"Pour le grand historien Niall Ferguson, le monde académique américain
n’est pas sans rappeler la « trahison des clercs » dénoncée par Julien
Benda à la veille des années 1930."
l'article de The Free Press est traduit dans Le Point
"En 1927, le philosophe français Julien Benda publiait La Trahison des clercs, ouvrage fustigeant la descente des intellectuels européens vers les extrêmes du nationalisme et du racisme. À cette date, si Benitto Mussolini
était au pouvoir depuis cinq ans en Italie, il allait en falloir encore
six à Adolf Hitler avant d'y parvenir en Allemagne, et treize pour sa
victoire sur la France. Reste que, déjà, Benda percevait le rôle si
pernicieux joué par bon nombre d'universitaires dans le champ politique.
Comme il l'écrit, les mêmes qui étaient censés poursuivre la vie de
l'esprit avaient en réalité inauguré « le siècle de l'organisation
intellectuelle des haines politiques ». Des haines déjà en train de
quitter le terrain des idées pour rejoindre celui de la violence – avec
des conséquences catastrophiques pour l'ensemble de l'Europe.
Un siècle plus tard, le monde universitaire américain aura emprunté une trajectoire politique inverse – en s'enfonçant vers l'extrême gauche, pas l'extrême droite – pour néanmoins aboutir grosso modo au même résultat. Et on peut aujourd'hui se demander si, contrairement aux Allemands, il nous reste de quoi éviter la catastrophe.
Un peu à l'instar de Benda, cela fait une bonne décennie que je suis stupéfait par la trahison de mes collègues intellectuels. Tout comme j'ai pu voir l'enthousiasme avec lequel administrateurs, donateurs et anciens élèves ont toléré la politisation des universités américaines poussée par une coalition illibérale de progressistes « wokes », d'adeptes de la « théorie critique de la race » et d'apologistes de l'extrémisme islamiste."
Le contexte immédiat de cet article est le passage, le 5 decembre 2023, de Claudine Gay, présidente de Harvard, Elizabeth Magill presidente de Université de Pennsylvanie, et Sally Kornbluth, du Massachusetts Institute of Technology,devant une commission du Congrès. Interrogées par Elise Stefanik, représentante républicaine de l’Etat de New York, elles se sont vues demander:
Sally Kornbluth avait pourtant commencé par expliquer : « Je n’ai pas entendu parler d’appel au génocide des juifs sur notre campus. » « Mais vous avez entendu des “chants pour l’intifada” [soulèvement] », a répliqué Elise Stefanik. Cette dernière avait débuté l’audition en donnant sa définition personnelle de l’intifada – « Vous comprenez que cet appel à l’intifada est de commettre un génocide contre les juifs en Israël et au niveau mondial », faisant basculer le débat du soutien à l’intifada de certains manifestants à la question du génocide.
Quelques jours plus tard, on apprit que Claudine Gay était accusée de plagiat sur plusieurs passages de sa thèse. Mais ses accusateurs sont des Républicains qui ont tout intérêt à la couler. Et Niall Ferguson a quitté Stanford pour Austin, bastion du conservatisme.
Niall Ferguson a raison de voir dans la vague Eveillée une manifestation de la ruine de l'esprit, et de faire un parallèle entre nazisme et Eveil, mais fait l'erreur usuelle sur La trahison des clercs : Benda ne fustige pas tant le fait que les intellectuels fassent de la politique que le fait que ce faisant ils ne le fassent pas au nom du respect de la vérité. Son message n'était pas qu'il fallait renoncer comme intellectuel à l'engagement politique, mais qu'en prenant des positions politiques on ne pouvait pas renoncer à la recherche du vrai. Or les politiques américaines de discrimination positive, dont Claudine Gay est l'une des thuriféraires visent à nous dire : "Peu importe le savoir le principal est que les minorités discriminées puissent bénéficier de discrimination inversée". Ce qui veut dire qu'il est plus important d'avoir à Harvard une présidente noire , ayant peu publié (elle n'a écrit aucun livre, et a fait sa carrière dans l'administration) et ayant peut être plagié sa thèse, que d'avoir un blanc ou une blanche ayant tous les titres et travaux académiquement reconnus. Autrement dit que les pouvoirs académiques doivent aller plus à des politiques qu'à des savants. Au fond, c'est dans la logique des universités américaines, qui ont toujours été plus des machines politico économiques, servant de relais au sport et au business, plutôt que des lieux de réclusion spirituelle. Du moment que la Law School de Harvard , décrite de manière amusante dans La revanche d'une blonde , n'est pas menacée, ni ses équipes sportives, tout va bien. La trahison des clercs académiques avait commencé bien avant la nomination de Claudine Gay et bien avant l'Eveillisme, par un renoncement à mettre la connaissance au centre de la liberté académiques. Elle était inscrite dans le système universitaire américain.
Une autre leçon de Benda était, toujours au nom de son universalisme des valeurs de l'esprit, que le respect de la vérité et de la justice ne peut pas être, comme l'a dit la présidente de Harvard, affaire de "contexte". Un principe universel s'applique ou pas. Il s'applique toujours dans un contexte, mais en lui-même il n'est pas affaire de contexte, il vaut absolument.
PS 3 janvier 2023 On apprend que Claudine Gay a démissionné.
la blonde traversant le yard de Harvard |
Autant les engagements intellectuels de Benda sont louables (bien que l’idée selon laquelle les « correctifs politiques » sont des effets secondaires de la défense intransigeante du vrai semble passablement … indémontrable), autant le lien que vous établissez ici entre « wokisme » et « rejet des valeurs intellectuelles fondamentales » me semble discutable et pour tout dire, quelque peu caricatural, pour au moins deux raisons (i) la défense des minorités au nom de la justice peut être motivée par la vérité et l’objectivité (ii) un terme comme « wokisme » est suffisamment vague pour ne rien décrire : il s’agit d’emblée, précisément, d’une raillerie politique : pourquoi ne pas aller jusqu’à inclure les travaux de Walzer ou de Perreau, voire ceux de Sen, dans le wokisme ? Après tout, on peut y trouver l’idée générale selon laquelle les injustices que subissent les minorités sont la voie d’accès privilégiée d’une réflexion sur la justice ?
RépondreSupprimerAi je employé la notion de "correctif politique"? Le terme wokisme (je parle d'Eveil) est vague, mais la plupart des protestations woke sont claires ( les niez vous? ) et se font au nom de valeurs commnautaristes : exemples: appeler à dissoudre les départements de classics (Dan Padilla à Princeton) parce qu'ils ne sont pas inclusifs, mener une chasse aux sorcières contre Kathleen Stock parce qu'elle a critiqué les LGTB). Donc je ne vois pas lesquelles sont au nom d'un universalisme , ni se font au nom de la vérité, puisqu'elles reposent sur des arguments typiquement sociologiques. Le wokisme n'est pas le nom d'une raillerie politique. WAlzer n'en est pas coupable ni Sen, et je n'ai fait équivaloir wokisme et communautarisme. Le wokisme est une posture militante, interventionniste, demandant des censures. Il me semble parfaitement localisable, daté, et repérable. Le fait que beaucoup de gens donnent à un terme un sens vague ne signifie pas qu'il ne désigne rien, ni qu'on puisse le rendre plus précis! J'appelle "wokisme"
RépondreSupprimer1 une défense ou promotion publique d’une ou plusieurs causes à portée morale, politique, sociale :
Environnement et écologie, minorités et populations perçues comme opprimées (sexuelles, raciales, religieuses), genre et féminisme, enfants
Ces causes peuvent être défendues au nom de la justice sociale, de la justice dans tel ou tel domaine, ou au nom de causes globales. C’est ce caractère global (sauver la planète, sauver telle population) qui est la marque du wokisme. Mais il coexiste souvent avec la défense de telle ou telle communauté.
2. usage, pour promouvoir ces causes, de moyens de propagande de masse (réseaux sociaux , images ) et d’interventions dans l’espace public ( media, institutions culturelles, universités) , certaines violentes visant à interdire et censurer des personnes ou groupes perçues comme opposés à ces causes et des pratiques qu’elles portent, au nom d’un droit à la critique . Sous la forme de la « cancel culture » ces actions sont radicales : elles visent à supprimer non seulement des interventions, mais aussi des pans entiers de la culture, jugés hostiles aux populations et à la civilisation revendiquée ( orthographe, langue, disciplines académiques, livres, articles, auteurs canoniques)
3. S’agit-il d’une idéologie ? Le wokisme en a beaucoup de traits : oppositionnel et contre , malléabilité , revendication de la justice et de l’universalité. Mais aussi contradictions : on vise l’universalité, mais les causes sont toujours particulières, relatives à une identité et une communauté (sexuelle, raciale, population))
Cela étant dit, mon objection à Ferguson est précisément qu'il identifie engagement politique et refus des valeurs universelles . Il a tort: on peut faire de la politique dans les universités, au nom de la liberté d'expression, sans abuser de celle-ci et sans déboulonner systématiquement des professeurs ou des administrateurs.
Vous dites : « Niall Ferguson a raison de voir dans la vague Eveillée une manifestation de la ruine de l'esprit » : la façon dont vous présentez les choses ici me semble passablement caricaturale (« homme de paille » si l’on peut dire), car dans cette vague on trouve aussi des gens pour défendre les valeurs intellectuelles.
RépondreSupprimerDe plus, il me semble que l’utilisation du terme « wokisme » est politiquement chargée, elle joue le rôle d’un épouvantail qui ressemble, dans les milieux académiques, à la panique morale dont Ogien peut parler par ailleurs : on exagère, à des fins politiques, les risques réels. Que sait-on, et par quelle méthode le sait-on, des effets délétères d’une telle vague ? Suffit-il de dresser une liste d’événements pour que soit confirmer quoi que ce soit ?
Vous dites avec raison que l’erreur d’interprétation classique de l’expression « trahison des clercs » consiste à soutenir que Benda interdit d’entrer dans l’arène, alors qu’il établit d’une part une hiérarchie des motifs « vérité > politique » de sorte que les considérations politiques ne peuvent jamais affecter l’engagement pour le vrai, mais il précise d’autre part que l’engagement dans l’arène doit se faire au nom du vrai, sous le mode sub specie aeternitatis. Par suite on distingue deux espèces d’effets politiques différents : (i) directs : on défend directement les valeurs intellectuelles lorsqu’elles sont attaquées (ii) indirects : les effets politiques sont des effets secondaires de l’œuvre elle-même : demeurer dans sa tour d’ivoire en somme a des effets secondaires dans l’arène sociale.
(J’ai tendance à croire par exemple que la carrière de M. Bouveresse illustre ces deux façons de s’engager de manière quasi idéale : directe et indirecte).
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RépondreSupprimerD'un côté vous dites que "woke" ne désigne rien, de l'autre vous dites que c'est une "vague"! ! ! Vous avez raison sur le second point : c'est une vague, un courant, certes flou, mais dont j'ai essayé de dire dans ma réponse précédentes en quoi elle consiste. Elle a des effets parfaitement repérables: les groupes en question font des pressions, interrompent des conférences, lèvent des campagnes, les personnes menacées comme Kathleen Stock doivent démissionner, on déboulonne des statues, on promeut l'écriture inclusive et on boycotte ceux qui ne s'y conforment pas, on "name and shame" et même certains professeurs se suicident après des campagnes de ce genre. Certes en France cela ne prend pas des formes aussi extrêmes, mais il y a quand même des annulations, des campagnes contre tel prof, etc. Je ne trouve pas que ce soit rien ou anecdotique. C'est en effet une panique morale, au nom du Bien.
SupprimerVous avez raison d'y voir des soucis de justice de la part des groupes qui la poussent (au nom de la race , de la religion, du sexe) mais je ne vois pas en quoi ce sont des revendications universalistes, sauf à dire que si je prends plus de gâteau que vous et que vous protestez, votre revendication est "universaliste'. En fait il y a du wokisme *globaliste*, comme celui de Greta Thunberg ou des défenseurs de l'environnement. Mais cela n'en fait pas une protestation universaliste. L'universalisme, c'est autre chose, et d'ailleurs Walzer a bien du mal à définir son universalisme pluriel ou modéré qu'on loue tant. Les wokes defendent ils les valeurs intellectuelles? Quels wokes, et quelles valeurs? Quand des activistes américains veulent supprimer les "classics" des universités, défendent ils des valeurs universelles? Non, ils veulent au contraire s'attaquer à ces valeurs parce qu'ils les trouvent "blanches". Ce n'est pas de l'universalisme, c'est du militantisme pour un groupe.
J'accepte la manière dont vous hiérarchisez les engagements, mais Benda n'a jamais prôné la tour d'ivoire.
