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mercredi 13 décembre 2023

CONTE DE NOEL

 

UN SAPIN SANS GUIRLANDES

 

 

 

Il était une fois un petit sapin, qui poussait vaillamment dans une sapinière, attendant qu’on vienne le couper pour Noël, pour qu’on le mette dans un salon où les petits enfants le décoreraient et auraient auprès de lui leurs cadeaux. Il serait fêté, couvert de guirlandes et de bougies, et aurait, après cette vie solitaire dans la sapinière, son heure de gloire. Mais quand vint Noël, cette année-là, on coupa tous les autres sapins de la sapinière, mais pas lui. Il resta seul, isolé et tout triste au milieu des troncs coupés. Il se demanda pourquoi on ne l’avait pas pris. Peut-être l’avait-on oublié. Peut-être était-ce parce qu’il n’avait pas la forme des sapins ordinaires : ni celle d’un Nordmann, ni celle d’un epicea, ni celle d’un nobilis. Il était un peu asymétrique, avec des branches plus fournies d’un côté, et il était plus trapu que ses voisins. Peut-être avait-on jugé qu’il devait encore grandir et se développer. Il attendit sagement l’année suivante. Elle vint. Il avait grandi, et ses branches

 

 

 


 

étaient à présent plus symétriques. Il était prêt. Il était même, comparé à ses voisins dans la sapinière, qui avaient été plantés après lui, bien plus grand et bien plus fort. Mais quand vint Noël, de nouveau on l’oublia, et il resta seul au milieu des troncs coupés. Les autres étaient partis dans un camion, tout fiers. Ils allaient être vendus, transportés dans les salons et les salles à manger, recevoir quantité de guirlandes de couleur, de boules multicolores, d’étoiles, de bougies, de petits bonbons et de Pères Noël en plastique et en chocolat. On allait faire à côté d’eux des crèches, avec le Petit Jésus, Marie sa mère, Joseph l’inutile, le bœuf, l’âne, et les rois mages, Gaspard, Melchior, Balthazar.

 

Mais lui n’avait rien, il resta encore seul dans la sapinière. Il savait bien qu’une fois Noël passé, tous ses anciens camarades sècheraient dans un coin, tout jaunis, rejetés sur les trottoirs dans des sacs poubelle, ou passeraient au feu.  Il se dit que peut-être on l’avait gardé là pour lui donner un destin plus beau. Une fois grandi, il pourrait être un de ces grands sapins qu’on met dans les halls de gare ou dans les grands magasins, ou les salles de fêtes, voire même, quand il n’y avait pas de protestations des associations laïques, dans des bâtiments publics. Peut-être même le replanterait-on dans un jardin, où il

 

pourrait finir ses jours dans une herbe grasse entouré de jolies plantes. Il se rassurait en pensant que lui au moins n’avait pas été coupé, et qu’il serait comme les fameux sapins d’Apollinaire :

Les sapins en bonnets pointus
De longues robes revêtus
Comme des astrologues
Saluent leurs frères abattus
Les bateaux qui sur le Rhin voguent

 

 

Il attendit donc. Mais même s’il était devenu plus grand et plus fort, il dépérissait, il commençait un peu à perdre ses aiguilles, à jaunir lui-même, attaqué par des chenilles processionnaires et toutes sortes de cirons. Il se faisait une raison, en se disant qu’il n’avait pas besoin, pour être un vrai sapin, d’être enguirlandé et qu’il était aussi bien en se tenant solitaire dans sa forêt. Enfin, au Noël suivant, on le jugea digne d’être coupé. Il partit sur un

 

grand camion, avec quelques confrères qui avaient à peu près la même taille que lui, mais n’en menaient pas large. Il pensa qu’on le conduisait dans quelque lieu public qu’il honorerait de sa taille et de sa prestance conservées. Il déchanta. On le conduisit dans une sorte de hangar. Mais là pas de Gaspard, ni de Melchior, ni de Balthazar, et pas de guirlandes, sinon deux ou trois boules et quelques rares bougies, juste histoire de faire semblant. C’était une vente de charité,  une sorte de brocante minable, où l’on espérait écouler quelques vieux disques, quelques vieux bouquins et quelques meubles mochards tirés des greniers. Il comprit qu’il n’était là que pour faire de la figuration. Personne ne se souciait de lui. Une dame vint bien lui poser quelques guirlandes ramassées sur les autres sapins. Mais il était trop tard pour ces décorations incongrues. Il se résigna, pensant qu’au moins son bois noueux, ses branches inégales et ses aiguilles feraient, quand il serait découpé, un bon feu, qui chaufferait les petits enfants.

 voir le titre du Guardian  16/12/23 :

 

L'art d'être grand-père ou la complicité des âges extrêmes dans leurs  relation avec l'au-delà – Arts et Lettres

3 commentaires:

  1. Qu’est-ce qu’il en sait le bougre, et qui donc lui a dit, qu’il n’y a pas de sapins en paradis ?

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  2. S'il brûle il est plutôt en enfer. Au Bois sacré ( fresque de Puvis de Chavannes dans le Grand Amphi de la Sorbonne) il n'y a que quelques saules pleureurs)

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  3. L’ultime espérance du sapin me paraît d’ailleurs particulièrement optimiste : le bois de chauffage sera interdit pour des raisons écologiques avant qu’il ne put finir sa vie avec quelque honneur !
    Sa vie aura en somme été une longue self-deception …

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