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lundi 21 septembre 2015

LE CLUB DES MODESTES






    Chaval a décrit de manière inoubliable les séances du Club des méprisants, dans lequel les membres du club regardent avec mépris le président, qui les regarde en retour de manière méprisante (Les gros chiens, Jean Jacques Pauvert, 1962, merci au blog Ultima). Je voudrais à présent décrire un autre club, celui des Modestes. 

     Le Club des modestes se réunissait tous les premiers lundis du mois, dans un modeste local près de la gare de Lyon.  Chacun arrivait là solitaire, de peur que la présence d’un autre membre ne conduise à lui faire désirer d’être admiré, et ainsi de risquer une quelconque bouffée de fierté inconvenante. Tous s’asseyaient avec précaution, discrétion et humilité sur des bancs en bois inconfortables, de préférence vers le fond de la salle, en jetant des regards furtifs autour d’eux, afin de ne pas avoir l’air d’avoir de la hauteur. Ceux qui, contraints, arrivaient en retard et devaient se mettre au premier rang se renfrognaient et baissaient la tête. Quand la salle était presque pleine, et qu’arrivaient honteux de se sentir ainsi signalés les retardataires, le président de séance, qui changeait à chaque séance pour ne pas avoir la grosse tête, de manière très réservée, d’une voix presque inaudible, demandait à quelques membres présents de faire un exposé. Alors un pauvre être tout flageolant de honte de parler en public se levait et montait à la tribune. Il consacrait habituellement sa communication, prononcée d’une voix douce, à un simple commentaire d’un point mineur avancé par un auteur reconnu, afin de ne pas avoir l’air de monter en épingle son sujet, ni de mettre en avant son choix, dont il ne cessait de répéter qu’il eût pu en faire un autre, sur un sujet tout aussi inintéressant et tout aussi peu digne d’être évoqué. La plupart du temps, c’était une note en bas de page, un appendice, un paralipomène, qui n’avait pas l’ambition d’apprendre quelque chose aux autres modestes dans la salle. Au contraire : si l’un d’entre eux manifestait, que ce soit par inadvertance ou volontairement, le moindre intérêt pour l’exposé qui leur était fait, le regard réprobateur du président et des autres membres fondait sur lui, et il comprenait qu’il s’était mis indûment en valeur en suscitant la curiosité sur tel ou tel sujet. Il roulait alors rapidement le papier qu’il lisait et s’enfonçait avec discrétion dans le groupe des modestes.
    Il n’était pas seulement implicite – car tout était implicite dans ce Club – qu’on dût manifester sa modestie au cours des séances, mais aussi qu’on dût le faire dans la vie quotidienne. Les modestes refusaient en conséquence toute distinction et tout honneur. Ils renvoyaient systématiquement les propositions que ne manquaient pas – du fait même de leur modestie – de leur faire telles ou telles autorités de recevoir qui la légion d’honneur, qui tel prix de telle Académie ou Congrégation, qui l’honneur de donner telle ou telle conférence prestigieuse devant un parterre tout aussi distingué dans tel ou tel Palais ou tel Lieu de Savoir, de passer à telle ou telle émission de Télé, de donner telle ou telle interview ou de paraître sur telle ou telle page web lue par des milliers d’internautes. Je crois même qu’ils attendaient avec impatience de recevoir ce type de proposition pour avoir le discret mais néanmoins intense plaisir de les refuser. Ils passaient d’ailleurs leur temps à regarder la télévision, à lire les pages internet ou les journaux, pour y voir quelles people  recevaient des hommages ou étalaient leurs ego  et leur richesse, afin de se dire à eux-mêmes combien ils étaient étrangers à tout ce strass. Inutile de dire qu'ils fuyaient comme la peste les réseaux sociaux où chacun étale à destination du monde entier non seulement ses succès personnels et professionnels mais aussi ne laisse personne ignorer ce qu'a fait dans la journée son chien, son chat, ou son poisson rouge. Ils lisaient assidûment sur le Journal Officiel les longues listes de promotions aux Grades de la Légion d’honneur ou de l’ordre du mérite qui paraissaient deux ou trois fois l’an, afin de froncer le sourcil quand ils voyaient qui était promu. La plupart du temps d’ailleurs leur attente était satisfaite, car c’étaient bien les plus imbus d’eux-mêmes, les plus péteux et les plus boursouflés qui recevaient ces décorations et honneurs. Les modestes rougissaient au moindre compliment, et plongeaient la tête dans leur col quand on les gratifiait d’une parole approbatrice. Si l'un d'eux était auteur de quelque opuscule, ou participait à telle ou telle activité artistique, et venait à être mentionné dans un journal il s'attirait immédiatement la réprobation des autres membres. Si un modeste était auteur, et venait à être cité, même seulement en note, dans un autre livre, il en allait de même (fort heureusement cela se produisait rarement car les auteurs détestent en général citer leurs confrères, même quand une citation s'imposerait). Pour éviter tout possible gonflement de leurs chevilles les modestes refusaient d'écrire des livres, romans ou essais. Ils se confinaient dans la note en bas de page, les postfaces, les travaux d'érudition et d'édition, tous au service de la gloire des autres et non de la leur propre. Si le président et son scrupuleux secrétariat venaient à apprendre que l’un des membres du Club avait accepté un hommage ou un prix, ou qu'il avait écrit un livre qui aurait pu être lu (bien improbablement, car en ces temps digitaux plus personne ne lisait de livres), ce membre était immédiatement exclu du Club. Bien entendu ils avaient tous été, pendant leurs années scolaires et universitaires, des élèves effacés, installés à côté du radiateur, au fond de l'amphi, et évitant les prix et récompenses. Ils étaient souvent les derniers de leur classe, mais réussissaient néanmoins, sans le vouloir, à passer dans la classe supérieure ou réussir l'examen. Alors ils étaient pris d'une grande honte.