J'ai repris des études en Fac, pour une Licence 3 de Lettres Modernes et Classiques. A partir de mon expérience d'étudiant, qui ne sait pas bien si l'hostilité d'une personne woke est fondée, ou s'il s'agit d'une manifestation envieuse, censée exprimer l'opinion générale envers quelqu'un qui surjoue le rôle du bon élève, – j'imagine ce que cela doit être pour un enseignant qui fait une trop belle carrière, qui gêne ou qui ne dégage pas, et combien il doit être facile de lui faire un procès en sorcellerie, s'il n'est pas conscient qu'il prête facilement le flanc à une critique dans l'air du temps.
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RépondreSupprimerOn peut défendre une minorité traditionnellement opprimée ou exploitée (pour parler comme Mill et Sen : en gros : femmes, travailleurs exploités, ethnies racisées) au nom de l’égalité des droits : l’équité sera alors convoquée au nom de l’égalité (démarche de bon sens) : j’ai droit à plus de gâteau (même si l’analogie entre un bien périssable comme le gâteau et un droit par exemple est rapidement trompeuse) dans la redistribution des biens parce que je subis davantage de privations.
Il me semble que dans tout ce que l’on qualifie de wokiste, on trouve aussi ce genre de position.
En somme, et je ne vous importunerai pas davantage avec ça, j’ai tendance à croire que les termes « woke » ou « wokisme » représentent une espèce de cheval de Troie politique : on prétend en faire un usage descriptif, parce qu’un tel usage s’autorise des faits, mais il s’agit davantage à mon avis d’une raison de couverture pour effectuer des classements d’un genre bien différent ou des montages de faits douteux.
Et c’est sans doute en partie pour cela que le terme représente une attaque contre la vérité en général : il travestit la vérité en une raison de couverture, aussi bien chez les pro que chez les anti « woke ».
Mais il s’agit au final d’une stratégie rhétorique vieille comme le monde (et qui justifie sans doute que l’on se méfiât non pas des faits eux-mêmes bien entendu, mais de notre tendance à les invoquer pour justifier tel ou tel engagement normatif).
d'accord, mais tout souci de justice n'est pas automatiquement universaliste, ni au service de valeurs universelles. Ce qui me gêne quand les minorités défendent telle revendication est qu'elles le font en général pour corriger des injustices subies par elles, mais pas dans le souci de corriger les injustices subies par d'autres minorités. Et on peut le faire de diverses manières. Quant au wokisme, d'accord avec vous que c'est un label flou, malléable comme toute idéologie. Mais quand des activistes veulent débouler une statue, comme celle de Schlelcher à Fort de France, celle de Hume à Edimbourg , ou celle de Berkeley à Dublin, ils le font certes au nom de l'anti-esclavagisme, mais est-il
RépondreSupprimeruniversaliste de déboulonner ces figures? Et quels sont les faits qui sont ainsi dissimulés? Je me sens antiwoke quand on condamne (par exemple, mais il y en a bien d'autres, moins anodins comme pousser un professeur à la démission) Berkeley au nom de faits douteux, avec un total anachronisme. 'l'anticolonialisme a bon dos : il sert en effet de prétexte à un combat politique . Si l'antiwokisme consiste ici à dire que Hume et Berkeley ne méritent pas ces traitements, alors je suis antiwoke.
dans ma génération de boomers, en1968 , on s'en prenait, en plein cours, aux mandarins , au nom de la justice : ceux qui savent ne doivent pas avoir de privilège d'être en haut d'une chaire. Ce qu'on oublie souvent, avec les universités américaines, est que l'enseignement est payant et qu'une année de graduate peut aller , selon les universités, de 50 à 100 000 dollars (Harvard). Les étudiants qui paient, et ont des dettes auprès des banques, ont de tout autres exigences que ceux des universités européennes, qui sont d'Etat et peu payantes.
RépondreSupprimerCela n’a jamais dû faire trembler beaucoup de mandarins … l’absence de pression financière rend sans doute plus aisée la critique en effet, pour le meilleur ou pour le pire.
RépondreSupprimerDe la même façon, et de façon quelque peu provocante : déboulonner une statue de Hume n’empêchera sans doute jamais la tenue d’un colloque sur Hume ou que sais-je encore, car cette possibilité demeure assise sur des droits qui résistent et qui ne sont guère menacés or ces excès d’activisme : la meilleure façon pour un groupe d’empêcher la tenue d’un colloque sur Hume demeure indirecte : ne pouvant se réclamer d’un droit de l’interdire, on espère qu’au nom de « l’ordre public » les choses seront interrompues … ce qui leur éventuellement fonctionner, mais le droit demeure intacte.
Bref, à moins, au nom de la panique morale, de proposer des pentes fatales du genre « on commence par critiquer les mandarins, on déboulonne ensuite les statues et on finira par supprimer la liberté académique » la libre recherche n’est pas sérieusement mise en danger par le « wokisme ».
Certaines immiscions spectaculaires du politique en France ces derniers temps, dans la recherche s’entend, me semblent représenter un danger plus grand et bien réel pour la liberté académique, et ces immiscions ne sont pas faites au nom de « wokisme ».
Quand vous payez 50 000 $ de droits d'inscription, et réclamez des "trigger warnings" de votre université , vous sentez agressé par un cours sur un penseur réputé critique de l'Islam, vous avez en effet d'autres exigences et d'autres moyens de pression qu'un étudiant qui paie 600 euros de droits. détrompez vous, en 68, il y a eu des mandarins agressés, ne serait-ce que ce pauvre Paul Ricoeur, qui a quand même été poussé à 'émigrer aux USA.
RépondreSupprimerSur Hume et Berkeley, les administrateurs qui ont suivi ces actions (dénommer la Hume Tower d'Edimbourg, ou la Berkeley library) jurent leurs grands dieux que cela n'affecte pas la réputation philosophique des auteurs (chez nous nous avons la statue de Voltaire, qu'on a toujours pas rétablie), mais cela a des effets quand même: qui a envie de faire à Trinity College un colloque Berkeley ces temps ci? Je suis beaucoup moins optimiste que vous. La liberté académique me semble souvent menacée, et je ne suis pas le seul à la penser et à l'écrire. Certes, elle n'est pas menacée que par les wokes, comme le montre assez bien le livre d'Olivier Beaud.
Commentaire en deux temps (trop long hélas, excusez mon incapacité à être suffisamment concis).
RépondreSupprimerI – Premier temps
Je laisse la partie politique, qui mériterait discussion, pour simplement commenter ce petit passage :
"Une autre leçon de Benda était, toujours au nom de son universalisme des valeurs de l'esprit, que le respect de la vérité et de la justice ne peut pas être, comme l'a dit la présidente de Harvard, affaire de "contexte". Un principe universel s'applique ou pas. Il s'applique toujours dans un contexte, mais en lui-même il n'est pas affaire de contexte, il vaut absolument."
Cela fait plusieurs années que je vous lis, et il me semble de plus en plus que le rationalisme "bendaïen" confine en certains endroits à l'irrationalisme. La raison en est, à mon sens, que ce rationalisme est idéaliste : il fait comme si l'être humain ou son esprit avait accès à une réalité en-soi ou absolu.
Cela transparait dans le point suivant : "Un principe n'est pas affaire de contexte, il vaut absolument".
Allons-bon ! Je suppose que c'est Dieu-le-père qui lui a révélé cela ? Je reprends les exemples sur lesquels nous sommes parfois censés entraîner nos jeunes générations de classe terminale : si la vérité est un principe et une valeur morale, est-il tout de même légitime de mentir (et pas simplement ne pas parler) à un ennemi qui vous demande de trahir vos compagnons en lui divulguant des informations secrètes ?
Si vous répondez "oui" à cette question, alors vous devez logiquement admettre que (i) vous n'êtes pas tenu de respecter absolument la vérité (ii) le principe de vérité ne vaut pas "absolument", c'est-à-dire indépendamment de tout contexte possible – ou alors le sieur Benda a une autre définition de "absolu" qu'il conviendrait de préciser.
En effet, un principe n'est pas , par lui-même , contextuel: il vaut indépendamment des lieux, des temps, des agents. Mais qu'il s'applique toujours dans un contexte . Cela le rend il "contextuel" pour autant ? L'erreur des anti-universalistes est de tirer de ce fait la conclusion que l'universalisme est faux.
SupprimerOui, Benda est idéaliste. Comme Kant. Cela le rend il irrationaliste? Il ne dit pas qu'on peut accéder à une réalité en soi, mais que dans la morale on peut, par le devoir, accéder à l'absolu.
Sur Kant et Constant. Il faut distinguer vérité et véracité. Quand on soutient que la vérité (la véracité) n'est pas respectée, c'est parce qu'un autre principe, qui a lui aussi prétention à l'universalité, se trouve implicitement présent (ici sauver une victime). Cela rend rend pas le principe de véracité non valable. je refuse donc (i) et (ii).
Merci de votre réponse.
Supprimer(1) "un principe vaut indépendamment des lieux, des temps, des agents". Mais qu'en savez-vous ? Puisque vous l'affirmez, je suppose donc que vous devez avoir quelque argument pour défendre cette thèse. Sauf que, sauf erreur de ma part, vous ne les donnez jamais. Ou bien vous définissez le terme "principe" de façon à ce qu'il ne puisse pas être contextuel, mais alors il s'agit d'une pétition de principe.
(2) J'avoue ne pas comprendre votre réfutation. Si vous réfutez mon exemple, ce que je peux accepter volontiers, pourriez-vous s'il vous plaît me donner une situation où à vos yeux l'universalité du principe de vérité pourrait être récusée ? À mes yeux, le fait qu'un autre principe (ici sauver une personne) régule voire récuse dans certains contextes un autre principe (la vérité) suffit à montrer que le dernier ne "vaut pas absolument". Mais encore une fois, je ne demande qu'à mieux comprendre votre argument.
(3) Pour le dire très clairement : pour ma part, être idéaliste c'est être irrationaliste. Vous écrivez que pour Benda on peut accéder à "l'absolu par le devoir". Le problème est que (i) vous ne définissez pas le terme (ii) vous ne dîtes pas en quoi une action ou une morale accomplie par devoir ou une croyance est "absolue"...
On dira peut-être que le fait que le principe de vérité "va[ille] absolument" n'implique pas qu'il faille à tout moment et en toute circonstance communiquer la vérité. Fort bien, mais dans ce cas il faut définir précisément, sans implicite, ce qu'on entend lorsqu'on écrit qu'un principe "vaut absolument".
RépondreSupprimerDe manière plus générale, l'idée selon laquelle un principe "n'est pas affaire de contexte et vaut absolument" me semble bien théologique, et donc (au XXIème siècle, zut voilà encore un contexte !) aucunement rationaliste. Voici mon raisonnement en modus tollens :
(1) Nommons (E) la proposition : "un principe n'est pas affaire de contexte mais vaut absolument". Si on essaye de dégager le sens de (E) dans la bonne vieille logique classique, il semble que cela soit : "Pour tout principe P, alors P ne dépend pas d'un contexte C1, C2, ... Cn". Ou bien c'est un postulat – mais dans ce cas il n'y a pas de discussion, vous croyez que Dieu existe –, ou bien c'est une hypothèse : on vérifie P dans le contexte C1, C2, ... jusqu'à Cn.
(2) Or cela pose deux problèmes.
D'abord (a) celui d'afficher une liste de contextes possibles (comme des trophées de chasse sur un mur, comme dirait déversant son fiel sur les modèles de Kripke). Or traiter le possible de cette manière, c'est conceptuellement absurde.
(b) Quand bien même le possible existerait de cette façon, une telle connaissance complète est impossible – il faudrait pour cela être Dieu omniscient. On a même pas besoin que la suite "C1, C2, ..., Cn" soit infinie, il suffit (i) de fixer un "n" "suffisamment grand" ou (ii) d'introduire des contraintes sur les capacités du sujet (à la manière des économistes travaillant sur les préférences). C'est ici, pour moi, la seule chose à garder de Kant, à savoir un résultat matérialiste : on ne peut se passer d'une analyse des capacités cognitives du sujet connaissant, et on ne peut séparer réellement (je n'ai pas dit "distinguer") l'ordre logico-ontologique de l'ordre épistémologique.
(3) En vertu de quoi, (E1) n'a pas de sens rigoureux : elle implique quelque chose d'impossible.
Conclusion : le rationalisme de Benda est un rationalisme de curé : il faut un Dieu-tout-puissant quelque part (ou ses équivalences : une "réalité absolu /en-soi", un mur où tous les possibles seraient accessibles, etc.) flanqué d'un sujet connaissant fait à son image. Nul doute que si la connaissance est subrepticement conçue à la façon d'un miracle religieux, alors ce genre d'ânerie est possible. Mais le rationalisme aujourd'hui vaut mieux que ça.
