Jacques Chevalier 1882-1962 |
Jacques Chevalier, ministre de l'éducation sous Vichy en 1940-41 , clérical assumé, qui avait fait un projet d'enseignement pour Franco, réintroduisit dans l'enseignement les devoirs envers Dieu. Il était l'un des principaux disciples d'Henri Bergson qui,dans les milieux catholiques était devenu le principal rempart contre les doctrines socialistes comme celle de Durkheim et le marxisme. On était loin du temps où l'auteur de l'Evolution créatrice était mis à l'index. (*)
" J'avais procédé, pour ma part, à une soigneuse révision des notions de Morale, incomplètes, mal rédigées et présentées sans aucun ordre, et j'avais introduit les « Devoirs envers Dieu » : dans le
programme de Morale. » C'est ainsi qu'ils furent introduits dans les programmes des écoles primaires élémentaires et des écoles primaires supérieures, la phrase : « Entretiens familiers et lectures sur les principaux devoirs envers nous mêmes, envers nos semblables (Famille et Patrie) et envers Dieu"
Il rédige la nouvelle loi sur l'instruction publique:
Article 1er L 'article 2 de la loi du 28 mars 1882 est abrogé et remplacé
par les dispositions suivantes :
Article 2
L' instruction religieuse sera comprise, à titre d'enseignement à option, dans les horaires scolaires. En outre les écoles primaires publiques vaqueront une matinée par semaine, en dehors du dimanche,
afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants, l'instruction religieuse . L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées [...]
En raison des remous des partis anti-cléricaux de Vichy ,Chevalier est remplacé par Jerome Carcopino et devient ministre de la famille. Quand Bergson meurt en 1941, il demande que l'Etat lui rende un hommage officiel ,ce qui déplaît aux collaborationnistes . Mais en 1941, il interdit aux juifs de passer l'agrégation, destitue un universitaire juif à Grenoble et aide la milice à arrêter des résistants. Le , il est condamné à vingt ans de travaux forcés, à la dégradation nationale et à la confiscation de la moitié de ses biens. Il est nonobstant grâcié en 1947 et se consacre à sa monumentale Histoire de la pensée ( 1955, 4 tomes, réed 1992,avec des préfaces de Pierre Aubenque de Rémi Brague et de Bruno Pinchard)
On lira ici un article tellement pudique sur Chevalier qu'il ne dit mot de son activité pendant la seconde guerre mondiale :
VIEILLARD-BARON Jean-Louis, « Jacques Chevalier : Un philosophe catholique entre les deux guerres », Transversalités, 2012/4 (N° 124), p. 93-108. DOI : 10.3917/trans.124.0093. URL : https://www-cairn-info.inshs.bib.cnrs.fr/revue-transversalites-2012-4-page-93.htm
LA référence |
Dans ses entretiens avec Henri Bergson (Plon 1959) il rapporte (p. 213) qu'on reprochait à Bergson d'être trop complimenteur . La raison qui nous en est donnée est qu'il avait soif de sympathie,depuis qu'il avait été attaqué par Benda . Ce même Bergson disait, dans un discours de distribution des prix sur la politesse au Lycée Henri IV en 1892 ( auquel ,soit dit plus qu'en passant, assista Alfred Jarry, élève de Bergson en1892, et dont on devine qu'il en tira grand parti quand le Père Ubu manifesta son hostilité à l' armerdre, à l'Eglise, et aux politiques(**) :
"Une louange méritée, une parole aimable, pourra produire sur ces âmes l’effet d’un rayon de soleil tombant tout à coup sur une campagne désolée ; comme lui, elle les fera reprendre à la vie, et même, plus efficace, elle transformera parfois en fruits des fleurs qui se seraient sans cela séchées.
Au contraire, une allusion involontaire, un mot de blâme sorti d’une bouche autorisée, peuvent nous jeter dans cette tristesse où mécontents de nous, désespérant de l’avenir, nous croyons voir se fermer devant nous toutes les avenues de la vie."
