Last train to San fernando |
paru dans Contreligne, 30 juin 23
Version longue, pour la version publiée, voir
https://www.contreligne.eu/2023/06/meteorite-wes-anderson-film-asteroid-city-usa-pascal-enger/
Wes Anderson, Asteroid City
Il est probable que ceux qui, voyant la bande annonce d’Asteroid City, se seraient attendus à ce que Wes Anderson, après avoir réalisé le très curieux French Dispatch, fasse un mélodrame romantique à la manière d’A l’est d’Eden, un drame à la manière des Misfits ou de Paris Texas, un western spaghetti dans le style Pour une poignée de dollars, une parodie de film pulp de science-fiction dans le genre de Mars Attacks, une comédie du désert comme Bagdad café , voire un dessin animé de Bip Bip dans le style de ses films d’animation comme Fantastic Mr Fox, seront déçus. Pourtant il y a dans Asteroid City des ingrédients et des réminiscences de tous ces films, mais dans le style typique andersonien : plans fixes et symétriques, couleurs pastel à la Sirk ou à la Demy, avec une prédilection pour le jaune et le rose bonbon, goût pour les costumes, maniérisme des détails loufoques, décors de maquettes pour théâtre de marionnettes et allusions cinéphiliques pour afficionados. Les mêmes ronchons qui ne regardent plus les films d’Anderson que d’un œil d’ennui blasé pour réviser son répertoire de gimmicks et de coqs à l’âne ou les refourbir dans des parodies sur Utube, des défilés de mode hipster ou les décors de café, comme le Bar Luce à Milan qu’il a, comme on dit, designé, auront l’impression que le compatriote de Tex Avery ne fait que se répéter.
Ils se tromperont lourdement. Certes, Asteroid City est quintessentiellement andersonien : tout comme Rushmore, The Royal Tenenbaums, The Darjelling limited, the life Aquatic, et Moonrise Kingdom, Grand Budapest Hotel, Island of Dogs, il se déroule dans un lieu clos (collège, train, bateau, maison sur une île, palace assiégé, décharge sur une île), où les personnages se retrouvent pris au piège et cherchent à s’échapper. Tout comme Moonrise kingdom et les films en stop motion d’Anderson, c’est un film où il y a beaucoup d’enfants et d’ados, tous aussi déjantés que les adultes qui les entourent. Tout comme dans les autres films du cinéaste, ces enfants sont en mal d’amour, face à des adultes incapables de s’occuper d’eux et de s’occuper d’eux mêmes. Tout comme les autres films, celui-ci contient force clins d’œil et références, et bénéficie d’ un casting époustouflant, réunissant tous les usual suspects de l’équipe d’Anderson, comme Jason Schwartzman, Willem Dafoe, Tilda Swinton et Edward Norton, et de fraîches recrues comme Tom Hanks et Scarlett Johansson. Mais pourquoi s’en plaindrait-on, alors que pratiquement tous les films de Hollywood des années 50, époque durant laquelle se déroule le film, sont des puits à citations, tout comme les films de la Nouvelle vague que révère le Texan ? Ce dernier réussit pourtant à se renouveler, tout en conservant sa panoplie.
Il le fait d’abord par la dramaturgie : le film auquel on assiste est un en fait un film au sein d’une pièce de théâtre filmée pour la télévision par un metteur en scène au tee-shirt brandoesque (Adrian Brody) , introduite par un présentateur (Bill Cranston) au style très fifties, et écrite par un écrivain en robe de chambre (Edward Norton) (dispositif qui rappelle celui du pseudo-Stefan Zweig du Grand Budapest Hotel), et les personnages du film sont en réalité en train de répéter le rôle qu’ils vont y jouer, y compris, pour l’actrice principale Scarlett Johansson, qui incarne une actrice, Midge Campbell, sorte de Marilyn Monroe brune bourrée de pilules qui révise son rôle de dépressive prête à se suicider dans sa baignoire. Mais on réalise à la fin du film que tous les acteurs sont des élèves d’un Actor’s studio où officie une sorte de Lee Strasberg , joué par Willem Dafoe. Nous sommes donc dès le départ dans Limelight et All about Eve, le tout relayé par des clins d’œil au Carrosse d’or, à La nuit américaine ou à nombre de films de Godard, qui fonctionnent sur le même principe du théâtre dans le théâtre et du film dans le film.