    Les Modestes n’étaient pourtant pas des médiocres. La plupart étaient talentueux, et avaient de grands mérites. Mais la surveillance intense, à la fois ab interno et ab externo dont ils étaient l’objet, finissait par faire d’eux des Salavin, qui, à l’instar du héros de Georges Duhamel, n’osent même pas saluer leurs supérieurs de peur d’avoir envie inopinément de leur toucher l’oreille.

     On ne sera pas surpris que les adhésions au Club aient fini par s’épuiser, et que un à un, les modestes l’aient déserté. Leur propre présence aux réunions leur était d'ailleurs devenue insupportable. Ils craignaient à tout moment qu'un journaliste, un badaud, attirât l'attention sur eux et vienne à croire qu'ils se distinguaient. Le Club ferma, en toute discrétion. * Certains d’entre eux ont fait ensuite carrière dans le monde, et c’est sans vergogne aucune qu’ils se sont lancés à la chasse aux honneurs, bien souvent sans les mériter.
     



* J'essayai, quelque temps après la fermeture du Club, de visiter la Salle dont on m'avait indignement 
exclu jadis ( j'avais publié un ouvrage de logique, qu'on prit pour une manifestation d'orgueil, et que mes modestes collègues taillèrent en pièces). J'y trouvai , jonchant le sol, des tickets de cinéma pour la film Modesty Blaise avec Monica Vitti, des brochures pour un voyage à Modesto, en Californie, et un album de Modeste et Pompon, qui éveilla en moi des souvenirs enfantins ( une rareté car , à ma connaissance, ce fut la seule collaboration d'André Franquin au journal Tintin; chose intéressante il y avait dans cette BD un ancêtre de Gaston Lagaffe, Félix; et  les personnages, assez falots furent repris ensuite par Dino Atanasio, qui dessinait aussi les aventures de Spaghetti et Prosciutto ). Pour être précis, il s'agissait de l'album Bonjour Modeste ! La série fut reprise avec des titres comme ça suffit Modeste

dimanche 6 septembre 2015

Modeste proposition pour une réforme du CNRS par Tagliatesta


                                                                          
                                                                                    Pałac Kultury i Nauki, Warszawa

 

