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mercredi 22 août 2018

Amarcord Genova


Corot, Genova 1834



    Combien de fois n'ai-je pas franchi ce désormais tristement fameux pont Morandi à Gênes? Il n'existait pas, quand , pour la première fois, dans mon enfance, vers 1962, je visitai la ville, venant de ma Nice enfantine pour y manger la focaccia , cette farine de maïs que je mangeais Place Garibaldi aux Caves Ricord, les biens nommées (ama ricord), où on la consommait avec du vin algérien de mascara (ce que l'on appelait à Nice la socca). Mais souvent plus tard je passai ce pont maudit en auto pour aller vers la Toscane. Cette route ligure est très dangereuse: on traverse des dizaines de tunnels mal éclairés, tous aussi sombres et  surplombant des abysses les uns que les autres , avec des Alfa et des Fiat qui vous doublent à cent cinquante à l'heure quand on roule  à 130 (pour faire comme les autres). Quand on arrive à Genova, on passe le sinistre pont Morandi au dessus de la ville. Au loin on voit la mer, bouchée par un port lui même traversé de viaducs infâmes. On a peine à imaginer que ce fut la ville de Colomb, mais on imagine assez bien que ce dernier ait eu envie, dans cette étroite bande de terre montagneuse de Ligurie, d'aller vers le large et au delà de la Mare Nostrum. Puis ce sont les villes admirables de Ligurie, Rapallo, Sestri Levante, Portofino, Santa Maria Ligure, la Spezzia ( où Tagliatesta laissa sa peau, à l'instar du Sorpasso de Risi), avant de déboucher vers les plages à Viareggio et Lucca, pour obliquer vers la Toscane, provisoire paradis, où je situe malgré tout encore mon image de la vita nuova. Ce pont Morandi grisâtre, étroit parce que large, comme tout ce qui allait suivre plus tard, était lugubre, comme tout ce que l'on voit en dessous: constructions en béton des années 60, immeubles jaunasses et rosâtres, tassés dans les étroites vallées  sombres. On a qu'une envie, passer à toute vitesse.  Cela sent, d'entrée de jeu, l'apocalypse, aussi n'ai-je pas été étonné quand il s'est effondré.

     Je n'ai compris la beauté de Gênes que plus tard, quand je visitai la ville en 2004 au moment d'un colloque de la Societa italiania di filosofia analytica, puis dans plusieurs rencontres ultérieures avec les philosophes gênois. J'arpentais la via Balbi, et toutes ces rues et palazzi magnifiques qui convergeaient vers le port, témoins d'une splendeur passée.

     Dans un de mes voyages, je cherchais l'un de mes livres cultes, la trilogie de Fruttero et Luccentini : La prevalenza d'il cretino, Il ritorno d'il cretino, et la synthèse en question (Mondadori) , Il cretino in sintesi .  je m'avisai, lors d'une de mes visites, d'acquérir ce dernier volume. J'arpentais la via Balbi. Une librairie scolastica - quel plaisir d'entrer dans une librairie scolastique -  se présentait.
    Une jolie vendeuse se présentait. Je lui demandai: " Vorrei il cretino in sintesi". Interloquée, elle me dit : "In sintesi? Impossibile." - Ma si, ch'é un volume di Fruttero e Luccentini con questo titolo"
Elle, de chercher sur un site internet. "Si , vedo, Ch'é Il Cretino. " - Moi : "Davvero. "