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samedi 16 septembre 2017

le savoir est-il factif ?






        Dans la biographie d'Allais par Caradec (Belfond 1994,p. 59) on trouve le dialogue suivant

    "Soldat Allais ?
   - Présent, mon capitaine.
   - Savez vous lire ?
  - Un peu
  - Savez vous écrire ?
  - Un peu
 - Savez vous compter?
 - Un peu
 - Pardon, mon capitaine, interrompt un lieutenant, cet homme est bachelier ès sciences!
 -  Alors, vous vous fichez du monde, s'écrire l'officier aux trois galons. Comment vous êtes bachelier ès sciences et vous avez le toupet de me dire que ne savez que compter un peu ?

  Le Soldat Allais répond modestement:

  - Si vous me le permettez, mon capitaine, je vous ferai remarquer que votre demande n'avait peut être pas  toute la précision nécessaire, vu que le savoir est chose relative. Par conséquent, je pouvais me considérer autorisé à employer un terme moyen , car si je compte assez bien pour un bachelier ès sciences, cette connaissance du calcul serait tout à fait insuffisante pour un membre du bureau des longitudes.

    Si l'on y regarde de près, cette anecdote est fondatrice. Un très grand nombre d'histoires de l'auteur du Capitaine Cap tiennent à un jeu sur l'assertion. Les personnages affirment quelque chose, en partant du principe que la norme de l'assertion est le savoir. Mais les protagonistes répondent en relativisant ce savoir.
    Allais est lui-même très sensible au problème du relativisme , comme en témoigne sa fameuse répartie :

 "Je ne comprends pas les anglais ! Tandis qu’en France nous donnons à nos rues des noms de victoire : Wagram, Austerlitz… là-bas, on leur colle des noms de défaite: Trafalgar square, Waterloo Place…"




   
  

dimanche 10 septembre 2017

méthode d’abêtisation




       J’étais toujours à la recherche d’une méthode, par laquelle il me semble que j'aurais moyen d'augmenter par degrés ma stupidité, et de l'élever peu à peu au plus haut point, auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourraient permettre d'atteindre.

     Ma tentative pour devenir con à l’aide d’un camping car ayant fait long feu, je décidai de tenter une autre méthode, plus réflexive, plus conceptuelle, mais qui avait cependant un caractère en partie expérimental (on aime, de nos jours, ce qui est expérimental). Cela consistait à essayer de me rendre idiot, ou bête , ou crétin (je ne ferai pas la différence) en biaisant mon entendement. 

        Selon la théorie kantienne-schopenhauerienne de la bêtise, elle est un défaut de jugement, une incapacité à ajuster les intuitions sensibles aux catégories de l’entendement. Souvent cela se manifeste par le fait qu’on ne comprend pas la question posée. Un très bon exemple, venu du livre, qui n’a pas vieilli, de Michel Adam sur la bêtise ( je dis qu’il n’a pas vieilli parce que, en dépit d’essais à succès récents, le sujet n’a pas vraiment été creusé, Alain Roger étant le seul auteur qui tire son épingle du jeu) est celui de la patate. Un individu a du mal à saisir un patate chaude sortie de la casserole ou du feu pour la peler. On lui conseille : « Prenez donc une fourchette ! ». Interloqué il dit : « Pourquoi une fourchette ? » Il n’a pas compris que le conseil est de prendre une fourchette non pour peler la patate, mais pour la saisir sans se brûler. C’est un manque de jugement, au sens kantien du terme (Mangel an Urteilskraft). Le manque de jugement est autre chose que le manque d’une capacité cognitive, telle que la perception, la mémoire, ou la capacité d’inférer, qui caractérisent la bêtise comme déficit cognitif. Il s’agit du manque d’une capacité cognitive, mais aussi d’une certaine sorte d’aptitude. L’idiot à qui il manque une case ne peut pas faire telle ou telle chose. Mais celui qui juge mal a les moyens de juger : il a les catégories (concepts) et les intuitions. Mais il ne les fait pas bien correspondre. C’est le concept intellectualiste de bêtise.