Bien à vous,
Entrain
jene vois pas ce qu'il y a de theologique à dire qu'un principe vaut absolument. Prenez les principes logiques, comme celui de contradiction. ou alors tous les logiciens classiques sont des théologiens. Je vous retourne le compliment: vous me semblez assez protagoréen.
SupprimerJ'avoue ne pas comprendre pourquoi dire que les principes - je parle des vrais principes, tels que les axiomes ou les lois , pas de règles ou de normes amendables- s'appliquent dans tous les contextes impliquerait qu'on les connaisse tous, et donc une sorte d'omniscience.
C'est vrai que l'absolu a des allures un peu divines. Mais cela ne le rend pas "curé", sauf peut être dans la nouvelle de Balzac "la recherche de l'absolu".
Merci pour cette précision.
Supprimer(1) Touchant les principes de logique : certains ne semblent pas "absolus" au sens où on pourrait l'entendre (jusqu'à ce que vous précisiez la signification de ce terme). Prenez le tiers-exclu ou le principe de bivalence : on peut faire de la logique formelle sans cela, vous le savez mieux que moi. En quoi ces principes seraient-ils alors "absolus" si nous pouvions nous en passer dans certains contextes (ici dans certaines logiques) ?
(2) "J'avoue ne pas comprendre pourquoi dire que les principes [...] s'appliquent dans tous les contextes impliquerait qu'on les connaisse tous, et donc une sorte d'omniscience". C'est ici que je suis en désaccord frontal. Lorsque vous dîtes qu'un principe "vaut absolument", cela veut dire qu'il vaut dans tous les contextes. Mais encore une fois, qu'en savons-nous ? Comment pouvons-nous savoir que ce principe vaut dans tous les contextes, si nous n'avions déjà une connaissance possible de "tous les contextes" en question ? Il me semble qu'eu égard à nos capacités cognitives, nous ne pouvons pas soutenir que la proposition "P vaut dans TOUS les contextes" est vraie, sauf à déjà connaître tous les contextes en question.
(3) Je crois que ce désaccord se fonde sur un autre quant à la théorie de la vérité. Vous semblez tenir pour deux choses séparées la définition de la vérité et le critère par lequel on la connaît. Ce qui vous autorise à dire que quelque chose peut être vrai ("P vaut dans tous les contextes") sans être prouvable – car il faudrait alors vérifier tous les contextes. C'est précisément cela qui m'apparaît être de la théologie si on a une vision réaliste du sujet connaissant (nous les êtres humains).
Bien à vous,
J'ai déjà cité sur ce blog ( 17 mars 2021, Etiamsi omnes ego non) cette anecdote :
RépondreSupprimerAu moment de la mort de Benda, en 1956 André Thérive rapporta , dans la Revue des deux mondes, l'anecdote suivante :
Le 12 mars 1938, un petit télégraphiste essoufflé m'apporta un pneumatique. La lettre n'était pas une invitation à dîner. Elle contenait ces mots : « Oui, Dieu est un être conceptuel. Julien Benda »
J'ai bien ri !
SupprimerÀ la différence du concept de chien, qui n'aboie pas, la représentation de Dieu elle peut contraindre, à la différence de Dieu. Vieux thème de l'aliénation.
Maintenant, remplaçons Dieu par "lois de la logique".
Elles sont en partie contraignantes. Elles sont assurément le résultat d'une forme d'activité mentale et sociale (on oublie cette dimension trop souvent), puisque jusqu'à preuve du contraire, ce sont les êtres humains et non les pierres ou les baleines qui font de la logique formelle. Et pourtant, elles sont objectives et universelles, en un sens qu'il conviendrait de préciser.
Chez le rationalisme-à-la-curée de Benda, les principes semblent tomber du ciel : on n'explique pas leur genèse, ils sont déjà faits comme Minerve sortie toute faite du cerveau de Jupiter. Quelle curieuse transposition du thème de la génération spontanée !
Voilà pourquoi cela m'apparaît bien irrationaliste ! Il faudrait, comme l'a dit un vieux barbu, remettre la logique sur ses pieds, alors que chez certains elle semble marcher sur la tête !
Gödel, un logicien s'il en est, croyait, dit-on,
RépondreSupprimervoir
https://aeon.co/essays/kurt-godel-his-mother-and-the-argument-for-life-after-death
à Dieu et à la vie éternelle, par un argument quasi leibnizien: si le monde est rationnel (et Gödel pensait qu'il l'est), il doit avoir été créé par un être parfait ( il proposait une preuve ontologique). Mais on peut admettre la prémisse, sans admettre la conclusion. La rationalité du monde me semble plutôt un argument en faveur de l'athéisme...
Je vous rejoins tout à fait sur ce point ! Ça me surprend toujours (quoique moins qu'à l'époque, les années passant) les "grands esprits" mathématiques qui tombent dans ce genre de paralogisme. Qui plus est lorsqu'ils sont logiciens !
SupprimerJe suis tout à fait athée, mais je conçois l'athéisme comme une conséquence du matérialisme. C'est pour cela que je tique toujours lorsque je vois des formes de rationalisme idéaliste : elles ne me semblent jamais pleinement... rationnelles.
Bien à vous,
Pour répondre mieux que ci dessus à votre objection selon laquelle la raison selon Benda semble tomber du ciel, je dirai qu'en effet c'est souvent chez lui le soupçon qu'on peut avoir, surtout quand il l'invoque à des fins polémiques. Sinon, et sans commenter Benda , je dirais qu'il peut bien y avoir des principes premiers, non démontrés car primitifs, objets d'une intuition et qui sont des normes, sans que ce soit mystérieux ou divin ( j'explique cela dans mon Manuel rationaliste). Quant à Benda, je l'ai assez commenté dans mes livres sur lui, je n'y reviens pas. Ce billet visait surtout à corriger les erreurs de Niall Ferguson.
SupprimerMerci pour cette précision.
SupprimerVos deux livres (Les vices du savoir, le manuel rationaliste) m'ont beaucoup appris et cela a été un vrai plaisir de les lire. Je me souviens de quelques désaccords, notamment dans les Vices sur le caractère immuable de certains principes et dans le Manuel sur l'engagement métaphysique sur la raison figurant programme pour un rationalisme contemporain. Cependant, pour que je les expose clairement et distinctement, il faudrait que je relise de manière approfondie vos deux ouvrages. Et que je murisse quelques connaissances touchant à la logique linéaire (suivie de la syntaxe transcendantale, vous devez suivre cela) et à la théorie du matérialisme (deux très bon ouvrages français là-dessus : "La philosophie ?" du regretté L.S, et "Qu'est-ce que le matérialisme ?" de P.T).
Cela prendra sans doute quelques années, mais c'est un vrai plaisir de réfléchir à ces questions.
Bien à vous,
Autant je partage l’idée qu’il doit y avoir des principes absolus, et que le respect de la vérité et de la justice en fait partie, autant je ne comprends pas bien en quoi la réponse citée de Claudine Gay serait en contradiction avec cela. La question qui lui a été posée n’était pas : « Est-ce que c’est mal d’appeler à un génocide ? » On lui demande si un propos tombe sous la catégorie du harcèlement ou de l’intimidation, au sens que les règlements de Harvard peuvent donner à ces termes, et sa réponse revient à dire, si je la comprends correctement, que le seul contenu du propos n’est pas forcément suffisant pour cela, et qu’il faut ajouter des éléments de contexte comme le fait de « cibler un individu ». Se trouve donc en jeu l’interprétation qu’il faut faire d’un concept juridique ; celle qu’en fait Claudine Gay est peut-être fausse, mais elle ne consiste pas à nier le caractère absolument condamnable de l’appel au génocide. Ne pourrait-on pas aller jusqu’à renverser l’argument, et dire que c’est justement un principe absolu que de respecter le sens exact des catégories juridiques ? Ce qui implique de ne pas en faire une interprétation « élastique » simplement pour pouvoir punir un propos condamnable par ailleurs.
RépondreSupprimerpeut être que je ne comprends pas bien votre objection, mais voici.
RépondreSupprimerJe suis d'accord sur le fait que la question posée à la présidente de Harvard (et à ses collègues du MIT et de UPenn) n'était pas celle de savoir si c'est mal d'appeler à un génocide, mais celle de savoir si la présidente d'une université peut, sans réagir, laisser un individu ou un groupe appeler à un génocide sur son campus. Elle répond que cela dépend du contexte, donc qu'il y a des contextes ou on a le droit de le faire. A ma connaissance et en lisant les comptes rendus de la séance au Congrès, il n'était pas question de harcèlement ou d'intimidation. Ce qui était biaisé dans la question était qu'il n'y avait pas eu d'appel au génocide explicitement, mais juste des slogans tels que "Palestine libre de la Cisjordanie à la mer" qui semblent impliquer la suppression d'Israel. C'est la sénatrice républicaine qui a employé le terme génocide , évidemment pour pièger Claudine Gay. Celle ci aurait du dire , tout en remarquant que le terme "génocide" n'a pas été employé: "Il n'est en aucun cas acceptable d'appeler au génocide de quelque peuple que ce soit sur mon campus, et d'ailleurs personne n'a employé le mot génocide ou appelé au génocide en d'autres termes et je n'en ai pas eu connaissance". Elle dit au lieu de cela: " Cela peut être acceptable , et cela dépend du contexte". Si cette déclaration a fait tant de bruit et a été condamnée par tous les observateurs, y compris le board de Harvard, c'est bien parce qu'on ne l'a pas interprétée comme étroitement juridique. Or so it seems.
Si l'interdiction du génocide vient de la définition commune claire du terme, et si génocide implique son caractère intentionnel, alors il dépend bien des circonstances : c'est à dire qu'il y a suffisamment de conditions objectives pour qu'un peuple ne soit pas par exemple "poussé" par la nécessité de la survie à en massacrer un autre pour s'accaparer des ressources vitales dont l'accès serait devenue drastique (certes le groupe pourrait toujours s'y refuser et choisir de se sacrifier, m'enfin peu réaliste...). Ce que je veux dire : c'est que le sens du terme génocide par son caractère intentionnel implique d'entrée de jeu au moins un "type" de contexte : celui de ne pas être acculé par la nécessité.
RépondreSupprimerL'interdiction du génocide pourrait bien être absolu, tandis que le sens même du terme génocide est tributaire de conditions. Le principe est alors absolu mais pas sans conditions ?
RépondreSupprimerOu s'agirait-il de distinguer les conditions de réalisation du principe des conditions de sa signification ?
RépondreSupprimerIl y aurait des conditions nécessaires mais non suffisantes qui cadrent le principe, mais un choix décisif quant à le poser comme catégorique. Il demeure curieux toutefois que l'inconditionnel irréductible émerge au moins pour partie de conditions.
RépondreSupprimeroui certes "génocide" dépend en partie des conditions historique. Mais le point en cause dans l'affaire de Harvard n'était pas dans la définition du terme, ni même dans la réalité de sa dénotation. Il était : fait il partie de l'usage légitime de la liberté d'expression sur un campus qu'un groupe y appelle au génocide? Un président d'université devrait dire: non. et même si le premier amendement peut l'autoriser, la réponse "Cela dépend du contexte" est hautement contestable. Elle l'est juridiquement, mais - et c'était le sens de mon allusion à Benda- surtout inacceptable du point de vue bendesque , si on comprend la Trahison des clercs. Même l'auteur de l'article que je citais, Niall Ferguson, comprenait cela de travers.
RépondreSupprimerNe pas torturer un nourrisson semble une règle morale absolue. Il y a là sans doute quelque chose lié à la condition propre d'humain. En revanche, ne pas tuer un nourrisson est une règle dont on peut aisément trouver des exceptions dans un cadre socio économique beaucoup plus dur. Il me semble tout de même que l'absoluité de la règle morale n'est pas toute de nature sans pour autant être toute culturelle.
RépondreSupprimerCertes, et c'est bien pourquoi A modest proposal nous choque. Mais je ne parlais pas de çà dans ce billet. Je parlais de liberté académique.
RépondreSupprimerJe viens de lire votre réponse et je vous en remercie. S'il s'agit de la question ici de la légitimité ici de l'usage de la liberté d'expression, je suis certes d'accord avec le fait que non. Quant à savoir si cela relève d'une loi morale absolue en soi, je ne sais, mais que nous la suivions ainsi .... et à juste titre, je ne le conteste pas, mais j'admets ne pas être que clair sur cette question du fondement absolu éthique. En gros : est-ce d'abord son objet qui justifie le refus ou le refus qui oriente la conception morale que j'en ai ? Je ne prétends pas qu'il y a ici de réponse simple unilatérale.