Ce texte de Federico Tagliatesta est daté de 1998 dans ses papiers posthumes. Il devait figurer dans les Instructions aux Académiques, mais en a sans doute été retiré car il eût été redondant car ce livre contient des conseils aux chercheurs du CNRS. Il décrit, heureusement, un état de choses dépassé et parfaitement obsolète.

                                                                                                                                       A.S


     Le Centre National de la Recherche Scientifique est l’une des plus glorieuses institutions de notre système universitaire. Il l’est d’ailleurs d’autant plus qu’il est administrativement parlant, totalement détaché des universités. On raconte que Paul Langevin, visitant l’URSS avant la seconde guerre mondiale, fut fort impressionné par l’Académie des Sciences de la Russie soviétique, et revint en France avec l’idée de créer une institution semblable dans son pays, ce qui fut fait à la Libération. Depuis elle est florissante. Tout le monde s’accorde pour reconnaître qu’elle a joué un rôle important dans l’épanouissement de la science française, et que, dans les sciences « dures », elle est indispensable.
         Quelques voix impertinentes se sont cependant élevées, au fil des années, pour la critiquer : quel sens y a-t-il à ce qu’un système universitaire entretienne de chercheurs à vie, qui, dans la plupart des disciplines, finissent naturellement par vieillir et à passer plus de temps à chercher qu’à trouver sans jamais contribuer au renouvellement des jeunes générations en enseignant et en dirigeant des thèses? Aucun autre pays, à l’exception peut être de l’Italie, n’a eu l’idée d’un tel système, qui apparaît monstrueux : s’il y a un temps, dans la vie d’un chercheur pour la recherche, il doit aussi y avoir un temps pour l’enseignement. Bref, comme le disait un ancien ministre, c’est une institution qu’on nous envie beaucoup à l’étranger, mais que personne ne songerait à imiter.
         Dans les départements scientifiques des universités, le lien entre les laboratoires du CNRS et les enseignants d’université est fort et la situation est globalement saine. Les chercheurs ne passent souvent au passent le plus souvent que de courtes périodes, entre leurs thèses et l’obtention d’un poste, pour revenir ensuite à l’enseignement. quand ils restent chercheurs ils sont la plupart du temps très associés à l'enseignement et l'intégration aux universités est bonne. La situation est loin d’être identique dans les universités de Lettres et de sciences humaines, et dans les laboratoires du CNRS en « Sciences de l’homme et de la société ». Là les chercheurs du CNRS vivent dans ce qu’on appelle leurs « laboratoires » (l’assyrologie aussi est une discipline de laboratoire), qui, même quand ils sont formellement rattachés aux universités, sont souvent très peu, voire pas du tout impliqués dans l’enseignement. Passées quelques années, le chercheur du CNRS a perdu tout contact avec les étudiants. Il considère comme une abomination de devoir enseigner à des étudiants qu’il considère la plupart du temps comme nuls, en raison, en particulier, du fait qu’ils sont aux mains de collègues enseignants qui, du fait qu'ils ne sont pas au CNRS, on bien peu de temps à consacrer à la recherche, et obtiennent, au mieux, des détachements auprès de cet organisme  une fois dans leurs carrière. L’idée même d’enseigner sur autre chose que sa propre recherche paraît au chercheur du CNRS une pure et simple violation de son statut, et un crime à l’encontre de la valeur éminente de son travail.  En philosophie la situation atteint des paroxysmes. Comme l’a dit un jour le philosophe Alain de Libera ( Le Débat, 1992), le CNRS est un « Graal administratif » que les jeunes chercheurs veulent atteindre. Une fois celui-ci acquis, ils ne consentent à le quitter que pour obtenir un poste dans les universités les plus prestigieuses, à la Sorbonne en particulier. Certes, on n’en est plus , comme dans les années 1960 et 70, au temps où, en plus d’être au CNRS, les chercheurs ne font pas autre chose que remettre un rapport d’activité bidon chaque année. Les chercheurs du CNRS publient, travaillent, et le font d’autant mieux qu’ils ont tout leur temps pour cela. Leur travaux sont peut être trop spécialisés, mais ils le compensent en intervenant régulièrement à la radio ou dans les journaux, « valorisant » ainsi leur recherche, ou faisant quelques cours (rémunérés) quand ils en ont envie. Leurs statuts administratifs sont les mêmes que ceux des enseignants d’université. Pourquoi en changeraient-ils ? Mais, comme le dit de Libera, qu’est-ce qu’un philosophe qui n’enseigne pas, qui n’a pas contact avec des disciples ? Même les fondateurs de l’Académie et du Lycée n’y avaient pas songé.
