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mercredi 29 décembre 2021

Jules Lermina critique de Bergson

 

 

 Dans la revue en ligne Aeon (16 mai 2019) on lit, sous la plume d' Emily Herring:

"Attacks against the supposed femininity of Bergsonism were eventually redirected, in a circular movement, against the Bergsoniennes. The fact that so many women seemed naturally drawn to a philosophy deemed as unrigorous as that of Bergson constituted incontestable proof that women could not be trusted with intellectual matters. Long-time Bergson critic and writer Jules Lermina denounced ‘Bergson’s sentimentalist propaganda’ which, he said, women used to justify their irrational beliefs such as the possibility of life after death".  

Je me suis demandé qui pouvait bien être ce Jules Lermina qui avait si longtemps critiqué Bergson. Lermina est un romancier populaire, une sorte de Gustave Lerouge, qui écrivit des romans feuilletons comme Toto Fouinard, Histoires incroyables, Le fils de Monte Christo, la suite de Rocambole un manuel de magie ou un Dictionnaire d'argot, qu'on trouve la plupart sur Gallica. Il était anarchiste, nous dit on, participa à la Commune et mourut en 1915. Sans doute eut il le temps, à la Belle époque, d'assister à la gloire de Bergson, mais rien n'indique qu'il ait écrit sur Bergson. Je n'ai pas eu le courage de lire ses romans, et il est vraisemblable qu'il n'ait pas été un féministe. Je suis allé consulter La gloire de Bergson de Francois Azouvi, mais aucune trace. L'auteur aurait-elle confondu avec Julien Benda, qui dans Belphégor soutient que la décadence de l'art vient du culte de la musique et des femmes des salons? A noter que Benda ne parle que des salons, de la bonne société, et qu'il trouva chez nombre de ses amies, comme Catherine Pozzi, un renfort dans sa critique du féminisme chic. Voilà un nouveau mystère de Paris.

 

Allusion ironique au public féminin qui suivait les cours de Bergson au Collège de France ?

ou à l'intérêt du philosophe pour la recherche psychique? 





dimanche 19 décembre 2021

Une nuit au Hazlitt's

 



Swift's room, Hazlitt's

    

   Il y a quelques années, devant faire une conférence à Londres, je passai une nuit au Hazlitt's , dans Frith Street , un hôtel georgien  datant de 1718  dans Soho. Je l'avais choisi en raison du fait qu'il a fut la dernière maison qu'habita Hazlitt. Une plaque l'indiquait à l'entrée que William Hazlitt y était mort en 1830. 

Mais pas de portrait de lui à l'intérieur. Quoi qu'il en soit, je fus ravi, car on m'avait donné la "Swift room", ornée du portrait de Swift par Jervas.   

     C'était un hôtel élégant, quoiqu'un peu tape à l'oeil et vulgaire dans certaines décorations. Il y régnait une atmosphère chic, un peu Dorian Gray et donc plus victorienne que georgienne. Je compris plus tard la raison de cette touche de mauvais goût, en notant que l'hôtel était "gay friendly". Mais aucun Lord Douglas n'apparut.


Albert Lewin 1945 , avec George Sanders

     Je ne vis pas non plus le fantôme de Hazlitt. Mais il faut sans cesse relire Du plaisir de haïr, de William Hazlitt (1826), tr. Oliete Oscos, Allia 2005 et d'autres écrits enfin traduits, ou dans la langue originale. C'est ma très chère amis Patrizia Lombardo qui me l'a fait connaître. Elle était la grande spécialiste sur le continent, Bromwich sur le nouveau monde et Anthony Grayling dans les Isles, ainsi que le grand politicien travailliste Michael Foot.

       La haine est le sentiment de saison: Zorglub l'incarne. Quelle préscience chez Franquin. Elle s'étale, se sent, fait vibrer. William Hazlitt fut méconnu de son vivant et reste un auteur pour happy few. Stendhal l’appréciait.  Ses chefs d’œuvre sont de courts essais où il change sans cesse de registre : anecdotes, digressions morales et philosophiques. Nous hai¨ssons une pauvre araignée qui parcourt notre tapis.  Nous haïssons tout autant ceux qui nous ont fait du bien que ceux à qui nous avons fait du mal. Nous haïssons autant l’intelligence que la bêtise, « l’amertume nous garde en forme comme une bonne décoction de bile ». Nous nous détournons même de nos livres préférés, et pour ne pas avoir l’air pédant, nous sommes prêts à vanter Michel Onfray ou Alain Finkielkraut plutôt que Léon Daudet ou André Maurois. Mais la haine n’a-t-elle pas des raisons, et même de bonnes raisons ? On nous presse de sortir des émotions négatives et des passions tristes. Mais il peut être gai et tonique de haïr. Pourtant sortirons-nous jamais de notre délectation morose ? « Je vois la sottise se joindre à la canaillerie et ensemble façonner l’esprit public et l’opinion publique ». La seule exception, nous dit Hazlitt, est quand nous lisons les vrais livres, et nous plaçons du point de vue de l’universel, de la justice et de l’idéal, dédaignant nos haines locales et communautaires. Mais dès que nos intérêts et passions sont en cause, nous revenons au charme de la haine.