RépondreSupprimerBon, je commence seulement à découvrir ce que vous écrivez. Il vaut mieux sans doute que je vous lise d'abord davantage. Encore merci.
RépondreSupprimerIl ne m'est pas facile de répondre aux commentaires quand ils viennent de lecteurs nommés "anonyme" ou "inconnu" car je ne sais pas si ce sont la même personne et si c'est le même fil des réponses. Mieux vaut se donner un pseudo dans le genre "X" ou "Y"
RépondreSupprimerCela étant dit, d'accord avec M. Anonyme.
Il s'agissait bien de la même personne, maintenant vous saurez qui.
RépondreSupprimerY'aurait-il d'ailleurs un ouvrage de vous que vous pourriez m'indiquer qui aborderait précisément cette question de l'universalité de l'éthique, disons dans le sens où elle s'articule certes à l'épistémologie mais peut-être aussi s'en distingue ... ? C'est un sujet qui m'interpelle et j'aimerai mieux comprendre votre position à ce sujet.
RépondreSupprimerJe n'ai pas écrit sur l'universalité de l'éthique, du moins si par là vous voulez dire le principe d'universalisation des jugements moraux (qu'on formule le plus souvent avec l'impératif kantien, mais qui peut se formuler aussi avec une version utilitariste. J'ai écrit sur les relations éthique/ épistémologie dans Les vices du savoir (2019)
SupprimerPour être plus clair sur ma demande, ce qui m'intrigue et m'intéresse particulièrement chez vous, pour ce que j'en ai compris jusqu'à présent : c'est la défense de la possibilité d'une universalité stable d'une vérité morale a minima (et donc, j'imagine, d'un fondement discernable), et ce sans appel à une transcendance religieuse, sans relativisme culturel, sans réduction au scientisme (mais vigilant à s'articuler à la rigueur scientifique), ni non plus à l'utilitarisme ? Je me demande jusqu'où cela peut tenir le cap de la clarté et avec quelle nuance si nécessaire (entre axiome et règle par exemple). Et j'arrête là, parce qu'en effet je sors sans doute ici trop du sujet exact que vous exposiez.
RépondreSupprimeren effet je défends l'idée de vérité morale universelle indépendamment de toute vérité religieuse. Je ne suis pas très original en cela ! C'est un peu ce que toute la tradition kantienne soutient, de Kant lui-même à Richard Hare , à Rawls et à Parfit. Mais je ne souscris pas à la lettre kantienne, en particulier sur l'impératif catégorique.
RépondreSupprimerMais si vous n'êtes ni dans la déontologie éthique ni l'utilitarisme, serait-ce plutôt celle dite des vertus ou encore autre chose ?
RépondreSupprimerC'est un peu long à expliquer sur un blog, dans lequel je me contente d'allusions, et qui est destiné à titiller plus qu'à débattre, même si, comme vous voyez, je réponds. Dans le livre Vice du savoir, vous avez une réponse.
RépondreSupprimerVotre position n'est donc peut-être pas si dépourvu d'originalité, hé hé. Je ne manquerai pas de lire l'ouvrage. Merci pour le temps pris à me répondre.
RépondreSupprimervous êtes trop aimable
RépondreSupprimerJ'ai conscience que mes questions ne portent pas sur le sujet précis que vous exposez, bien qu'elles lui soient liées, disons que je m'interroge et suis gêné, peut-être trop vite plutôt que de pousser davantage dans mes lectures en cours, vous me direz si cela vous paraît opportun ou encore trop précipité.
RépondreSupprimerNe pourrait-on rapprocher la conception de Benda avec le réalisme moral de Moore ? Dans la mesure où je ne fais pas déjà fausse route, cela me pose une difficulté ... entre l'idée d'un bien absolu non réductible au naturalisme et le fait qu'il ne soit pas définissable en lui-même sans recours a minima à ce qui s'en manifeste ...?
D'un côté, j'y pressens une remise en cause féconde de certains automatismes contemporains, dont je ne suis d'ailleurs pas entièrement dépourvu, pas plus cependant que je n'en suis satisfait. De l'autre, il y a cette difficulté récurrente dont il ne m'est pas si facile de me déconditionner dès que j'essaie d'envisager un réalisme moral qui ne soit pas que naturaliste, ni relativiste (même si oui j'admets qu'il y a peut-être quelque chose de non réductible, par la spécificité de l'esprit humain). Entre l'idée de valeurs absolues et celle d'un réalisme disons plus naturaliste qui semble parfois d'une terrible neutralité indifférente, il y a un reste de friction de résistance qui me gêne, que je ne suis pas sûr de pouvoir résoudre tout à fait, cela me semble exiger un degré de détachement tout en ne virant pas au renoncement, dont je vois certes en partie la pertinence mais aussi l'exigence comme très difficile. Parfois la vérité morale me semble certes évidente, et d'autres fois d'une ambiguïté peu réductible du moins quant à son application possible (qui a aussi sa force d'évidence quand bien même ambiguë).
Oui, Benda est un réaliste moral. Cela a été exposé par P.Engel dans Les lois de l'esprit. Mais il peut aussi être considéré comme kantien.
SupprimerSi je ne réduis pas la morale à mon seul désir psychologique, ni à la causalité factuelle, on se demande alors de quel champ exactement procède la morale et comment elle s'articule ensuite au factuel, jusqu'où lui est-elle liée indépendante ou autonome (Cela peut-il se relier à ce que Popper appelle le 3ème monde, ou Frege la 3ème sphère, voire encore l'esprit transcendantal de Kant -même si Benda me semble plutôt défendre une transcendance directe vers l'en soi ? Et j'admets ne pas toujours bien saisir les frontières et liens entre monde phénoménal ou physique et connaissance objective et dimension subjective ... mais surtout ici entre objectivité épistémique et morale... ) ? S'agirait-il d'admettre une spécificité de la nature humaine comme non réductible à la nature (le droit naturel des Lumières n'étant pas que naturel au sens basique, non ?)? Ou alors pencher vers le "monisme anomal" de Davidson, que la réduction demeure possible en principe, quand bien même elle ne ne l'est pas dans l'état actuel de nos connaissances ?
RépondreSupprimerCertes ce n'est pas un naturalisme
SupprimerMais n'y-a-t-il pas alors tout de même rationnellement un moment où cette dernière (la nature basique) l'emporte sur l'absoluité de la valeur, et si elle en conditionne l'application, n'en conditionne-t-elle pas aussi le principe (la valeur morale est-elle indépendante de sa réalisation en application dans la réalité naturelle ? Ou plutôt le principe n'a pas de lien nécessaire à sa réalisation ? Serait-ce une question de degrés quant à leur liaison en fonction du possible ? Serait-ce un idéal qui serait au moins compatible en droit au réel naturaliste, et devrait l'être je suppose, quand bien même il ne s'y concrétiserait pas ?) ? N'y-a-t-il pas un risque d'abstraction trop grande de la morale ? D'un autre côté, j'admets aussi qu'il y a chez Benda un degré possiblement convaincant de libération d'un certain diktat de la factualité qu'on prend souvent pour une fatalité, là où elle ne l'est pas toujours, bien qu'elle puisse parfois l'être ... Jusqu'où le principe moral demeure clair, incorruptible, et indépendant de sa réalisation ou non , voire du pragmatisme (jusqu'où le rationalisme de Benda admet un lien nécessaire à le considérer ou une différence détachée avec celui-ci. Je me demande souvent ce qu'il répondrait, vous savez, dans certains cas de dilemme moral ...)?
RépondreSupprimerPour faire court : je me demande s'il n'y a pas une position du milieu entre essentialisme et particularisme moral. Mais le souci de la nuance présente aussi le risque d'un mitigisme pas toujours indiqué ?
RépondreSupprimerle particularisme moral s'oppose au généralisme, pas à l'essentialisme
SupprimerEn effet, un kantien rejette l'idée de dilemme moral: obligationes non colliguntur. Mais quand vous commentez Benda à quel texte vous référez vous?
RépondreSupprimerJe suis en train de lire La trahison des clercs (j'en suis à la moitié) mais vos réponses me font comprendre que je vais trop vite et fais encore pas mal de confusions. J'avais bien l'idée de confronter la pensée de Benda à une situation censée poser un dilemme moral, mais sans doute je dois davantage lire d'abord. Je me disais bien qu'il était assez proche de Kant, mais autant je reconnais que l'éthique ne peut se réduire à l'utile uniquement, autant son impératif catégorique ne me convainc pas complètement. Merci pour vos indications. Si je parviens à mieux saisir Benda, alors j'essaierai de cibler ma question de façon qui soit plus claire et précise.
RépondreSupprimerLa critique que fait Benda d'une certaine modernité rejoindrait celle qu'on peut faire à propos du postmodernisme. Le problème aurait été notamment de privilégier l'intérêt, voire le bien-être (et ce qu'il connote d'affect plus individuel), derrière l'apparente noblesse des motivations politiques, au détriment de la vérité commune. L'intérêt général ne pouvant fonctionner au même régime que celui partisan et conflictuel, ni se résumer à l'aménagement opportuniste des petits intérêts de chacun ? C'est aussi la difficulté à comprendre que la vérité morale ne se réduit pas à la recherche de son bonheur. D'un autre côté, jusqu'où peut-elle en faire abstraction ? Le devoir ne semble pas plus mené par le désir qu'il ne peut intégralement s'en passer. Ce qui est curieux tout de même : c'est qu'on ait fini par associer à ce point relativisme et liberté, genre : ne pas s'enfermer dans un dogme, là où ce relativisme nous renvoie sans doute d'autant plus à une dépendance à des conditions contingentes. C'est retrouver le chemin d'une conception plus classique qui n'est pas si évident quand on s'en est tant éloigné (et le milieu et la génération d'où on vient joue un rôle) mais oui j'en sens la pertinence et l'éclaircissement, et pas seulement sur le plan épistémique, philosophique, politique, mais aussi celui psychologique... Mais il y a un tel chantier de travail et je m'y prends un peu tard !
RépondreSupprimerEt... est-il humainement accessible de parvenir à une conception infaillible des principes moraux ?
RépondreSupprimeroui. Prenez les impératif kantiens.
SupprimerIl me semble par exemple que la problématique écologique et ce qu'elle risque d'entraîner par la raréfaction des ressources disponibles a de fortes probabilités d'acculer l'humanité à certains dilemmes moraux. Une sélection extrêmement dure en fonction de la nécessité peut-elle encore prétendre à un universalisme moral ou aurait-elle justement à reconnaître sa dépendance au contexte ? A moins qu'on ne se refuse à ce type de sélection quelqu'en soient les conséquences (par exemple, se refuser à sacrifier un pan de population quand bien même cela impliquerait un risque pour la survie de la majorité ) ?
RépondreSupprimer«Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle»
SupprimerD'abord, merci encore une fois, j'ai conscience que ma façon de faire doit prendre souvent des raccourcis discutables pour vous. Si j'ai compris : il serait donc hors de question de sacrifier quelques uns pour le bénéfice d'une majorité. Ce qui m'apparaît fort cohérent en principe en effet et oui, pourquoi pas. Il n'en demeure pas moins que sacrifier l'ensemble plutôt que trahir la règle quelle que soit la situation m'apparaît à la fois comme oui digne d'estime, difficile en application et donc toujours susceptible de débat. Alors ici je n'ai certes pas tous les outils techniques de compréhension (notamment sur les tropes... pourrait-il y en avoir des moraux ?), mais je me demande encore une fois si le plus sage ne demeure pas une forme de milieu entre universalisme et nominalisme quant au principe, reconnaître la pertinence d'une... tendance et la difficulté à l'établir comme definitive. Mais je reconnais que ma position demeure très critiquable quand il s'agit de trouver ce qui serait le plus à même de guider pour prendre une décision.
Supprimerje n'ai pas dit cela
Supprimerces discussions n'ont de sens que si on définit les termes.
Les termes du contexte ou/et du principe ? Ou plutôt du principe en contexte ? Dans l'exemple de Harvard que vous donnez, il ne me semble en effet guère contestable que la limite à la liberté d'expression en ce sens ne soit pas relative au contexte. En revanche, dans le contexte que je proposais, il me semble qu'un principe devient plus difficilement indiscutable, justement parce que son application procède aussi des conditions de possibilités que pose le contexte. Il semble qu'il y aît de nombreux cas où ni nos principes ni leur contexte ne suffisent à déterminer clairement l'action morale la plus indiquée (un autre exemple classique : se refuser de torturer quelqu'un quand bien même ce serait pour sauver un nombre important de vies... quelqu'en soit le nombre ? Etc). Si Kant rejette l'idée de dilemme moral, je suppose qu'il est toujours sûr que le principe suffit pour lui indiquer l'application juste et sans failles quelque soit le contexte?
