UN SAPIN SANS GUIRLANDES
Il était une fois un petit sapin, qui poussait vaillamment dans une sapinière, attendant qu’on vienne le couper pour Noël, pour qu’on le mette dans un salon où les petits enfants le décoreraient et auraient auprès de lui leurs cadeaux. Il serait fêté, couvert de guirlandes et de bougies, et aurait, après cette vie solitaire dans la sapinière, son heure de gloire. Mais quand vint Noël, cette année-là, on coupa tous les autres sapins de la sapinière, mais pas lui. Il resta seul, isolé et tout triste au milieu des troncs coupés. Il se demanda pourquoi on ne l’avait pas pris. Peut-être l’avait-on oublié. Peut-être était-ce parce qu’il n’avait pas la forme des sapins ordinaires : ni celle d’un Nordmann, ni celle d’un epicea, ni celle d’un nobilis. Il était un peu asymétrique, avec des branches plus fournies d’un côté, et il était plus trapu que ses voisins. Peut-être avait-on jugé qu’il devait encore grandir et se développer. Il attendit sagement l’année suivante. Elle vint. Il avait grandi, et ses branches
étaient à présent plus symétriques. Il était prêt. Il était même, comparé à ses voisins dans la sapinière, qui avaient été plantés après lui, bien plus grand et bien plus fort. Mais quand vint Noël, de nouveau on l’oublia, et il resta seul au milieu des troncs coupés. Les autres étaient partis dans un camion, tout fiers. Ils allaient être vendus, transportés dans les salons et les salles à manger, recevoir quantité de guirlandes de couleur, de boules multicolores, d’étoiles, de bougies, de petits bonbons et de Pères Noël en plastique et en chocolat. On allait faire à côté d’eux des crèches, avec le Petit Jésus, Marie sa mère, Joseph l’inutile, le bœuf, l’âne, et les rois mages, Gaspard, Melchior, Balthazar.
Mais lui n’avait rien, il resta encore seul dans la sapinière. Il savait bien qu’une fois Noël passé, tous ses anciens camarades sècheraient dans un coin, tout jaunis, rejetés sur les trottoirs dans des sacs poubelle, ou passeraient au feu. Il se dit que peut-être on l’avait gardé là pour lui donner un destin plus beau. Une fois grandi, il pourrait être un de ces grands sapins qu’on met dans les halls de gare ou dans les grands magasins, ou les salles de fêtes, voire même, quand il n’y avait pas de protestations des associations laïques, dans des bâtiments publics. Peut-être même le replanterait-on dans un jardin, où il
pourrait finir ses jours dans une herbe grasse entouré de jolies plantes. Il se rassurait en pensant que lui au moins n’avait pas été coupé, et qu’il serait comme les fameux sapins d’Apollinaire :
Les sapins en bonnets
pointus
De longues robes revêtus
Comme des astrologues
Saluent leurs frères abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent
Il attendit donc. Mais même s’il était devenu plus grand et plus fort, il dépérissait, il commençait un peu à perdre ses aiguilles, à jaunir lui-même, attaqué par des chenilles processionnaires et toutes sortes de cirons. Il se faisait une raison, en se disant qu’il n’avait pas besoin, pour être un vrai sapin, d’être enguirlandé et qu’il était aussi bien en se tenant solitaire dans sa forêt. Enfin, au Noël suivant, on le jugea digne d’être coupé. Il partit sur un
grand camion, avec quelques confrères qui avaient à peu près la même taille que lui, mais n’en menaient pas large. Il pensa qu’on le conduisait dans quelque lieu public qu’il honorerait de sa taille et de sa prestance conservées. Il déchanta. On le conduisit dans une sorte de hangar. Mais là pas de Gaspard, ni de Melchior, ni de Balthazar, et pas de guirlandes, sinon deux ou trois boules et quelques rares bougies, juste histoire de faire semblant. C’était une vente de charité, une sorte de brocante minable, où l’on espérait écouler quelques vieux disques, quelques vieux bouquins et quelques meubles mochards tirés des greniers. Il comprit qu’il n’était là que pour faire de la figuration. Personne ne se souciait de lui. Une dame vint bien lui poser quelques guirlandes ramassées sur les autres sapins. Mais il était trop tard pour ces décorations incongrues. Il se résigna, pensant qu’au moins son bois noueux, ses branches inégales et ses aiguilles feraient, quand il serait découpé, un bon feu, qui chaufferait les petits enfants.
voir le titre du Guardian 16/12/23 :
Qu’est-ce qu’il en sait le bougre, et qui donc lui a dit, qu’il n’y a pas de sapins en paradis ?
RépondreSupprimerS'il brûle il est plutôt en enfer. Au Bois sacré ( fresque de Puvis de Chavannes dans le Grand Amphi de la Sorbonne) il n'y a que quelques saules pleureurs)
RépondreSupprimerL’ultime espérance du sapin me paraît d’ailleurs particulièrement optimiste : le bois de chauffage sera interdit pour des raisons écologiques avant qu’il ne put finir sa vie avec quelque honneur !
RépondreSupprimerSa vie aura en somme été une longue self-deception …
Proposition de carrière pour sapin de noël has been.
