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lundi 22 février 2016

Le vin à principes




Depuis Noé, le vin a la réputation d'altérer le sens des principes. Dans sa description de l'anarchie révolutionnaire de 89 dans Les origines de la France contemporaine, Taine insiste sur l'importance du vin pour les émeutiers et sur le rôle que celui-ci joue dans la fureur de la populace qui pille les maisons nobles et bourgeoises, ainsi que les couvents et d'abord leurs caves. Il compare la révolution à l'ivresse et au banquet où l'on roule sous la table.


" Une bande enfonce à coups de hache la porte des Lazaristes, brise la bibliothèque, les armoires, les tableaux, les fenêtres, le cabinet de physique, se précipite dans les caves, défonce les tonneaux et se soûle : vingt-quatre heures après, on y trouva une trentaine de morts et de mourants, noyés dans le vin, hommes et femmes, dont une enceinte de neuf mois. Devant la maison, la rue est pleine de débris et de brigands qui tiennent à la main, les uns « des comestibles, les autres un broc, forcent les passants à boire et versent à tout venant. Le vin coule en talus dans le ruisseau, l’odorat en est frappé.

  .... c’est une kermesse. Les uns, dans les caves, défoncent les tonneaux de vin précieux ; 15 000 mesures en sont perdues et font un étang de cinq pieds de profondeur où plusieurs se noient....

Le lendemain, gens du peuple et soldats entrent dans les cafés, les couvents, les auberges, se font livrer à discrétion le vin et les vivres, puis, échauffés par la boisson, brûlent les bureaux de la régie, forcent plusieurs prisons, délivrent les contrebandiers et les déserteurs. Pour arrêter la saturnale, on imagine un grand banquet en plein air, où la garde nationale fraternisera avec toute la garnison ; mais le banquet tourne en kermesse, des compagnies restent ivres mortes sous les tables ; d’autres emmènent avec elles quatre muids de vin et les dernières, se trouvant frustrées, se répandent hors des murs pour piller les caves des villages... Chez le notaire, six cents bouteilles de vin sont bues ou emportées...

Le vin est répandu dans les caves ; un tonneau de 1 600 mesures en laisse échapper la moitié ; l’argenterie et le linge sont emportés. »

et Taine de conclure: "La toute-puissance subite et la licence de tuer sont un vin trop fort pour la nature humaine ; le vertige vient, l’homme voit rouge, et son délire s’achève par la férocité.".....
 
" Dans ce grand banquet national qu’elle croyait conduire, et auquel, portes ouvertes, elle appelait toute la France, elle s’est d’abord enivrée d’un vin noble ; mais elle a trinqué avec la populace, et, par degrés, sous la pression de ses convives, elle est descendue jusqu’aux boissons frelatées et brûlantes, jusqu’à l’ivresse malsaine et grotesque, d’autant plus grotesque et malsaine qu’elle persiste à se prendre pour la raison. "

(Taine, Les origines de la France contemporaine, l’anarchie, passim )

 On rapporte que Vergniaud avait une bonne cave, que Danton avait la sienne pleine de Bourgogne et de Bordeaux. Bernard Pivot rapporte dans son Dictionnaire amoureux du vin  que Robespierre jeune avait écrit un poème à Bacchus.

Taine avait tort. Le vin peut être à principes. Il peut être au service de la raison, du droit, de la démocratie et de la religion.


 Les vins du Federaliste  sont, nous dit la publicité, des vins à principes , et même un vin révolutionnaire.
 

 Ils maintiennent même l'impératif catégorique.



   et aident à croire en Dieu 

  

   
        Et l'on ne sera pas surpris d'apprendre que Donald Trump possèdait un vignoble, que, selon le site consulté, il a légué à son fils. 



12 commentaires:

  1. J'ai toujours plutôt entendu des louanges quant à la consommation de vin. Outre le "in vino veritas", il y a bien ce bon Rabelais qui disait que le vin clarifie l'esprit et l'entendement. En même temps, il suffit d'aller faire un tour à Pommard ou Savigny pour se rendre compte que le vin apaise et rend heureux. On donnait bien aussi du vin pendant la guerre pour faire passer la pilule des combats. Le vin -ou pinard - étant même une arme stratégique rendant aux plus désespérés le courage et la force de se battre encore!

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  2. Le point de vue antimoderne de Taine sur la Révolution est des plus intéressants Il y a eu aussi les Frères Goncourt, heureux propriétaires du Pavillon Carré de Beaudoin et de sa façade italienne, une ancienne folie du XVIIIème, qui parlaient de la dictature du portier sous la Terreur. Et Jacques Bainville, l'historien d'Action Française qui évoquait l'effarement des Français quand après Thermidor ils découvraient de très petits personnages, sans génie, parfois sans talent, qui les avaient terrorisés. Dans "Stello", Alfred de Vigny reprenait l'histoire d'André Chénier, en discutant les arguments de Joseph de Maistre. La mort d'André Chénier, c'était un crime contre la Poésie. Il aurait pu aussi parler de l'exécution de Lavoisier.

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  3. Ces scènes d'ivresse furieuse appellent un diagnostic psychiatrique. Plus modestement, le Docteur Cabanès, sorte de double du Professeur Janet qui servit de modèle à Tournesol, écrivit un livre sur la névrose révolutionnaire. Les sociologues disent qu'il n'y eut pas plus de fous sous la Révolution que sous l'Ancien Régime. Dans ce domaine, le problème de la Révolution, ce furent les féministes, le Marquis de Sade et les louves solitaires comme Charlotte Corday.