SupprimerA moins que Kant n'envisage le devoir de s'abstenir d'agir quand la résolution morale n'est pas claire ?
SupprimerOu bien encore...qu'on pourrait toujours décider d'agir mais que ce ne serait plus moral à proprement parler dès qu'il y aurait incertitude ? Bon, là, ça me paraît tiré par les cheveux... Je ne cherche pas à polémiquer hein, j'essaie juste de comprendre.
SupprimerBon, il est possible que je fasse fausse route : admettons simplement que si on ajoute à "loi universelle" "en fonction de l'estimation et l'application possible", alors ça collerait..., même si j'ai l'impression que la déontologie y prend quelque couleur plus pragmatique.
Supprimeroui les principes valent quels que soient les contextes. sans quoi c'est pas des principes. Mais leur application peut être discutable, si on invoque d'autres principes.
SupprimerMerci, c'est ce dont je voulais m'assurer. Cela peut paraître certes du simple bon sens, mais dans son débat avec Constant, je n'étais pas bien sûr de pouvoir suivre Kant sur tout (même si après prise de renseignement : il semble lui-même avoir affiné un peu sa position stricte plus tard ). Et je souhaitais mieux comprendre votre avis. D'ailleurs, j'aurais dû me souvenir que lors d'un de nos premiers échanges, vous m'aviez précisé que vous ne suiviez pas l'impératif catégorique à la lettre (et il y a aussi une sorte de nuance qu'on peut retrouver au sein même de l'intransigeance de Benda : car s'il privilégie l'éternité des valeurs, il n'en demeure pas moins attentif au contexte de son époque. Par exemple, lorsqu'il pourfend le nationalisme étriqué, mais reconnais qu'il irait jusqu'à s'allier à ses pires adversaires intellectuels si la France devait être menacée -mais certes pour les valeurs universelles qu'elle est sensée porter ... L'absence de compromis n'exclut pas néanmoins l'adaptation à ce qu'exige la situation.). Je me permets de rajouter que le contexte, s'il ne détermine pas les principes, conditionne en partie quelque chose de leur application et surtout de leur nécessaire mise en relation (puisque de prime abord l'interdit du mensonge et le devoir d'assister une personne en danger n'ont rien d'incompatibles en eux-mêmes, mais peuvent être amenés à se hiérarchiser ou à se nuancer entre eux, selon le cas du fameux exemple donné par Constant/Kant). Il semble aussi que le réalisme moral de Moore soit davantage conséquentialiste que Kant ? Et s'il devait y avoir encore erreur, approximation ou précipitation de ma part, je reste toujours volontiers preneur (et même demandeur) de corrections, dans la mesure bien-sûr de votre disponibilité et de ma compréhension.
SupprimerDésolé de revenir sur le sujet mais j'ai une question précise. Si les principes moraux valent absolument, ils devraient valoir ÉGALEMENT en importance et donc se coordonner pour tout contexte, et non pas selon un ordre où un principe pourrait s'avérer prioritaire à un autre (pour rappel : assister une personne en danger plutôt que de ne pas mentir), non ??
Supprimerje ne vois pas pourquoi il n' y aurait pas priorité. Et puis cela dépend de ce que vous entendez par"priorité". Sans doute aussi faudrait il comprendre ce que veut dire "valoir" , et appliquer un principe. Ne pas tuer vaut il si un malfrat armé vous menace avec son flingue et s'apprête a vous tuer?
SupprimerEt non justement, c'est bien le problème il me semble, il y a bien la question du contexte. De même quand "priorité" d'un principe mène à exclure, au moins pour un temps, le respect d'un autre principe. Si le principe par définition ne dépend pas du contexte, "valoir absolument" par définition ne devrait pas non plus admettre le caractère possiblement discutable de son application selon le contexte (à moins que "valoir absolument" signifie autre chose que son respect catégorique en tout contexte ?). Or, on semble davantage dans un postulat ou une règle dispositionnelle tendancielle générale certes valable pour de nombreux contextes mais susceptible de nuance et d'exception, voire de remise en cause, plutôt qu'un pur principe absolu. Le contexte me semble au moins autant que la règle conditionner l'application. Je ne dis pas que le contexte conditionne entièrement la règle, mais la règle ne détermine pas tout de l'application. Peut-être que la règle morale a une origine qui n'est pas que contextuelle mais le contexte ne se réduit pas non plus à la règle par laquelle je l'appréhende pour partie. On peut distinguer jusqu'à un certain point le principe du contexte d'application, mais séparer nettement le principe en pure abstraction indépendante de tout contexte me paraît douteux. Dire que le principe ne dépend pas du contexte et admettre qu'il peut être discutable en application ressemble tout de même à un drôle de grand écart. Mais c'est peut-être que je comprends mal, et je ne demande pas mieux alors à ce qu'on m'explique. C'est la définition même du principe moral comme absolu et donc la notion même de principe au sens classique qui ne m'est pas toujours claire. À la rigueur, on pourrait peut-être remarquer que le principe moral se nuance souvent lorsqu'on est face à quelqu'un qui ne le respecte pas. Ne pas nuire à autrui a effectivement ses limites lorsque c'est face à quelqu'un qui veut nuire à autrui, justement. Et l'empêcher de nuire peut impliquer d'avoir à lui nuire, on pourrait certes le faire de la façon la plus mesurée et maîtrisée possible, mais c'est aussi en fonction du possible. Ni le principe ni le contexte ne se réduisent totalement l'un à l'autre, mais ils semblent difficilement envisageables l'un sans l'autre. Il s'avère également difficile de parvenir à dégager un ensemble systematisé hiérarchisé de principes moraux fixé une fois pour toutes et qui vaudrait définitivement pour tout contexte. Même s'il y a bien tout de même des tendances générales, des dominantes récurrentes, je ne le nie pas. Et il y a aussi la difficulté d'estimer toujours clairement la possibilité d'application, possibilité de demeurer morale (le purisme moral pourrait-il paradoxalement s'avérer avoir des conséquences pas toujours si morales ? Mais j'admets que le relativisme systématique n'est pas plus satisfaisant.) ou simplement de capacité factuelle (mon degré de responsabilité libre dans l'application ou pas que ...), mais là on rejoint un problème d'évaluation épistémique et plus seulement morale. Que ce soit clair : je cherche moins la polémique qu'au moins mieux comprendre votre position, quand bien même nous ne serions au final pas d'accord.
SupprimerLe raisonnement que vous tenez – sur l'importance du contexte dans (i) l'application d'un principe (ii) la valeur de ce dernier – constitue (à mon humble avis) un point faible du rationalisme de l'auteur.
SupprimerC'est ce que j'écrivais plus haut. Lorsqu'en s'appuyant sur la pensée de Benda, on écrit qu'un principe "vaut absolument" (sans toutefois préciser exactement ce qu'on entend par "valoir"), il me semble qu'on nie également que le contexte puisse déterminer la non-application d'un principe. Mais certains rationalistes estiment sans doute que ne pas admettre cela, c'est mettre le doigt dans un engrenage dangereux (parce que conduisant à un supposé "relativisme").
C'est pour cela que je notais, avec sarcasme, que c'était sans doute Dieu-le-père qui avait persuadé Benda de l'idée qu'un principe "vaut absolument". À nouveau : qu'en savons-nous réellement ?
À partir du moment où l'on admet qu'on ne peut pas réfuter logiquement la thèse selon laquelle le contexte peut déterminer l'application d'un principe, on doit admettre qu'il y a bien une régulation causée par le contexte – régulation qui, dans certains cas, hiérarchise les principes moraux, ce qui conduit à la non-application de certains par l'applications de certains autres.
Ainsi, le rationalisme de Benda me semble surtout idéaliste et bien peu rationnel. Je veux dire : derrière le raisonnement, il est clair qu'il y a une "position de principe" (c'est le cas de le dire!) qui n'est pas basée sur des arguments mais sur un sentiment. Mais seul un rationaliste peut pleinement savourer cela.
Ou alors il faudrait que la sélection puisse se baser sur une évaluation du mérite qui ne dépende pas de contingences ? Mais ne faudrait-il pas alors s'assurer d'abord de conditions de départ qui soient équitables pour qu'une sélection soit juste ? Ou bien encore... un universalisme moral qui prendrait en compte l'irréductibilité de certaines contingences est-il possible sans se contredire ? Bref, ça m'apparaît tout de même très complexe à l'application.
RépondreSupprimerPour reprendre l'exemple du mensonge chez Kant, le principe absolu de vérité vaudrait absolument mais il pourrait y avoir une hiérarchie de priorités selon le contexte, par exemple : assister une personne en danger devenant prioritaire au principe de ne pas mentir ? Ce qui est curieux, c'est que le principe vaille absolument mais que son application puisse varier dépendre du contexte. Il s'agirait de tenir la distinction de la vérité morale comme principe et celle en application possible en comprenant qu'il n'y a pas là dualité mais différence de champ ? Cela me semble certes mieux nous guider mais ne nous garantit pas de l'erreur.
RépondreSupprimervaste question.
RépondreSupprimerSi je me suis trompé ou me montre trop imprécis pour vous, je tente une ultime fois une proposition, au cas où cela vous apparaîtrait comme plus sensé et conforme à ce que veut signifier Kant, sinon je n'insisterai plus : c'est peut-être que Kant ne prétend pas que le principe moral nous donne toujours les modalités complètes de l'application juste, mais qu'il en donne au moins le cadre, les conditions nécessaires incontournables à considérer quel que soit le contexte, mais pas obligatoirement suffisantes à tout déterminer systématiquement de l'action la plus indiquée ? L'interdiction du mensonge serait un repère général mais qui n'interdit pas l'adaptation selon la spécificité du contexte (par exemple : le principe de ne pas mentir est absolu à condition qu'il n'expose pas à un mal plus grand) ? Suis-je ici plus proche de ce que veut dire Kant ? Et si vraiment je vais encore trop vite, alors ok laissons tomber.
RépondreSupprimerJe me permets une toute dernière intervention sur ce sujet, par un exemple que j'ose croire cette fois plus précis et pertinent. Vous en jugerez.
RépondreSupprimerUn point qui m'a longtemps rendu soupçonneux sur la notion de principe, et fait perdre de vue sa pertinence propre, c'était aussi mon scepticisme quant à la nature humaine sur sa réelle capacité à se montrer à la hauteur en application. Kant rappelle cependant fort justement que ne pas appliquer le principe moral n'empêche pas qu'on ne puisse pas pour autant prétendre l'ignorer comme principe (et la nécessaire possibilité d'application qui va avec). Je crois que ce qui dérange pas mal de gens dans le caractère absolu du principe, c'est qu'il implique de ne plus pouvoir plaider son incapacité (à l'impossible, nul n'est tenu...) mais de reconnaître son propre degré de responsabilité dans le manque d'application du principe là où on "aurait dû" (et pû) ... Mais c'est alors sans doute restituer le poids d'une culpabilité qu'on cherche plus souvent à nier qu'à résoudre - ou ne serait-ce déjà qu'à reconnaître ... Reste que si l'application morale n'est pas impossible, elle peut s'avérer difficile. J'ai entendu le témoignage d'un officier ukrainien sur le front, et honnêtement : il y avait dans son propos -et son regard et le ton de sa voix...- quelque chose qui ne "sentait" pas le relativisme facile, mais une expérience qui semblait revenu de tout manichéisme facile. Qui n'avait pas renoncé à sa détermination mais avec quelque pointe à la fois de fébrilité et de lassitude désenchantée ...
La marge d'autonomie de mon comportement moral (en application) ne me semble cependant pas totalement indépendante de l'intention d'autrui, surtout dans une situation extrême de guerre, mais remarquons : elle ne lui est pas -par définition bien-sûr- non plus dépendante en tous points (par exemple, prisonnier russe ou ukrainien, il s'agit ensuite de le faire parler... mais certains refusent d'employer n'importe quel type de méthode, quelle que soit l'utilité potentielle de l'information soutirée... et le risque, excusez le prosaïsme de l'expression, du "trop bon, trop con"... Mais ce refus, en conscience non naïve et assumant les éventuelles conséquences , est quoi qu'il en soit d'une noblesse morale indéniable. D'autant plus à la tenir en face de certains qui auraient moins de scrupules...).