Quant à l’histoire-dans-l’histoire elle-même, elle est du pur Anderson-Roman Coppola (son co-scénariste constant). Elle est supposée se passer en 1955, dans une pseudo ville, Asteroid city, ainsi nommée car un astéroïde s’y est jadis écrasé en laissant un cratère géant, dans un désert arizono-nevadesque en carton-pâte, souvent ébranlé par des explosions atomiques en toc, avec des mesas vaguement monument valleyesques, et traversé par des road-runners sortis des cartoons de Bip-Bip . La scénographie du désert est elle-même celle des cartoons, avec des scénettes qui se succèdent. Y débarquent, à la suite de la mort mécanique de leur station wagon, un photographe de guerre barbu et pipu, Augie Steenbeck (Jason Schwartzmann) – seul un i le distingue de l’auteur d’A l’est d’Eden- accompagné de ses enfants, trois petites filles blondes très cute, et « épiscopaliennes », ainsi qu’un garçon surdoué au gros nez, Woodrow (Jake Ryan). Le père transporte, apprend-on très vite, les cendres de sa femme dans un tupperware, mais ses enfants ne le savent pas encore. Ils seront rejoints par un beau-père golfeur, Zak (Tom Hanks), en pantalon à carreaux ridicule, qui rappelle celui de Bill Murray dans Moonrise Kingdom. Midge Campbell, qui tape dans l’œil de Steenbeck, débarque avec sa fille grassouillette Dinah (Grace Edwards), qui va taper dans l’œil de Woodrow. Ils s’installent dans un motel dirigé par un directeur à chemise vert pomme portant une visière vert pomme, qui a installé un distributeur automatique où l’on peut acheter, outre des martinis, des lopins de terre du désert pour 10 dollars. Plusieurs autres protagonistes sortent de grosses bagnoles américaines et viennent stationner dans les bungalows. La "ville" devient vite animée par une convention de junior stargazers, dont la plupart sont des surdoués amateurs de jeux intellectuels, et dont une délégation est menée par une jolie institutrice tout en jaune - ce qui doit alerter les Andersoniens - June Douglas (Maya Hawke) , et subit l’intrusion de l’armée, dirigée par un général d’opérette très poète (Jeffrey Wright). Quand toute cette troupe se réunit dans une sorte de théâtre en plein air pour organiser nuitamment un spectacle autour de l’astéroïde et de la venue potentielle d’extraterrestres, organisé par une scientifique dingue d’aliens, sorte de Carl Sagan femelle (Tilda Swinton). Ce qui devait arriver arrive : une soucoupe volante se pointe, et on assiste à une rencontre du troisième type, avec un alien longiligne (Joeff Goldblum), comme dans le film éponyme de Spielberg dans lequel jouait Truffaut et où Richard Dreyfus ressemblait à Zak. Là-dessus l’armée décrète une quarantaine, ou plutôt un confinement, à la faveur duquel se noue une intrigue amoureuse entre le photographe Steenbeck et la star Midge, dont les bungalows voisins se font face. Tous deux, qui veuf, qui divorcée, échangent leurs solitudes, et de plus en plus, via l’intrigue parallèle dans l’Actor ‘s studio, leurs angoisses d’acteurs.
La banalité du mauvais scenario, que l’on a reproché à Anderson dans ce film – vague histoire dans le style Rencontres du troisième type - devrait alerter. Que peut bien raconter un film au scénario vide, avec des acteurs qui ne semblent s’illustrer que par des détails incongrus ou grotesques (la fille de Midge est parfaitement physiquement dissymétrique à côté du physique de star de la mère, le fils de Steenbeck a un nez disproportionné, l’alien ressemble à un Giacometti, le tenancier du motel n’a l’air d’être là que pour illustrer sa visière verte, pourquoi obtient-on des martinis dry dans un distributeur ?).
