Pages

jeudi 4 février 2016

Alceste au bac




Un critique m'a qualifié d'auteur de dissertations de terminale. Je poursuis donc dans cette veine.


 Sujet de dissertation de philosophie donné au bac 2016
La philanthropie est-elle une bonne chose ?

Copie d’Algernon Schmorenzeit, Lycée de Bourg en Bresse,  ayant reçu la note de 19/20

   La philanthropie est bien vue. Les milliardaires la pratiquent, et même si c’est le plus souvent pour échapper aux impôts et faire du buzz sur les réseaux et les médias, et finalement pour pouvoir investir plus et se protéger des critiques méchantes de ceux qui notent que 1% de la population planétaire possède 90% de la richesse du globe entier, qui se chagrinerait des redistributions qu’elle induit ? En plus si un milliardaire vient donner l’aumône à ma place au mendiant qui m’accoste dans la rue, je me sens mieux. Et ne satisfait-elle pas ce sentiment de sympathie universelle dont Hume disait qu’il est un des ressorts de l’âme humaine ? Même si on la trouve larmoyante et cucul, ne préfère-t-on pas aider un réfugié en loques que donner plus à une vieille dame riche, même malade et malheureuse ?
     Bien sûr il y a des objections. La philanthropie est supposée nous conduire à aimer tous les hommes, dans toutes les conditions, mais aussi particulièrement ceux qui sont dans le besoin. Elle satisfait notre amour du genre humain, nos principes kantiens. Mais si les pauvres mordent la main qui les nourrit, que dire ? S’ils sont criminels, malgré la gentillesse dont nous les abreuvons, que dire ? Faut-il, vieux dilemme chrétien, toujours être charitable, au détriment de la justice ? Et la philanthropie n’est-elle pas tout simplement un renforcement du pouvoir des riches ? Si je donne au pauvre des sous, mais le force à aller aux écoles que j’ai construites pour lui, comme le fit jadis Pullman et de nos jours les Gates, Zuckerberg, Buffet etc. , est-ce que je le libère ? Si je sors l’Oncle Tom de sa case pour en faire un Nestor dans ma maison coloniale, j’ai été philanthrope, mais ne lui ai-je pas soutiré , comme un vulgaire voleur, ce qu’il a de plus précieux, sa liberté ? Et si en plus, je montre au monde entier combien je suis généreux et aimable à tout le genre humain, ne satisfais-je pas des instincts aussi bas que ceux je prétends combattre ?
   On connaît toutes ces objections. Elles sont fortes, irrépressibles. La plus évidente est encore celle-ci : le genre humain n’est pas aimable. L’attitude naturelle de tout humain n’est pas la philanthropie , mais la misanthropie. Qui va dire que je peux aimer les hommes politiques que je vois tous les jours, les gens dans la rue, les misérables de toutes sortes qui s'attachent à mes basques, les employés tatillons et hargneux, les commerçants gripesous, les enflures que la vie m'apporte à chaque tournant?  Ce n'est pas seulement que je ne peux pas: je ne dois pas. Admettons que Kant ait raison, et que je doive aimer en moi et chez les autres l'humanité. Le meilleur moyen pour y parvenir est-il de donner plus aux miséreux ? Non. C'est de les traiter comme s'ils étaient les pires exemplaires du genre humain. Si l'on est misanthrope, on ne donnera jamais crédit aux humains, mais on s'étonnera, chaque fois qu'une lueur d'intelligence ou de bonté les anime. Alors que le philanthrope suppose que cette lueur éclaire toujours les visages des Affreux sales et méchants . C'est une grosse erreur. Ils sont affreux, sales et méchants. Mais quel plaisir insigne quand l'un d'eux est capable de s'élever à un semblant de raison, de bonté! Il est si agréable d'avoir, en de très rares occasions, la surprise de constater un peu de raison et d'humanité. N'est ce pas bien plus agréable que de supposer bêtement que ces qualités sont toujours là? La misanthropie est la meilleure attitude. Nos milliardaires en fait la pratiquent. Je les soupçonne de monter toutes ces opérations de charité publique afin de sélectionner, dans les populations qu'ils aident de leur dons, les quelques lueurs d'humanité. Ils sont en fait misanthropes. Et ont bien raison. 

commentaire du professeur ayant noté la copie : 

Très amusant travail, bien vu, même si pas toujours bien raisonné. Mais un peu trop schopenhauerien. 

                                                     Brutti, Sporchi e Cattivi

28 commentaires:

  1. Algernon mérite encore et toujours des fleurs, même s'il pense que notre époque, c'est de la daube. On lui dit aussi merci pour cet hommage à Ettore Scola...