RépondreSupprimerMais il y aussi le devoir, hautement difficile sur un front de guerre, de courage : et sa mise à l'épreuve non seulement sous le feu, mais aussi sur la durée... Et la fatigue, et les moyens... La disposition de départ est une chose, l'application en continuité une autre, rappelait cet officier entendu. Ici se mesure la question non seulement de sa conviction mais de sa capacité. On pourrait se demander jusqu'où un principe moral engage l'intransigeance ou l'indulgence (un lien à prendre en compte donc avec la connaissance juste de notre limite objective pas toujours qu'évidente)... L'héroïsme sacrificiel peut être admirable et le signe d'un intérêt qui ne se réduit pas à son petit individualisme, mais il peut parfois aussi être vain et surtout désespéré... Le devoir militaire (mais qui est déjà moralement intrinsèquement sur le fil...) implique aussi de ne pas perdre de vue la question de son efficience. "J'ai moins besoin de héros et de bonnes intentions que de bons soldats et de munitions..." dixit l'officier (en gros, de mémoire, mais le sens y est).
Non pas qu'il négligeait l'importance dans sa motivation de la cause qu'il défendait, mais il s'agaçait un peu de l'insistance sur ce point du journaliste occidental, là où lui désirait davantage parler de son manque cruel de moyens (et dans une certaine urgence de celui qui a les mains dans le sang et le cambouis -qui collent et ne sont pas toujours inodores...).
je crois que nous nous égarons. Je n'ai pas prétendu écrire un billet sur les obligations morales.
SupprimerBref, je me demande si le réalisme moral de Moore, qui m'apparaît plus conséquentialiste que celui de Kant, ne nous rappelle pas en passant à une vigilance plus indiquée, sans rien enlever à la pertinence de Kant mais peut-être en la nuançant ? Dans la mesure encore où je ne me trompe pas sur la compréhension des deux.
RépondreSupprimerUn entrelacement, qui n'exclut donc pas leur spécificité propre ni leur nécessaire liaison, mais pas qu'aisément harmonieux, entre idée et incarnation, ou plutôt entre réalisme moral et celui plus naturaliste et neutre (aussi exigeants l'un que l'autre, mais justement en effet pas tout à fait réductibles l'un à l'autre).
Et j'arrête là, car j'ai encore de la lecture sur la planche..., et excusez pour la longueur, mais ça m'a paru ici plus judicieux et précis (?).
pourriez vous me dire quels passages de Moore vous font dire çà? En tous cas Moore parle du bien comme valeur, alors que Kant parle de devoir et d'impératifs.
RépondreSupprimerPour ce qui est de Moore comme plus conséquentialiste, cela ne vient pas en effet d'une lecture directe de l'auteur mais d'un commentaire le concernant (je dois pouvoir en retrouver la source en fouillant bien). Pour le reste, je pensais illustrer une relation entre principe et application, mais puisque vous dîtes que je m'égare, ok, je n'insiste pas.
RépondreSupprimerEt il est d'ailleurs tout à fait possible que j'ai mal compris le commentaire sur Moore et que je me sois trop éloigné du sujet que vous exposiez (qui il est vrai ne parlait que de la non dépendance du principe au contexte, quand je m'interrogeais davantage sur son rapport à l'application). Merci pour la précision sur la distinction entre bien/valeur chez Moore et devoir chez Kant.
RépondreSupprimerLe commentaire sur Moore vient du site Archives ouvertes HAL intitulé : L'utilitarisme idéal de Moore, un conséquentialisme non hédoniste, de Céline Bonnico-Donato. Je précise que j'y suis allé parce dans d'autres présentations, j'avais relevé qu'il était dit que Moore n'était pas tout à fait un intuitionniste moral et dans d'autres pas un conséquentialiste au sens habituel, et qu'ils semblaient cependant soit mettre l'accent sur le premier aspect soit le second (à moins encore une fois que je n'ai mal compris). J'ai eu l'impression alors en découvrant cet article qu'elle m'éclaircissait un peu sur ce point. Mais je n'ai jamais prétendu être sûr de ce que j'avançais, je me posais surtout la question. Et je ne sous-estime pas que j'ai à lire l'auteur dans le texte (seulement je ne peux tout faire en même temps alors même que des questions m'y renvoient ! Et je fais avec mon temps libre et mes moyens seuls face aux livres sans aucun cadre extérieur pour m'aider quand j'ai des difficultés). Il n'y a qu'à travers les exemples que je vous ai soumis que je donne plus proprement mon avis. Mais dont vous me dites qu'ils s'éloignent beaucoup trop du sujet. Ok, j'en prends bonne note, et désolé, j'ai cru à tort être suffisamment dans les clous, je n'ai pas eu conscience d'être à ce point à côté.
RépondreSupprimerpeut être les choses seraient elles plus simples si, au lieu d'éparpiller vos commentaires, vous les réunissiez en un seul. Vous avez raison de soulever ces questions, mais le billet "Benda à Harvard"portait sur la liberté académique et les responsabilités des intellectuels, pas sur les questions de l'éthique du devoir et des impératifs moraux. Ce sont des questions certes importantes, mais qu'un blogueur, même philosophe, ne peut entreprendre dans ce cadre.
RépondreSupprimerD'accord, je suis sans doute trop hors sujet. Non pas que je n'aurais rien remarqué de certains enjeux et dérives plus proprement actuels, mais je reconnais que je ne suis pas assez au fait de tout ce qui s'y passe et que je n'aurais donc rien à faire remarquer de mieux que ceux qui connaissent plus le sujet que moi (encore que par exemple le côté néo-lynchage ou autodafé de la "cancel culture" me hérisse assez spontanément...). Certes je considère, à tort ou à raison, qu'il y a un questionnement plus large inesquivable (sur principe et application en contexte) qui lui demeure lié d'après moi (ce qui ne veut pas dire que j'exclus la possibilité de me tromper de cible ou/et de façon de faire) et pourrait peut-être rejoindre ensuite de façon plus précise le débat. Mais cela demande sans doute en effet un détour trop vaste pour le format de ce blog.
RépondreSupprimerMême si ce questionnement reste d'après moi sous-jacent à ce qui se manifeste aujourd'hui, entre confusion et division de la sphère publique et privée, de l'universel et du communautaire/particulier, mais aussi de façon pour moi encore plus compliquée entre réalisme moral et naturaliste, quand ce n'est pas une drôle d'alternance des revendications par tantôt l'un tantôt l'autre, à travers surtout la prétention qui m'apparaît contradictoire de s'affranchir de tout réalisme tout en revendiquant la vérité morale. Qui prétend à la liberté en récusant sans plus d'argument les conditions mêmes d'un débat possible, là où il me semble légitime (je pense à l'affaire Kathleen Stock).
Quant à ma difficulté plus personnelle à m'y retrouver et à davantage trancher, elle tient sans doute au fait que je ne suis pas moi-même exempt de toute confusion : plus globalement, je n'arrive pas plus à suivre ce qui relèverait d'un pur essentialisme que d'un pur constructivisme, si je ne me trompe pas déjà sur l'enjeu en le simplifiant trop. Mais mon doute quoi qu'il en soit n'est pas une prétention à une sorte de réponse alambiquée, même si je suis souvent tenté à chercher l'éventualité d'une troisième voie, mais sans encore trop savoir moi-même jusqu'à présent s'il y a là possible pertinence de ma part ou égarement qui s'avèrera vain, je suis surtout au stade de l'interrogation non close, mais qui espère que cela ne relève pas uniquement d'une complaisance stagnante ou de la seule insuffisance de mon travail de réflexion. La difficulté de l'isolement social, c'est qu'on mesure sans doute assez mal les limitations exactes de sa place, de sa compétence, de sa progression possible et selon les sujets traités. Mais tout ça est justement encore une fois soit trop vaste soit trop personnel pour votre blog.
Je me rends compte tout de même qu'alors que je dois vous paraître depuis un moment quelque peu à côté de la plaque, vous n'avez jamais négligé mes envois, ce qui malgré mon incapacité à bien cerner votre exigence qui ne m'est pas que facile (surtout je crois parce qu'il me manque une certaine finesse d'appréhension des distinctions) me permet au moins de reconnaître une certaine patience et tolérance de votre part, dont je n'abuserai d'ailleurs pas, alors merci pour votre attention.
détrompez vous: vos commentaires sont intéressants, et je vous en remercie mais si nombreux et profus que le responsable du blog ne parvient pas à répondre à tous.
RépondreSupprimerEt dire que j'avais pourtant déjà dit ailleurs que je tâcherai de me montrer plus concis... C'est encore un peu raté pour ce coup-ci, j'ai souvent trop de questions qui se bousculent au lieu de me concentrer sur quelques unes, enfin ça dépend si je tiens ou non l'équilibre entre précision et portée de la visée je crois, mais c'est assez révélateur de mes contradictions, et vous n'aviez pas tort : un peu moins éparpillé ne serait pas du luxe ... Sans doute je dois réfléchir mieux sur la façon de m'y prendre avant d'intervenir trop vite. Alors peut-être une autre fois, en essayant de mieux me canaliser et en considérant davantage l'oreille de mon interlocuteur, et peut-être aussi parce que j'ai à apprendre quelque chose de l'approche et du rythme propre au blog - plutôt l'habitude de réfléchir et d'écrire seul, sauf exception parfois du mail quand ce n'est pas de son contraire : le sms ..., et sous réserve de ma réelle aptitude à bien demeurer cohérent en... application... !
RépondreSupprimerEt en passant, mes condoléances à ce pauvre Ange Scalpel, j'espère tout de même qu'il n'a pas trop souffert.
Peut-être que son prénom résonne enfin avec son devenir, maintenant...
RépondreSupprimerVous me rassurez en tous cas sur un point : je craignais assez prétentieusement que mes envois aient pû contribuer à l'aggravation de son état. ;-)
RépondreSupprimer(réponse aux divers commentaires). Quand je dis qu'un principe vaut absolument, je ne veux pas dire qui ne s'applique pas dans divers contextes. Je veux dire qu'il est vrai. S'il est faux, ce n'est plus un principe. Quant aux principes dont se réclame le rationalisme (celui de Benda ou autre), ils ne tombent pas du ciel : ils s'appliquent dans tous les raisonnements ordinaires, qu'ils soient théoriques ou pratiques. Dans chacun des cas, nous agissons ou jugeons pour des raisons ,qui ne sont pas subjectives. Si vous n'acceptez pas çà, en effet vous tombez dans le particularisme, le scepticisme, ou le relativisme dans leurs diverses formes.
RépondreSupprimerMerci pour votre précision. Il me semble qu'il y a deux difficultés dans ce que vous dîtes :
SupprimerL'une (i) découle de la définition de ce qu'est un principe. On m'a appris que c'était une proposition vraie qui ne peut être directement démontrée. Ainsi en va-t-il des principes de logique classique : tiers-exclu, bivalence, identité, non-contradiction.
L'autre (ii) tient au fait que vous semblez appeler principe une proposition qui a la forme d'une injonction morale, type : "Il faut respecter la vérité".
Concernant (i).
Vous ne faîtes qu'affirmer une tautologie : par définition un principe est vrai. La question qui est davantage pertinente à mes yeux n'est pas de savoir s'il est vrai ou non ("dans l'absolu"), mais dans quelle mesure. Et c'est là qu'on a affaire, il me semble, à des contextes – donc je ne comprends pas votre manie d'utiliser le terme "absolument". Ou alors, expliquez-moi dans ce cas :
(1) pourquoi il y a des logiques (intuitionnistes ou linéaires) qui peuvent se passer du principe du tiers-exclu. J'ai même entendu dans une conférence de 2005 ("Aspects géométriques du formalisme", disponible sur YouTube) donnée par le créateur de la logique linéaire que, dans certains systèmes formels, le tiers-exclu se révélait être faux. Mais peut-être n'était-il pas très précis (ce que je peux tout à fait admettre).
(2) Comment échappez-vous à la conclusion paradoxale (a minima) des futurs contingents relevée par Aristote. N'est-ce pas aussi là une preuve que les principes de bivalence et du tiers-exclu ne sont pas vrais "dans l'absolu", mais seulement dans des contextes qui excluent toute dimension temporelle ?
Concernant (ii).
Distinguons vérité d'un principe et applicabilité de celui-ci.
Considérons le principe suivant : "Il ne faut pas tuer d'autres êtres humains". Admettons que la vérité de ce principe n'implique pas qu'il faille l'appliquer dans tous les contextes (ce qui est clairement absurde).
La difficulté est ici : dans quelle mesure le concept de vérité s'applique-t-il à des propositions prescriptives et non descriptives ? Mais là, je ne vous ferai pas l'injure de demander une explication. Je vais relire vos ouvrages (Le Manuel et les Vices), c'est toujours une lecture instructive, stimulante et plaisante.