On a
reproché à Anderson son style collector : il accumule les stars même
dans des rôles de figuration (Tom Hanks, Scarlett Johansson, Tilda Swinton,
Adrien Brody, Edward Norton, Mat Dillon, Jeff Goldblum et même Margot Robbie- Barbie
dans une courte scène en noir et blanc). La plupart de ces personnages ne participent
à l’action que comme des marionnettes, et ils sont posés là comme les cactus dans
le désert). Comme dans d’autres films d’Anderson on cherche à décoder les
signes. Le côté statique de l’histoire du désert contraste avec l’histoire en
noir et blanc, où l’action véritable a lieu : c’est celle de personnages pirandelliens
en quête d’auteur, manipulés par le maître de l’Actor’s studio, dont la doctrine
fameuse est que l’acteur doit se mettre dans une sorte transe pour
incarner son personnage. L’histoire de Augie
Steenbeck et de Midge Campbell converge quand ils sont dans la classe de Saltzburg
Keitel , et quand Augie est confronté au fantôme de sa défunte épouse (qui apparaît dans le film en noir et blanc, pas dans celui en couleurs). Mais
tout le film semble mettre en scène une question : qu’est-ce que je
pourrais bien raconter ? Tout le film semble, comme le dit très bien Michael
Wood (London review of books,
13.07.23) un rêve, ou une idée.( https://www.lrb.co.uk/the-paper/v45/n14/michael-wood/at-the-movies)
la dernière scène |
On reproche à Anderson de ne nous donner que des films glacés, dépourvus d’émotion, qui ressemblent à des catalogues de mode, et abusant du marionnettisme et des décors de maison de poupée. En fait c’est faux. Tous ses personnages, derrière les décors statiques et les plans de face, sont passionnés et violemment émotifs, aussi bien les enfants, comme Suzy et Sam dans Moonrise, Max dans Rushmore, ou les membres de la famille Tenenbaum, que les adultes. Certes des personnages comme ceux incarnés par Bill Murray (ici absent du film) donnent souvent l’air de vivre dans un exil émotionnel, contemplant le passing show. Mais en fait, ils enragent, comme ici Steenbeck-Jason Swartzman qui face à Midge pose calmement sa main sur un moule à gaufres brûlant. Midge-Scarlett Johansson a bien de la difficulté, comme actrice jouant le rôle d’une actrice, à contrôler ses sentiments, et c’est bien justement la leçon que leur donne le pseudo Lee Strasberg joué par Dafoe : essayez d’être comme Marlon Brando dans On the Water front. Tous ces personnages sont coincés dans des prisons, comme dans Moonrise dans une île, dans Aquatic life dans un bathyscaphe, ici dans un désert absurde, comme si Antonioni donnait dans le genre comique (la chanson last train to san fernando indique qu'on est dans un dead end). Les enfants surdoués du film ont des interrogations métaphysiques : la vie a-elle un sens ? Dieu existe-t-il ? Ils connaissent les noms de Gödel et de Lord Kelvin, le Cercle de Vienne, quand il s’agit de faire un quiz. Comme nous ils se demandent comment s’en sortir. L’intellectualiste Anderson, bardé de citations filmiques et de références philosophiques, est en fait un sentimental et un moraliste.
Le spectateur trop pressé de considérer ce film comme une répétition pesante des clichés andersoniens en s’attardant seulement aux aspect hipe – en effet agaçants – du réalisateur dandy de pubs et d’expositions branchées qu’est devenu le Texan - aurait tort aussi de ne pas s’attacher à des éléments qui ne se révèlent que si l’on considère la filmographie d’ensemble de l’auteur. Il n’échappe à quiconque se souvent des autres films d’Anderson que Jason Schwartzman, vieux complice du réalisateur, est aussi le héros de Rushmore et de A bord du Darjelling Limited, et qu’il est un peu son double. Le personnage de Max Fischer dans Rushmore était alors un adolescent difficile, découvrant l’amour, et s’essayant à monter des pièces de théâtre. On le retrouve ici en photographe dans le film dans le film, et en acteur jouant ce rôle dans le film dans le film. Il a pris une vingtaine d’années et il est devenu adulte, et il a l’air déprimé. C’est lui qui se demande à quoi tout cela rime.
Toute personne ayant traversé le Mojave Desert et voyagé en Arizona, ayant trois petites filles, ayant vu et apprécié les autres films d’Anderson et ayant une culture cinématographique minimale, aimera ce film, qui est comme tous ceux de leur auteur, une météorite indéchiffrable et familière : calme bloc, ici-bas chu d'un désastre obscur.
voir aussi
https://www.vanityfair.com/hollywood/wes-anderson-asteroid-city-shot-list-cinematography-awards-insider
J'ai un projet de Mémoire concernant le passage du tournant linguistique au tournant iconique dans les arts et les lettres, à travers l'arrêt sur image. Les Boomers portent le deuil des arts et lettres réflexifs, et Wes Anderson nous le rappelle utilement. J'aborderai donc un sujet complexe qui peut être structuré de manière à explorer les interactions entre texte et image dans des œuvres emblématiques. Voici une formulation de titre et de problématique qui pourrait peut-être correspondre à ma recherche.