         On ne saurait cependant blâmer ces chercheurs : les universités sont devenues de plus en plus, ces dernières décennies, des super-lycées où se pratique l’enseignement de masse (et les crédits de recherche sont rares, au point que l’on se bat pour obtenir de maigres ressources, dans une atmosphère de perpétuelle aigreur). On a bien essayé des programmes incitatifs et quelques avantages pour forcer les chercheurs à prendre des postes enseignants, mais, de manière prévisible, ils n’ont attiré que ceux qui ne pouvaient espérer obtenir des grades supérieurs au CNRS. Et pourtant les chercheurs du CNRS aimeraient appartenir aux universités. Ils se sentent, on les comprend, éloignés de ce qui constitue, malgré tout, le vivier d’étudiants et la communauté à laquelle leurs travaux les destine.
         Comment faire ce que dicte le bon sens, ramener les chercheurs dans les universités ? A mon avis la solution est simple.  La plupart de établissements universitaires sont des dépotoirs, qui ferment le soir à 20h, de peur que les sans-abri ne peuplent les locaux. Les étudiants y sont livrés à eux-mêmes, et toutes sortes de déprédations, au fil des années, ont fini par faire ressembler ces établissements à des souks du tiers monde, où les murs couverts de graffitis ne permettent même plus de poser une affiche de colloque. Les cités universitaires sont des coupes gorge où les jeunes filles n’osent plus se risquer après 7 heures du soir. Un grand besoin de vigiles et d’appariteurs se fait sentir. J’ai calculé qu’il faudrait au moins recruter 10 000 appariteurs dans nos universités pour assurer un accueil, une sécurité, et un encadrement minimum des étudiants, en même temps que pour accomplir de petites tâches de secrétariat ou de suivi de nettoyage des locaux qui leur rendraient au moins une vague allure d’établissements d’enseignement supérieur. Voilà un travail  qui conviendrait éminemment à ces chercheurs du CNRS et en lettres et sciences humaines qui éprouvent ce sentiment frustrant d’éloignement des universités. Il conviendrait, bien sûr, de leur offrir des avantages. Des avantages en nature, comme des logements, pourraient leurs être consentis. Dotés de jolis deux pièces dans les locaux universitaires, ils ne seraient plus obligés, comme l'a dit de manière fameuse jadis le ministre de la recherche Hubert Curien, de travailler dans leurs appartements du 5ème arrondissement. Un uniforme décent, bien conçu par un créateur de mode, rendrait à cette fonction d’appariteur le lustre qui lui manque, et fait ressembler ces fonctionnaires aujourd’hui à ces dames qui posent des contraventions sur les pare brise. Une casquette ornée de palmes académiques leur donnerait fière allure. On ne pourrait, certes, leur garantir le salaire que leurs qualifications requièrent ; mais d’une part les finances de l’état y gagneraient (puisque ces chercheurs sont aujourd’hui chers payés à ne pas faire grand chose) et il serait possible à ceux qui ont publié le plus de devenir huissiers dans des amphithéâtres, fonction qui impressionne encore : un cours ouvert par un huissier est l’un des lustres qui rendrait à la fonction enseignante tout son cachet, et transmet aux audiences étudiantes un frisson de respect. Les directeurs de recherche pourraient même apparaître, dans les cérémonies académiques, vêtus de toges spécifiques, assez chamarrées. La France est un pays de symboles. Les gouvernements successifs ont régulièrement fait appel à la bonne volonté des professeurs, limitant naturellement leurs salaires, en supposant qu’ils ne sont pas intéressés par l’argent. En revanche les symboles, la toge et les palmes, comptent pour eux. A fortiori  c’est vrai des chercheurs du CNRS, qui sont de purs esprits, mais que l’apparat d’un joli costume consolerait de n’avoir peut être pas toute la place dans l’Academia que leurs mérites requièrent. Enfin, la proximité évidente qui serait rétablie entre universitaires et chercheurs-appariteurs restaurerait ce sentiment qui fait si cruellement défaut aujourd’hui, d’appartenir à une communauté académique.

