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jeudi 27 avril 2017

Non, rien de rien






                                                                                              Et vu tant de regrets desquels je me lamente, Du Bellay

Plusieurs livres ont pris modèle sur Je me souviens  de Pérec, et tous expriment une nostalgie pour divers objets, lieux, événements. Mais il y a aussi des choses qu’au moment de quitter ce bas monde, on est sûr qu’on ne les regrettera pas. Il s’agit des choses dont on ne regrettera pas l’existence, et non pas des choses que l’on ne regrettera pas d’avoir connues. En fait on regrette qu'elles aient existé, ou de les avoir connues. Car si je dis «  Je ne regretterai pas de vous avoir rencontré » à quelqu’un, c’est plutôt un compliment. Mais si on regrette, comme Cioran et pas mal d'autres, d'être né, c'est de sa venue à l'être qu'on se serait volontiers dispensé. Voici ma liste personnelle, bien entendu non complète. Elle ne veut pas dire que l’ensemble complémentaire est composé des choses que je regretterai. Il n'est pas vrai que je ne regrette rien. Mais il a des choses que j'aurais volontiers évitées. Donc le titre de ce billet est fallacieux. 



Ce que je ne regretterai pas



    Le bouchon de Villeneuve Saint Georges
    La route de Lyon à Tassin la demi-lune
    La gare de Fleury les Aubrais
    La chanson de François Deguelt Le Ciel, le soleil et la mer
   Les chansons d’Annie Cordy
    Les Simca 1000
    Les pulls polyamide (comme ceux que portait Foucault)
    Les pieds paquets
    Orléans
    Grenoble
    La cantine de mon école primaire
    La cantine du lycée
    Les épines d’oursins
    Les week-ends à Saint Valéry en Caux
    Les pantalons patt’eff
    Les coiffeurs
    Les romans de Jean d’Ormesson
    Les nouveaux philosophes
    De Gaulle,Pompidou,Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron
    Les ordinateurs Amstrad
    Les GPS
    Les jeux vidéo
    Le camembert du Wisconsin
    Les pinces à vélo
   Mon zona
   Les thurnes
   Le pensionnat du lycée
    Les camps de scouts
    La déconstruction
    

11 commentaires:

  1. Ce billet prend l'apparence grincheuse d'un billet d'humeur, pour tenter d'aborder la grogne d'un point de vue philosophique. Avant Julien Benda, Schopenhauer, maître-penseur du rien de rien, pour qui l'unique bonheur consiste à ne pas naître, a lui aussi tiré à vue sur tout ce qui bouge.
    Il est vrai que la lecture de Schopenhauer a eu un retentissement épistémique sur Mach, qui énonça un célèbre principe et qui passa pour être l'un des inspirateurs du Cercle de Vienne.
    Il faut aussi lire tout Schopenhauer, pour découvrir le dernier stade de sa pensée. Les " Parerga & Paralipomena" nous révèlent un Schopenhauer surprenant et apaisé, qui renoue avec l'eudémonisme de l'Antiquité. Vivre, c'est finalement savoir surfer, opportunément et sans illusions, sur une vague.
    La philosophie serait-elle une affaire de ton ? Derrière le "nous", il y a toujours un "je". En philosophie, il y aurait un ton grincheux, comme il y a eu naguère un ton grand seigneur selon Kant.
    D'ailleurs, Kant se donnait l'obligation de suivre la mode, même s'il la trouvait futile. Il aurait mis sans hésiter les pantalons du Groupe Abba ou les sous-pulls "Michel Foucault". Kant savait en tant que professeur que l'on jugeait surtout l'apparence du porteur de vérité, avant d'aborder la valeur de ses énoncés. Il comptait donc sur les compétences de son tailleur, et celles de son coiffeur ne l'insupportaient guère.
    Si l'on en croit Jean-Baptiste Botul, dans "La vie sexuelle d'Emmanuel Kant", ce penseur donna même une dignité morale à ses chaussettes, en leur imposant de la tenue grâce à des fixe-chaussettes. En Prusse Orientale, monde aujourd'hui englouti, il y a eu le fixe-chaussettes "Kant", comme il y a chez nous le sous-pull "Foucault".
    Cela pose néanmoins un problème grave. En s'invitant dans le catalogue de "La Redoute", la philosophie entre insidieusement dans l'intimité de l'homme de la rue, qui autrement en ignorerait tout. On pourrait croire qu'à force de porter un sous-pull à col roulé, on deviendra vraiment philosophe.
    D'autre part, ce billet contredit l'idée courante selon laquelle on embellit et on regrette même les pires choses de sa vie, quand elles ont appartenu à l'époque de sa jeunesse. Être grincheux, est-ce donc toujours être vieux ? Et ce que l'on ne regrette pas, n'est-ce pas ce qui nous faisait ressembler à tout le monde, à la majorité grise et silencieuse, à la foule solitaire ? Ce billet n'est-il pas secrètement égotiste, à la manière d'un Grenoblois romantique ?
    En s'éprouvant comme l'un des modes multiples d'une substance divine, lorsqu'on se retrouve embouteillé pendant de longues heures au bouchon de Villeneuve-Saint-Georges, ne reçoit-on pas une belle leçon de sagesse spinoziste ? Dans une fête de famille, quand on s'impose d'ingérer des abats ou des cuisses de grenouille, pour ne pas troubler la paix de ses proches, ne fait-on pas acte de stoïcisme et d'une réelle empathie ?
    Quand on compose un tube de l'été, si l'on en est capable, n'est-ce pas un splendide cadeau que l'on fait à ses contemporains, qui vont pouvoir s'oublier, et tout oublier, ou bien s'inventer une autre vie, pendant les plus beaux mois de l'année d'une vie heureuse ?