RépondreSupprimerTitre proposé :
"Du tournant linguistique au tournant iconique : Conflit et médiation entre mots et images chez Cortázar, Marker et Antonioni"
Problématique :
Comment les œuvres de Cortázar, Marker et Antonioni reflètent-elles et participent-elles au passage du tournant linguistique au tournant iconique, et comment abordent-elles le conflit et la médiation entre mots et images dans ce contexte de changement théorique et culturel ?
Axes de recherche :
-- Le tournant linguistique chez Cortázar et Marker :
Analyse de la nouvelle "Les Fils de la Vierge" de Julio Cortázar (1959) et son exploration du langage et de la narration.
Étude du photo-roman "La Jetée" de Chris Marker (1962) comme exemple de l'usage du langage visuel combiné au texte, reflétant les tendances du tournant linguistique dans le cinéma de la Nouvelle Vague.
-- La libération de l'image chez Antonioni :
Analyse de "Blow-Up" d'Antonioni (1966-1967) et son rôle dans la transition vers le tournant iconique, avec une attention particulière à la manière dont le film libère l'image du texte.
Exploration des ambiguïtés et des tensions narratives, notamment la scène entre le photographe et les jeunes mannequins en mini-jupe (Jane Birkin), ainsi que la relation ambiguë entre le photographe et Vanessa Redgrave.
-- Conflits et résistances théoriques :
Étude des résistances théoriques à la libération de l'image, notamment les critiques politiques qui identifient l'image à la société de consommation.
Analyse des écrits des théoriciens de l'époque et leur position par rapport à l'évolution de l'image dans la société et les arts.
Conclusion potentielle :
Réfléchir à comment ces œuvres anticipent ou répondent aux transformations théoriques et culturelles de leur temps, et comment elles continuent à influencer notre compréhension du rapport entre mots et images dans les arts contemporains.
Ce cadre de recherche me permettrait d'explorer les nuances du tournant linguistique et iconique, tout en mettant en lumière les contributions spécifiques de Cortázar, Marker et Antonioni.
intéressant. La jetée et blow up sont de bons exemples. Cortazar, faudrait que je le relise. CEpendant il doit y avoir d'autres exemples. Mais si certains cinéastes, comme Truffaut ou Godard par ex. sont , comme vous dites, des boomers, sont ils les seuls , et n'y a til pas bien avant eux d'autres films qui ont une structure de récit littéraire? Et Anderson, même s'il rappelle sans cesse les livres et prend ses thématiques dans les romans, n'est il pas fondamentalement un adepte de l'image?
RépondreSupprimerWes Anderson s'est sûrement posé la question du "visual turn", quand il y a été confronté. C'est vrai qu'il faudrait aussi identifier les œuvres filmiques pré-réflexives avant la Nouvelle Vague, comme il y a eu un roman nouveau avant le Nouveau Roman. Quant à Truffaut et Godard, ce sera le deuxième étage de la fusée, s'il n'est pas trop ambitieux. Ce pourrait être l'arrêt sur théorie dans les films de Truffaut et Godard :
RépondreSupprimer"La mise en abyme théorique dans le cinéma de Truffaut et Godard : une exploration de l'arrêt sur théorie et de la réflexivité cinématographique".
Ce titre met en avant l'idée de mise en abyme théorique, faisant référence à la manière dont les cinéastes utilisaient l'arrêt sur théorie pour réfléchir sur leur propre pratique cinématographique, et sur le medium du cinéma en général. La notion de réflexivité cinématographique souligne également l'importance de l'auto-référentialité dans les films de Truffaut et Godard, où le film s'arrête parfois pour interroger son propre statut en tant qu'objet artistique et narratif.
Cela devrait expliquer mon intérêt pour l'arrêt sur image. La photo donne toujours la suggestion de l'arrière-plan fétichiste d'un détail du corps, dans les premières amours : le genou de Claire comme disait Rohmer, ou bien le dispositif pervers de suspens repris par Klossowski. Cependant, du point de vue de la réflexivité des années 1960, le sexe survient idéalement dans un arrêt du texte avec des points de suspension, plutôt que dans une image.