    RépondreSupprimer
  2. ça file en tropes4 février 2016 à 08:59

    Les professeurs de philosophie écrivent-ils tous des commentaires de notation aussi expéditifs et dilettantes?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce commentaire est moins expéditif et dilettante que dépourvu de tout air de famille avec ce qui s'écrit sur les copies de bac...
      À dire vrai, on écrit peu. Dans certaines disciplines autres que la philosophie, on entend l'inspection conseiller officieusement d'écrire le moins possible, voire rien du tout, pour ne pas donner prise aux contestations de note.
      Et puis on s'achemine vers la copie virtuelle, lisible à l'écran et emmerdante à annoter pour cela...

      Supprimer
    2. et voilà , la political correctness qui revient ... surtout ne pas dire à un élève qu'il est con, ou inversement, génial. De mon temps on ne s'en privait pas. la cancre était un cancre, et le bon, un cancre en puissance.
      on nous a dit que cette morgue avait tué l'enseignement. Se porte-til mieux aux US où l'on dit aux éléves, quelle que soit la qualité du travail : "You're great ! such a nice job ! wow! great essay !

      Supprimer
    3. Mais pourquoi donc parler des US ? En France, de la maternelle à la Terminale, on promeut les encouragements systématiques...
      Dire la vérité est porter atteinte aux Droits de l'élève.

      Supprimer
    4. c'est venu des US.
      avant les années 90 en gros, l'enseignant français fustigeait. a présent il n'a plus le droit de dire quoi que ce soit de mal. On ne redouble plus, les parents dictent la pédagogie, l'élève est une sorte de client, quand bien même , à la différence des écoles, US, il ne paie pas.

      Supprimer
    5. J'en connais dont les annotations en marge
      équivalent en longueur au devoir de l'élève, mais l'espèce dont je parle est en voie de disparition. On les compte sur les doigts d'une demi-main...

      Supprimer
    6. Avec la pratique du trigger warning qui est née aux US, il est même impératif de ne pas formuler le mot "cancre" ou de ne pas le faire lire à une classe car cela pourrait réveiller les traumatismes d'un élève qui aurait été traité de tel dans le passé ; on devine alors la quantité de mots imprononçables ("to violate the law" devient même une expression à l'emploi problématique).

      Supprimer
    7. oui, et lisez mon billet suivant, qui devrait quasiment me conduire en tôle

      Supprimer
  3. Vous avez raison, il faut exiger la double correction...

    RépondreSupprimer
  4. " auteur de dissertations de terminale "

    On traitait bien Albert Camus d' "auteur pour classe terminale ", cela a passé depuis.
    Attendez patiemment comme tout homme célèbre, jalousé et envié, l' au-delà de votre purgatoire!
    Être au purgatoire de son vivant ce n' est pas donné à tout le monde...

    RépondreSupprimer
  5. Camus EST un auteur pour classes terminales, il n'a que ce qu'il mérite.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On peut dire cela moins méchamment : c'est un écrivain, auteur de romans, de pièces de théâtre et d'essais.
      Jean-Jacques Brochier est un auteur pour qui, lui ?

      Cela dit, "Le mythe de Sisyphe" est illisible pour les élèves actuels de Terminale car il est excessivement métaphorique et confus pour cela. "L'homme révolté" est un essai qui pourrait faire réfléchir mais sa longueur fera que les élèves n'en pourront lire que quelques pages désignées par leur professeur.

      Supprimer
    2. les deux livres sont de la daube.
      mais Camus est un excellent romancier. Ses grands romans sont grands , et son journalisme excellent. Mais que diable allait il faire dans la galère "essai humaniste" ?

      Supprimer
    3. Ange est bien plus indulgent pour Camus romancier que Brochier ne l'était. Ce dernier fournit d'ailleurs l'exemple d'un auteur qui doit sa survie littéraire à la naissance d'une scie dont il ne soupçonnait peut-être pas lui-même le succès posthume : "Camus, auteur pour classes de terminales". On mesure l'estime dans laquelle ceux qui l'entonnent sans se lasser tiennent l'enseignement de la philo en classes de terminale...
      Se venge-t-on ici sur l'auteur de La chute de la terrible frustration que provoque l'interdiction d'exprimer sans détours son humeur dans la marge des copies ?

      Supprimer
    4. Brochier était un journaliste littéraire tout à fait décent. Il fut condamné à l'indignité nationale pour avoir soutenu le FLN. SEs jugements étaient sûrs. Il jugea assez bien Camus, je trouve, comme philosophe. Comme romancier je trouve Camus plutôt bon, même si je n'ai pas lu son théatre depuis.....ma terminale....

