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dimanche 31 décembre 2023

BENDA A HARVARD



"Pour le grand historien Niall Ferguson, le monde académique américain n’est pas sans rappeler la « trahison des clercs » dénoncée par Julien Benda à la veille des années 1930."

 l'article de The Free Press est traduit dans Le Point

"En 1927, le philosophe français Julien Benda publiait La Trahison des clercs, ouvrage fustigeant la descente des intellectuels européens vers les extrêmes du nationalisme et du racisme. À cette date, si Benitto Mussolini était au pouvoir depuis cinq ans en Italie, il allait en falloir encore six à Adolf Hitler avant d'y parvenir en Allemagne, et treize pour sa victoire sur la France. Reste que, déjà, Benda percevait le rôle si pernicieux joué par bon nombre d'universitaires dans le champ politique.
Comme il l'écrit, les mêmes qui étaient censés poursuivre la vie de l'esprit avaient en réalité inauguré « le siècle de l'organisation intellectuelle des haines politiques ». Des haines déjà en train de quitter le terrain des idées pour rejoindre celui de la violence – avec des conséquences catastrophiques pour l'ensemble de l'Europe.

Un siècle plus tard, le monde universitaire américain aura emprunté une trajectoire politique inverse – en s'enfonçant vers l'extrême gauche, pas l'extrême droite – pour néanmoins aboutir grosso modo au même résultat. Et on peut aujourd'hui se demander si, contrairement aux Allemands, il nous reste de quoi éviter la catastrophe.

Un peu à l'instar de Benda, cela fait une bonne décennie que je suis stupéfait par la trahison de mes collègues intellectuels. Tout comme j'ai pu voir l'enthousiasme avec lequel administrateurs, donateurs et anciens élèves ont toléré la politisation des universités américaines poussée par une coalition illibérale de progressistes « wokes », d'adeptes de la « théorie critique de la race » et d'apologistes de l'extrémisme islamiste."

 

 

Le  contexte immédiat de cet article est le passage, le 5 decembre 2023, de Claudine Gay,  présidente de Harvard,  Elizabeth Magill presidente de Université de Pennsylvanie, et Sally Kornbluth, du Massachusetts Institute of Technology,devant une commission du Congrès. Interrogées par Elise Stefanik, représentante républicaine de l’Etat de New York, elles se sont vues demander:

Est-ce que l’appel au génocide des juifs viole le code de conduite » des universités concernées, en matière de harcèlement et d’intimidation ? « Cela peut être le cas, selon le contexte, comme cibler un individu », a répondu Claudine Gay. « Si le discours se transforme en conduite, cela peut être du harcèlement », a déclaré Elizabeth Magill, expliquant aussi que la décision de qualification « dépendait du contexte ».

Sally Kornbluth avait pourtant commencé par expliquer : « Je n’ai pas entendu parler d’appel au génocide des juifs sur notre campus. » « Mais vous avez entendu des “chants pour l’intifada” [soulèvement] », a répliqué Elise Stefanik. Cette dernière avait débuté l’audition en donnant sa définition personnelle de l’intifada – « Vous comprenez que cet appel à l’intifada est de commettre un génocide contre les juifs en Israël et au niveau mondial », faisant basculer le débat du soutien à l’intifada de certains manifestants à la question du génocide.

Quelques jours plus tard, on apprit que Claudine Gay était accusée de plagiat sur plusieurs passages de sa thèse. Mais ses accusateurs sont des Républicains qui ont tout intérêt à la couler. Et Niall Ferguson a quitté Stanford pour Austin, bastion du conservatisme.

Niall Ferguson a raison de voir dans la vague Eveillée une manifestation de la ruine de l'esprit, et de faire un parallèle entre nazisme et Eveil, mais fait l'erreur usuelle sur La trahison des clercs : Benda ne fustige pas tant le fait que les intellectuels fassent de la politique que le fait que ce faisant ils ne le fassent pas au nom du respect de la vérité. Son message n'était pas qu'il fallait renoncer comme intellectuel à l'engagement politique, mais qu'en prenant des positions politiques on ne pouvait pas renoncer à la recherche du vrai. Or les politiques américaines de discrimination positive, dont Claudine Gay est l'une des thuriféraires visent à nous dire : "Peu importe le savoir le principal est que les minorités discriminées puissent bénéficier de discrimination inversée". Ce qui veut dire qu'il est plus important d'avoir à Harvard une présidente noire , ayant peu publié (elle n'a écrit aucun livre, et a fait sa carrière dans l'administration) et ayant peut être plagié sa thèse, que d'avoir un blanc ou une blanche ayant tous les titres et travaux académiquement reconnus. Autrement dit que les pouvoirs académiques doivent aller plus à des politiques qu'à des savants. Au fond, c'est dans la logique des universités américaines, qui ont toujours été plus des machines politico économiques, servant de relais au sport et au business, plutôt que des lieux de réclusion spirituelle. Du moment que la Law School de Harvard , décrite de manière amusante dans La revanche d'une blonde , n'est pas menacée, ni ses équipes sportives, tout va bien. La trahison des clercs académiques avait commencé bien avant la nomination de Claudine Gay et bien avant l'Eveillisme, par un renoncement à mettre la connaissance au centre de la liberté académiques. Elle était inscrite dans le système universitaire américain. 

    Une autre leçon de Benda était, toujours au nom de son universalisme des valeurs de l'esprit, que le respect de la vérité et de la justice ne peut pas être, comme l'a dit la présidente de Harvard, affaire de "contexte". Un principe universel s'applique ou pas. Il s'applique toujours dans un contexte, mais en lui-même il n'est pas affaire de contexte, il vaut absolument.

PS 3 janvier 2023 On apprend que Claudine Gay a démissionné.

La Revanche d'une blonde - film 2001 - AlloCiné
la blonde traversant le yard de Harvard

81 commentaires:

  1. Autant les engagements intellectuels de Benda sont louables (bien que l’idée selon laquelle les « correctifs politiques » sont des effets secondaires de la défense intransigeante du vrai semble passablement … indémontrable), autant le lien que vous établissez ici entre « wokisme » et « rejet des valeurs intellectuelles fondamentales » me semble discutable et pour tout dire, quelque peu caricatural, pour au moins deux raisons (i) la défense des minorités au nom de la justice peut être motivée par la vérité et l’objectivité (ii) un terme comme « wokisme » est suffisamment vague pour ne rien décrire : il s’agit d’emblée, précisément, d’une raillerie politique : pourquoi ne pas aller jusqu’à inclure les travaux de Walzer ou de Perreau, voire ceux de Sen, dans le wokisme ? Après tout, on peut y trouver l’idée générale selon laquelle les injustices que subissent les minorités sont la voie d’accès privilégiée d’une réflexion sur la justice ?

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  2. Ai je employé la notion de "correctif politique"? Le terme wokisme (je parle d'Eveil) est vague, mais la plupart des protestations woke sont claires ( les niez vous? ) et se font au nom de valeurs commnautaristes : exemples: appeler à dissoudre les départements de classics (Dan Padilla à Princeton) parce qu'ils ne sont pas inclusifs, mener une chasse aux sorcières contre Kathleen Stock parce qu'elle a critiqué les LGTB). Donc je ne vois pas lesquelles sont au nom d'un universalisme , ni se font au nom de la vérité, puisqu'elles reposent sur des arguments typiquement sociologiques. Le wokisme n'est pas le nom d'une raillerie politique. WAlzer n'en est pas coupable ni Sen, et je n'ai fait équivaloir wokisme et communautarisme. Le wokisme est une posture militante, interventionniste, demandant des censures. Il me semble parfaitement localisable, daté, et repérable. Le fait que beaucoup de gens donnent à un terme un sens vague ne signifie pas qu'il ne désigne rien, ni qu'on puisse le rendre plus précis! J'appelle "wokisme"
    1 une défense ou promotion publique d’une ou plusieurs causes à portée morale, politique, sociale :
    Environnement et écologie, minorités et populations perçues comme opprimées (sexuelles, raciales, religieuses), genre et féminisme, enfants
    Ces causes peuvent être défendues au nom de la justice sociale, de la justice dans tel ou tel domaine, ou au nom de causes globales. C’est ce caractère global (sauver la planète, sauver telle population) qui est la marque du wokisme. Mais il coexiste souvent avec la défense de telle ou telle communauté.
    2. usage, pour promouvoir ces causes, de moyens de propagande de masse (réseaux sociaux , images ) et d’interventions dans l’espace public ( media, institutions culturelles, universités) , certaines violentes visant à interdire et censurer des personnes ou groupes perçues comme opposés à ces causes et des pratiques qu’elles portent, au nom d’un droit à la critique . Sous la forme de la « cancel culture » ces actions sont radicales : elles visent à supprimer non seulement des interventions, mais aussi des pans entiers de la culture, jugés hostiles aux populations et à la civilisation revendiquée ( orthographe, langue, disciplines académiques, livres, articles, auteurs canoniques)
    3. S’agit-il d’une idéologie ? Le wokisme en a beaucoup de traits : oppositionnel et contre , malléabilité , revendication de la justice et de l’universalité. Mais aussi contradictions : on vise l’universalité, mais les causes sont toujours particulières, relatives à une identité et une communauté (sexuelle, raciale, population))

    Cela étant dit, mon objection à Ferguson est précisément qu'il identifie engagement politique et refus des valeurs universelles . Il a tort: on peut faire de la politique dans les universités, au nom de la liberté d'expression, sans abuser de celle-ci et sans déboulonner systématiquement des professeurs ou des administrateurs.