Le photographe de la nouvelle de Cortázar, qui a inspiré Antonioni, se débarrasse de son appareil après les agrandissements, car, être profondément vertueux et platonicien, il a surpris une histoire perverse dans les images signifiantes du Quai de Bourbon, et leur déchiffrement l'en rend complice malgré lui pour toujours, ce qui le conduit au bord de la folie. Le photographe d'Antonioni ne va pas jusque là. De son aventure traumatique, il garde un daltonisme qui lui fait voir tout peint en vert. Et le film a ouvert une boîte de Pandore : après la libération de l'image qui a abouti à un "Whodunit", il y aura eu brièvement la libération du son de la pop music par la guitare brisée, avant la bande-son des balles du tennis sans balle. Coppola fera un exercice un peu appliqué, en déplaçant l'arrêt de l'image au son, dans "Conversation secrète".
je ne suis pas sûr que Wes Anderson soit très "réflexif", mais cela dépend de ce que vous voulez dire. Il est certainement très souvent au second degré, par citations, démarquages, composition d'un bric à brac. Je ne sais pas s'il l'est autant que Godard , ou Truffaut, qui citait Hitchcock, mais cite sans cesse Demy, Truffaut lui même, Kurosawa, Ozu, et comme je note ici Huston, Kazan, etc.. Mais c'est un mouvement général chez les auteurs américains, depuis Minnelli, A til une réflexion sur l'image comparée au texte? Je ne sais pas.
SupprimerWes Anderson peut être dit réflexif, d'une part au sens où il réalise ses films avec la conscience de bénédictin d'un Flaubert dans le roman. Il utilise souvent des plans stylisés et symétriques, des palettes de couleurs soigneusement choisies, et une mise en scène qui rappelle le théâtre.
RépondreSupprimerD'autre part, Anderson privilégie clairement l'image pour raconter une histoire, bien qu'il ne néglige pas ses dialogues, qui sont très travaillés. Nous ne sommes pas dans Marguerite Duras, qui donnait une primauté absolue au texte et aux voix sur les images, texte et image se rencontrant quelquefois par hasard, -- et puis, à la fin de sa filmographie, l'écran noir avec les voix sur la bande-son.
Au contraire, Anderson semble engager une réflexion méta-textuelle sur le cinéma à travers une approche visuelle et narrative personnelle. Ses films sont souvent décrits comme des "tableaux en mouvement", où chaque cadre est composé comme une œuvre d'art. Il met l'accent sur la puissance de l'image pour raconter une histoire et évoquer des émotions, plutôt que sur les dialogues ou la narration textuelle. Cela pourrait être vu comme une forme de "tournant iconique", où l'image devient le principal vecteur de sens.
Ainsi, dans "The Grand Budapest Hotel", il rend hommage à des cinéastes comme Ernst Lubitsch et au style visuel du cinéma européen d'avant-guerre, mais il le fait principalement par des choix esthétiques et narratifs plutôt que par des citations directes de dialogues ou de scènes.
Dans "The Royal Tenenbaums", chaque détail du bric-à-brac de la maison familiale contribue à l'histoire et au caractère des personnages, créant une texture narrative qui dépasse le simple dialogue.
L'influence de Jacques Demy sur Anderson, dans "The Life Aquatic with Steve Zissou", peut être vue dans l'utilisation des couleurs et de la musique. De même, l'influence de Kurosawa et Ozu peut être détectée dans la structuration de ses récits et l'utilisation de la symétrie.
Bien que Wes Anderson puisse ne pas être réflexif de la même manière que Godard ou Truffaut, il utilise des techniques de réflexivité et de métatextualité à travers des moyens visuels et stylistiques. Son approche, à mi-chemin entre révérence pour les aînés et innovation, se distingue par une réflexion approfondie sur l'image, qui a la capacité à raconter des histoires de manière unique et évocatrice.
Merci. Tout cela me semble fort juste. Je converge.
RépondreSupprimervoir aussi
http://lafrancebyzantine.blogspot.com/2018/12/jaune.html
Le film via des tableaux est aussi une technique de Peter Greenaway
La thématique classique du cinéma comme un rêve éveillé, que ce soit du rêve comme une réalité ou de la réalité comme un rêve, se retrouve chez des réalisateurs aussi divers que par exemple : Bunuel bien-sûr (Le charme discret de la bourgeoisie), Bergman (Persona), Hitchcock (Vertigo...mais aussi le fameux et assez psychanalytique "Filmer un meurtre comme une scène d'amour et une scène d'amour comme un meurtre..."), Fellini (8 1/2), Antonioni (Le désert rouge) ou encore Lynch (bien qu'on pourrait considérer que chez lui cela penche davantage vers le cauchemar... soit celui dont une réalité éventuelle dans l'éventail des possibles peut sauver -Inland Empire et son côté pirandellesque quasi infini... soit celui de la réalité elle-même sur laquelle vient se fracasser le rêve déçu -Mulholland Drive). Ça fait penser aussi un peu à la fameuse parabole de Tchouang-Tseu du papillon...