Bonne journée
un principe n'est pas un axiome, un axiome n'est pas une convention, et certains axiomes se démontrent, ou peuvent se révéler faux (ex la loi V de Frege). Certains principes sont faux, si on les montre tels. Alors on doit les abandonner. En effet il y a des logiques non classiques. Mais sont elles des logiques au même sens que la logique classique? En effet ces questions sont au centre de la philosophie, mais je vous renvoie aux bons manuels, pas nécessairement les miens;
SupprimerJe prends en compte cette dernière intervention mais reprend aussi sur celle de M. Entrain. Mes interventions furent d'ailleurs en effet en partie inspirées par les siennes ... Je continue néanmoins à m'interroger jusqu'à quel point la nuance n'est pas seulement à apporter du côté du principe, mais aussi à celui du degré de dépendance au contexte ... Lorsque je suis confronté à une façon de penser qui n'est pas celle qui a spontanément ma faveur, j'essaie tout de même de me demander quels seraient ses éventuels arguments que j'aurais sous-estimés, et ce n'est pas la position la plus facile et confortable.
RépondreSupprimerAu fond, j'ai l'impression qu'il y a deux possibilités principales philosophiques sur le sujet : par exemple, on peut dire que le principe d'équité, pris en lui-même, continue à valoir absolument, quand bien même on se retrouverait dans des conditions de limitation trop drastique de disponibilité des ressources pour pouvoir strictement l'appliquer (Bref que le mieux reste la répartition équitable quand elle est possible, quand bien même il arriverait qu'elle devienne impossible ... Imparable, du moins sur le plan de la logique de la définition, plus douteux sur le plan de sa portée empirique, il me semble. Du coup en effet, le principe d'équité m'apparaît devenir plus tendanciel que nettement absolu. Mais j'admets que ça reste discutable dans les deux sens. Selon qu'on intègre la condition de possibilité d'application au principe puisqu'il l'implique par définition, ou qu'on l'en distingue ... puisque la condition peut changer, ne permet pas toujours nécessairement la possibilité de l'application du principe ).
Bon, ici je me montre peut-être plus maladroit, mais je demande indulgence : j'essaie de montrer à égalité les arguments d'un côté comme de l'autre ... Et même si l'argumentation est incontournable, je pense que quelle que soit celle qui a notre faveur, elle ne peut pas reposer ultimement que sur la justification, qu'il n'y en a pas de définitive, du moins sur le plan philosophique le plus général. Il peut y en avoir des suffisantes, mais la difficulté est qu'il peut y en avoir de multiples... et pas forcément compatibles entre elles, sans qu'on puisse absolument définitivement trancher rationnellement sur la meilleure, ce qui ne signifie pas bien-sûr qu'elles se valent toutes, il y en a des clairement insuffisantes, et d'autres cependant où l'arbitrage ne peut pas procéder que de la raison entièrement justifiée. Du moins, je le crois, mais je reste ouvert à toute critique éventuelle. Je reconnais au moins que l'ironie éventuelle n'est pas plus réservée au rationaliste ou à l'idéaliste, qu'à celui plutôt conséquentialiste empiriste. On ne peut pas plus se passer de la notion de vérité qu'on ne peut en établir le contenu définitivement. Mais c'est un équilibre précaire à tenir que de penser ainsi. Comme disait Bouveresse, quand bien même ce que j'ai cru vrai jusqu'ici s'avèrerait faux, il n'en demeure pas moins que je l'ai cru vrai, et que tout caractère sensé implique la vérité. Formellement, la vérité est une condition nécessairement définitive. Mais établir son contenu exact comme définitif demeure discutable. Il me semble qu'il y a chez Bouveresse quelque chose d'intéressant qui se joue entre l'exigence rationaliste et la non résolution... métaphysique.
RépondreSupprimernous sommes (sauf erreur) partis de Claudine Gay, qui semblait dire que sur un campus universitaire le respect de la vérité et de la justice est affaire de contexte. Si je comprends bien, vous êtes d'accord avec elle.
RépondreSupprimerQue serait le respect de la vérité et de la justice sans son application ? Et le contexte joue bien un rôle dans l'application des principes. Ce qui ne signifie pas qu'ils dépendent en tous points du contexte et qu'ils ne peuvent pas en englober plusieurs.
SupprimerLe respect intransigeant de la vérité et de la justice n'a pas empêché Benda de commettre une erreur du même type que celles qu'il dénonçait si bien (et bel et bien sur un point de justice en application). Et pour le comprendre, le poids du contexte y est pour quelque chose.
SupprimerVotre billet n'aborde pas seulement le sujet précis que vous rappelez, ses dernières lignes vont bien plus loin dans la généralisation. Non seulement on ne parle pas uniquement de tel ou tel contexte (Harvard), mais pas non plus seulement de tel ou tel principe (l'interdiction de la liberté d'expression d'appeler au génocide), mais on affirme ce qui vaudrait pour tout principe..., du moment qu'il est un principe, et que cela serait auto-suffisant. Vous demandez souvent ce qu'on entend précisément par tel ou tel mot, mais revendiquer vérité et justice en pensant qu'il n'y a pas lieu de préciser lesquelles (quitte à prendre un exemple plutôt dans votre sens, parlons de la Déclaration des droits de l'homme, que je trouve remarquable, et voyons jusqu'où elle vaut indépendamment de tous contextes, ou à quel moment il est pertinent de la confronter à ses conditions concrètes d'application en contexte ...) ... Et quant à savoir si affirmer qu'un principe vaut absolument et est indépendant du contexte, sans plus préciser donc, est bel et bien une modeste proposition ... je vous laisse juge.
SupprimerCher Ange Scalpel,
RépondreSupprimerJe trouve que vous n'allez pas au bout – ce qui est cependant justifié et compréhensible, ce n'est qu'un blog, pas un débat lors d'un colloque.
Vous dîtes qu'il ne faut pas confondre axiome, convention et principe. Et là je trouve que votre propos va dans une direction qui m'est cher. Vous dîtes qu'un axiome peut se "révéler" faux, et qu'on peut "montrer" qu'un principe est faux. Et donc, vous admettez vous-même qu'il y a un lien entre la vérité (ou la fausseté) d'un principe et sa vérification. Or, tout ce que les rationalistes-matérialistes comme moi demandent, c'est que vous soyez conséquent avec cette thèse. Lorsque vous énoncez qu'un principe "vaut absolument" c'est-à-dire "est vrai" indépendamment du contexte, nous demandons simplement que vous proposiez la démonstration ou le raisonnement qui prouve cette vérité. Fors cela, vous êtes soit dans la pétition de principe, soit dans l'arbitraire de vos postulats. Ou encore : sans cette démonstration, vos postulats ne font que refléter votre subjectivité, alors que vous écrivez vous-même que nous agissons (et le discours raisonné est une action) en fonction de raisons qui ne sont pas subjectives. Eh bien, soyez cohérent !
Quand à la question des logiques non-classiques, hélas, je n'ai jamais pu accéder à votre article en anglais (malgré avoir tapé sa référence sur Google) mentionné dans votre Manuel, qui argumentait la priorité de la logique classique par rapport aux autres logiques. Si vous pouviez communiquer le lien je serai réellement heureux de le lire.
Je ne prétends pas que la logique classique est "moins bonne" que les autres, ou que celles-là serait meilleure que celle-ci. Qu'il y ait plusieurs logiques est un fait. Et ce fait nous montre manifestement que la logique classique n'est pas la norme universelle de notre pensée, sinon on pourrait tout re-traduire en son sein, ce qui n'est pas le cas. À ma connaissance, il n'y a aucun argument scientifique (ni logique, ni psychologique, ni épistémologique) qui fonde une priorité épistémique de la logique classique. Par contre il y a des arguments pratiques : c'est généralement celle que nous apprenons d'abord, et c'est la plus répandue.
Ce qui m'importait seulement avec cet exemple n'est pas de discuter la question que vous soulevez – à laquelle, encore une fois, nous n'avons pas de réponse concluante –, mais simplement de montrer que vos "principes" ne sont pas aussi absolus que vous semblez le prétendre par endroit. Mais si vous trouvez que le lien que je fais entre contexte (systèmes formels, dimensions temporelles ou non de la référence du discours) et principe est incorrect ou infondé, je serai ravi d'étudier votre contre-argument.
Bien cordialement,
eh bien, me voilà réfuté, à votre satisfaction,apparemment.
SupprimerJ'ai oublié un passage entre mes deux dernières interventions, le voici : ).
RépondreSupprimerJe voulais juste dire, ça n'a pas forcément vocation à être publié : il y eu pas mal de bugs informatiques de mon côté qui font que je ne suis pas arrivé à remettre le passage dont je parlais. Mais ce n'est pas important. Car j'espère en tous cas que tout ce souci argumenté de vérité objective, et intéressant d'un côté comme de l'autre, ne revienne pas au final à celui plus subjectif et étriqué de la satisfaction des egos. J'ose croire que non. Quand bien même ils leur arriveraient de passer par là et d'avoir leur mot à dire. Le souci moral ..., absolu ou non, demeure quoi qu'il en soit un beau et essentiel souci. Exigeant et pas toujours gratifiant. Et qui garde peut-être sa part de mystère irréductible qui lui est propre. Tant pis ou tant mieux, c'est selon. Alors certes il y a la nécessaire rigueur de la démonstration, tant qu'elle veille aussi à préserver " "visage humain" pour paraphraser un titre de Putnam.
RépondreSupprimerProposition : le principe moral est absolu, à la condition de la mesure claire possible de ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas, puisque le principe moral implique la responsabilité, mais que cette mesure claire n'est pas toujours possible, auquel cas le caractère moral de l'enjeu et d'autant plus la décision morale la plus indiquée ne peuvent être catégoriquement établis, ils n'ont plus alors de rapport strict direct avec le principe moral absolu. Donc : l'absoluité du principe n'implique pas son application toujours possible, l'impossibilité de son application en un cas spécifique n'exclut pas le caractère absolu du principe. Et cela même est valable pour le principe de la connaissance claire qu'il conditionne ou soit simultané à celui moral.
RépondreSupprimerDonc le principe implique par définition tous les contextes qui permettent le jugement clair de son application possible, mais exclut nécessairement les contextes où ce jugement s'avèrerait ambigu.
Ce qui articulerait indépendance et dépendance au contexte. Cela implique que le principe ne vaut pas pour les contextes où il ne peut s'appliquer clairement, mais n'empêche pas qu'il continue à valoir de par la possibilité des nombreux contextes qui permettent son application. Le contexte permet ou ne permet pas l'application du principe. Qu'il s'applique ou non, le principe demeure valable dans le sens où il implique dans sa définition tous les contextes qui permettent son application, et que nécessairement il existe des contextes où il s'applique, mais il n'implique pas que tous les contextes permettent son application.
Je ne sais pas si ma tentative ici tient en tous points, si elle est contradictoire ou non, il semble demeurer malgré tout une friction entre principe qui vaut s'il s'applique et qui vaut encore quand il ne s'applique pas... Je ne serais pas contre avoir votre éventuel avis, quand bien même il serait très critique ou ironique.
Précision : un nouveau principe qui recouvrirait plus complètement plus de contextes peut cependant amener à exclure définitivement ou corriger affiner l'ancien principe. Bien que chaque principe s'établisse comme définitif par définition et fonction, il peut s'avérer faux, ou du moins incomplet par rapport à un autre qui serait plus complet.
RépondreSupprimerUn contexte exceptionnel peut remettre en cause l'application d'un principe mais non pas à lui-seul et entièrement le principe lui-même. Du moins pas sans articulation à un autre ou nouveau principe, sinon c'est que le contexte s'avère peu intelligible, isolé (bref, un contexte sensé n'est jamais sans jugement conceptuel). Un contexte exceptionnel qui remettrait fortement en cause le principe implique a minima un autre principe (ancien ou nouveau) pour que soit intelligible la remise en cause.
RépondreSupprimerQu'une connaissance soit possible et qu'elle vaille davantage que l'ignorance ou une connaissance moins complète est un principe absolu. Ce qui n'implique pas que la connaissance soit définitive mais qu'elle le soit possiblement ... jusqu'à preuve ou raison suffisamment justifiée du contraire.
Est-ce que tous les principes doivent s'articuler en cohérence ? En principe, oui. En application, je ne sais si on y parvient toujours. Si le fait qu'il existe d'autres logiques n'impliquent pas qu'elles soient logiques au sens de la logique classique, deux possibilités : soit il demeure possible de les articuler entre elles en une unité, soit on est rendu à une multiplicité irréductible. Je ne dispose pas de suffisamment de bagage logique pour trancher de façon décisive, mais je pencherais vers un principe d'unification possible.