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  3. Vous dites : « Niall Ferguson a raison de voir dans la vague Eveillée une manifestation de la ruine de l'esprit » : la façon dont vous présentez les choses ici me semble passablement caricaturale (« homme de paille » si l’on peut dire), car dans cette vague on trouve aussi des gens pour défendre les valeurs intellectuelles.
    De plus, il me semble que l’utilisation du terme « wokisme » est politiquement chargée, elle joue le rôle d’un épouvantail qui ressemble, dans les milieux académiques, à la panique morale dont Ogien peut parler par ailleurs : on exagère, à des fins politiques, les risques réels. Que sait-on, et par quelle méthode le sait-on, des effets délétères d’une telle vague ? Suffit-il de dresser une liste d’événements pour que soit confirmer quoi que ce soit ?

    Vous dites avec raison que l’erreur d’interprétation classique de l’expression « trahison des clercs » consiste à soutenir que Benda interdit d’entrer dans l’arène, alors qu’il établit d’une part une hiérarchie des motifs « vérité > politique » de sorte que les considérations politiques ne peuvent jamais affecter l’engagement pour le vrai, mais il précise d’autre part que l’engagement dans l’arène doit se faire au nom du vrai, sous le mode sub specie aeternitatis. Par suite on distingue deux espèces d’effets politiques différents : (i) directs : on défend directement les valeurs intellectuelles lorsqu’elles sont attaquées (ii) indirects : les effets politiques sont des effets secondaires de l’œuvre elle-même : demeurer dans sa tour d’ivoire en somme a des effets secondaires dans l’arène sociale.
    (J’ai tendance à croire par exemple que la carrière de M. Bouveresse illustre ces deux façons de s’engager de manière quasi idéale : directe et indirecte).




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    1. D'un côté vous dites que "woke" ne désigne rien, de l'autre vous dites que c'est une "vague"! ! ! Vous avez raison sur le second point : c'est une vague, un courant, certes flou, mais dont j'ai essayé de dire dans ma réponse précédentes en quoi elle consiste. Elle a des effets parfaitement repérables: les groupes en question font des pressions, interrompent des conférences, lèvent des campagnes, les personnes menacées comme Kathleen Stock doivent démissionner, on déboulonne des statues, on promeut l'écriture inclusive et on boycotte ceux qui ne s'y conforment pas, on "name and shame" et même certains professeurs se suicident après des campagnes de ce genre. Certes en France cela ne prend pas des formes aussi extrêmes, mais il y a quand même des annulations, des campagnes contre tel prof, etc. Je ne trouve pas que ce soit rien ou anecdotique. C'est en effet une panique morale, au nom du Bien.

      Vous avez raison d'y voir des soucis de justice de la part des groupes qui la poussent (au nom de la race , de la religion, du sexe) mais je ne vois pas en quoi ce sont des revendications universalistes, sauf à dire que si je prends plus de gâteau que vous et que vous protestez, votre revendication est "universaliste'. En fait il y a du wokisme *globaliste*, comme celui de Greta Thunberg ou des défenseurs de l'environnement. Mais cela n'en fait pas une protestation universaliste. L'universalisme, c'est autre chose, et d'ailleurs Walzer a bien du mal à définir son universalisme pluriel ou modéré qu'on loue tant. Les wokes defendent ils les valeurs intellectuelles? Quels wokes, et quelles valeurs? Quand des activistes américains veulent supprimer les "classics" des universités, défendent ils des valeurs universelles? Non, ils veulent au contraire s'attaquer à ces valeurs parce qu'ils les trouvent "blanches". Ce n'est pas de l'universalisme, c'est du militantisme pour un groupe.
      J'accepte la manière dont vous hiérarchisez les engagements, mais Benda n'a jamais prôné la tour d'ivoire.

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  5. J'ai repris des études en Fac, pour une Licence 3 de Lettres Modernes et Classiques. A partir de mon expérience d'étudiant, qui ne sait pas bien si l'hostilité d'une personne woke est fondée, ou s'il s'agit d'une manifestation envieuse, censée exprimer l'opinion générale envers quelqu'un qui surjoue le rôle du bon élève, – j'imagine ce que cela doit être pour un enseignant qui fait une trop belle carrière, qui gêne ou qui ne dégage pas, et combien il doit être facile de lui faire un procès en sorcellerie, s'il n'est pas conscient qu'il prête facilement le flanc à une critique dans l'air du temps.

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  6. On peut défendre une minorité traditionnellement opprimée ou exploitée (pour parler comme Mill et Sen : en gros : femmes, travailleurs exploités, ethnies racisées) au nom de l’égalité des droits : l’équité sera alors convoquée au nom de l’égalité (démarche de bon sens) : j’ai droit à plus de gâteau (même si l’analogie entre un bien périssable comme le gâteau et un droit par exemple est rapidement trompeuse) dans la redistribution des biens parce que je subis davantage de privations.
    Il me semble que dans tout ce que l’on qualifie de wokiste, on trouve aussi ce genre de position.

    En somme, et je ne vous importunerai pas davantage avec ça, j’ai tendance à croire que les termes « woke » ou « wokisme » représentent une espèce de cheval de Troie politique : on prétend en faire un usage descriptif, parce qu’un tel usage s’autorise des faits, mais il s’agit davantage à mon avis d’une raison de couverture pour effectuer des classements d’un genre bien différent ou des montages de faits douteux.
    Et c’est sans doute en partie pour cela que le terme représente une attaque contre la vérité en général : il travestit la vérité en une raison de couverture, aussi bien chez les pro que chez les anti « woke ».
    Mais il s’agit au final d’une stratégie rhétorique vieille comme le monde (et qui justifie sans doute que l’on se méfiât non pas des faits eux-mêmes bien entendu, mais de notre tendance à les invoquer pour justifier tel ou tel engagement normatif).

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  7. d'accord, mais tout souci de justice n'est pas automatiquement universaliste, ni au service de valeurs universelles. Ce qui me gêne quand les minorités défendent telle revendication est qu'elles le font en général pour corriger des injustices subies par elles, mais pas dans le souci de corriger les injustices subies par d'autres minorités. Et on peut le faire de diverses manières. Quant au wokisme, d'accord avec vous que c'est un label flou, malléable comme toute idéologie. Mais quand des activistes veulent débouler une statue, comme celle de Schlelcher à Fort de France, celle de Hume à Edimbourg , ou celle de Berkeley à Dublin, ils le font certes au nom de l'anti-esclavagisme, mais est-il
    universaliste de déboulonner ces figures? Et quels sont les faits qui sont ainsi dissimulés? Je me sens antiwoke quand on condamne (par exemple, mais il y en a bien d'autres, moins anodins comme pousser un professeur à la démission) Berkeley au nom de faits douteux, avec un total anachronisme. 'l'anticolonialisme a bon dos : il sert en effet de prétexte à un combat politique . Si l'antiwokisme consiste ici à dire que Hume et Berkeley ne méritent pas ces traitements, alors je suis antiwoke.

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  8. dans ma génération de boomers, en1968 , on s'en prenait, en plein cours, aux mandarins , au nom de la justice : ceux qui savent ne doivent pas avoir de privilège d'être en haut d'une chaire. Ce qu'on oublie souvent, avec les universités américaines, est que l'enseignement est payant et qu'une année de graduate peut aller , selon les universités, de 50 à 100 000 dollars (Harvard). Les étudiants qui paient, et ont des dettes auprès des banques, ont de tout autres exigences que ceux des universités européennes, qui sont d'Etat et peu payantes.

