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mardi 15 janvier 2019

TROUILLE ET COUILLE



   


 Dans le Tiers livre, XXXV, Panurge rencontre un pyrrhonien, Trouillogan, qui hésite entre deux propositions et suspend son jugement. Cela rappelle l’Apologie de Raymond Sebond. Panurge n’y comprend goutte. Gargantua non plus. Pantagruel les réconcilie.

« Gargantua ayant debonnairement salüé toute l’assistence, dist. Mes bons amys vous me ferez ce plaisir, je vous en prie, de non laisser ne vos lieux ne vos propous. Apportez moy a ce bout de table une chaire. Donnez moy que je boyve a toute la compaignie. Vous soyez les tresbien venuz. Ores me dictez. Sur quel propous estiez vous? Pantagruel luy respondit, que sus l’apport de la seconde table Panurge avoit propousé une matiere problematicque, a sçavoir s’il se doibvoit marier ou non? et que le pere Hippothadée et maistre Rondibilis estoient expediez de leurs responses: lors qu’il est entré respondoit le feal Trouillogan. Et premierement quand Panurge luy a demandé, me doibz je marier ou non? avoit respondu: Tous les deux ensemblement: a la seconde foys avoit dict: Ne l’un ne l’aultre. Panurge se complainct de telles repugnantes et contradictoires responses: et proteste n’y entendre rien. Je l’entends (dist Gargantua) en mon advis. La response est semblable a ce que dist un ancien philosophe interrogé s’il avoit quelque femme qu’on luy nommoit? Je l’ay (dist il) amie, mais elle ne me a mie. Je la possede, d’elle ne suys possedé. Pareille response (dist Pantagruel) feist une fantesque de Sparte. On luy demanda si jamais elle avoit eu affaire a home? Respondit que non jamais: bien que les homes quelques foys avoient eu affaire a elle. Ainsi (dist Rondibilis)  Medicine, et moyen en philosophie: par participation de l’une et l’aultre extremité: par abnegation de l’une et l’aultre extremité: et par compartiment du temps, maintenant en l’une, maintenant en l’aultre extremité. Le sainct Envoyé (dist Hippothadée) me semble l’avoir plus apertement declairé, quand il dict. Ceulx qui sont mariez, soient comme non mariez: ceulx qui ont femme, soient comme non ayans femme. Je interprete (dist Pantagruel) avoir et n’avoir femme en ceste façon: que femme avoir, est l’avoir a usaige tel que nature la créa, qui est pour l’ayde, esbatement, et societé de l’home: n’avoir femme, est ne soy apoiltronner au tour d’elle: pour elle ne contaminer celle unicque et supreme affection que doibt l’home a Dieu: ne laisser les offices qu’il doibt naturellement a sa patrie, a la Republicque, a ses amys: ne mettre en non chaloir ses estudes et negoces, pour continuellement a sa femme complaire. Prenant en ceste maniere avoir et n’avoir femme, je ne voids repugnance ne contradiction es termes. »



Cela fait penser à la manière contextualiste sur le scepticisme, anticipée par Aristote en ses réponses aux Sophismes.
Trouillogan a la trouille. Il n’a pas les couilles d’affirmer ni de nier. En revanche Grangousier, père de Gargantua, en avait. Il se les chauffait au coin du feu : 

Grandgousier…qui après le souper se  chauffe les couilles à un  beau grand feu clair et qui,  en surveillant des  châtaignes qui grillent, écrit dans l ’âtre avec le bâton  brûlé d’un bout dont on tisonne le feu, en racontant à sa femme et à sa  maisonnée de beaux contes du temps jadis. Gargantua, II

Grangousier est l’anti-sceptique débonnaire. Un siècle plus tard à peu près, Descartes est en Allemagne en son poële, où il use de la technique du doute pour pouvoir trouver un fondement certain à la science. Il a des couilles, comme il l’a montré contre les pirates qui l’avaient attaqué, et c’est un soldat. Il se les chauffe aussi au coin du feu, et arrive au cogito.

« J'étais alors en Allemagne, où l'occasion des guerres qui n'y sont pas encore finies m'avait appelé;  et comme je retournais du couronnement de l'empereur vers l'armée, le commencement de l'hiver  m'arrêta en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me divertît,  et n'ayant d'ailleurs, par bonheur, aucuns soins ni passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans  un  poêle,    j'avais  tout  loisir  de  m'entretenir  de  mes  pensées. »

 Pourquoi Grangousier et Descartes se les chauffent-ils les couilles ? Parce qu’ils se les gèlent.
Pourquoi se les gèlent-ils ? Ici on peut recourir au fameux épisode des paroles gelées du Quart livre (LVI). 


« Seigneur, de rien ne vous effrayez. Icy est le confin de la mer glaciale, sus laquelle feut au commencement de l'hyver dernier passé grosse & felonne bataille, entre les Arismapiens, & le Nephelibates. Lors gelèrent en l'air les parolles & crys des homes & femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, les hannissements des chevaulx, & tout effroy de combat. A ceste heure la rigueur de l'hyver passée, advenente la serenité & temperie du bon temps, elles fondent & sont ouyes. Mais en pourrions nous voir quelqu'une. Me soubvient avoir leu que l'orée de la montaigne en laquelle Moses receut la loy des Iuifz le peuple voyoit les voix sensiblement.

     Tenez tenez (dist Pantagruel) voyez en cy qui encores ne sont degelées. » 

La solution du cogito est toute trouvée : il dégèle les couilles, les paroles, et les pensées. 

Trouillogan, par Doré

mardi 8 janvier 2019

RIC HOCHET








            Je n'aimais pas tellement, dans Tintin, les aventures de Ric Hochet, par Tibet et Duchâteau. Le personnage était bellâtre, blondasse comme les photos qu'on voyait chez les coiffeurs pour Pantène ou Petrol Hahn, et ses aventures fadasses. Et puis il y avait ce nom ridicule. C'était la fin du journal Tintin. J'étais déjà passé à Pilote, puis redécouvrais Spirou. Tout m'était hochet.


Comme par hasard l'inventeur de ce pétrole est suisse