      Pour m’en approcher, je décidai de mal juger en toutes circonstances, en répondant à côté systématiquement. Quand on me demandait : « Quel temps fait-il ? », je répondais : « Il est cinq heures ». Quand on me demandait : « Ce pantalon vous va-t-il ? » je répondais : « Sa couleur me plaît ». Quand on me demandait : « Partirez-vous en vacances en juillet ? » je répondais : « Ars longa, vita brevis ». Cela désarçonnait un peu l’auditeur, mais ne parvenait pas à me faire prendre pour un crétin. Après tout, la non pertinence, au sens gricien, n’est pas preuve de bêtise, sauf si elle est répétée ou obstinée. Elle est même, en poésie, en littérature, dans le discours ironique ou métaphorique, marque de créativité, ou d’humour. Pas de quoi rendre les gens idiots. En fait, c’est même la définition de l‘humour selon Kant et Schopenhauer : un désaccord dans les catégories. Je visitais un jour avec mon neveu la galerie de l’Academia, et face à l’un des plus beaux Carpaccio il me dit « Combien de kilos de peinture ? ». Quand j’entrais dans une pâtisserie et demandais : «  Y a du rhum dans le baba ? », ou dans une boulangerie en demandant à la boulangère : « Où sont vos miches ? », j’étais vulgaire, mais pas stupide. Il m’aurait fallu être une blonde, ou un belge, comme dans les histoires du même nom, qui sont basées presque toutes sur des erreurs de catégorie : 

« Une blonde entre chez un opticien.
 -Avez-vous des lunettes ?
-Pour le soleil ?
-Non, non, pour moi ! »
« Pourquoi les belges vont-ils dans le désert avec une fenêtre ?
-         Pour pouvoir l'ouvrir s'ils ont trop chaud » 

Mais les erreurs de catégorie, qui sont supposées provoquer le rire par le spectacle du défaut de jugement, et donc d’entendement, peuvent aussi être poétiques. Le Belge qui emporte une fenêtre dans le désert peut être un personnage d’un Magritte. 


      J’essayai alors une méthode plus radicale : répondre « oui » à toute question qui se terminerait par une syllabe en [ ε] , comme «  Y-a-du lait ? »  ou «  L’avez vous vu dans la forêt ? », et « non » quand la question se termine en [u] comme dans « as-tu peur du loup ? » et ne rien répondre autrement. Ou alors demander « pourquoi ? » à toute question dont les premiers mots serait « Est-ce que ? ». Mais cela avait quelque chose de mécanique, qui frisait l’intelligence.




     Le mécanique est certainement la marque de la débilité. Je lus la thèse de la grande psychologue genevoise, que je vis un jour en 1996 à un colloque Piaget, Bärbel Inhelder, sur Le raisonnement chez les débiles  ( c’est sa thèse en 1943 ) C’est très bon, mais vicié par cette idée de Piaget qu’il y a des stades de l’intelligence, et que quand on est au-dessous de la barre (en gros 7 -8 ans) on est bêta. Mais tellement de gens au -dessus de la barre sont idiots ! Inhelder leur donne des tests, sur l’estimation de quantités, par exemple : « Est-ce que cette saucisse (plus grosse) est plus lourde que celle-là (plus petite, mais très concentrée) » ou « Est-ce qu’un kilo de plumes est plus lourd qu’un kilo de plomb ? » et les réponses sont supposées montrer qu’on est débile. Mais à presque tous les tests, je répondais comme un débile. Cela me fit penser à mon test au service militaire. On devait faire ce que l’on appelait alors « les trois jours ». Un officier nous accueillait à la caserne, et nous distribuait des tests. A la fin de la journée, il y avait les résultats. Je finis dans les plus nuls, avec les bouseux, les débiles. Mon QI était au-dessous de la moyenne, vers 90. Cela me rappela Flaubert, à qui enfant ont demandait : « Va voir à la cuisine si j’y suis ! » et qui y allait. Cela me satisfaisait assez : j’étais idiot. Un doute demeurait : jusqu’à quel point ? Car je savais plus ou moins tenir mon compte en banque, mais avec difficulté, calculer un horaire de train, voir au marché si les courgettes étaient moins chères que les concombres.  Mais au bout d’un moment, je me lassais, et achetais tout trop cher. J’étais donc semi-débile.  J’avais progressé, mais je restais, apparemment, au-dessus de la moyenne. Après tout j’avais fait une carrière universitaire, je faisais des conférences, des articles, des livres, je me tenais dans une assez haute posture dans l’univers de l’intellect. Comment prouver aux gens que j’étais un idiot égaré parmi eux ? 