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  9. Cela n’a jamais dû faire trembler beaucoup de mandarins … l’absence de pression financière rend sans doute plus aisée la critique en effet, pour le meilleur ou pour le pire.

    De la même façon, et de façon quelque peu provocante : déboulonner une statue de Hume n’empêchera sans doute jamais la tenue d’un colloque sur Hume ou que sais-je encore, car cette possibilité demeure assise sur des droits qui résistent et qui ne sont guère menacés or ces excès d’activisme : la meilleure façon pour un groupe d’empêcher la tenue d’un colloque sur Hume demeure indirecte : ne pouvant se réclamer d’un droit de l’interdire, on espère qu’au nom de « l’ordre public » les choses seront interrompues … ce qui leur éventuellement fonctionner, mais le droit demeure intacte.
    Bref, à moins, au nom de la panique morale, de proposer des pentes fatales du genre « on commence par critiquer les mandarins, on déboulonne ensuite les statues et on finira par supprimer la liberté académique » la libre recherche n’est pas sérieusement mise en danger par le « wokisme ».

    Certaines immiscions spectaculaires du politique en France ces derniers temps, dans la recherche s’entend, me semblent représenter un danger plus grand et bien réel pour la liberté académique, et ces immiscions ne sont pas faites au nom de « wokisme ».

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  10. Quand vous payez 50 000 $ de droits d'inscription, et réclamez des "trigger warnings" de votre université , vous sentez agressé par un cours sur un penseur réputé critique de l'Islam, vous avez en effet d'autres exigences et d'autres moyens de pression qu'un étudiant qui paie 600 euros de droits. détrompez vous, en 68, il y a eu des mandarins agressés, ne serait-ce que ce pauvre Paul Ricoeur, qui a quand même été poussé à 'émigrer aux USA.
    Sur Hume et Berkeley, les administrateurs qui ont suivi ces actions (dénommer la Hume Tower d'Edimbourg, ou la Berkeley library) jurent leurs grands dieux que cela n'affecte pas la réputation philosophique des auteurs (chez nous nous avons la statue de Voltaire, qu'on a toujours pas rétablie), mais cela a des effets quand même: qui a envie de faire à Trinity College un colloque Berkeley ces temps ci? Je suis beaucoup moins optimiste que vous. La liberté académique me semble souvent menacée, et je ne suis pas le seul à la penser et à l'écrire. Certes, elle n'est pas menacée que par les wokes, comme le montre assez bien le livre d'Olivier Beaud.

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  11. Commentaire en deux temps (trop long hélas, excusez mon incapacité à être suffisamment concis).

    I – Premier temps

    Je laisse la partie politique, qui mériterait discussion, pour simplement commenter ce petit passage :

    "Une autre leçon de Benda était, toujours au nom de son universalisme des valeurs de l'esprit, que le respect de la vérité et de la justice ne peut pas être, comme l'a dit la présidente de Harvard, affaire de "contexte". Un principe universel s'applique ou pas. Il s'applique toujours dans un contexte, mais en lui-même il n'est pas affaire de contexte, il vaut absolument."

    Cela fait plusieurs années que je vous lis, et il me semble de plus en plus que le rationalisme "bendaïen" confine en certains endroits à l'irrationalisme. La raison en est, à mon sens, que ce rationalisme est idéaliste : il fait comme si l'être humain ou son esprit avait accès à une réalité en-soi ou absolu.

    Cela transparait dans le point suivant : "Un principe n'est pas affaire de contexte, il vaut absolument".

    Allons-bon ! Je suppose que c'est Dieu-le-père qui lui a révélé cela ? Je reprends les exemples sur lesquels nous sommes parfois censés entraîner nos jeunes générations de classe terminale : si la vérité est un principe et une valeur morale, est-il tout de même légitime de mentir (et pas simplement ne pas parler) à un ennemi qui vous demande de trahir vos compagnons en lui divulguant des informations secrètes ?

    Si vous répondez "oui" à cette question, alors vous devez logiquement admettre que (i) vous n'êtes pas tenu de respecter absolument la vérité (ii) le principe de vérité ne vaut pas "absolument", c'est-à-dire indépendamment de tout contexte possible – ou alors le sieur Benda a une autre définition de "absolu" qu'il conviendrait de préciser.




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    1. En effet, un principe n'est pas , par lui-même , contextuel: il vaut indépendamment des lieux, des temps, des agents. Mais qu'il s'applique toujours dans un contexte . Cela le rend il "contextuel" pour autant ? L'erreur des anti-universalistes est de tirer de ce fait la conclusion que l'universalisme est faux.
      Oui, Benda est idéaliste. Comme Kant. Cela le rend il irrationaliste? Il ne dit pas qu'on peut accéder à une réalité en soi, mais que dans la morale on peut, par le devoir, accéder à l'absolu.
      Sur Kant et Constant. Il faut distinguer vérité et véracité. Quand on soutient que la vérité (la véracité) n'est pas respectée, c'est parce qu'un autre principe, qui a lui aussi prétention à l'universalité, se trouve implicitement présent (ici sauver une victime). Cela rend rend pas le principe de véracité non valable. je refuse donc (i) et (ii).

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    2. Merci de votre réponse.

      (1) "un principe vaut indépendamment des lieux, des temps, des agents". Mais qu'en savez-vous ? Puisque vous l'affirmez, je suppose donc que vous devez avoir quelque argument pour défendre cette thèse. Sauf que, sauf erreur de ma part, vous ne les donnez jamais. Ou bien vous définissez le terme "principe" de façon à ce qu'il ne puisse pas être contextuel, mais alors il s'agit d'une pétition de principe.

      (2) J'avoue ne pas comprendre votre réfutation. Si vous réfutez mon exemple, ce que je peux accepter volontiers, pourriez-vous s'il vous plaît me donner une situation où à vos yeux l'universalité du principe de vérité pourrait être récusée ? À mes yeux, le fait qu'un autre principe (ici sauver une personne) régule voire récuse dans certains contextes un autre principe (la vérité) suffit à montrer que le dernier ne "vaut pas absolument". Mais encore une fois, je ne demande qu'à mieux comprendre votre argument.

      (3) Pour le dire très clairement : pour ma part, être idéaliste c'est être irrationaliste. Vous écrivez que pour Benda on peut accéder à "l'absolu par le devoir". Le problème est que (i) vous ne définissez pas le terme (ii) vous ne dîtes pas en quoi une action ou une morale accomplie par devoir ou une croyance est "absolue"...

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  12. On dira peut-être que le fait que le principe de vérité "va[ille] absolument" n'implique pas qu'il faille à tout moment et en toute circonstance communiquer la vérité. Fort bien, mais dans ce cas il faut définir précisément, sans implicite, ce qu'on entend lorsqu'on écrit qu'un principe "vaut absolument".

    De manière plus générale, l'idée selon laquelle un principe "n'est pas affaire de contexte et vaut absolument" me semble bien théologique, et donc (au XXIème siècle, zut voilà encore un contexte !) aucunement rationaliste. Voici mon raisonnement en modus tollens :
    (1) Nommons (E) la proposition : "un principe n'est pas affaire de contexte mais vaut absolument". Si on essaye de dégager le sens de (E) dans la bonne vieille logique classique, il semble que cela soit : "Pour tout principe P, alors P ne dépend pas d'un contexte C1, C2, ... Cn". Ou bien c'est un postulat – mais dans ce cas il n'y a pas de discussion, vous croyez que Dieu existe –, ou bien c'est une hypothèse : on vérifie P dans le contexte C1, C2, ... jusqu'à Cn.

    (2) Or cela pose deux problèmes.
    D'abord (a) celui d'afficher une liste de contextes possibles (comme des trophées de chasse sur un mur, comme dirait déversant son fiel sur les modèles de Kripke). Or traiter le possible de cette manière, c'est conceptuellement absurde.
    (b) Quand bien même le possible existerait de cette façon, une telle connaissance complète est impossible – il faudrait pour cela être Dieu omniscient. On a même pas besoin que la suite "C1, C2, ..., Cn" soit infinie, il suffit (i) de fixer un "n" "suffisamment grand" ou (ii) d'introduire des contraintes sur les capacités du sujet (à la manière des économistes travaillant sur les préférences). C'est ici, pour moi, la seule chose à garder de Kant, à savoir un résultat matérialiste : on ne peut se passer d'une analyse des capacités cognitives du sujet connaissant, et on ne peut séparer réellement (je n'ai pas dit "distinguer") l'ordre logico-ontologique de l'ordre épistémologique.

