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jeudi 27 avril 2017

Non, rien de rien






                                                                                              Et vu tant de regrets desquels je me lamente, Du Bellay

Plusieurs livres ont pris modèle sur Je me souviens  de Pérec, et tous expriment une nostalgie pour divers objets, lieux, événements. Mais il y a aussi des choses qu’au moment de quitter ce bas monde, on est sûr qu’on ne les regrettera pas. Il s’agit des choses dont on ne regrettera pas l’existence, et non pas des choses que l’on ne regrettera pas d’avoir connues. En fait on regrette qu'elles aient existé, ou de les avoir connues. Car si je dis «  Je ne regretterai pas de vous avoir rencontré » à quelqu’un, c’est plutôt un compliment. Mais si on regrette, comme Cioran et pas mal d'autres, d'être né, c'est de sa venue à l'être qu'on se serait volontiers dispensé. Voici ma liste personnelle, bien entendu non complète. Elle ne veut pas dire que l’ensemble complémentaire est composé des choses que je regretterai. Il n'est pas vrai que je ne regrette rien. Mais il a des choses que j'aurais volontiers évitées. Donc le titre de ce billet est fallacieux. 



Ce que je ne regretterai pas



    Le bouchon de Villeneuve Saint Georges
    La route de Lyon à Tassin la demi-lune
    La gare de Fleury les Aubrais
    La chanson de François Deguelt Le Ciel, le soleil et la mer
   Les chansons d’Annie Cordy
    Les Simca 1000
    Les pulls polyamide (comme ceux que portait Foucault)
    Les pieds paquets
    Orléans
    Grenoble
    La cantine de mon école primaire
    La cantine du lycée
    Les épines d’oursins
    Les week-ends à Saint Valéry en Caux
    Les pantalons patt’eff
    Les coiffeurs
    Les romans de Jean d’Ormesson
    Les nouveaux philosophes
    De Gaulle,Pompidou,Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron
    Les ordinateurs Amstrad
    Les GPS
    Les jeux vidéo
    Le camembert du Wisconsin
    Les pinces à vélo
   Mon zona
   Les thurnes
   Le pensionnat du lycée
    Les camps de scouts
    La déconstruction
    

mercredi 19 avril 2017

HOLOGRAMME





                                                            Le piège diabolique 


      A tout lecteur de Blake et Mortimer , les hologrammes d'un des candidats à l'election présidentielle française font penser à l'hologramme de Paul Henri Spaak, qui apparaît à Mortimer
dans Le piège diabolique.(*)  Notons que Jacobs fait cette planche en 1960, et qu'il aura fallu 50 ans avant que les hommes politiques usent de cette technique d'anticipation. Mais la ressemblance s'arrête là. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi Vercoquin et Plancton usent de cette technique, car elle  accentue encore la boursoufflure propre au candidat, comme le dessin de Jacobs le marque parfaitement. Un hologramme c'est une sorte de grenouille qui enfle pour se faire boeuf.

       Car Paul Henri Spaak malgré le côté bombastique dont l'affuble Jacobs, est un grand résistant, l'un des fondateurs de la Communauté européenne. Il joua un rôle majeur dans la destitution du Roi des Belges Leopold III en 1950. Il est probable que Jacobs, très conservateur, ne l'ait guère aimé. Mais il est assez curieux qu'il le dépeigne ici en militariste, car il fut dans sa jeunesse anti-militariste.


(*) voir par exemple : http://www.actuabd.com/E-P-Jacobs-Retour-vers-le-passe

mercredi 12 avril 2017

DISCOURS A LA FEDERATION EUROPEENNE



                                                                moi, vers 1947

   Nous sommes en 2033. Nous avons eu le Brexit en 2016, le Frexit en 2017 (quand Marine Le Pen a été élue), puis en cascade le Grexit, l’Hispanoxit, l’Italoxit,  et l’Europe entière s’est disloquée en 2020 sous la pression des populismes, comme elle le fit il y a un siècle sous la pression du fascisme et du national-socialisme. La guerre entre les puissances de l’axe Russo-Turc et ce qui restait des démocraties européennes a failli mener à la catastrophe, d’autant que les Etats Unis avaient refusé, comme en 1939, d’intervenir, et avaient conclu le pacte poutino-trumpien de non-agression. Le Turc était dans Vienne, le Russe à Varsovie, à Helsinki et à Oslo, et la présidente Le Pen était prête à l’accueillir à Paris. Par chance, l’Angleterre, qui avait failli en 2016, s’est ressaisie, comme elle l’avait fait quand Churchill a succédé à Chamberlain. La première ministre britannique Nicola Sturgeon, qui avait succédé à Theresa May, permit en 2022 au Royaume Uni de revenir dans l’Europe. L’Allemagne de Martin Schultz réamorça la pompe et réussit à mettre en oeuvre la Fédération Européenne (FE)  tant attendue depuis le Traité de Rome, mais tant de fois différée. La présidente le Pen dut cohabiter avec le Parti Populaire de Benoit Hamon. Elle joua son va-tout en lançant un référendum contre le retour de la France dans la Fédération, qu’elle perdit. Cinque Stelle et Podemos se rallièrent à la FE, présidée par Alexis Tsipras. Progressivement l’Europe reconquit les pays perdus, et la dynamique entraîna la Norvège, et même la Suisse, en son sein.  La Turquie et la Russie, diminuées, se virent obligées d’entamer des pourparlers d’entrée dans la Fédération. On l’avait échappé belle, sans même avoir eu besoin cette fois de recourir aux Américains, empêtrés dans leur guerre avec la Chine. L’esprit de Jean Monnet avait survécu.  

