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jeudi 30 novembre 2017

Fodor avait la frite



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   illustration en vue d'un mise en examen pour harcèlement sexuel


      Je n'ai jamais vraiment cru qu'il y a un langage de la pensée , au sens où Jerry Fodor (1935-2017) en a articulé la thèse, néo-occamienne et néo-hobbesienne,  durant toute sa carrière. Au départ mes arguments contre LOT tenaient surtout à mon adhésion aux thèses post-wittgensteiniennes ou post quiniennes de Davidson et Dummett : la signification est et ne peut être que publique.  Mais cette thèse aussi est fautive. Plus tard je fus séduit par la sémantique des rôles conceptuels, et par l'idée , que proposait alors Colin Mc Ginn , selon laquelle il y a une bifurcation du contenu, ou un double rôle, interne et externe. Puis finalement j'admis une forme d'internalisme, mais l'idée , poussée à l'extrême par Sperber, selon laquelle tout est modulaire dans l'esprit me semblait fausse. Mais je ne pouvais pas croire - surtout s'agissant des contenus de perception  - que ce fût sous la forme d'un langage structuré comme LOT.  Je fus moins séduit encore par les attaques de JF contre la théorie darwinienne, même s'il faut admettre qu'il avait quelques points corrects. Mais par dessus tout, ce que nous aimions chez JF, c'était son humour dévastateur. On en aura une petite idée dans les superbes contributions qu'il fit à la LRB.  Il y parlait de littérature (il aimait Barbara Pym, ce que j'approuvais) et d'opéra ( il aimait Wagner). Il y avait quelque chose chez lui de Twain et Mencken comme pour tout américain qui se respecte et qu'on respecte.


mardi 21 novembre 2017

sur la traduction de "bullshit"




   

    En m'excusant de revenir tout le temps sur ce sujet.  Le sens littéral de bullshit n'est pas difficile à donner : bouse, bouse de vache. Le sens figuré, pour désigner divers types de discours ou de propos, est plus difficile. Le traducteur français du best seller de Harry Frankfurt, On bullshit (1992, reed 2005, Princeton University Press, tr. fr 10/10, reed La table ronde) a rendu par "L'art de dire des conneries". Il y a en effet un sens où bullshit signifie "connerie"  ( et je renvoie ici à mon billet " inépuisable sujet") , au sens de : dire n'importe quoi, déblatérer , déconner . La forme nominale bullshitter  se rendrait donc  par : déconneur . Ce n'est pas tout à fait ce que veut dire le
terme au sens où l'emploie Frankfurt. IL cite l(Oxford English Dictionnary :

“"trivial, insincere, or untruthful talk or writing; nonsense."”
 
l'OED actuel est moins explicite


 Cela ne correspond pas exactement à "connerie " en français, qui s'emploie autant pour un certain propos ou dire que pour un acte ou un comportement. Certes une déconnade est un certain type d'action. Mais "J'ai fait une grosse connerie" = "j'ai fait une bêtise". Bullshit job  en anglais c'est un "travail à la con". L'expression "à la con" est éminemment intéressante et mériterait des gloses. Mais je ne crois pas que le bullshitting soit un propos à la con. De même "'ne dis pas des conneries" = ne dis pas des bêtises. Mais le bullshit, dans l'idée avancée par Frankfurt, selon laquelle le bullshitting se caractérise par une forme de représentations trompeuse, mais qui n'est pas du mensonge, et par une absence de respect de la vérité, n'est pas de la bêtise. Un bullshitter peut être au contraire, très intelligent, ce que les classiques appelaient un bel esprit. Frankfurt fait aussi le rapprochement avec l'anglais humbug  ( et tout son essai est un commentaire sur le texte de Max Black, "The Prevalence of Humbug" (dont je me demande si Fruttero et Lucenti se sont souvenus en donnant comme titre à l'un de leurs livres la prevalenza del cretino) qui signifie : fumisterie. "Fumisterie " ne convient pas pour bullshit , car  un fumiste est quelqu'un qui pratique une certaine sorte de sophistication dans sa fabrication du faux. Le bullshit au contraire évoque plutôt, comme le dit l'OED , une sorte de diarrhée , un flux non contrôlé.

    On pourrait , à bien des égards , traduire par "baratin" . Le bullshitter est un baratineur, un bonimenteur, un bavard et cela est conforme à l'idée que véhicule le terme de "propos de café du commerce", et à l'idée selon laquelle le bullshitter  est quelqu'un qui ne s'engage pas sur ce qu'il dit, qui ne prétend pas parler vrai , qui n'est pas sincère ni vérace. En anglais "cheap talk" , ou "just talking" , en français : "ce que j'en dis". En termes griciens, on annule son implicature ( l'implicature était qu'on parlait vrai, mais on avoue que c'est juste "pour dire quelque chose").  "Baratin" ou "bavardage" renvoient cependant un peu trop à la pratique de la conversation. Le bullshitter ne baratine ni ne bavarde : il balance, il lâche . Quoi ?

   Suggestion : il lâche un pet . Le bullshit pourrait être une foirade, le bullshitteur un enfoiré.Beckett
a un titre "Foirade" Mais cela traduit "fizzle" , qui est une chute, plus exactement quelque chose qui tourne en eau de boudin.
       Nous brûlons, si j'ose dire . On pourrait dire, si l'on veut coller à la bouse : "c'est de la crotte", ou " c'est de la merde". Mais cela ne capture pas le sens de bullshit comme discours vain. Celui qui ne s'occupe pas du vrai ni ne le respecte ne dit pas de la merde, ou de la crotte. Alors, ma traduction préférée pour bullshit  est foutaise . La foutaise est ce qu'on lâche , comme le foutre, mais qui est dénué de sens, sans intérêt. Le bullshitt se moque de la vérité, il s'en fout. C'est un peu vulgaire, j'en conviens, mais cela correspond assez à l'image de la bouse de vache, que  "baratin" ne rend pas.