RépondreSupprimerEntre donnée apparente de l'Objectif impartial et la composition orientée des choix de l'angle visé, du cadre, de la lumière, du jeu des acteurs et du montage...et ce que les deux aspects soulèvent de portée symbolique. Un seul plan porte parfois déjà en lui toute une portée de significations, aussi bien dans le champ qu'en dehors, alors leur enchaînement...
Pour Wes Anderson, j'y reviendrai, quand j'aurai revu et vu dans de meilleures conditions de visionnage (pour citer Godard : je préfère lever la tête en regardant un film qu'avoir à la baisser). C'est un peu un trou dans ma modeste cinéphilie. Je n'en ai vu que quatre (Darjeeling, Island of D, Moonrise et Asteroïd), ai été certes un peu gêné de prime abord par la stylisation extrême parfois, même si j'ai perçu le contraste avec l'enjeu plus existentiel et socio affectif des relations entre les personnages, et apprécié certaines répliques et situations... mais je sais par expérience qu'il m'est déjà arrivé de passer à côté de grands films et d'avoir révisé mon jugement par la suite (à l'exception notable de Moonrise Kingdom dont vous parlez ailleurs et que j'ai davantage apprécié. J'y reviendrai ptêtre aussi.).
Je ne crois pas que dans ce film ce soit un rêve éveillé. J'ai plutôt suggéré que le film est du film dans le film, ou du theatre dans le film. Voyez Rushmore, Famille Tenenbaum, Moonrise, mais aussi le film de Cousteau au début de Aquatic life, et le Budapest , où il y a à chaque fois des décors de carton pâte.
SupprimerY'a tout de même la phrase répétée avec insistance : "Y'a pas de réveil si on n'est pas endormi". M'enfin certes ça peut s'entendre de différentes façons, si ça relève de leur entremêlement ou d'en favoriser un (Willem Dafoe et Edward Norton parlent de vouloir faire une scène Mais oui, à part la scène où l'acteur se retrouve devant celle jouant sa femme décédée qui a quelque chose de plus onirique, l'approche est davantage celle de l'artifice pop ou autre, trop voyant pour ne pas être plus clairement assumé.
SupprimerEn attendant, pour reprendre un peu ce que vous dites d'Asteroïd, je parodierai un peu Beckett : "l'attente du presque rien alors que quelque chose suit imperturbablement son cours". Ils ont tous deux ce côté sourire tranquille dans le désespoir, certes de façon moins féroce appuyée et plus nuancée chez Anderson (dont certains aspects me rappellent aussi un certain cinéma et humour scandinave...de Bent Hamer à Roy Anderson- certes en beaucoup moins coloré flashy mais avec une proximité d'ironie non dépourvue d'empathie pour le genre humain). Quant à l'histoire qui se fait à mesure qu'elle se cherche et n'hésite pas à le montrer, je pense à l'invective de Hamm, de mémoire approximative, dans Fin de Partie, soudain véhément : "Mais qu'est ce qu'ils peuvent bien se dire ? Que peut-on encore vouloir dire ?". On pourrait mettre "raconter" à la place...). Reste que Wes Anderson ne se fixe pas tant uniquement sur le couperet suspendu ou le vide dévasté de l'attente que suggère aussi en effet, par touches ... derrière l'apparent détachement et adulte solitude, une espèce de recherche affective sous-tendue, voire de nostalgie d'un hypothétique Jardin d'Eden de l'enfance comme perdu, alors même qu'on ne l'a peut-être jamais vraiment vécu, et qu'on ne saurait dire exactement de quelle source insondable a pû survenir la possibilité ne serait-ce que d'y rêver et d'en avoir besoin ? Entre nécessités persistantes égales de la désillusion et de l'illusion ?
RépondreSupprimerRoy Anderson , bonne référence, mais l'humour suédois est plus lourd que celui d'Anderson Wes. Et je ne vois pas Beckett faire du stop motion
SupprimerJe suis d'accord : mes liens sont ici un peu tirés par les cheveux. Je pensais surtout au hiératisme impassible des attitudes par rapport aux situations, pour le cinéma scandinave, et à une façon d'exposer les tableaux de groupe à mi-distance. Bon, pour Beckett, on n'est clairement pas dans le même degré de second degré..., mais la question de l'attente, du sens final à y trouver... Mais bon là, je défendrais moins ma proposition, en effet.