RépondreSupprimerPour résumer : un principe peut continuer à valoir absolument quand bien même il ne s'appliquerait pas en certains contextes, sa non-application en un contexte n'implique pas forcément son invalidité comme principe absolu. Bien qu'il existe parfois des contextes exceptionnels de non-application possible qui peuvent remettre en cause le principe plus profondément comme absolu, à la condition cependant qu'ils s'articulent au moins à un autre principe.
RépondreSupprimerL'unification articulée des principes peut impliquer une hiérarchisation des principes, qu'elle soit celle possiblement définitive ou juste en fonction de contextes.
RépondreSupprimerSi l'mpossibilité d'appliquer un principe moral est due à une simple incapacité factuelle sans responsabilité, le principe moral ne s'applique pas ou plus, justement et simplement parce que ce n'est pas ou plus un contexte qui implique un enjeu moral. Plus complexe : l'impossibilité d'appliquer le principe moral peut relever d'une impossibilité de déterminer clairement le degré de responsabilité possible ou non (ce qui ne remet donc pas forcément en cause le principe mais son application possible). Enfin, l'impossibilité d'appliquer le principe peut venir du fait que le contexte implique un autre principe qui soit prioritaire. Ce dernier peut soit exclure temporairement le principe (auquel cas il peut continuer à valoir absolument pour de nombreux cas quand bien même il ne vaut pas en ce contexte, de même bien-sûr les contextes où l'application du principe est possible peuvent demeurer préférables à ceux où elle s'avère impossible), soit l'exclure définitivement comme principe (auquel cas ce n'est plus et n'a jamais vraiment été un principe).
RépondreSupprimerIl reste autorisé de penser qu'il serait plus simple de considérer qu'un principe moral absolu impliquerait la possibilité systématique de son application morale en tous contextes, ou que sinon ce n'est pas un principe absolu, seulement cela néglige un point important : car quand bien même un contexte pourrait m'amener à considérer qu'il est moralement préférable de mentir, il n'en demeure pas moins que les contextes où il est moralement possible de ne pas mentir sont préférables à ceux où ne pas mentir n'est plus moralement possible.
Deux dernières remarques pour clarifier ma propre position(et expliquer ce qui lui manque de clarté... et qui n'exclut pas définitivement de se modifier un jour). Je ne suis pas complètement convaincu par ma tentative ici. Le truc, c'est que pour être vraiment plus clair, il faudrait quand même pouvoir exposer moult exemples et confronter, mettre à l'épreuve, ce qu'ils impliquent de commun avec leurs différences. Établir de façon plus claire la réduction possible à des principes simples ou les éventuelles résistances, et peut-être améliorer la définition des principes. Ce serait beaucoup trop long, pas seulement pour ce blog. Et sans pouvoir prétendre pour autant à l'exhaustivité. Un affinement infini de la définition du ou des principe(s) serait lassant, quand bien même sa possibilité reste ouverte. Mais cependant, cet affinement de sa définition n'est pas perpétuellement nécessaire pour avoir un principe au moins souvent suffisant. N'interdit donc pas de garder la notion, voire le principe du...principe, au sens classique (il y a aussi une expérience de l'humanité qui nous précède). Bien que n'y oblige peut-être pas nécessairement non plus (le débat ne date pas non plus d'hier et ne semble pas clos).
RépondreSupprimerJ'ai voulu montrer qu'il peut être rationnel et justifié de croire à l'existence d'un principe moral absolu, mais attention : je n'ai pas prétendu la prouver définitivement. Ni n'exclus qu'il puisse être rationnel de ne pas y croire. En revanche, le principe de vérité et celui de possibilité de la connaissance demeurent guère contestables, et ils impliquent définitivement qu'entre y croire ou ne pas y croire : une seule de ces positions peut être vraie (le tiers-exclu s'applique puisque la question ici ne suppose pas la temporalité), mais ne permettent pas à eux-seuls d'établir définitivement laquelle (pas plus qu'il n'interdit définitivement la possibilité d'y accéder un jour).
On remarquera un paradoxe intéressant : si le principe moral absolu est catégoriquement faux, donc que la dépendance au contexte est catégoriquement vraie, alors celle -ci est elle-même un principe qui ne dépend pas du contexte ! Qui autorise également en son sein que le degré de dépendance d'une règle morale puisse varier... donc que celle-ci aît aussi un degré d'indépendance. Mais une dépendance au contexte au final peut-elle justement être affirmée catégoriquement vraie sans quelque contradiction ? Bien que l'argumentation puisse se retourner contre le principe moral absolument indépendant pour d'autres raisons. Néanmoins, cela montre qu'il n'est pas si aisé de faire l'économie définitive de la notion de principe.
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RépondreSupprimerJe suis certain qu'il n'y a pas de querelle d'ego. Je le dis sans flagornerie aucune : j'ai un immense respect pour l'œuvre de l'auteur (que j'ai toujours plaisir à lire, parce qu'elle m'instruit), et j'ai toujours le remord que la tradition qu'il instancie m'ait si peu été enseignée lors de mes études de philosophie.
Ma divergence (elle s'illustre à nouveau dans nos échanges) porte sur la sorte de platonisme de l'auteur. J'ai retrouvé un passage intéressant dans un entretien au Philosophoire (disponible sur Cairn) : "C’est ce que je désigne par « tool kit de la raison. Cependant je ne voudrais pas suggérer que l’on pourrait changer de tool kit. Il est fixe." Propos repris continuellement, par exemple dans les Vices, l'auteur écrit (de mémoire) qu'on peut faire une histoire des représentations de la raison, mais que la raison elle-même n'est pas historique.
Lorsque je vois ce genre de platonisme, je ne peux pas m'empêcher de soupçonner un fond religieux et donc (pour ma part) irrationaliste. Je sais bien que l'auteur s'en défend et qu'il avance des arguments. Mais je comprends mal comment nous pourrions avoir accès à l'existence de principes fixes et immuables. Car si l'on est rigoureux, dire cela, c'est dire que ces principes sont indépendants de l'existence humaine.
Par exemple pour le mathématicien A. C, les extra-terrestres auraient la même mathématique que nous. L'auteur a un argument similaire : il écrit (je crois dans les Vices) que, si les anges existaient, ils auraient la même raison que nous.
Pour ma part, j'accepte à la fois l'exemple d'A.C et celui de l'auteur, mais je n'interprète pas cela de la même manière. Dans mon référentiel de rationaliste-matérialiste, si nous avons les mathématiques en commun avec les extra-terrestres, et la raison avec les anges, c'est parce que les mathématiques comme la logique sont, à la base, les relations les plus simples et les plus pures que nous abstrayons du fonctionnement de la matière en ses différents niveaux et en ses différentes interactions. Alors j'essaye d'être cohérent : si j'indexe les mathématiques et la logique, "à la fin des fins", sur la matière, mais que cette dernière est en perpétuel changement, alors il n'y a rien de fixe. Pour prendre une analogie : les lois scientifiques (gravité, thermodynamique, sélection naturelle, etc.) sont bien objectives et nécessaires. Mais elles ne sont l'expression que des diverses configurations de la matière : elles apparaissent à un certain moment (donné par la cosmologie) et peuvent disparaître à un autre, lorsque certaines interactions se transformeront (pour ce que j'en comprends du moins). En ce sens, j'ai toujours été très sensible à l'argument de Quine (je crois que c'est dans les Deux dogmes ou De ce qui est) : même les principes logiques peuvent être révisés à l'aune de l'expérience.
On pourra m'objecter que si nous pouvons comprendre deux théories différentes reposant sur des principes différents, c'est qu'il y a des méta-principes qui eux ne changent pas. Je n'aime pas trop la mise en abîme du méta. J'essaye plutôt de me représenter cela en terme de transformations (comme dans la théorie des topos, quand on passe d'un univers à un autre).
À noter : ma position est elle-même assez douteuse. J'écris tout cela, mais je pense qu'il est absurde qu'un jour la proposition "2 + 2 = 5" soit vraie. Et je me trouve souvent dans un entre-deux très inconfortable, entre d'une part l'idée qu'à la fin des fins tout part de la manière dont les organismes vivants (dont nous faisons partie) perçoivent et conceptualisent leurs milieux, d'autre part qu'il y a bien des principes logiques et mathématiques universels et objectifs.
Fût un temps, j'aurais sans doute usé de quelques subterfuges hégéliens pour me dépêtrer de tout cela. Mais ça ne mène nul part (enfin si : dans l'irrationalisme justement critiqué par l'auteur).
Intéressant et fin, comme souvent. La position de Quine m'intéresse également, que ce soit dans sa remise en cause de la distinction tranchée entre analytique et synthétique (et bien que cette distinction continue à avoir aussi sa pertinence), ou sa critique aussi bien de la vérification que de la réfutation (si la logique peut être remise en cause par l'expérience, l'expérience seule non plus, ou plutôt ce qu'on considère comme telle, ne saurait être décisive)... Il a cette image, connue mais très belle, de la connaissance : comme d'un bateau emporté au large et qu'on ne peut pas rentrer au port, qu'on est donc voué à réparer en pleine mer avec les moyens du bord ... Mais il y a beaucoup d'aspects chez lui que je comprends mal. Quand il parle de "sous-détermination" des théories scientifiques j'arrive à le suivre, quand il parle d'"indétermination" de la traduction, j'ai plus de réserves, mais c'est peut-être vraiment un problème pour le coup de... traduction (je ne le lis pas en anglais) ! On l'a parfois accusé de relativisme, bien que cela me paraisse bien plus complexe chez lui (de même et encore plus chez Wittgenstein, qui lui ne souscrirait pas au naturalisme psychologique). Son gradualisme me tente souvent, si tant est que je l'entends dans le même sens que lui, et même s'il m'arrive aussi d'en voir l'insuffisance. D'où le fait que je bifurque et m'intéresse à des rationalistes réalistes plus affirmés. Nous verrons où cela me mènera. Je tends à croire moi-aussi que toute compréhension a sa limite qui est à reconnaître et qui n'empêche cependant pas la compréhension possible.
SupprimerEt qu'il y en a de plus valables que d'autres. Jusqu'à ce point où cela devient plus indécidable..., du moins par le seul recours de la rationalité rigoureuse. Mais je n'exclus pas de me tromper, de changer de regard et d'évoluer, car ceci n'est que l'avis d'un autodidacte souvent brouillon, qui a à encore apprendre, et qui ne dispose que d'un niveau philosophique, scientifique et logique, très modeste.
En passant, je commenterai peut-être un jour une de vos interventions sur le billet qui parle de la philosophie comme sport de combat, où vous parlez de Piaget, et où il y aurait à préciser sur le problème spécifique de la connaissance scientifique en psychologie, et les expériences de Gibson qui ont remis en cause pas mal des conclusions constructivistes de Piaget.
Je vous suis tout à fait.
SupprimerQuine a une autre belle image, à la fin de l'article Deux dogmes, celle d'une étoffe pour représenter la connaissance. L'image du bateau est reprise d'O. Neurath, grand philosophe, scientifique et socialiste hélas si peu connu en France.
Je n'ai jamais pu réellement comprendre la thèse de l'indétermination de la traduction. C'est ici, il me semble, que le behaviorisme de Quine montre ses plus grosses limites.
A "Entrain"
Supprimerfixité de la raison : est-ce religieux
platonisme : est on religieux si platoniste?
que faites vous des aristotéliciens?
et n'oubliez pas qu'il y a bien plus de religieux dans
les anti rationalistes mystiques
Vous avez raison sur les deux points.
SupprimerIl y a effectivement plus de religieux chez les anti-rationalistes mystiques. J'ai la plus haute estime pour les philosophes comme Leibniz et Bolzano. Ce sont pour moi des modèles de rigueur. Ils étaient incontestablement croyants, mais je doute qu'on puisse trouver chez leurs contemporains des penseurs plus rationalistes qu'eux. Parfois je rêve un peu, et je me dis que j'aurais bien aimé que Diderot, en bon matérialiste, défendent avec la même rigueur que Leibniz certaines de ses thèses. Au moins pour lui donner tort sur une de ses rares propositions injustes – le fait que pour Leibniz le matérialisme était "la philosophie du pauvre".
Concernant le second point, en toute rigueur, non. En fait, je joue sur le trope métaphorique. On peut être platoniste par rapport à certaines entités sans être du tout religieux au sens précis du terme. Le platonisme en mathématiques ne me convainc guère, mais c'est là une autre discussion. Vous faîtes bien de me reprendre.