      Supprimer
  6. Je rappelle que la dissertation philosophique en Terminale est l'extension à la dernière année de lycée de l'exercice pratiqué au Concours Général et par les candidats à l'entrée à l'ENS.
    Ce n'est pas un exercice mineur, c'est l'exercice royal popularisé.
    Il n'y a donc rien d'étonnant dans le fait que les épreuves écrites des concours soient aussi sur le modèle de la dissertation de Terminale.

    Bien que descendue sur terre, la dissertation n'a pas quitté le ciel.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Rappelons aussi que Camus ne fait pas partie de la liste officielle des auteurs étudiés en classe de terminale en philosophie. Ce qui rend l'antienne de Brochier sans portée...

      Supprimer
    2. Peut être cela la rend elle au contraire trop efficace !
      En terminale mon professeur de philosophie se garda bien d'étudier Camus, même de le mentionner, et je n'ai jamais eu un cours de philosophie où il figurât.
      Le mythe de Sisyphe et l'Homme révolté sont des livres rhétoriques, et inaugurent une longue lignée d'essais pseudo philosophiques dont nous ne sommes pas sortis. Ils captent cependant un air d'un temps à présent bien lointain. Même quand je relis René Char, je trouve que ce ton héroique et fatal est assez déplacé. Nos tragédies sont plus minuscules.

      Supprimer
    3. Vous êtes sans doute bien sévère concernant ces deux livres.
      Ce qui est certain au moins, c'est que Le mythe de Sisyphe annonce une conception de la philosophie comme création, voir par exemple ces lignes :

      " Le philosophe, même s'il est Kant, est créateur. Il a ses personnages, ses symboles et son action secrète. Il a ses dénouements (...) L'opposition classique dont je parlais plus haut (Camus veut dire l'opposition art/philosophie)(...) valait au temps où il était facile de séparer la philosophie de son auteur, Aujourd'hui, où la pensée ne prétend plus à l'universel, où sa meilleure histoire serait de ces repentirs, nous savons que le système, lorsqu'il est valable, ne se sépare pas de son auteur. L'Éthique elle-même sous l'un de ses aspects n'est qu'une longue et rigoureuse confidence. La pensée abstraite rejoint enfin son support de chair." (Oeuvres complètes, I, La Pléiade, p.288)

      On voit à propos de Spinoza la dette par rapport à Nietzsche ; cette relativisation de la philosophie a quand Camus écrit ces lignes (1941) de beaux jours devant elle. C'est fort de café de soutenir que c'est quand il est valable que le système n'est pas détachable de son auteur !

      Supprimer
    4. Camus, comme Sartre, ont mis en oeuvre la mort de la conception universaliste de l'esprit qu'incarnait Benda, et avec lui les classiques. L'existentialisme vulgaire nous dit : la vie , l'homme priment, pas les idées. On n'en n'est pas revenus.

      Supprimer
  7. J'ai jadis villipendé la dissert.
    C'était au temps où je pensais encore le système réformable.
    A présent la misère est telle que je défendrais la dissert, faut de mieux.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et je suis à peu près certain que vous n'êtes pas tout à fait au fait de la misère dont il peut, plus qu'en moyenne, s'agir effectivement.

      Supprimer
  8. Je n'ai pas enseigné en terminale depuis 40 ans. Mais j'ai quand même eu pas mal d'étudiants qui le font au fil des ans, et ils m'ont rapporté leur expérience.

    RépondreSupprimer
  9. Quelle étrange dissertation ! On repère bien ses trois parties qui se tiennent ensemble, mais elle n'a ni introduction, ni conclusion pour élargir la réflexion. Et quel style relâché ! Si M. Scalpel est un auteur pour classes terminales, tant mieux. Moi, j'ai toujours sa Philosophie de la logique (La Norme du vrai) !

    RépondreSupprimer
  10. Cher Gérard

    vous savez bien que ma misanthropie ne s'est jamais étendue à votre personne. Quant à ce livre dont vous parlez, il est de mon lointain cousin. Je ne le renie pas, néanmoins.

    RépondreSupprimer
  11. Mille mercis à lui de nous avoir enchantés, avec sa "Dispute" platonicienne et son deleuzien "Philosophie et psychologie", où il initiait un fascinant devenir-psychologue !

    RépondreSupprimer
  12. J'ai pris sa succession en 2007 , à sa mort mystérieuse

    https://sites.google.com/site/pascalengelehessfr/cv


    RépondreSupprimer