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  4. J'ai voulu rapprocher ces descriptions d'ivresse et de folie vinicole révolutionnaire avec cet usage raisonnable, quasiment vertueux du vin proposé par la marque The Federalist , qui se réclame de la révolution aussi, mais l'américaine.

    Notez , pour un autre parallèle, le homard Thermidor et le homard du Maine. je demande à mes honorables lecteurs : ce homard porte-til son nom en raison du bain de sang thermidorien ? En tous cas le vin conseillé avec est blanc: du Chablis, du Menetou ou du Crozes hermittage. Revanche de la noblesse sur Robespierre ?

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  5. Qui ne voit que les "principes" en question ne vont pas plus loin que l'étiquette ? Ceux qui ont pris de la bouteille peuvent s'attendre à tous les débordements quelle que soit la qualité de son contenu. On peut aussi baptiser un lupanar ordinaire "temple de la vertu" sans même orner l'inscription de la modeste (et prometteuse)épithète "petite"...

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  6. Il y a des vins qui aiment se nommer "le sang du peuple" ou "Cuvée révolutionnaire" ou encore " le vin des sans culottes". Mais je n'avais jamais vu "vin à principe". En revanche, Roger Scruton a écrit un livre " I drink, therefore I am" et Christopher Hitchens a édicté des règles du bien boire, ainsi que Chersterton : " Ne buvez jamais parce que vous en avez besoin, car ce serait boire d’une manière rationnelle, c’est le chemin le plus sûr de la mort et de l’enfer, buvez au contraire parce que vous n’en avez pas besoin car c’est irrationnel et c’est l’antique santé du monde. "


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  7. Je m'interroge sur l'intention qu'entretiennent les pros du marketing qui gèrent le Fédéraliste et surtout est-ce que ça marche? J'ai bien l'impression que la méthode vaut pour certaines cultures mais pas d'autres. Ça pourrait marcher en France même si la promotion du vin va contre d'autres principes comme ceux du politiquement correct.

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  8. Bien sûr que çà marche ; pensez aux anisettes vendues en Algérie pendant l'affaire Dreyfus
    ( "anisette anti juive").

    http://www.delcampe.net/page/item/id,0169568661,language,F.html

    Evidemment c'est plus dur de trouver du vin
    musulman.

    Mais je ne vois pas pourquoi pas du vin des Camisards. En tous il y a au moins fromage, et là où il y a du fromage, le vin n'est jamais loin.

    Je n'imagine pas Trump possédant une fromagerie, cependant

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  9. À mon avis, l'alcool a la splendeur métaphysique des choses qui ne servent à rien. Il n' a pas bon goût, ou son goût est très étrange dans le cas du whisky. Il ne désaltère pas, il n' est pas nécessaire d'avoir soif pour en boire et on ne doit pas boire pour se saouler. Dans notre débat, je trouve curieux que personne n'invite le Capitaine Haddock et son delirium tremens dans les mirages du désert !

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  10. Mais que diraient les Saint Bernard ou les bourreaux qui donnaient un dernier verre aux condamnés à vos propos de président de Ligue antialcoolique, qui rejoignent d'ailleurs ceux du protestant Taine ( né catholique, il se convertit au protestantisme avant sa mort)

    voyez Barrès

    http://litterature20.paris-sorbonne.fr/taine-et-renan-page-8-barres-1.html

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  11. J' admets que mon commentaire passerait bien mieux avec les flonflons de l'Armée du Salut. Mais il n'atteint vraiment pas l'élévation spirituelle d'un Taine ou d'un Renan. Il est d'ailleurs saisissant de voir un jeune Barrès, esthète décadent, entrer en communion avec son vieux maître parvenu au dernier degré de la sagesse.
    Pour revenir au débat, iI faudrait dire que le vin est en principe raisonnablement alcoolisé, et qu'il n'est pas l'alcool.
    S'il fallait aussi parler de la métaphysique de l'alcool, il y a le troisième verre selon Oscar Wilde, qui fait voir les choses comme elles sont. Et c'est affreux, parce que pour un dandy impénitent, le fond des choses est la laideur !
    Pour moi, c'est aussi affaire de qualités secondes. Il y a les qualités ajoutées à l'alcool que l'on boit, le goût de fruit ou de fût de chêne, ou bien la température glaciale, qui disparaissent. Il reste les qualités qui sont dans la configuration des corps. L'alcool bu est froid, coupant et violent comme un métal qui serait entré en composition avec mon corps.
    Néanmoins, il y a le verre du condamné. S'il s'agit du dernier verre de rhum de Monsieur Verdoux, qui est aussi son premier verre, je me rends à vos raisons !

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  12. Nous étions partis de la question de savoir si le vin est ami ou ennemi de la raison. Taine pense clairement que non, en raison de ses pouvoirs sur l'esprit. Il laisse même entendre que les abus révolutionnaires s'expliquent par le vin. La question des qualia ou qualités secondes est autre chose. A priori elles ne sont pas ennemies de la raison. La raison aurait tort de se contenter des qualités premières. Elle ne parviendrait pas à expliquer les actions des gens si elle les négligeait. Les deux tiers de nos vies en dépendent.

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