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    1. "lorsqu'on se retrouve embouteillé pendant de longues heures au bouchon de Villeneuve-Saint-Georges, ne reçoit-on pas une belle leçon de sagesse spinoziste", dit Grig Gérard. On a envie d'ajouter "et une belle leçon de démocratie en voyant les ennemis de la démocratie et de la république s'approcher du pouvoir". C'est un paralogisme, le raisonnement est spécieux.

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  2. Le grincheux grinche de tout, il regrette tout. Celle qui ne regrette rien est au contraire béate. Ici on était au contraire invité à NE PAS regretter certaines choses, et certainement pas TOUTES. On ne manifestait ni pessimisme ni soïcisme. Mais si vous voulez que le bouchon de Villeneuve Saint Georges soit mis au nombre des beautés de ce monde, contactez le Conseil Régional Ile de France. Et si les scopitone François Deguelt vous semblent immortels, que n'achetez vous pas le vinyl collector ?

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  3. On ne peut, dans cette optique, ne pas regretter que ce dont on a eu, de gré ou de force, une expérience. Cela s'entend pour le pensionnat, les cantines, les coiffeurs, les rengaines (Ah! Tata Yoyo...), les gares, une ville comme Orléans, etc. Mais on voit mal comment on pourrait ne pas regretter ce qui n'existe pas, dont on n'a pas ou pas eu l'expérience. Or, me semble-t-il, les romans de d'Ormesson n'existent pas, on n'en a pas l'expérience tant qu'on s'est gardé de les lire. Ce qu'on peut dire ne pas regretter, c'est tout juste le bruit qui se fait autour d'eux. Les mettre dans la liste, sans les arracher complètement à leur néant, leur confère une forme d'existence incompatible avec leur nature profonde.

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  4. Ne sont ils pas le type même des romans sans intérêt qu'on s'est senti tenu de lire même quand on n'en avait pas envie, juste parce que tout le monde trouvait cela bien ? On ne les a évidemment pas lus , ils vous sont tombés des mains. Mais leur existence a, comme celle de tous les mauvais livres , pesé sur vous, quand bien même on ne les a pas lus. Donc oui, le néant est quelque chose que l'on ne regrette pas.

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    1. Efforçons-nous, donc, de résister au poids du néant. Ça ne doit pas être trop difficile, il ne pèse pas bien lourd.