    (3) En vertu de quoi, (E1) n'a pas de sens rigoureux : elle implique quelque chose d'impossible.

    Conclusion : le rationalisme de Benda est un rationalisme de curé : il faut un Dieu-tout-puissant quelque part (ou ses équivalences : une "réalité absolu /en-soi", un mur où tous les possibles seraient accessibles, etc.) flanqué d'un sujet connaissant fait à son image. Nul doute que si la connaissance est subrepticement conçue à la façon d'un miracle religieux, alors ce genre d'ânerie est possible. Mais le rationalisme aujourd'hui vaut mieux que ça.

    Bien à vous,

    Entrain

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    1. jene vois pas ce qu'il y a de theologique à dire qu'un principe vaut absolument. Prenez les principes logiques, comme celui de contradiction. ou alors tous les logiciens classiques sont des théologiens. Je vous retourne le compliment: vous me semblez assez protagoréen.
      J'avoue ne pas comprendre pourquoi dire que les principes - je parle des vrais principes, tels que les axiomes ou les lois , pas de règles ou de normes amendables- s'appliquent dans tous les contextes impliquerait qu'on les connaisse tous, et donc une sorte d'omniscience.
      C'est vrai que l'absolu a des allures un peu divines. Mais cela ne le rend pas "curé", sauf peut être dans la nouvelle de Balzac "la recherche de l'absolu".

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    2. Merci pour cette précision.

      (1) Touchant les principes de logique : certains ne semblent pas "absolus" au sens où on pourrait l'entendre (jusqu'à ce que vous précisiez la signification de ce terme). Prenez le tiers-exclu ou le principe de bivalence : on peut faire de la logique formelle sans cela, vous le savez mieux que moi. En quoi ces principes seraient-ils alors "absolus" si nous pouvions nous en passer dans certains contextes (ici dans certaines logiques) ?

      (2) "J'avoue ne pas comprendre pourquoi dire que les principes [...] s'appliquent dans tous les contextes impliquerait qu'on les connaisse tous, et donc une sorte d'omniscience". C'est ici que je suis en désaccord frontal. Lorsque vous dîtes qu'un principe "vaut absolument", cela veut dire qu'il vaut dans tous les contextes. Mais encore une fois, qu'en savons-nous ? Comment pouvons-nous savoir que ce principe vaut dans tous les contextes, si nous n'avions déjà une connaissance possible de "tous les contextes" en question ? Il me semble qu'eu égard à nos capacités cognitives, nous ne pouvons pas soutenir que la proposition "P vaut dans TOUS les contextes" est vraie, sauf à déjà connaître tous les contextes en question.

      (3) Je crois que ce désaccord se fonde sur un autre quant à la théorie de la vérité. Vous semblez tenir pour deux choses séparées la définition de la vérité et le critère par lequel on la connaît. Ce qui vous autorise à dire que quelque chose peut être vrai ("P vaut dans tous les contextes") sans être prouvable – car il faudrait alors vérifier tous les contextes. C'est précisément cela qui m'apparaît être de la théologie si on a une vision réaliste du sujet connaissant (nous les êtres humains).

      Bien à vous,

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  13. J'ai déjà cité sur ce blog ( 17 mars 2021, Etiamsi omnes ego non) cette anecdote :

    Au moment de la mort de Benda, en 1956 André Thérive rapporta , dans la Revue des deux mondes, l'anecdote suivante :

    Le 12 mars 1938, un petit télégraphiste essoufflé m'apporta un pneumatique. La lettre n'était pas une invitation à dîner. Elle contenait ces mots : « Oui, Dieu est un être conceptuel. Julien Benda »

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    1. J'ai bien ri !

      À la différence du concept de chien, qui n'aboie pas, la représentation de Dieu elle peut contraindre, à la différence de Dieu. Vieux thème de l'aliénation.

      Maintenant, remplaçons Dieu par "lois de la logique".

      Elles sont en partie contraignantes. Elles sont assurément le résultat d'une forme d'activité mentale et sociale (on oublie cette dimension trop souvent), puisque jusqu'à preuve du contraire, ce sont les êtres humains et non les pierres ou les baleines qui font de la logique formelle. Et pourtant, elles sont objectives et universelles, en un sens qu'il conviendrait de préciser.

      Chez le rationalisme-à-la-curée de Benda, les principes semblent tomber du ciel : on n'explique pas leur genèse, ils sont déjà faits comme Minerve sortie toute faite du cerveau de Jupiter. Quelle curieuse transposition du thème de la génération spontanée !
      Voilà pourquoi cela m'apparaît bien irrationaliste ! Il faudrait, comme l'a dit un vieux barbu, remettre la logique sur ses pieds, alors que chez certains elle semble marcher sur la tête !

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  14. Gödel, un logicien s'il en est, croyait, dit-on,

    voir
    https://aeon.co/essays/kurt-godel-his-mother-and-the-argument-for-life-after-death

    à Dieu et à la vie éternelle, par un argument quasi leibnizien: si le monde est rationnel (et Gödel pensait qu'il l'est), il doit avoir été créé par un être parfait ( il proposait une preuve ontologique). Mais on peut admettre la prémisse, sans admettre la conclusion. La rationalité du monde me semble plutôt un argument en faveur de l'athéisme...

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    1. Je vous rejoins tout à fait sur ce point ! Ça me surprend toujours (quoique moins qu'à l'époque, les années passant) les "grands esprits" mathématiques qui tombent dans ce genre de paralogisme. Qui plus est lorsqu'ils sont logiciens !

      Je suis tout à fait athée, mais je conçois l'athéisme comme une conséquence du matérialisme. C'est pour cela que je tique toujours lorsque je vois des formes de rationalisme idéaliste : elles ne me semblent jamais pleinement... rationnelles.

      Bien à vous,

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    2. Pour répondre mieux que ci dessus à votre objection selon laquelle la raison selon Benda semble tomber du ciel, je dirai qu'en effet c'est souvent chez lui le soupçon qu'on peut avoir, surtout quand il l'invoque à des fins polémiques. Sinon, et sans commenter Benda , je dirais qu'il peut bien y avoir des principes premiers, non démontrés car primitifs, objets d'une intuition et qui sont des normes, sans que ce soit mystérieux ou divin ( j'explique cela dans mon Manuel rationaliste). Quant à Benda, je l'ai assez commenté dans mes livres sur lui, je n'y reviens pas. Ce billet visait surtout à corriger les erreurs de Niall Ferguson.

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    3. Merci pour cette précision.

      Vos deux livres (Les vices du savoir, le manuel rationaliste) m'ont beaucoup appris et cela a été un vrai plaisir de les lire. Je me souviens de quelques désaccords, notamment dans les Vices sur le caractère immuable de certains principes et dans le Manuel sur l'engagement métaphysique sur la raison figurant programme pour un rationalisme contemporain. Cependant, pour que je les expose clairement et distinctement, il faudrait que je relise de manière approfondie vos deux ouvrages. Et que je murisse quelques connaissances touchant à la logique linéaire (suivie de la syntaxe transcendantale, vous devez suivre cela) et à la théorie du matérialisme (deux très bon ouvrages français là-dessus : "La philosophie ?" du regretté L.S, et "Qu'est-ce que le matérialisme ?" de P.T).

      Cela prendra sans doute quelques années, mais c'est un vrai plaisir de réfléchir à ces questions.

      Bien à vous,

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  15. Benjamin Straehli10 janvier 2024 à 18:54

    Autant je partage l’idée qu’il doit y avoir des principes absolus, et que le respect de la vérité et de la justice en fait partie, autant je ne comprends pas bien en quoi la réponse citée de Claudine Gay serait en contradiction avec cela. La question qui lui a été posée n’était pas : « Est-ce que c’est mal d’appeler à un génocide ? » On lui demande si un propos tombe sous la catégorie du harcèlement ou de l’intimidation, au sens que les règlements de Harvard peuvent donner à ces termes, et sa réponse revient à dire, si je la comprends correctement, que le seul contenu du propos n’est pas forcément suffisant pour cela, et qu’il faut ajouter des éléments de contexte comme le fait de « cibler un individu ». Se trouve donc en jeu l’interprétation qu’il faut faire d’un concept juridique ; celle qu’en fait Claudine Gay est peut-être fausse, mais elle ne consiste pas à nier le caractère absolument condamnable de l’appel au génocide. Ne pourrait-on pas aller jusqu’à renverser l’argument, et dire que c’est justement un principe absolu que de respecter le sens exact des catégories juridiques ? Ce qui implique de ne pas en faire une interprétation « élastique » simplement pour pouvoir punir un propos condamnable par ailleurs.