    J’avais réalisé depuis mon enfance que les émissions de télévision qui mettent en scène les téléspectateurs eux-mêmes, comme jadis celles animées par Guy Lux ( Intervilles, le schmilblic), ou les émissions de télé-réalité, offrent le spectacle de la bêtise humaine, et vous la communiquent. Je me mis donc à regarder assidûment la télévision, dès le matin et surtout au début de l’après- midi, quand les programmes passent des feuilletons sentimentaux et des séries, dont le caractère répétitif, la nullité des dialogues et ses situations devait, je l’espérais du moins, être communicative. Cela m’abêtissait, mais excitait aussi mon entendement, car chercher à deviner les relations amoureuses entre des personnages si divers obligeait, si l’on ne tombait pas de sommeil par ennui, à exercer un minimum d’intelligence. J’essayai les documentaires animaliers, qui devraient normalement nous rapprocher du cœur du problème. Mais là aussi les commentaires anthropomorphes étaient si prégnants qu’ils stimulaient l’esprit plus qu’ils ne l’endormaient. Je finis par trouver un moyen de devenir vraiment idiot. C’était de regarder les émissions de télévision de philosophie, très nombreuses sur les chaînes françaises (on peut se demander pourquoi). Elles étaient la plupart du temps animées par un beau brun, aux yeux sombres mais rapprochés, qui parlait vite et que la caméra suivait tout le temps, en sorte qu’on avait l’impression que l’émission était destinée à le mettre en valeur plutôt que ses invités, qui étaient souvent de petites jeunes femmes mignonnettes. Celles-ci, par contraste avec le beau brun aux yeux sombres, avaient l’air intelligentes, mais un peu comme dans le film de Frank Tashlin The Girl can’t help it , il valait mieux qu’elles n’ouvrent pas la bouche. Car les dialogues étaient du genre : 

     « Qu’est-ce que la souffrance ? 
-         C’est quand on a mal.
-         Très mal ?
-         Oui, quand on a mal on est mal.
-         Vous voulez dire qu’on est sa souffrance ?
-         Oui.
-         Mais alors qu’est-ce que souffrir ?
-         C’est avoir vraiment mal. 
-         Mais être sa douleur, n’est pas se réconcilier avec elle ?
-         N’est-ce pas Max Scheler qui le dit ?
-         Oui, dans Le sens de la souffrance.
-         Mais alors si on est sa souffrance, on n’a plus mal ?
-         Non.»



Le beau brun, dont on se demandait sans cesse s’il simulait son idiotie ou s’il était réellement idiot, demandait alors à la jeune femme finaude de s’approcher d’un mur couvert d’une grande photo, qui était supposée illustrer le thème abordé. Par exemple, dans une émission sur la liberté, il proposait à l’invitée de commenter le tableau de Delacroix , La liberté guidant le peuple. Cela donnait lieu à des dialogues du genre :

« Pourquoi est-elle à demi nue ?
-         Parce qu’elle incarne la liberté.
-         Vous voulez dire que le sein nu symbolise la liberté ?
-         Oui.
-         Mais à l’époque, cela devait choquer, non ?
-         Oui.
-         Elle est assez forte, non ?
-         Oui, elle ne donne pas l’impression d’être une bourgeoise
-         Et à droite, là, c’est Gavroche ?
-         Oui, sans doute.
-         Il va tomber dans le ruisseau ?
-         Oui, et ce sera la faute à Voltaire.
-         Ou à Rousseau ?
-         Aux deux. (rire)
-         Comment le peuple peut-il être libre ?
-         En se révoltant.
-         Mais si la révolte est écrasée par les armes ?
-         Il sera libre quand même.
-         Alors être libre, c’est se sentir libre ?
-         Oui. « Il est libre, Max, y a même qui disent qu’ils l’ont vu voler »
etc. 


