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mercredi 31 octobre 2018

T.S ELIOT BENDISTE




Maison natale de TS Eliot   2635 Locust, St Louis, et ci-dessous aujourdhui

                            


2635 Locust, the Waste Land




















Dès 1928, T.S Eliot salua la Trahison des clercs dans un compte rendu* ( The Complete prose of TS Eliot , vol. III, John Hopkins University Press, Faber and Faber, London).  Il note la remarque frappante ( qui devait aussi , encore nous frapper dans notre contexte contemporain, un siècle après):


"On est frappé, quand on étudie par exemple les guerres civiles qui agitèrent la France au XVIe siècle et même au fin du XVIIIe, du petit nombre de personnes dont elles ont proprement trouble l’âme; alors que l’histoire est remplie jusqu’au XIXe siècle de longues guerres européennes qui laissèrent la grande majorité des populations parfaitement indifférentes en dehors des dommages matériels qu’elles leur causaient, on peut dire qu’aujourd’hui il n’est presque pas une âme en Europe qui ne soit touchée,
ou ne croie l’être, par une passion de race ou de classe ou de nation et le plus
souvent par les trois. . . . Les passions politiques atteignent aujourd’hui à une universalité qu’elles n’ont jamais connue. " 


Et il concourt avec Benda sur son diagnostic sur  la culture, qu'il rapproche de celui de Matthew Arnold:


"It is because criticism has so little kept in the pure intellectual sphere, has so little detached itself from practice, has been so directly polemical andcontroversial, that it has so ill accomplished, in this country, its best spiritual work." (“The Function of Criticism”)



 Il est parfaitement d'accord avec Benda sur la nécessité de séparer les valeurs de l 'esprit et les valeurs sociales. Mais il fait l 'erreur usuelle sur Benda, de penser que sa thèse est celle du retrait du monde. Benda ne soutient pas qu 'il faut au clerc, tel Rancé, aller à la Trappe,mais qu'il lui faut intervenir dans le monde politique au nom de la vérité et non pas au nom de la politique. Je ne reviens pas sur ce point. 

Eliot était très intéressé, et très proche, des idées de Maurras, et comme beaucoup, il interprète Benda comme une sorte de sous-Maurras. Mais là il se trompe complètement: 



"His case against M. Maurras is ironic. He accuses M. Maurras, among others, of exciting political passions, of devoting to party what was meant for mankind. And yet his thesis is fundamentally the same that Charles Maurras expounded in 1905, in his book L’Avenir de l’Intelligence.  For M. Maurras then wrote to

express his regret exactly that the clerc was nowadays mingled in public
affairs: his book was a protest against conditions under which the intellectual,
who should be occupied with intellectual matters purely, was forced
to mix in the quarrels of the market place. “La dignité des esprits est de penser,
de penser bien, et ceux qui n’ont pas réflechi au véritable caractère de cette dignité sont seuls flattés de la beauté d’un rêve de domination.” Thus
M. Maurras in 1905; and M. Maurras then, as M. Benda now, took pains to
point out how much better things were managed in the reign of Louis XIV,
when the government was strong and settled and the clerc could go about
his own business


     Le problème est que Maurras fit exactement le contraire. Il fonda un parti, agita les passions politiques contre la démocratie, prêcha l'antisémitisme. On a eu bien tort de refuser la commémoration de Maurras
l'an passé. Les leçons pour aujourd'hui seraient plus intéressantes que celles relatives à Céline ( ici encore nos contemporains ont perdu le sens des mots, il ont compris cela comme une célébration). 


   
en 1904, la famille d'Eliot alla au 4445 Westminster







 
* (The Idealism of Julien Benda1

A second review of La Trahison des clercs, by Julien Benda  (l'article connut deux versions


Paris: Grasset, 1927. Pp. 306.

The Cambridge Review, 49 (6 June 1928) 485-88

    

3 commentaires:

  1. Je suis frappé par la ressemblance entre le passage cité de Maurras et les lignes de Pascal : " toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il nous faut relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale." Me vient aussi à l'idée ce que Pascal a écrit sur Platon et Aristote : "(...) s'ils ont écrit de politique, c'était comme pour régler un hôpital de fous ; et s'ils ont fait semblant de parler d'une grande chose, c'est qu'ils savaient que les fous à qui ils parlaient pensaient être rois et empereurs. Ils entraient dans leurs principes pour modérer leur folie au moins mal qu'il se pouvait." (Brunschvicg, 331). Je ne sais pas si on peut dire que Pascal défend déjà l'indépendance du clerc - ce que n'a pas fait Platon dans La République en faisant du clerc celui qui doit venir éclairer le fond de la caverne - , mais on mesure grâce à lui que cette opposition entre le philosophe et le politique est d'autant plus facile que les valeurs du philosophe ont une réalité éternelle. Adossée à Dieu, la raison du clerc peut bien se situer au-dessus des luttes historiques. On voit bien que la position de Benda ne peut se maintenir aujourd'hui que si la raison qui ne peut quand même plus être divine garde néanmoins une fixité et une hauteur qui fait qu'elle a tout à perdre à vouloir dialoguer avec les passions politiques. Mais cette défense de la raison comme haute et fixe est aujourd'hui tellement à contre-courant que ce n'est même pas la question de la juste position du clerc qui est à l'ordre du jour mais plutôt celle, plus radicale, de la possibilité du clerc, entendu comme autre chose qu'un passionné déguisé en homme raisonnable...

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  2. Certes on peut voir Benda comme fidèle au Platon de la République, les deux mauvais clercs étant celui qui ne veut pas redescendre dans la caverne et celui qui, redescendu, est emporté par les passions d'en bas.

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  3. Benda détestait Pascal. Mais il y a certes chez lui des échos chrétiens, mon royaume n'est pas de ce monde. Les penseurs catholiques, Gabriel Marcel en tête, ont vivement réagi à TC . Benda répond dans La fin de l'éternel. En effet cette conception de la raison transcendante est aux antipodes de notre temps.

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