     Vous l’avez échappé belle. Mais faut-il toujours, peuples européens, que vous tombiez dans les mêmes erreurs ? Je vous avais enjoint, il y a exactement un siècle, aux recommandations suivantes. Je ne vois pas de raison de ne pas les reproduire aujourd’hui.

"L’Europe ne sera pas le fruit d’une simple transformation économique, voire politique ; elle n’existera vraiment que si elle adopte un certain système de valeurs, morales et esthétiques ; si elle pratique l’exaltation d’une certaine manière de penser et de sentir, la flétrissure d’une autre ; la glorification de certains héros de l’Histoire, la démonétisation d’autres. Ce système devra être fait exprès pour elle. Il ne sera pas une rallonge du système qui sert aux nations, dont il signifiera, au contraire, sur la plupart des points, la négation. 

Donc, la première réforme qu’il vous faut accomplir pour atteindre à vos fins, éducateurs moraux qui voulez faire l’Europe, est une réforme au‑dedans de vous‑mêmes. C’est de rompre avec cet état d’humilité où vous vous plaisez à tenir votre fonction par rapport à l’économique, et de lui resti­tuer sa dignité. C’est de cesser de vous prosterner au pied des autels de Marx pour revenir à ceux de Platon.

      Bien entendu, je ne viens pas nier les graves transformations économiques que l’Europe devra réaliser pour se faire. Je dis que ces transformations ne lui seront vraiment acquises, ne pourront être tenues pour stables, que le jour où elles seront liées à un changement profond de sa moralité, de ses évaluations morales. J’admets que le sentiment des transformations économiques dont elle a besoin, et qui déjà se dessinent en elle, indique à l’Europe la nature du changement moral qu’il lui faut accomplir pour gagner l’existence ; mais je tiens que, cela fait, c’est le changement moral, en se réalisant, qui produira vraiment le changement économique, lui donnera vraiment l’être, et non l’économique qui, de lui-même et à la longue, créera le changement moral. La Matière invite l’Esprit à lui donner l’existence, qu’elle ne peut se donner seule, et peut-être lui suggère ce qu’il doit faire pour la lui donner. Mais ce n’est pas la Matière qui, de sa propre expansion, devient l’Esprit.
Comment obtiendrez-vous cette révolution économique sans créer dans l’âme de l’Europe une dépréciation de l’individua-lisme, un respect de l’abolition du moi en faveur d’un grand Tout ? Et qu’est-ce que cela sinon une révolution morale ?

Ils lui disent encore qu’elle devra renoncer à l’exercice illimité de son pouvoir d’entreprendre, d’exploiter la planète, mais rationner sa soif d’enrichissement, discipliner sa production. La meilleure méthode, pour atteindre à cette fin, n’est-ce pas de toucher l’homme dans son échelle de valeurs morales ? de lui enseigner à moins vénérer sa volonté de puissance, à honorer la modération ?
Ils disent encore à l’Europe qu’il lui faudra changer sa conception de la monnaie ; comprendre que celle-ci a pour garantie, non pas un certain volume de métal encaissé dans des caves, mais la discipline des peuples qui la manient, la confiance qu’inspirent au monde les chefs qui les gouvernent. Ce changement de conception, quelle base solide peut-il avoir sinon un changement dans la religion des hommes, qui devront croire, non plus à la toute-puissance de la matière, mais à celle de facteurs moraux ?

Là encore, l’Europe se fera comme se firent les nations. Les changements économiques qui semblent avoir formé celles-ci n’y ont vraiment réussi que le jour qu’ils furent soutenus par des changements moraux

C’est dire encore qu’il ne s’agit nullement pour vous d’opposer au « pragmatisme » nationaliste la pure raison ; à des idoles, la vérité. La pure raison n’a jamais rien fondé dans l’ordre terrestre. Il s’agit d’opposer au pragmatisme nationaliste un autre pragmatisme, à des idoles d’autres idoles, à des mythes d’autres mythes, à une mystique une autre mystique. Votre fonction est de faire des dieux. Juste le contraire de la science.

Vous devez être des apôtres. Le contraire des savants.