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  5. Salvador Dali célébrait la Gare de Perpignan. Pourquoi la Gare des Aubrais n'aurait-elle pas elle aussi sa beauté, sa grandeur, ou bien une dimension qui la magnifierait ? De même, pourquoi être fataliste ou naturaliste devant le bouchon de Villeneuve-Saint-Georges ? Comme Orléans, Saint-Cloud ou La Roche-Guyon, cette petite ville a eu une importance stratégique, historique et culturelle énorme. Cela aide à meubler les temps d’attente. C’ est un verrou sur un fleuve, une porte qui ouvre sur un autre monde, condamnée à être vandalisée par les envahisseurs. Villeneuve est la Porte de la Brie. Comme Orléans, c' est un lieu où le monde entier est passé, y est né, est venu y vivre ou y mourir. Victor Duruy, qui y voisinait avec Madame Hanska, allait même s’ y reposer et y préparer sa réforme de l'enseignement de la philosophie. Avec Villeneuve, tout se dédouble : il y a « Saint-Georges » et « le-Roi », la Seine et l’Yerres aimée des peintres, etc. On pourrait dire que le génie du lieu fait passer le bouchon.
    Quant aux rengaines, elles ont inspiré les plus grands musiciens. Aujourd’hui, on parlerait de « samples ». La « Carmen » de Bizet est remplie de ritournelles du folklore espagnol, avec quelque chose en plus qui s’ appelle l'orchestration ou le génie.
    Il y avait comme une ambiance de fin de bal, avec les chanteurs français des années 60. C’ était le cabaret montmartrois, qui jetait ses derniers feux, et qui a été regretté.
    Dans le domaine littéraire, Jean d'Ormesson est conservateur, comme Julien Benda. Il y a eu d’autres conservateurs illustres, qui ont eu de la profondeur et du charme. Dans « Au plaisir de Dieu », Jean d’O nous a initiés aux secrets du monde de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie, un peu comme Marcel Proust. Il a aussi écrit une uchronie étonnante, « La Gloire de l’Empire ». Il me semble que c’ était plutôt le Nouveau Roman que l’on lisait par snobisme. Pour l’ennui, mais c’ était précisément ce qu’ elle recherchait, il y avait Marguerite Duras.

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    1. Les TS Latis et Ferry adoraient la gare des Aubrias, qu'ils fréquentaient souvent ( voir Subsidia Pataphysica)
      Quant à Orléans, voir mon prochain billet.
      Quant à comparer d'Ormesson à Benda, alors je vous avoue que cela ne m'était pas venu à l'idée...

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  6. Soutenez vous la proposition suivante :
    "quel que soit X, si X est élu président de la république alors je ne regretterai pas X" ?

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  7. Vous noterez que Julius Bendus , dans le billet sur l'Europe, a prédit quelque chose de différent de moi.

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  8. La commune de Fleury-les-Aubrais s'est appelée Fleury-aux-Choux, jusqu' au début du XXème siècle. Sa Gare est maintenant reliée à la Friche réhabilitée de la Vinaigrerie Dessaux, grâce à un téléphérique, qui lui donne des allures de station alpine.
    Pour moi, le nombril du monde serait plutôt Saint-Ay, dans le Loiret. Son Moulin a appartenu à des vedettes de la chanson des années 60. On y fait toujours du vin et du Cotignac, mais les religieuses cisterciennes ont disparu. Dans le Château, Rabelais écrivit son "Tiers Livre". Ce n’ est pas un hasard si la presse locale relatait les exploits des concours de mangeurs d’ andouilles, avant le Billet du très lansonien Clément Borgal qui élevait l’ esprit.
    Pour les vedettes du Moulin, il y a un livre qui est paru aux PUF, "La chanson exactement : L' art difficile de Claude François", qui raconte comment des surdoués de la musique ont subi une réduction d' essence, pour devenir les plus grands artistes de variété des années 60. Comme le dit l'éditeur, il est plus difficile de penser « Alexandrie, Alexandra » que la « Symphonie Héroïque ».
    Un chercheur comme Peter Szendy a écrit un ouvrage sur les mystères du tube : « Tubes : La philosophie dans le juke-box ». Il s’ est intéressé également aux écoutes téléphoniques : « Sur écoute : Esthétique de l’espionnage ».
    À mon avis, le tube est comme le lavage de cerveau, qui fonctionne si l’on y est disposé. Personnellement, je range les tubes avec mes nombreux tics et TOCs.

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