mardi 1 septembre 2015

Modeste proposition d’une université sans étudiants, par Tagliatesta




 Ce texte a été retrouvé dans les documents posthumes de Federico Tagliatesta. Il était manifestement destiné à figurer dans ses Instructions aux académiques, mais on ignore pourquoi il l'en a retiré. Avec l'accord de sa famille, je le publie ici 
                                                                   A.S. 




                                                                Flannery O'Connor Cartoon


     Tout enseignant qui a passé quelques années dans une université française le sait : l’obstacle principal à sa liberté de recherche et d’enseignement, et partant à l’exercice même de ce qu’il tient à bon droit comme son activité, est constitué par les étudiants. Quand ils sont présents aux cours, ce qui n’arrive guère qu’au moment de la rentrée et à l’époque des examens, où l’on veut s’assurer du minimum pour les obtenir, c’est-à-dire une vague reconnaissance visuelle d’un visage entr'aperçu dans une salle de cours, et au moment des bibliographies données en début d’année, les étudiants sont passifs et inutiles, dans le meilleur des cas fermés dans un griffonnement de notes dont on ne sait ce qu’ils feront. Quant ils sont absents aux cours, on ne les voit dans les couloirs et les bureaux que pour quémander une meilleure note que celle qu’ils ont obtenue, sur la base de quelque certificat médical ou autre prétexte. Quand ils ont atteint le niveau de la recherche, des maîtrises aux doctorat, les étudiants sont encore plus absents. On ne voit les doctorants que quand il s’agit de fournir une attestation pour telle ou telle bourse, et rares sont les séminaires de doctorat où ils apparaissent, et en tous cas pas ceux qui ne sont pas donnés par leur directeurs. Organise-t-on à leur intention une conférence, où un invité étranger prestigieux est appelé à donner un exposé qui ne soit pas « trop technique » de peur de faire fuir les étudiants ? La salle, dans ces cas, reste désespérément vide. Au moment où il s’agit de poser des questions, un silence de plomb s’installe, au point que seul le professeur qui a émis l’invitation semble tenu d’intervenir. Quand la salle n’est pas absolument vide, elle est le plus souvent composée de cette population de non-étudiants autodidactes – retraités, demi-fous qui errent dans les couloirs de nos universités et ont statut de clandestin autorisés – qui ne comprendront pas plus ce dont il s’agit. Tout le monde sait qu’une bonne partie de la population étudiante est ailleurs que dans les universités : une fois accomplie les tâches d’inscription, et obtenus les maigres avantages sociaux que donne le statut d’étudiant, cette population travaille  dans des conditions le plus souvent précaires – qui justifient ensuite l’octroi des quelques bourses ou de petites réparations dues aux fait qu’ils n’ont pu se rendre au cours et ignorent tout ce qui s’y est dit dans l’année. Il y a bien quelques étudiants réguliers, présents, et actifs. Mais ils appartiennent en général à des organisations politiques, et sont si revendicatifs pour avoir les notes auxquelles ils estiment avoir droit, et se tiennent si déchargés des moindres devoirs, qu’il vaut mieux se passer de ces individus revendicatifs et hargneux.