Vous ne vaincrez la passion nationaliste que par une autre passion. Celle-ci peut être, d’ailleurs, la passion de la raison. Mais la passion de la raison est une passion, et tout autre chose que la raison.
L’Europe se fera, ici encore, comme se firent les nations. La France s’est faite parce que, chez chaque Français, à l’amour pour son champ ou pour sa province s’est superposé l’amour pour une réalité transcendante à ces choses grossièrement tangibles, l’amour pour une idée. C’est en fixant leurs yeux sur l’idée de la France que les Français ont refait leur nation chaque fois que, dans l’ordre sensible, elle se disloquait : sous le morcellement féodal, sous l’invasion anglaise, sous les guerres de religion, sous les déchirements de la Révolution.

Il faut vous résigner : l’Europe sera sérieuse ou ne sera pas. Elle sera beaucoup moins « amusante » que les nations, lesquelles l’étaient déjà moins que les provinces. 

Vous ferez l’Europe par ce que vous direz, non par ce que vous serez. L’Europe sera un produit de votre esprit, de la volonté de votre esprit, non un produit de votre être. Et si vous me répondez que vous ne croyez pas à l’autonomie de l’esprit, que votre esprit ne peut être autre chose qu’un aspect de votre être, alors je vous déclare que vous ne ferez jamais l’Europe. Car il n’y a pas d’Être européen.
Vous, clercs français, ne soyez pas glorieux de Jeanne d’Arc (comme M. Macron) ou de la Marne ; soyez glorieux si votre intelligence est bonne, si elle est, comme voulait un des vôtres , une belle balance de précision. Vous, clercs allemands, ne soyez pas honteux de la capitulation du 11 novembre; soyez honteux de mal raisonner, de mal penser." 

Je reprendrai ces propositions , mais j'y ajouterai que je pense à présent que la langue de l'Europe doit être l'espagnol. Ce ne peut être l'anglais, que le Continent américain a souillé en élisant en 2017 M. Trump. Ce ne peut être l'allemand, qui donnerait trop de pouvoir à la nation de M. Schultz, ni le français, car les Français ont failli en élisant Madame Le Pen 2017. L'espagnol est une langue latine, elle est la seconde langue parlée au monde. Elle incarne, avec Cervantes et Ortega, la voix de la raison (un journal madrilène ne s'appelle-til pas La razon ?). 

[ Ce texte d'anticipation de Benda a été retrouvé dans les papiers du manuscrit de Deux croisades pour la paix , juridique et sentimentale, Editions du Templ, Bruxelles, 1949, où l'auteur prônait une fédération européenne]  




dimanche 2 avril 2017

Potentiel autoritaire




Dans le dernier numéro de la New York Review of books, (23 march 17) on trouve un CR sur les philosophes de l’école de Francfort (Adorno, Horkheimer, Habermas)  qui rappelle qu’Adorno émit son fameux test de caractère de la personnalité autoritaire:

“Before returning to Germany from California in 1949, Adorno and others conducted a study published as The Authoritarian Personality (1950). Its purpose was to identify a “new anthropological type” that was inclined to identify with authoritarian leaders. A questionnaire designed to measure and rank people by their fascist potential—the “F-scale”—was developed and administered to 2,099 people. All were white, gentile, middle-class Americans. Adorno describes the authoritarian personality by referring to nine personality traits:


 Rigid adherence to conventional, middle-class values
Submissive, uncritical attitude toward idealised moral authorities of the in-group
 Opposition to the subjective, the imaginative, the tender-minded
Tendency to condemn, reject, and punish people who violate conventional values
The belief in mystical determinants of the individual’s fate…
 Preoccupation with the dominance- submission, strong-weak, leader-follower dimension; identification with power figures…
Generalised hostility, vilification of the human
 The disposition to believe that wild and dangerous things go on in the world; the projection outwards of unconscious emotional impulse
  Exaggerated concern with sexual “goings-on.”


   Je n’ai pas passé le test, mais je me reconnais tout à fait dans ce portrait robot du personnage autoritaire, à fort potentiel fasciste. 

 J’adhère de manière rigide aux valeurs de la classe moyenne : travail, vérité, sérieux, droiture morale. J’ai une attitude de soumission, non critique, à l’égard des autorités morales idéalisée de mon groupe (philosophes rationalistes)
  Je m’oppose aux personnes subjectivistes, imaginatives et j’aime les philosophes « tough minded » au sens de James
     J’ai tendance à condamner, rejeter et punir les gens qui violent les valeurs conventionnelles :les flemmards, les vériphobes, les amoralistes
  j’ai la mystique démocratique
  Je suis préoccupé par la disparition de l’autorité intellectuelle
 Je suis très misanthrope.
J’ai tendance à penser que le monde est dangereux, et que l’émotion domine la raison
  comme tout le monde le sexe me concerne.