RépondreSupprimerA défaut de réchauffer les bambins en l'âtre du doux foyer domestique, il ne resterait plus au pauvre sapinet qu'à caresser l'éventualité d'une ultime destinée et ambition possible, quoique un peu triste, si tant est qu'il tient à ce point à servir ces ingrats que sont les hommes ... : constituer planches à cercueil pour classe sociale modeste ou/et combustible crépitant pour crémation rapide... Faut rien gâcher, c'est écolo, avec limite au renouvelable comprise.
Et chanson funèbre d'accompagnement pour rester dans le rythme du rite : Mon vieux sapin, roi souterrain, des cimetières..., que j'aime tes dorures, avant ma mise en terre, ou en poussière ... ?
Bah, au final, il ne fût jamais aussi bien qu'au sein de sa forêt virginale et profonde (en vérité triste sapinière industrielle), ni aussi utile -à en juger par la micro-vie grouillante qui persistait à foisonner alors encore malgré tout entre ses racines (mais qui persiste aussi au cimetière..., plus écolo tu meurs !), plutôt qu'à aspirer à un statut de vaine reconnaissance, aux illusoires ambitions artificieuses de clinquant enguirlandage sur trottoir, clignotant lourdement criard et fardé avec insistance, comme une paupière de prostituée ou une enseigne de beaux joujoux par milliards qui vulgairement vous aguiche, tout en pompant de l'uranium, de l'oseille, ou/et autre chose ... Et le charmant marmot aux yeux d'abord écarquillés se lassera promptement de son cadeau hors de prix, qui fût jadis (c'est à dire avant-hier) tant convoité à grands renforts d'hurlements et trépignements hystériques capricieux, et dédaigné presque aussi vite qu'on lui aura cédé. Et non, mon p'tit gars, te corrompre ne te comblera pas. Bon, c'est vrai que la magie de Noël, fort commercialement conviviale, est déjà loin, elle me donne généralement plutôt la tentation de faire du néo-Anderssen trash provoc..., avec des petites marchandes qui s'immolent aux allumettes... en sapin !..., et qui meurt famélique puis en cendres à côté de son smartphone intact..., mais là j'm'y prends un peu tard.
Et j'aime pô non plus la période des entassements démographiques à grands coups de tartinages dégoulinants de crème à bronzer. J'aime les saisons intermédiaires. Et les sentiers de forêt qui ne se transforment pas en boulevard. Na. Je préfère préciser, c'est pas du premier degré hein, c'est juste l'autre conte de l'ours misanthrope râleur, qui n'avouera jamais que bizarrement, même pour lui, les repères traditionnels collectifs calendaires ont quelque souterraine influence dont il n'est pas complètement insensible, à la vérité, quand bien même il ne les fêterait pas, et les suivrait toujours avec quelque infime mais abyssal décalage.
Je propose de créer une Société Protectrice des Sapins de Noël, une sorte de refuge une fois leur tâche accomplie, qui les rééduquerait à l'enracinement plutôt qu'à l'enguirlandage, ou leur apprendrait à se débarrasser des deux tiens, le droit à une seconde voire troisième vie, tout ça... Mais va falloir arroser pour pas dépérir ... faire appel à des investisseurs...puis détourner les fonds, mais chut. Enfin, j'ai un créneau, une ambition ! Surtout pour ma pomme (de pin).
Mais ici manque peut-être plutôt une concordance de tonalité avec votre conte. Où il y a une sorte d'ingénuité douce à même une sorte de banalité du tragique, du désenchantement progressif, sans l'air d'y toucher, que j'aime bien. Même si la condition d'arbre laisse si peu d'alternative au rêve ou à l'acceptation, avec risque du glissement insidieux vers la résignation végétative plus discutable, mais peut-être lucide. Néanmoins la science en la matière a fait d'étonnants progrès et découvertes, saviez-vous par exemple qu'une branche d'arbre peut pousser et trouver son chemin à travers un labyrinthe pour atteindre une source de sels minéraux, sans aucune erreurs essais ou tentatives inutiles avortées, mais certes ... à un rythme très très lent ... Et on ignore le degré d'appréhension que peut avoir le végétal de son environnement, ni ne comprends tout à fait son fonctionnement là où il n'y a aucun système nerveux centralisé, mais il n'est pas nul. Mais qui sait donc ce que donnera et jusqu'où peut aller, sur la très longue durée, la minuscule graine qu'on peut déposer en un terreau ou en autrui (au sens propre comme au figuré), même si ces derniers se révèlent souvent ingrats ou un peu sourds. De même le chemin que peut parfois parcourir un livre jusqu'ici oublié (et qu'on déniche, poussiéreux, à un prix dérisoire, dans une obscure brocante). A condition bien-sûr de préserver la possibilité au monde de cette autre échelle temporelle de croissance et d'en transmettre l'attention susceptible d'en prendre soin un minimum. Pas gagné, certes. Mais moins de 1% de chance n'est pas 0. C'est certes très peu, mais ça peut avoir une "importance". Et peut avoir une pertinence aussi épistémique que morale. Quand bien même toute portée de sens aurait sa limite. En langage sapinien, on dit : essayer de faire sa part, à sa risible échelle individuelle, pas infidèle au destin commun mais pas juste programmé, et ce jusqu'à la dernière moindre aiguille ...
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