         Pourquoi alors, ne proposerait-on pas une solution élégante, qui aurait l’assentiment de tout le monde, enseignants et étudiants compris : se passer simplement des étudiants dans les universités. Ces derniers y trouveraient leur compte, puisqu’ils n’auraient même plus l’obligation (qu’ils ne respectent de toute façon pas) d’aller aux cours qu’on leur propose. Il suffirait de leur accorder ce qu’ils demandent : leurs diplômes, et leurs avantages sociaux, moyennant leurs droits d’inscription. Quant aux premiers, l’octroi automatique des réussites aux examens libèrerait les enseignants pour leur recherche, et désencombrerait les universités aux périodes chargées où l’on ne parvient pas à trouver de salle. Quant aux seconds, ils continueraient d’assurer le financement des universités, qui leurs confèreraient le statut auxquels ils tiennent. La sélection, leur bête noire, disparaîtrait, puisque tout le monde serait reçu.
         Cette solution est si simple, si limpide, et si aisée à mettre en œuvre que je me demande comment on n’y a pas pensé plus tôt. On notera qu’elle est l’équivalent, pour le monde universitaire, de l’allocation universelle plaidée par nos meilleurs philosophes politiques.
         J’anticipe, cependant, les objections. 1) Quelle serait la valeur de diplômes qu’on accorderait automatiquement à tout le monde ? 2) Comment les enseignants pourraient-ils continuer à enseigner  sans étudiants ? Réponse à 1): la valeur actuelle des diplômes est déjà quasi nulle, même quand on continue à inscrire les étudiants à des cours, et ils le savent. N’auraient-ils pas tout à gagner d’un système qui en plus les délivrerait de la fatigue d’avoir à recopier leurs notes ou de cours ou celles qu’ils ont recopiées déjà d’un de leurs camarades assez naïf pour suivre les cours ? L’expérience montre qu’ils ne lisent pas plus quand on leur donne des bibliographies que quand ils n’en ont pas. Cette mesure n’aurait donc aucun impact sur la librairie ou les bibliothèques. Réponse à 2) : il peut être certes déprimant, dans certains cas, pour un enseignant, de s’adresser à un amphi vide. Mais en quoi la solution préconisée changerait-elle quoi que ce soit à la situation actuelle, où même quand de rares étudiants sont présents, tout se passe comme s’ils n’étaient pas là ? Le temps libéré pour leurs chères études aux professeurs serait une compensation bien suffisante pour la perte des quelques maigres (et bien éphémères) satisfactions que peuvent procurer, ici ou là, un regard vaguement intéressé croisé au sein d’un amphi, ou le sentiment d’avoir, à de rares occasions, fait pénétrer quelque vérité dans une de ces calebasses. Bref, l’absence effective des étudiants dans nos universités n’aurait pas plus d’effets que leur absence virtuelle dans le système actuel. Et de plus elle aurait des avantages non négligeables pour toutes les parties. Songez à l’allègement de travail des administrations, des secrétariats, des résidences universitaires. Et aux gains que ne manquerait pas de faire l’Etat du fait de ces économies ! 3) on objectera, last but not least, que ma proposition revient à payer les professeurs à ne rien faire. Mais je réponds : avec les économies réalisées du fait de l’absence des étudiants, il y aura bien assez de quoi payer les professeurs, et peut être de faire en plus des gains, puisque, comme ils deviendront inutiles, on pourra s’en passer aussi.
         Plus j’y songe, plus ma proposition me paraît de nature à résoudre une grande partie des problèmes posés à notre système universitaireactuel.