SupprimerY'a cependant chez Beckett un côté pantomime parfois appuyé. Voyez ses petites pièces télévisuelles parfois sans texte, telles que Quad, où on voit juste des silhouettes d'acteurs dans des robes différemment colorées traverser alternativement l'écran, y'a presque un côté aspect des premiers jeux vidéo avant l'heure .... mais où on tournerait indéfiniment en rond (un Pacman sans rien à gloutonner). Il avait engagé aussi Buster Keaton dans "Film", mais certes ils se sont peu compris sur leur conception du burlesque...et je m'éloigne de l'animation. En tous cas, c'est vrai que les trucages à la Ray Harriaussen gardent une poésie que n'a pas l'image de synthèse.
RépondreSupprimerD'ailleurs le stop motion... à la fois apparemment plus artificiel et/ou plus concret (parce que matériau qui ne cache pas le bricolo)...qu'un effet numérique... Et là j'ai écrit tout un truc sur l'artifice assumé chez Wes Anderson qui serait justement le contraire de la duperie de l'image plus habituelle et consensuelle...et donc peut-être plus à même de faire office de révélateur. Mais c'est long, et sans doute trop littéraire interprétatif, c'était une réaction plus à chaud après avoir vu Asteroïd et Island. Je me surveille pour pas trop en faire à côté hein, hehe.
RépondreSupprimerUn peu comme si la simulation fausse était du côté du rôle de l'adulte et le jeu mais pour de vrai du côté de l'enfant ? Les frontières y sont-elles nettes ou poreuses ? Bon là, vous allez sans doute penser que je cherche trop loin... Mais ne dites-vous pas un truc du même genre dans un de vos articles (j'en ai lu pas mal) où vous parlez d'ailleurs de Moonrise, si je ne m'abuse, et notamment du puritanisme moral de W.A qui m'échappe encore un peu (morale davantage du côté de l'enfant moins corrompu ... ? Et la maturité alors ? Nietzsche disait que "c'est le sérieux qu'on mettait dans ses jeux, enfant".... Mais certes on n'est pas obligé de l'entendre de façon post moderne, et sans révérence à plus classique, bien qu'avec une pointe de soupçon distancié ? Ou pas ?)...
RépondreSupprimerOn remarque que c'est quand le comédien sort de la pièce, puis des coulisses, bref des lieux clos, qu'il se rend à l'extérieur au dehors, qu'on assiste à la scène à la fois qui donne l'impression la plus onirique flottante et celle qui paradoxalement semble montrer sens et sentiment qui s'éveille entre les deux comédiens à travers leurs rôles (on ne sait plus si c'est en profondeur ou justement apparemment), tandis que les répliques récitées servent davantage de contrepoints à ce qui semble davantage s'échanger dans les regards (et tout ça juste après qu'il venait réclamer le sens de tout ça au final au metteur en scène de la pièce...avec bien sûr en fond la suggestion plus morale : "The dead of Narcissisist" ...
RépondreSupprimerDonc pointe ironie mais aussi pointe morale mais qui semble aboutir peu puisque le comédien doit reprendre le rôle et que la distance de balcon à balcon comme de fenêtre à fenêtre dans la pièce ne se comble pas totalement (bien que le personnage de Steenbeck récupère le code postal de Midge, on peut donc envisager qu'il se passe aussi ensuite quelque chose avec le perso/comédienne Margot Robbie dans le réel.... Disons que la question, c'est que Anderson semble souscrire au happy end dans Moonrise, tout en se demandant s'il appuie ici sur une pureté auquel il rendrait hommage sans trop y croire ou si au contraire il y croit.
Y'a aussi avec le tupperware funéraire où les petites filles assurent le rituel, mais où l'adulte assume peut-être davantage le poids du deuil à faire et plus ou moins bancalement surmonter ?
Vous rappelez toutefois avec justesse dans un article que l'enfant ne confond pas le jeu avec la vérité et sait reconnaître le mensonge et l'injustice. Mais là aussi il peut y avoir question sur l'intention d'Anderson entre ce qu'il en souligne d'artifice de romanesque ou de vérité... Je connais moins l'ensemble de l'oeuvre que vous, c'est juste des questions hein.
Disons que je crois que si ce n'est pas entre rêve et éveil, il joue sur la question entre art et vérité humaine ... Distance ou/et proximité... Y'aurait aussi à dire sur expérience et citation, histoire de vie et fiction, l'alternance duquel est à l'origine de l'autre... Mais sans nier qu'il doit bien y avoir quelque part retour à la priorité d'un réel irréductible...
