirment qu'elle est possible, car l'agent saura toujours retrouver par lui-même une cohérence, en éliminant les croyances fausses qui l'entravent, et mettre de l'ordre dans ses désirs et ses inférences, pour se tirer d'affaire sans modèle idéal.

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    1. les modèlesidéaux portent sur l' agent ideal.personne ne dit que la rationalité humaine s 'y conforme en tut point et toujours. Mais elle doit, je vous l'accorde, s' y conformer au moins un minimum, sans quoi un modèle idéal est irréaliste

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  7. Nous avons besoin des épistémologues pour étudier les théories économiques. Ils ne recherchent que la vérité, et ils nous aident à faire le tri entre les bonnes questions et les faux problèmes. La critique de la rationalité économique se déplace en suivant la chaîne des crises économiques et financières. C'est Keynes qui parla le premier de la rationalité limitée de l'agent économique, parce que celui-ci manque d'information. Les keynésiens n'ont jamais fouillé la psychologie de l'agent à la manière de Kahneman, pour y déceler la peur de perdre, comme mobile de son défaut de rationalité. De même, l'incitation keynésienne ne descend pas au plus près de la vie quotidienne, comme le nudge de Richard Thaler.
    La limitation de la rationalité par les keynésiens est sans doute la plus confortable. Les travaux pionniers des chercheurs en psychologie de l'économie et en économie expérimentale explorent de nouvelles pistes, mais leurs résultats sont plus incertains. La rationalité minimale de Christopher Cherniak, qui outrepasse la rationalité limitée, est peut-être la plus difficile à concevoir, dans la mesure ou elle considère comme rationnels des choix qui pourraient paraître irrationnels.
    Les maximisateurs de la rationalité ont triomphé dans la théorie des jeux et dans la théorie de la décision. Mais un keynésien comme Herbert Simon, nobélisé en 1978, a mis le ver dans le fruit de la rationalité du processus de décision dans l'organisation économique. Un autre keynésien comme William Vickrey a pointé le manque de rationalité des enchérisseurs, qui ignorent le prix de ce que leurs concurrents sont prêts à payer, dans sa passionnante théorie des enchères. Pour être gagnant, l'enchérisseur devrait toujours dire la vérité en proposant d'emblée de payer un objet à son juste prix. Il aura le plus de chances de payer ainsi le prix correspondant à la seconde meilleure offre, celle de l'enchère au second prix dite "enchère de Vickrey". Une entreprise de courtage en ligne comme eBay applique d'ailleurs l'enchère de Vickrey, pour corriger le manque de rationalité de l'enchérisseur, en lui faisant toujours payer le prix de la seconde meilleure offre, les offres étant simultanées.
    La nouvelle macroéconomie classique parvient à se détacher du keynésianisme, en modélisant les comportements temporellement incohérents. L'addiction et la procrastination ne seraient pas incompatibles avec les hypothèses de rationalité des maximisateurs.
    Dans le domaine de la nouvelle microéconomie classique, Gary Becker a modélisé l'économie de la criminalité, car les délits et les crimes résultent de calculs rationnels. On ne paye jamais dans le métro, parce que les amendes reviennent moins chères qu'un abonnement. Gary Becker a également modélisé l'économie très intéressante du mariage et de la famille. Il existe un théorème de l'enfant gâté qui maximise le revenu global de la famille, par un altruisme contagieux.
    Pour les disciples de Paul Ricœur, qui se sont convertis à l'économie néo-classique, le problème de l'altruisme n'en est pas un. Certes, les relativistes objectent que pour freiner afin d'éviter un piéton, il n'est pas nécessaire de sortir sa calculette, mais les idéalistes répondent que l'altruisme a toujours besoin du calcul d'un bien-être social optimum. Néanmoins, la nouvelle économie du Bien-être bat en brèche ce raisonnement, car le calcul du maximum ignore le bien-être de base.

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