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  16. peut être que je ne comprends pas bien votre objection, mais voici.
    Je suis d'accord sur le fait que la question posée à la présidente de Harvard (et à ses collègues du MIT et de UPenn) n'était pas celle de savoir si c'est mal d'appeler à un génocide, mais celle de savoir si la présidente d'une université peut, sans réagir, laisser un individu ou un groupe appeler à un génocide sur son campus. Elle répond que cela dépend du contexte, donc qu'il y a des contextes ou on a le droit de le faire. A ma connaissance et en lisant les comptes rendus de la séance au Congrès, il n'était pas question de harcèlement ou d'intimidation. Ce qui était biaisé dans la question était qu'il n'y avait pas eu d'appel au génocide explicitement, mais juste des slogans tels que "Palestine libre de la Cisjordanie à la mer" qui semblent impliquer la suppression d'Israel. C'est la sénatrice républicaine qui a employé le terme génocide , évidemment pour pièger Claudine Gay. Celle ci aurait du dire , tout en remarquant que le terme "génocide" n'a pas été employé: "Il n'est en aucun cas acceptable d'appeler au génocide de quelque peuple que ce soit sur mon campus, et d'ailleurs personne n'a employé le mot génocide ou appelé au génocide en d'autres termes et je n'en ai pas eu connaissance". Elle dit au lieu de cela: " Cela peut être acceptable , et cela dépend du contexte". Si cette déclaration a fait tant de bruit et a été condamnée par tous les observateurs, y compris le board de Harvard, c'est bien parce qu'on ne l'a pas interprétée comme étroitement juridique. Or so it seems.

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  17. Si l'interdiction du génocide vient de la définition commune claire du terme, et si génocide implique son caractère intentionnel, alors il dépend bien des circonstances : c'est à dire qu'il y a suffisamment de conditions objectives pour qu'un peuple ne soit pas par exemple "poussé" par la nécessité de la survie à en massacrer un autre pour s'accaparer des ressources vitales dont l'accès serait devenue drastique (certes le groupe pourrait toujours s'y refuser et choisir de se sacrifier, m'enfin peu réaliste...). Ce que je veux dire : c'est que le sens du terme génocide par son caractère intentionnel implique d'entrée de jeu au moins un "type" de contexte : celui de ne pas être acculé par la nécessité.

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  18. L'interdiction du génocide pourrait bien être absolu, tandis que le sens même du terme génocide est tributaire de conditions. Le principe est alors absolu mais pas sans conditions ?

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  19. Ou s'agirait-il de distinguer les conditions de réalisation du principe des conditions de sa signification ?

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  20. Il y aurait des conditions nécessaires mais non suffisantes qui cadrent le principe, mais un choix décisif quant à le poser comme catégorique. Il demeure curieux toutefois que l'inconditionnel irréductible émerge au moins pour partie de conditions.

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  21. oui certes "génocide" dépend en partie des conditions historique. Mais le point en cause dans l'affaire de Harvard n'était pas dans la définition du terme, ni même dans la réalité de sa dénotation. Il était : fait il partie de l'usage légitime de la liberté d'expression sur un campus qu'un groupe y appelle au génocide? Un président d'université devrait dire: non. et même si le premier amendement peut l'autoriser, la réponse "Cela dépend du contexte" est hautement contestable. Elle l'est juridiquement, mais - et c'était le sens de mon allusion à Benda- surtout inacceptable du point de vue bendesque , si on comprend la Trahison des clercs. Même l'auteur de l'article que je citais, Niall Ferguson, comprenait cela de travers.

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  22. Ne pas torturer un nourrisson semble une règle morale absolue. Il y a là sans doute quelque chose lié à la condition propre d'humain. En revanche, ne pas tuer un nourrisson est une règle dont on peut aisément trouver des exceptions dans un cadre socio économique beaucoup plus dur. Il me semble tout de même que l'absoluité de la règle morale n'est pas toute de nature sans pour autant être toute culturelle.

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  23. Certes, et c'est bien pourquoi A modest proposal nous choque. Mais je ne parlais pas de çà dans ce billet. Je parlais de liberté académique.

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  24. Je viens de lire votre réponse et je vous en remercie. S'il s'agit de la question ici de la légitimité ici de l'usage de la liberté d'expression, je suis certes d'accord avec le fait que non. Quant à savoir si cela relève d'une loi morale absolue en soi, je ne sais, mais que nous la suivions ainsi .... et à juste titre, je ne le conteste pas, mais j'admets ne pas être que clair sur cette question du fondement absolu éthique. En gros : est-ce d'abord son objet qui justifie le refus ou le refus qui oriente la conception morale que j'en ai ? Je ne prétends pas qu'il y a ici de réponse simple unilatérale.

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  25. Bon, je commence seulement à découvrir ce que vous écrivez. Il vaut mieux sans doute que je vous lise d'abord davantage. Encore merci.

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  26. Il ne m'est pas facile de répondre aux commentaires quand ils viennent de lecteurs nommés "anonyme" ou "inconnu" car je ne sais pas si ce sont la même personne et si c'est le même fil des réponses. Mieux vaut se donner un pseudo dans le genre "X" ou "Y"
    Cela étant dit, d'accord avec M. Anonyme.

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  27. Amateur mais persévérant30 mars 2024 à 09:14

    Il s'agissait bien de la même personne, maintenant vous saurez qui.

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  28. Amateur mais persévérant30 mars 2024 à 09:37

    Y'aurait-il d'ailleurs un ouvrage de vous que vous pourriez m'indiquer qui aborderait précisément cette question de l'universalité de l'éthique, disons dans le sens où elle s'articule certes à l'épistémologie mais peut-être aussi s'en distingue ... ? C'est un sujet qui m'interpelle et j'aimerai mieux comprendre votre position à ce sujet.

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    1. Je n'ai pas écrit sur l'universalité de l'éthique, du moins si par là vous voulez dire le principe d'universalisation des jugements moraux (qu'on formule le plus souvent avec l'impératif kantien, mais qui peut se formuler aussi avec une version utilitariste. J'ai écrit sur les relations éthique/ épistémologie dans Les vices du savoir (2019)

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  29. Amateur mais persévérant30 mars 2024 à 10:03

    Pour être plus clair sur ma demande, ce qui m'intrigue et m'intéresse particulièrement chez vous, pour ce que j'en ai compris jusqu'à présent : c'est la défense de la possibilité d'une universalité stable d'une vérité morale a minima (et donc, j'imagine, d'un fondement discernable), et ce sans appel à une transcendance religieuse, sans relativisme culturel, sans réduction au scientisme (mais vigilant à s'articuler à la rigueur scientifique), ni non plus à l'utilitarisme ? Je me demande jusqu'où cela peut tenir le cap de la clarté et avec quelle nuance si nécessaire (entre axiome et règle par exemple). Et j'arrête là, parce qu'en effet je sors sans doute ici trop du sujet exact que vous exposiez.

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  30. en effet je défends l'idée de vérité morale universelle indépendamment de toute vérité religieuse. Je ne suis pas très original en cela ! C'est un peu ce que toute la tradition kantienne soutient, de Kant lui-même à Richard Hare , à Rawls et à Parfit. Mais je ne souscris pas à la lettre kantienne, en particulier sur l'impératif catégorique.

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  31. Amateur mais persévérant1 avril 2024 à 12:01

    Mais si vous n'êtes ni dans la déontologie éthique ni l'utilitarisme, serait-ce plutôt celle dite des vertus ou encore autre chose ?

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  32. C'est un peu long à expliquer sur un blog, dans lequel je me contente d'allusions, et qui est destiné à titiller plus qu'à débattre, même si, comme vous voyez, je réponds. Dans le livre Vice du savoir, vous avez une réponse.

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  33. Votre position n'est donc peut-être pas si dépourvu d'originalité, hé hé. Je ne manquerai pas de lire l'ouvrage. Merci pour le temps pris à me répondre.

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  34. Amateur persévérant19 avril 2024 à 11:51

    J'ai conscience que mes questions ne portent pas sur le sujet précis que vous exposez, bien qu'elles lui soient liées, disons que je m'interroge et suis gêné, peut-être trop vite plutôt que de pousser davantage dans mes lectures en cours, vous me direz si cela vous paraît opportun ou encore trop précipité.
    Ne pourrait-on rapprocher la conception de Benda avec le réalisme moral de Moore ? Dans la mesure où je ne fais pas déjà fausse route, cela me pose une difficulté ... entre l'idée d'un bien absolu non réductible au naturalisme et le fait qu'il ne soit pas définissable en lui-même sans recours a minima à ce qui s'en manifeste ...?