* on consultera sur cette période notamment, Olivier Bloch, dir. Philosopher en France sous l'occupation, Presses de Paris I Sorbonne2009
** Voir Yosuké Koda ,"le cours de Bergson et la quête de l'absolu chez Jarry",
in L'étoile absinthe.
voir aussi sur ce blog : Jarry et la poire du père Bergson
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJacques Chevalier était emblématique d'une période troublée, pendant laquelle l'histoire allait trop vite, avec un défaut ou un trucage de l'information. Il fallait pouvoir créer de nouveaux outils intellectuels pour échapper au brouillage idéologique de l'époque. On dit souvent : et nous, qu'aurions-nous fait ? Pour résoudre les contradictions de l'époque, il y avait les grandes philosophies, qui pensent tout, elles-mêmes et leur contraire, à la façon du paradoxe du barbier. Ainsi, on pouvait être bergsonien et antisémite dans sa pratique de secrétaire d'État, ou encore bergsonien et milicien féroce dans sa pratique de recteur d'université. Ou bien, comme le Collaborateur selon Sartre, être inconsciemment hégélien, tout en rejetant l'héritage des Lumières et de la Révolution. Hegel permettait d'accepter dialectiquement les exigences nazies, afin de restaurer un jour la grandeur de la France, et donc d'être à la fois vychiste et anti-allemand.
RépondreSupprimerEst-ce à dire que le bergsonisme était une philosophie trop fluide, qui excusait le Collaborateur de collaborer, quand il restait un bergsonien revendiqué ? Ce qui frappe chez Chevalier, c'est le rêve d'un "happy end" de l'histoire. À Oxford, il ne s'intéresse pas aux analytiques, mais aux anglicans qui veulent revenir dans l'église catholique. De même, à la fin de l'année 1942, il croit naïvement que Pétain ira retrouver de Gaulle à Alger.
Hegel a bon dos ! la thèse de Chevalier, d'accords secrets Pétain-Churchill ou Halifax , a été également soutenue par Louis Rougier. Le Maréchal voulait sauver la France au nom du SacréCoeur, et sauver les Juifs . Le méchant Laval voulait la mettre à la botte d'Hitler. Encore la dialectique?
SupprimerHegel est commode . Laval c'est la ruse de la raison.
RépondreSupprimerLa revue "Philosophia Scientiae" des Archives Henri-Poincaré a publié un excellent numéro sur "la parenthèse Vichy" dans l'enseignement et la recherche. Je n'ai pas encore rencontré Jacques Chevalier. Il est vrai qu'il ne s'intéressait ni à la physique, ni au positivisme logique. Je ne trouve pas non plus Paul Valéry, qui poursuivit héroïquement ses cours de poétique à coloration scientifique, dans un Collège de France laissé sans chauffage parce qu'il était très anti-allemand.
RépondreSupprimeroui, j'ai vu, merci.
RépondreSupprimerJe ne sais pas s'il y avait de l'heroïsme à enseigner au CdF pendant la guerre. Mauss fut exclu du College parce que juif; Bernard Faÿ , collaborateur notoire et antisémite appartenait encore à l'institution, Louis Lavelle aussi. Voir Halbwachs , "ma campagne au Collège de France". Carcopino avakit succédé à Chevalier. Quant à Valéry, il avait reçu Pétain à l'Acadéfraise. Malgré son opposition à Vichy, Valéry était en bonne compagnie.
Seuls les épistémologues ont fait une belle guerre, comme Jean Cavaillès, Georges Canguilhem ou le maquisard Gilles-Gaston Granger. Pourtant, Canguilhem ne détestait pas Bergson. Ils étaient tous plus ou moins des structuralistes spinozistes, dans le sillage de Brunschvicg. Quant au structuralisme de Martial Gueroult, il infléchissait le spinozisme vers la Doctrine de la Science, c'est-à-dire vers le système de l'idéalisme allemand. D'ailleurs, dans un autre domaine, la physique quantique a un grand besoin de philosophie idéaliste pour continuer à avancer. C'est ce qu'avait compris le dernier Vuillemin, ou Louis de Broglie quand il appliquait la philosophie de Schelling, néo-mystique rhénan, à l'explication du mixte onde-corpuscule. Le concept de particule pose un sérieux problème aux logiciens.