RépondreSupprimerLe "c'est foutu d'avance" mais que quelque entêtement joueur et sérieux n'empêche pas d'essayer ? Bon je recommence... j'arrête là.
RépondreSupprimerEt je ne crois pas par exemple que Beckett clôt la question quant à savoir jusqu'où il n'y croit pas et/ou y joue (pour faire mieux ressortir la rare mais précieuse survenance de son contraire, dans Dernière bande notamment), là où je me demande chez Anderson jusqu'où il joue ou y croit (bref pour faire ressortir ce qu'il y aurait de vérité morale ou de ne pas tant prendre tout ça trop au sérieux) ... L'articulation forme ET fond, quoi.
RépondreSupprimerOu/et, d'ailleurs aussi...
RépondreSupprimerUne question déjà vue ...mais un doute m'effleure. Il manque des envois, des réponses à vos commentaires. Tri ou bug ? Juste pour être sûr. Mais quoi qu'il en soit, remarquez, c'est sans doute aussi bien, car après réflexion : l'essentiel et le plus pertinent y est, et le reste était plus superflu, tiré par les cheveux, et surtout dispersif.
RépondreSupprimerj'ai accepté tous vos commentaires, et répondu à chaque fois très vite, mas pas quand ils sont obscurs et multipliés.
RépondreSupprimerdonnez moi des exemples d'envois qui manquent et de réponses que vous soupçonnez d'avoir été effacées. Mais svp, ne pourriez vous pas limiter ces commentaires? je ne vois pas toujours leurs liens, ni en quoi ils commentent mes billets
Ok, pas de souci, merci pour votre patience.
RépondreSupprimerUne simple question précise sur le film, alors.
RépondreSupprimerQuand le Lee Strasberg/Willem Dafoe amène tout le monde à scander : "Il n'y a pas de réveil si on n'est pas endormi.". Pensez-vous que Wes Anderson a avant tout un regard ironique moqueur sur ce type de méthode/propos ou qu'il puisse reconnaître à l'idée quelque éventuelle pertinence ? Est-ce qu'il privilégie une approche ou joue des deux ?
Il me semble que cela a une importance sur l'interprétation de l'intention du réalisateur et du film.
si vous avez lu, ou seulement jeté un oeil sur mes autres billets depuis 2013, vous aurez vu que je donne dans le style allusif , sans souvent justifier. Si on doit mettre des notes de bas de page du genre "attention ceci est une reférence littéraire en commentaire d'un événement du jour" , cela détruit tout l'effet. donc en effet je demande aux lecteurs un peu de contextutalisation au delà de ce qui est dit. Mais je suis d'accord que là j'aurais du mettre un lien , ce que je fais souvent. Pour moi "La colonie pénitentiaire" c'est Kafka. Mais je pensais que le rapprochement s'imposerait tout de suite. My mistake
RépondreSupprimerQu'il n'y ait pas de malentendu : je considère que c'est moi qui vais le plus souvent trop vite dans les interprétations avant d'y regarder de plus près. Et le lien est certes pertinent une fois celui-ci dégagé. Il suffit de se rappeler de l'absurdité sidérante des purges staliniennes... C'est un lieu commun et cependant : nous sommes à chaque fois assez surpris de voir ce qu'on tenait tout de même pour une œuvre de fiction forçant un peu le trait rejoindre la réalité...., et pas seulement à la rubrique fait divers isolé pour quelques individus, mais bien à l'échelle du fonctionnement de tout un état et de moult collaborateurs obéissants pour l'assurer, plus ou moins aveuglément... Rappeler à la vigilance n'est pas inutile. En contraste sur le même sujet, on peut remarquer l'insistance combative de Soljenitsyne et la force de certaines de ses pages à montrer la ressource la résistance et la préservation d'une humanité a minima au sein même des conditions les plus dures qui tentent de la nier. Mais c'est une marge étroite et sélective qui n'est pas donnée à tous.... et dont la maigre probabilité ne fût même pas accordée à Navalny. Euh, remarquons en passant que nous ne sommes plus sur la page du bon article, ça risque de prêter à confusion, hé hé.
RépondreSupprimervos commentaires sont intéressants, mais ne pourriez vous pas les ramasser un peu et ne pas les multiplier sur un même billet ? Sans quoi on ne sait pas à quoi vous répondez , ni comment vous répondre , ce que je peux faire sur tous.
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