    D'un côté, j'y pressens une remise en cause féconde de certains automatismes contemporains, dont je ne suis d'ailleurs pas entièrement dépourvu, pas plus cependant que je n'en suis satisfait. De l'autre, il y a cette difficulté récurrente dont il ne m'est pas si facile de me déconditionner dès que j'essaie d'envisager un réalisme moral qui ne soit pas que naturaliste, ni relativiste (même si oui j'admets qu'il y a peut-être quelque chose de non réductible, par la spécificité de l'esprit humain). Entre l'idée de valeurs absolues et celle d'un réalisme disons plus naturaliste qui semble parfois d'une terrible neutralité indifférente, il y a un reste de friction de résistance qui me gêne, que je ne suis pas sûr de pouvoir résoudre tout à fait, cela me semble exiger un degré de détachement tout en ne virant pas au renoncement, dont je vois certes en partie la pertinence mais aussi l'exigence comme très difficile. Parfois la vérité morale me semble certes évidente, et d'autres fois d'une ambiguïté peu réductible du moins quant à son application possible (qui a aussi sa force d'évidence quand bien même ambiguë).

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    1. Oui, Benda est un réaliste moral. Cela a été exposé par P.Engel dans Les lois de l'esprit. Mais il peut aussi être considéré comme kantien.

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  35. Amateur persévérant19 avril 2024 à 11:52

    Si je ne réduis pas la morale à mon seul désir psychologique, ni à la causalité factuelle, on se demande alors de quel champ exactement procède la morale et comment elle s'articule ensuite au factuel, jusqu'où lui est-elle liée indépendante ou autonome (Cela peut-il se relier à ce que Popper appelle le 3ème monde, ou Frege la 3ème sphère, voire encore l'esprit transcendantal de Kant -même si Benda me semble plutôt défendre une transcendance directe vers l'en soi ? Et j'admets ne pas toujours bien saisir les frontières et liens entre monde phénoménal ou physique et connaissance objective et dimension subjective ... mais surtout ici entre objectivité épistémique et morale... ) ? S'agirait-il d'admettre une spécificité de la nature humaine comme non réductible à la nature (le droit naturel des Lumières n'étant pas que naturel au sens basique, non ?)? Ou alors pencher vers le "monisme anomal" de Davidson, que la réduction demeure possible en principe, quand bien même elle ne ne l'est pas dans l'état actuel de nos connaissances ?

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  36. Amateur persévérant19 avril 2024 à 11:52

    Mais n'y-a-t-il pas alors tout de même rationnellement un moment où cette dernière (la nature basique) l'emporte sur l'absoluité de la valeur, et si elle en conditionne l'application, n'en conditionne-t-elle pas aussi le principe (la valeur morale est-elle indépendante de sa réalisation en application dans la réalité naturelle ? Ou plutôt le principe n'a pas de lien nécessaire à sa réalisation ? Serait-ce une question de degrés quant à leur liaison en fonction du possible ? Serait-ce un idéal qui serait au moins compatible en droit au réel naturaliste, et devrait l'être je suppose, quand bien même il ne s'y concrétiserait pas ?) ? N'y-a-t-il pas un risque d'abstraction trop grande de la morale ? D'un autre côté, j'admets aussi qu'il y a chez Benda un degré possiblement convaincant de libération d'un certain diktat de la factualité qu'on prend souvent pour une fatalité, là où elle ne l'est pas toujours, bien qu'elle puisse parfois l'être ... Jusqu'où le principe moral demeure clair, incorruptible, et indépendant de sa réalisation ou non , voire du pragmatisme (jusqu'où le rationalisme de Benda admet un lien nécessaire à le considérer ou une différence détachée avec celui-ci. Je me demande souvent ce qu'il répondrait, vous savez, dans certains cas de dilemme moral ...)?

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  37. Amateur persévérant19 avril 2024 à 12:09

    Pour faire court : je me demande s'il n'y a pas une position du milieu entre essentialisme et particularisme moral. Mais le souci de la nuance présente aussi le risque d'un mitigisme pas toujours indiqué ?

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    1. le particularisme moral s'oppose au généralisme, pas à l'essentialisme

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  38. En effet, un kantien rejette l'idée de dilemme moral: obligationes non colliguntur. Mais quand vous commentez Benda à quel texte vous référez vous?

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  39. Amateur persévérant19 avril 2024 à 18:11

    Je suis en train de lire La trahison des clercs (j'en suis à la moitié) mais vos réponses me font comprendre que je vais trop vite et fais encore pas mal de confusions. J'avais bien l'idée de confronter la pensée de Benda à une situation censée poser un dilemme moral, mais sans doute je dois davantage lire d'abord. Je me disais bien qu'il était assez proche de Kant, mais autant je reconnais que l'éthique ne peut se réduire à l'utile uniquement, autant son impératif catégorique ne me convainc pas complètement. Merci pour vos indications. Si je parviens à mieux saisir Benda, alors j'essaierai de cibler ma question de façon qui soit plus claire et précise.

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  40. Amateur persévérant20 avril 2024 à 06:01

    La critique que fait Benda d'une certaine modernité rejoindrait celle qu'on peut faire à propos du postmodernisme. Le problème aurait été notamment de privilégier l'intérêt, voire le bien-être (et ce qu'il connote d'affect plus individuel), derrière l'apparente noblesse des motivations politiques, au détriment de la vérité commune. L'intérêt général ne pouvant fonctionner au même régime que celui partisan et conflictuel, ni se résumer à l'aménagement opportuniste des petits intérêts de chacun ? C'est aussi la difficulté à comprendre que la vérité morale ne se réduit pas à la recherche de son bonheur. D'un autre côté, jusqu'où peut-elle en faire abstraction ? Le devoir ne semble pas plus mené par le désir qu'il ne peut intégralement s'en passer. Ce qui est curieux tout de même : c'est qu'on ait fini par associer à ce point relativisme et liberté, genre : ne pas s'enfermer dans un dogme, là où ce relativisme nous renvoie sans doute d'autant plus à une dépendance à des conditions contingentes. C'est retrouver le chemin d'une conception plus classique qui n'est pas si évident quand on s'en est tant éloigné (et le milieu et la génération d'où on vient joue un rôle) mais oui j'en sens la pertinence et l'éclaircissement, et pas seulement sur le plan épistémique, philosophique, politique, mais aussi celui psychologique... Mais il y a un tel chantier de travail et je m'y prends un peu tard !

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  41. Amateur persévérant20 avril 2024 à 11:28

    Et... est-il humainement accessible de parvenir à une conception infaillible des principes moraux ?

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  42. Amateur persévérant20 avril 2024 à 11:38

    Il me semble par exemple que la problématique écologique et ce qu'elle risque d'entraîner par la raréfaction des ressources disponibles a de fortes probabilités d'acculer l'humanité à certains dilemmes moraux. Une sélection extrêmement dure en fonction de la nécessité peut-elle encore prétendre à un universalisme moral ou aurait-elle justement à reconnaître sa dépendance au contexte ? A moins qu'on ne se refuse à ce type de sélection quelqu'en soient les conséquences (par exemple, se refuser à sacrifier un pan de population quand bien même cela impliquerait un risque pour la survie de la majorité ) ?

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    1. «Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle»

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    2. Amateur persévérant21 avril 2024 à 10:56

      D'abord, merci encore une fois, j'ai conscience que ma façon de faire doit prendre souvent des raccourcis discutables pour vous. Si j'ai compris : il serait donc hors de question de sacrifier quelques uns pour le bénéfice d'une majorité. Ce qui m'apparaît fort cohérent en principe en effet et oui, pourquoi pas. Il n'en demeure pas moins que sacrifier l'ensemble plutôt que trahir la règle quelle que soit la situation m'apparaît à la fois comme oui digne d'estime, difficile en application et donc toujours susceptible de débat. Alors ici je n'ai certes pas tous les outils techniques de compréhension (notamment sur les tropes... pourrait-il y en avoir des moraux ?), mais je me demande encore une fois si le plus sage ne demeure pas une forme de milieu entre universalisme et nominalisme quant au principe, reconnaître la pertinence d'une... tendance et la difficulté à l'établir comme definitive. Mais je reconnais que ma position demeure très critiquable quand il s'agit de trouver ce qui serait le plus à même de guider pour prendre une décision.

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    3. je n'ai pas dit cela
      ces discussions n'ont de sens que si on définit les termes.