RépondreSupprimerAu demeurant, la guerre a accouché du structuralisme mathématique à la Bourbaki. C'était le triomphe de la philosophie de l'algèbre, et de son prolongement, la philosophie de la logique.
La philosophie de l'algèbre a donné tout ce qu'elle pouvait. Elle reviendra un jour, après s'être enrichie ailleurs. Pour l'heure, du côté du Collège de France, c'est la géométrie spectrale de Nalini Anantharaman qui a remplacé la géométrie algébrique de Claire Voisin.
Il faudrait écrire une philosophie de la topologie, en tant que science du lieu fractal. Ce serait une philosophie du mille-feuilles, sous l'éclairage de la géométrie différentielle. Cela ouvre des perspectives littéraires. Comme le dernier Grothendieck, ou le mathématicien-poète Jacques Roubaud, l'algébriste des distributions Alain Connes est passé de la cohomologie entre figure et nombre, démontrée par la géométrie algébrique, à l'homotopie de la géométrie différentielle. En clair, il est passé de la mesure de l'exactitude du structuralisme mathématique, ou plutôt de la mesure exacte de ce qui obstrue l'exactitude, à l'incertitude de la créativité topologique, qui a davantage de résonances littéraires. Dans un Séminaire mémorable d'Antoine Compagnon, Connes a étudié le mille-feuilles proustien.
Il me semble que vous nous avez éclairés sur le mille-feuilles de Grothendieck.
Canguilhem était alinien, pacifiste.
RépondreSupprimerde Vuillemin, lisez Trois histoires de guerre, Cêtre, 1992
Sur wikipedia on dit, as usual, n'importe quoi: "il était proche de Michel Serres ". Quand on lit ce que Serres dit de lui dans son livre de mémoires de jeunesse, on se dit que JV a dû être bien aveugle.
Le mille-feuilles de Jacques Roubaud, c'était "Le Grand incendie de Londres". Il vaut ce qu'il vaut, et l'approximation de la géométrie différentielle lui a offert un espace de jeu. Quoi qu'il en soit, nous ne l'avons jamais lu, car Jacques Roubaud était à la revue "Change", alors que nous étions telqueliens avec Sollers. Il faudrait détruire notre liste noire et réparer une injustice.
RépondreSupprimerJe ne sais plus pourquoi Cédric Villani a eu la Médaille Fields, mais il a adopté le mille-feuilles macronien. C'est un pâté d'alouettes, avec des pages de mémoire gaullistes, socialistes, etc., qui tiennent ensemble on ne sait comment. De son côté, Trump, par la magie de la post-vérité, fait coïncider des pages de vérités alternatives, en les superposant dans son mille-feuilles. Je crois que je commence à comprendre votre analyse du trumpisme.
mille feuille n'est pas la bonne métaphore; une meilleure est pasticcio, voir Gadda, Che bruto pasticcio della via merulana
RépondreSupprimerLe livre de Gadda semble être de la littérature "droodienne" à l'italienne. Au cinéma, Pietro Germi a réussi à lui trouver un coupable pour la fin.
RépondreSupprimerIl est peut-être excessif d'inventer un feuilletage d'espaces riemanniens connectés de façon erratique, pour modéliser la post-vérité. Il est plus intéressant de voir la géométrie spectrale, qui définit la géométrie différentielle d'un objet à partir du spectre de sa vibration, comme un pouvoir de Daredevil, héros de Marvel.
Le mille-feuilles de Jacques Roubaud est un peu plan-plan, mais on dirait un objet créé par une impression en trois dimensions.