   Comme les émissions de télé ne suffisaient pas, je me mis à essayer de lire les magazines qui parlaient de philosophie, comme Philosophie magazine. J’espérais, en lisant des bêtises sur la matière réputée la moins bête, parvenir au somment de la bêtise. Et en un sens j’y parvenais, car tous les articles étaient non pas tant stupides que banals, énonçant les pires lieux communs avec suffisance. Rien n’est plus bête, pensai-je, que de chercher à ne pas l’être. Alors ne réussirais-je pas mon pari en cherchant à l’être ?
   J’étais comme quelqu’un qui cherche à se rendre malade, par exemple en mangeant mal, ou en prenant froid. J’y parvenais, mais je n’y parvenais pas sans le vouloir. Ma bêtise était forcée. Alors tant qu’à forcer, pourquoi ne pas prendre une résolution une fois pour toutes ? Pourquoi ne pas articuler les principes d’une méthode pour être bête ?
  J'avais un peu étudié, étant plus jeune, entre les parties de la philosophie, à la logique. En les examinant, je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu'on sait ou même, comme l'art de Lulle, à parler, sans juge­ment, de celles qu'on ignore, qu'à les appren­dre. Cela me convenait parfaitement. Je conçus alors une méthode pour parvenir à l’ignorance et à la bêtise.  Et bien que la multitude des lois fournisse souvent des excuses aux vices, je crus que j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer:

Le premier était de ne toujours recevoir pour vrai ce que je ne connaissais pas être tel, c’est –à-dire de me laisser aller soigneusement à la précipita­tion et à la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se pré­­senterait si obscurément  et si confusément à mon esprit, que j' eusse toute occa­sion possible de le mettre en doute.
Le second, de regrouper chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de groupes qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux confondre.
Le troisième, de conduire sans ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus complexes et les plus difficiles à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à l’ignorance de leur composition; et supposant même du désordre entre ceux qui se précèdent point naturellement les uns les autres.

   Après avoir cherché à pratiquer cette méthode un temps, je réalisai qu’elle avait deux faces. L’une est une recette de bêtise passive, celle qui conduit à la simple confusion des idées, que la scène intellectuelle contemporaine nous montre en permanence, où l’on préfère avoir quantité d’idées confuses et obscures plutôt que peu d’idées claires et distinctes. C’est la scène actuelle du tout philosophique, où la philosophie est devenue la discipline de la bêtise par excellence.

     L’autre , je le réalisai lentement, n’était autre que celle que prônait Gilles Deleuze dans sa Méthode de dramatisation que je lisais dans ma jeunesse (Société française de philosophie, 1967, in l’île déserte et autres textes , Minuit, 2002, Différence et répétition, PUF 1968) : ne pas chercher l’Idée sous le concept, ni l’idée claire et distincte, mais le distinct obscur , ne pas chercher le vrai, mais qui veut le vrai. Dans ses pages extraordinaires sur la bêtise (Différence et répétition , pp. 195-98), Deleuze explique que la bêtise est une structure de la pensée, l’envers même de l’image courante de la pensée comme cogitatio vraie, comme subsomption du divers sous le concept. Il nous explique que la philosophie véritable a un problème transcendantal : comment la bêtise est-elle possible ? Et que la réponse tient au lien de la pensée avec l’individuation. La bêtise n’est pas un autre de la pensée, c’est la pensée même quand elle reflète le fond indistinct, sorte de bouillon d’intensités, que Deleuze désignait déjà dans son Hume : « le fond de l’esprit est délire, hasard, indifférence ». 

Cela implique de rejeter le vrai et la raison, pour contempler ce fond ou ce bouillon dans lequel nagent des yeux qui sont autant de singularités et qui remontent avec le fond du monde. C’est à cette conception schopenhauerienne et nietzchéenne de la bêtise que j’avais abouti. 


   Je n'avais pas avancé d'un pas. J’avais fait fausse route. Avec tous ces philosophes qui désiraient la bêtise et voulaient détruire l’image de la pensée comme raison , j’avais l’impression d’être comme l’escroc dont parle Paulhan dans une lettre à Drieu la Rochelle d’octobre 1940 :

   « Cher Drieu 

       Vous rappelez vous le mot de l’évêque de Narbonne ? L’on s’étonnait qu’il eût démasqué du premier coup je ne sais quel escroc, déguisé en prêtre. Il répondit : « C’est qu’il parlait de la raison avec trop de dédain. »
    C’est à peu près dans la même mesure que je me sens rationaliste , et (si vous aimez mieux) bendaïsant. » 