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    4. Amateur persévérant22 avril 2024 à 12:21

      Les termes du contexte ou/et du principe ? Ou plutôt du principe en contexte ? Dans l'exemple de Harvard que vous donnez, il ne me semble en effet guère contestable que la limite à la liberté d'expression en ce sens ne soit pas relative au contexte. En revanche, dans le contexte que je proposais, il me semble qu'un principe devient plus difficilement indiscutable, justement parce que son application procède aussi des conditions de possibilités que pose le contexte. Il semble qu'il y aît de nombreux cas où ni nos principes ni leur contexte ne suffisent à déterminer clairement l'action morale la plus indiquée (un autre exemple classique : se refuser de torturer quelqu'un quand bien même ce serait pour sauver un nombre important de vies... quelqu'en soit le nombre ? Etc). Si Kant rejette l'idée de dilemme moral, je suppose qu'il est toujours sûr que le principe suffit pour lui indiquer l'application juste et sans failles quelque soit le contexte?

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    5. Amateur persévérant22 avril 2024 à 12:30

      A moins que Kant n'envisage le devoir de s'abstenir d'agir quand la résolution morale n'est pas claire ?

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    6. Ou bien encore...qu'on pourrait toujours décider d'agir mais que ce ne serait plus moral à proprement parler dès qu'il y aurait incertitude ? Bon, là, ça me paraît tiré par les cheveux... Je ne cherche pas à polémiquer hein, j'essaie juste de comprendre.

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    7. Amateur persévérant22 avril 2024 à 16:11

      Bon, il est possible que je fasse fausse route : admettons simplement que si on ajoute à "loi universelle" "en fonction de l'estimation et l'application possible", alors ça collerait..., même si j'ai l'impression que la déontologie y prend quelque couleur plus pragmatique.

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    8. oui les principes valent quels que soient les contextes. sans quoi c'est pas des principes. Mais leur application peut être discutable, si on invoque d'autres principes.

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    9. Amateur persévérant26 avril 2024 à 10:28

      Merci, c'est ce dont je voulais m'assurer. Cela peut paraître certes du simple bon sens, mais dans son débat avec Constant, je n'étais pas bien sûr de pouvoir suivre Kant sur tout (même si après prise de renseignement : il semble lui-même avoir affiné un peu sa position stricte plus tard ). Et je souhaitais mieux comprendre votre avis. D'ailleurs, j'aurais dû me souvenir que lors d'un de nos premiers échanges, vous m'aviez précisé que vous ne suiviez pas l'impératif catégorique à la lettre (et il y a aussi une sorte de nuance qu'on peut retrouver au sein même de l'intransigeance de Benda : car s'il privilégie l'éternité des valeurs, il n'en demeure pas moins attentif au contexte de son époque. Par exemple, lorsqu'il pourfend le nationalisme étriqué, mais reconnais qu'il irait jusqu'à s'allier à ses pires adversaires intellectuels si la France devait être menacée -mais certes pour les valeurs universelles qu'elle est sensée porter ... L'absence de compromis n'exclut pas néanmoins l'adaptation à ce qu'exige la situation.). Je me permets de rajouter que le contexte, s'il ne détermine pas les principes, conditionne en partie quelque chose de leur application et surtout de leur nécessaire mise en relation (puisque de prime abord l'interdit du mensonge et le devoir d'assister une personne en danger n'ont rien d'incompatibles en eux-mêmes, mais peuvent être amenés à se hiérarchiser ou à se nuancer entre eux, selon le cas du fameux exemple donné par Constant/Kant). Il semble aussi que le réalisme moral de Moore soit davantage conséquentialiste que Kant ? Et s'il devait y avoir encore erreur, approximation ou précipitation de ma part, je reste toujours volontiers preneur (et même demandeur) de corrections, dans la mesure bien-sûr de votre disponibilité et de ma compréhension.

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  43. Amateur persévérant20 avril 2024 à 11:50

    Ou alors il faudrait que la sélection puisse se baser sur une évaluation du mérite qui ne dépende pas de contingences ? Mais ne faudrait-il pas alors s'assurer d'abord de conditions de départ qui soient équitables pour qu'une sélection soit juste ? Ou bien encore... un universalisme moral qui prendrait en compte l'irréductibilité de certaines contingences est-il possible sans se contredire ? Bref, ça m'apparaît tout de même très complexe à l'application.

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  44. Amateur persévérant20 avril 2024 à 12:48

    Pour reprendre l'exemple du mensonge chez Kant, le principe absolu de vérité vaudrait absolument mais il pourrait y avoir une hiérarchie de priorités selon le contexte, par exemple : assister une personne en danger devenant prioritaire au principe de ne pas mentir ? Ce qui est curieux, c'est que le principe vaille absolument mais que son application puisse varier dépendre du contexte. Il s'agirait de tenir la distinction de la vérité morale comme principe et celle en application possible en comprenant qu'il n'y a pas là dualité mais différence de champ ? Cela me semble certes mieux nous guider mais ne nous garantit pas de l'erreur.

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  45. Amateur persévérant24 avril 2024 à 11:04

    Si je me suis trompé ou me montre trop imprécis pour vous, je tente une ultime fois une proposition, au cas où cela vous apparaîtrait comme plus sensé et conforme à ce que veut signifier Kant, sinon je n'insisterai plus : c'est peut-être que Kant ne prétend pas que le principe moral nous donne toujours les modalités complètes de l'application juste, mais qu'il en donne au moins le cadre, les conditions nécessaires incontournables à considérer quel que soit le contexte, mais pas obligatoirement suffisantes à tout déterminer systématiquement de l'action la plus indiquée ? L'interdiction du mensonge serait un repère général mais qui n'interdit pas l'adaptation selon la spécificité du contexte (par exemple : le principe de ne pas mentir est absolu à condition qu'il n'expose pas à un mal plus grand) ? Suis-je ici plus proche de ce que veut dire Kant ? Et si vraiment je vais encore trop vite, alors ok laissons tomber.

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  46. Amateur persévérant27 avril 2024 à 10:22

    Je me permets une toute dernière intervention sur ce sujet, par un exemple que j'ose croire cette fois plus précis et pertinent. Vous en jugerez.
    Un point qui m'a longtemps rendu soupçonneux sur la notion de principe, et fait perdre de vue sa pertinence propre, c'était aussi mon scepticisme quant à la nature humaine sur sa réelle capacité à se montrer à la hauteur en application. Kant rappelle cependant fort justement que ne pas appliquer le principe moral n'empêche pas qu'on ne puisse pas pour autant prétendre l'ignorer comme principe (et la nécessaire possibilité d'application qui va avec). Je crois que ce qui dérange pas mal de gens dans le caractère absolu du principe, c'est qu'il implique de ne plus pouvoir plaider son incapacité (à l'impossible, nul n'est tenu...) mais de reconnaître son propre degré de responsabilité dans le manque d'application du principe là où on "aurait dû" (et pû) ... Mais c'est alors sans doute restituer le poids d'une culpabilité qu'on cherche plus souvent à nier qu'à résoudre - ou ne serait-ce déjà qu'à reconnaître ... Reste que si l'application morale n'est pas impossible, elle peut s'avérer difficile. J'ai entendu le témoignage d'un officier ukrainien sur le front, et honnêtement : il y avait dans son propos -et son regard et le ton de sa voix...- quelque chose qui ne "sentait" pas le relativisme facile, mais une expérience qui semblait revenu de tout manichéisme facile. Qui n'avait pas renoncé à sa détermination mais avec quelque pointe à la fois de fébrilité et de lassitude désenchantée ...

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  47. Amateur persévérant27 avril 2024 à 10:23

    La marge d'autonomie de mon comportement moral (en application) ne me semble cependant pas totalement indépendante de l'intention d'autrui, surtout dans une situation extrême de guerre, mais remarquons : elle ne lui est pas -par définition bien-sûr- non plus dépendante en tous points (par exemple, prisonnier russe ou ukrainien, il s'agit ensuite de le faire parler... mais certains refusent d'employer n'importe quel type de méthode, quelle que soit l'utilité potentielle de l'information soutirée... et le risque, excusez le prosaïsme de l'expression, du "trop bon, trop con"... Mais ce refus, en conscience non naïve et assumant les éventuelles conséquences , est quoi qu'il en soit d'une noblesse morale indéniable. D'autant plus à la tenir en face de certains qui auraient moins de scrupules...).

    Mais il y aussi le devoir, hautement difficile sur un front de guerre, de courage : et sa mise à l'épreuve non seulement sous le feu, mais aussi sur la durée... Et la fatigue, et les moyens... La disposition de départ est une chose, l'application en continuité une autre, rappelait cet officier entendu. Ici se mesure la question non seulement de sa conviction mais de sa capacité. On pourrait se demander jusqu'où un principe moral engage l'intransigeance ou l'indulgence (un lien à prendre en compte donc avec la connaissance juste de notre limite objective pas toujours qu'évidente)... L'héroïsme sacrificiel peut être admirable et le signe d'un intérêt qui ne se réduit pas à son petit individualisme, mais il peut parfois aussi être vain et surtout désespéré... Le devoir militaire (mais qui est déjà moralement intrinsèquement sur le fil...) implique aussi de ne pas perdre de vue la question de son efficience. "J'ai moins besoin de héros et de bonnes intentions que de bons soldats et de munitions..." dixit l'officier (en gros, de mémoire, mais le sens y est).
    Non pas qu'il négligeait l'importance dans sa motivation de la cause qu'il défendait, mais il s'agaçait un peu de l'insistance sur ce point du journaliste occidental, là où lui désirait davantage parler de son manque cruel de moyens (et dans une certaine urgence de celui qui a les mains dans le sang et le cambouis -qui collent et ne sont pas toujours inodores...).

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    1. je crois que nous nous égarons. Je n'ai pas prétendu écrire un billet sur les obligations morales.

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  48. Amateur persévérant27 avril 2024 à 10:24

    Bref, je me demande si le réalisme moral de Moore, qui m'apparaît plus conséquentialiste que celui de Kant, ne nous rappelle pas en passant à une vigilance plus indiquée, sans rien enlever à la pertinence de Kant mais peut-être en la nuançant ? Dans la mesure encore où je ne me trompe pas sur la compréhension des deux.
    Un entrelacement, qui n'exclut donc pas leur spécificité propre ni leur nécessaire liaison, mais pas qu'aisément harmonieux, entre idée et incarnation, ou plutôt entre réalisme moral et celui plus naturaliste et neutre (aussi exigeants l'un que l'autre, mais justement en effet pas tout à fait réductibles l'un à l'autre).
    Et j'arrête là, car j'ai encore de la lecture sur la planche..., et excusez pour la longueur, mais ça m'a paru ici plus judicieux et précis (?).

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  49. pourriez vous me dire quels passages de Moore vous font dire çà? En tous cas Moore parle du bien comme valeur, alors que Kant parle de devoir et d'impératifs.

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  50. Amateur persévérant27 avril 2024 à 16:35

    Pour ce qui est de Moore comme plus conséquentialiste, cela ne vient pas en effet d'une lecture directe de l'auteur mais d'un commentaire le concernant (je dois pouvoir en retrouver la source en fouillant bien). Pour le reste, je pensais illustrer une relation entre principe et application, mais puisque vous dîtes que je m'égare, ok, je n'insiste pas.

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  51. Amateur persévérant27 avril 2024 à 16:56

    Et il est d'ailleurs tout à fait possible que j'ai mal compris le commentaire sur Moore et que je me sois trop éloigné du sujet que vous exposiez (qui il est vrai ne parlait que de la non dépendance du principe au contexte, quand je m'interrogeais davantage sur son rapport à l'application). Merci pour la précision sur la distinction entre bien/valeur chez Moore et devoir chez Kant.

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  52. Amateur persévérant27 avril 2024 à 17:34

    Le commentaire sur Moore vient du site Archives ouvertes HAL intitulé : L'utilitarisme idéal de Moore, un conséquentialisme non hédoniste, de Céline Bonnico-Donato. Je précise que j'y suis allé parce dans d'autres présentations, j'avais relevé qu'il était dit que Moore n'était pas tout à fait un intuitionniste moral et dans d'autres pas un conséquentialiste au sens habituel, et qu'ils semblaient cependant soit mettre l'accent sur le premier aspect soit le second (à moins encore une fois que je n'ai mal compris). J'ai eu l'impression alors en découvrant cet article qu'elle m'éclaircissait un peu sur ce point. Mais je n'ai jamais prétendu être sûr de ce que j'avançais, je me posais surtout la question. Et je ne sous-estime pas que j'ai à lire l'auteur dans le texte (seulement je ne peux tout faire en même temps alors même que des questions m'y renvoient ! Et je fais avec mon temps libre et mes moyens seuls face aux livres sans aucun cadre extérieur pour m'aider quand j'ai des difficultés). Il n'y a qu'à travers les exemples que je vous ai soumis que je donne plus proprement mon avis. Mais dont vous me dites qu'ils s'éloignent beaucoup trop du sujet. Ok, j'en prends bonne note, et désolé, j'ai cru à tort être suffisamment dans les clous, je n'ai pas eu conscience d'être à ce point à côté.

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  53. peut être les choses seraient elles plus simples si, au lieu d'éparpiller vos commentaires, vous les réunissiez en un seul. Vous avez raison de soulever ces questions, mais le billet "Benda à Harvard"portait sur la liberté académique et les responsabilités des intellectuels, pas sur les questions de l'éthique du devoir et des impératifs moraux. Ce sont des questions certes importantes, mais qu'un blogueur, même philosophe, ne peut entreprendre dans ce cadre.

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  54. Amateur qui s'est précipité28 avril 2024 à 14:52

    D'accord, je suis sans doute trop hors sujet. Non pas que je n'aurais rien remarqué de certains enjeux et dérives plus proprement actuels, mais je reconnais que je ne suis pas assez au fait de tout ce qui s'y passe et que je n'aurais donc rien à faire remarquer de mieux que ceux qui connaissent plus le sujet que moi (encore que par exemple le côté néo-lynchage ou autodafé de la "cancel culture" me hérisse assez spontanément...). Certes je considère, à tort ou à raison, qu'il y a un questionnement plus large inesquivable (sur principe et application en contexte) qui lui demeure lié d'après moi (ce qui ne veut pas dire que j'exclus la possibilité de me tromper de cible ou/et de façon de faire) et pourrait peut-être rejoindre ensuite de façon plus précise le débat. Mais cela demande sans doute en effet un détour trop vaste pour le format de ce blog.
    Même si ce questionnement reste d'après moi sous-jacent à ce qui se manifeste aujourd'hui, entre confusion et division de la sphère publique et privée, de l'universel et du communautaire/particulier, mais aussi de façon pour moi encore plus compliquée entre réalisme moral et naturaliste, quand ce n'est pas une drôle d'alternance des revendications par tantôt l'un tantôt l'autre, à travers surtout la prétention qui m'apparaît contradictoire de s'affranchir de tout réalisme tout en revendiquant la vérité morale. Qui prétend à la liberté en récusant sans plus d'argument les conditions mêmes d'un débat possible, là où il me semble légitime (je pense à l'affaire Kathleen Stock).
    Quant à ma difficulté plus personnelle à m'y retrouver et à davantage trancher, elle tient sans doute au fait que je ne suis pas moi-même exempt de toute confusion : plus globalement, je n'arrive pas plus à suivre ce qui relèverait d'un pur essentialisme que d'un pur constructivisme, si je ne me trompe pas déjà sur l'enjeu en le simplifiant trop. Mais mon doute quoi qu'il en soit n'est pas une prétention à une sorte de réponse alambiquée, même si je suis souvent tenté à chercher l'éventualité d'une troisième voie, mais sans encore trop savoir moi-même jusqu'à présent s'il y a là possible pertinence de ma part ou égarement qui s'avèrera vain, je suis surtout au stade de l'interrogation non close, mais qui espère que cela ne relève pas uniquement d'une complaisance stagnante ou de la seule insuffisance de mon travail de réflexion. La difficulté de l'isolement social, c'est qu'on mesure sans doute assez mal les limitations exactes de sa place, de sa compétence, de sa progression possible et selon les sujets traités. Mais tout ça est justement encore une fois soit trop vaste soit trop personnel pour votre blog.
    Je me rends compte tout de même qu'alors que je dois vous paraître depuis un moment quelque peu à côté de la plaque, vous n'avez jamais négligé mes envois, ce qui malgré mon incapacité à bien cerner votre exigence qui ne m'est pas que facile (surtout je crois parce qu'il me manque une certaine finesse d'appréhension des distinctions) me permet au moins de reconnaître une certaine patience et tolérance de votre part, dont je n'abuserai d'ailleurs pas, alors merci pour votre attention.

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  55. détrompez vous: vos commentaires sont intéressants, et je vous en remercie mais si nombreux et profus que le responsable du blog ne parvient pas à répondre à tous.

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