    (Paulhan, Choix de lettres, Paris Gallimard, 1992, vol. 2, 1937-1945, p.194)

     
     


mercredi 6 septembre 2017

Il fumo





      
                                                                           
                                                                     





Le prime sigarette ch’io fumai non esistono più in commercio. Intorno al 70 se ne avevano in Austria di quelle che venivano vendute in scatoline di cartone munite del marchio dell’aquila bicipite. Ecco: attorno a una di quelle scatole s’aggruppano subito varie persone con qualche loro tratto, sufficiente per suggerirmene il nome, non bastevole però a commovermi per l’impensato incontro.
Penso che la sigaretta abbia un gusto più intenso quand’è l’ultima. Anche le altre hanno un loro gusto speciale, ma meno intenso. L’ultima acquista il suo sapore dal sentimento della vittoria su sé stesso e la speranza di un prossimo futuro di forza e di salute. Le altre hanno la loro importanza perché accendendole si protesta la propria libertà e il futuro di forza e di salute permane, ma va un po’ più lontano.
Ma allora io non sapevo se amavo o odiavo la sigaretta e il suo sapore e lo stato in cui la nicotina mi metteva. Quando seppi di odiare tutto ciò fu peggio. E lo seppi a vent’anni circa. Allora soffersi per qualche settimana di un violento male di gola accompagnato da febbre. Il dottore prescrisse il letto e l’assoluta astensione dal fumo. Ricordo questa parola assoluta! Mi ferì e la febbre la colorì: Un vuoto grande e niente per resistere all’enorme pressione che subito si produce attorno ad un vuoto. Quando il dottore mi lasciò, mio padre (mia madre era morta da molti anni) con tanto di sigaro in bocca restò ancora per qualche tempo a farmi compagnia. Andandosene, dopo di aver passata dolcemente la sua mano sulla mia fronte scottante, mi disse:
– Non fumare, veh!
Mi colse un’inquietudine enorme. Pensai: «Giacché mi fa male non fumerò mai più, ma prima voglio farlo per l’ultima volta». Accesi una sigaretta e mi sentii subito liberato dall’inquietudine ad onta che la febbre forse aumentasse e che ad ogni tirata sentissi alle tonsille un bruciore come se fossero state toccate da un tizzone ardente. Finii tutta la sigaretta con l’accuratezza con cui si compie un voto. E, sempre soffrendo orribilmente, ne fumai molte altre durante la malattia. Mio padre andava e veniva col suo sigaro in bocca dicendomi:
– Bravo ! Ancora qualche giorno di astensione dal fumo e sei guarito!

Italo Svevo, La coscienza di Zeno


     Pourquoi ne fume-t-on plus ? Je ne veux pas dire qu'il n'y a plus de fumeurs , plus de gens tirant obsessivement sur des cigarettes et les écrasant comme des insectes nuisibles une fois leur forfait accompli. Mais plus de fumeurs tenant nonchalamment leur cigarette entre index et majeur, la main retournée en arrière, comme le fait la belle Lucia Berlin sur cette photo (dont la plupart des éditeurs ont fait disparaître la cigarette)


   On voit fumer sur les trottoirs les employés d'entreprises chassés des étages de bureaux, grillant leur clope rapidos. On voit fumer des gens qui font leur PMU dans les terrasses dédiées des cafés, où ils se regroupent l'hiver sous des chaufferies pour ne pas geler. On voit fumer dans les aeroports des êtres serrés dans des cages de verre à cet effet.  Peut être des collectionneurs de cigares dans des clubs sélect. On voit sans doute vapoter. Mais ces narguilés électriques sont ils des vrais fumer? On ne voit plus fumer quiconque comme dans les années 60, à la manière de Marie Laforêt dans Plein soleil ou Monika Vitti dans La notte. 

        Moi aussi, la plupart des tabacs que j'ai fumés n'existent plus. Les cigarettes Craven A ou Players, les boîtes de tabac pour pipe Kong Fredrik que je trouvais au Danemark, les cigarettes grecques Santé  ( dont le nom anticipait ironiquement les campagnes anti-tabac de 30 années plus tard) ou Karelias (au paquet alexandrin) sont des choses du passé.