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dimanche 14 octobre 2018

UNE LUMINEUSE IDEE




Le Mahieu, Bd Saint Michel ,1900


le macdo qui l'a remplacé

     J’étais tranquillement assis au Café Mahieu, avec mon ami Charles Cros et le capitaine Cap, à l’angle de la rue Soufflot et du Boulmiche, et nous étions en train de siroter une absinthe pure bien méritée après une dure et chaude journée, quand passa soudain devant nous, sans doute se dirigeant vers le Collège de France, notre ami Marcellin Berthelot. Nous hélâmes le célèbre chimiste et le priâmes de venir s’humecter le gosier avec nous. Le digne savant, qui ressentait comme nous la chaleur estivale, ne se le fit pas dire deux fois. Nous lui présentâmes, Cros et moi, notre ami Cap, et lui demandâmes de ses nouvelles.


-          Tout baigne, dit l’éminent professeur (qui ne craignait pas d’user de métaphores empruntées au monde de son laboratoire et de ses fioles, sans pour autant vouloir se payer la nôtre, car il était le sérieux même). Mais j’ai bien du souci avec l’Administrateur du Collège, dont la seule idée est d’administrer la science, en nous faisant crouler sous des tonnes de paperasse.  Un savant doit-il s’occuper de çà ? Lui faut-il, tel un apothicaire, tenir ses comptes ?  Diriger ses laborantins comme un caporal des hommes de troupe ? 

-          C’est la faute de la bureaucratie, s’écria Cap, je l’ai bien dit quand j’ai été candidat à la mairie du IXème arrondissement. L’un des points phares de  mon programme était l’abolition de la bureaucratie ! 

-          Comment l’éviter ? demanda l’humble savant. Je me suis moi-même présenté et ai été élu au Sénat. J’ai même été un an ministre  de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Si elle n’avait pas été là, cette bureaucratie, qu’aurais-je fait ? Votre programme, M. Cap, je m’en souviens, était un peu radical. Il prônait la suppression de l’Ecole des Beaux-Arts, dont j’avais aussi la charge. Que serait devenu Taine, si l'on avait décidé de se passer de ses services?
 
Cap, je le sentais, était un peu dans ses petits souliers (que je voyais enfler avec ses chevilles au fur et à mesure qu’il s’enhardissait en parlant à l’éminent Ministre et savant) .

-          Euh ! Monsieur le Ministre, c’était une bulle un peu lancée en l’air pour  provoquer la discussion. 

-          Vous devriez savoir, lui répliqua le célèbre chimiste, que les bulles, une fois touchées par la pression de l’air ambiant, éclatent. 

-          Je ne l’ignore pas, répondit Cap, et c’est pourquoi ce que je voudrais vous proposer aujourd’hui est plus solide. Ce n’est pas une Réforme intellectuelle et morale, dans le genre  de celle que votre ami Renan a proposée après notre piteuse défaite de Sedan, que je voudrais avancer. On sait qu’aussi beau soit l’Idéal Spirituel, il retombe lui-même comme les bulles. C’est une Réforme Industrielle et commerciale de l’organisation de la science que je voudrais vous proposer, Monsieur le Ministre. 

-          Vous m’intriguez, Capitaine, je vous écoute.
 
 
 
 
 

 

-          J’ai fait du commerce et de l’industrie dans les mers du Sud toute ma vie, dit Cap, et je peux parler d’autorité. Le problème de la science actuelle, celle que vous représentez dans votre honorable institution collégiale et dans votre ministère, n’est pas seulement qu’elle est bureaucratique, mais qu’elle est aussi bien trop tournée vers la recherche libre du vrai.  Les savants ne peuvent pas plus vivre d’amour du vrai et d’eau fraîche que les jeunes gens du Quartier Latin. Il leur faut des phynances.  

-          Je n’en disconviens pas, répondit Berthelot, mais nous en avons. L’instruction publique a un budget, voté par le Parlement. Il suffit à nos laboratoires. Nos maîtres, en sciences comme en lettres, n’ont pas besoin de plus que de craie, de tableaux noirs, et de quelques éprouvettes. Certes à la Faculté de médecine et en pharmacie, il nous faut quelques scalpels,  quelques maccabées, et divers flacons. Ce qu’il faut c’est surtout de la vertu républicaine, appliquée à la Science. 

-          J’en doute, répliqua Cap. Ce dont la science a besoin est de l’argent, et de la concurrence, tout comme l’industrie et le commerce.  Pour avoir trafiqué un peu en Malaisie (même quelques esclaves à Aden, en Arabie), je peux vous dire que ce qui se vend est le seul vrai moteur de la vie humaine.  

-          Vous m’horrifiez, répliqua le savant. 

-          Attendez, dit Cap. Je propose d’organiser la science non pas sur le modèle de vos académies, dont sait, comme  celle de Lagado, qu’elles n’entretiennent que des loufoques à vie, mais sur le modèle de l’industrie. Chaque laboratoire doit être comme une usine, dirigée par un maître de forges. Il faut que ces laboratoires soient cotés en bourse et fassent des profits.  Ainsi on verra les meilleurs laboratoires, comme des firmes, avoir le plus d ‘argent. Comment ? me direz-vous ? En incitant les maîtres d’industrie à financer la science. C’est tout leur intérêt, car eux aussi visent le progrès. Et les travaux scientifiques serviront à leurs machines. 

-          Mais sur quelles bases les laboratoires, les universités entreraient-elles en compétition ? 

-          Sur les publications qu’elles produisent, qui seraient diffusées comme la presse et l’édition, au lieu de rester confidentielles,  comme vos Annales de chimie organique, ou vos comptes rendus de l’Académie des sciences. Plus on publierait, plus on serait riche, tout comme plus un trafiquant vend ses ballots, plus il peut investir ailleurs (dans des fusils, des esclaves,  du caoutchouc). Un laboratoire qui  obtiendrait un gros financement deviendrait dominant sur le marché, il contraindrait les autres à l’imiter, et il aurait ainsi rapidement le monopole. 

-          Mais c’est absurde ! Les seules récompenses que cherchent nos savants sont des prix, comme celui que vient d’avoir même une femme physicienne, Madame Slodowska, dite Curie, des palmes académiques, des médailles, comme celle qu’on vient d’attribuer à une autre dame, Bachia Kasinska, qui vient de proposer un plan pour explorer nos colonies en apprenant le bantou et le swahili sans peine .

-           Que de polonaises ! Chopin en eût la tête tournée !  Mais ces prix, vous le voyez bien, Monsieur le Ministre, ne vont qu’à des dames, dont, pardonnez-moi et sauf le respect que je leur dois, je doute qu’elles s’illustrent beaucoup dans la science, à l’exception de ces quelques-bas bleus qu’on nous brandit comme des breloques. Je préfère, je vous l 'avoue,  mes vraies cocottes du Moulin rouge à ces danseuses entretenues. Ce dont la science a besoin, ce ne sont pas des polonaises, mais des hommes capables de supporter des alcools plus forts, comme l’argent ( Cap ici commanda une autre absinthe et vida son verre d’ un trait) .
     Ce dont la Science a besoin c’est d’argent, comme aurait dit Zola, pas d’Esprit.  Imaginez les effets formidables que l’enrichissement des laboratoires à la manière d’industries produiraient.  Les professeurs écriraient des projets,comme Lesseps pour le Canal de Suez, et ils gagneraient de l'argent avant même d'avoir découvert quoi que ce soit, écrit quoi que ce soit, comme des placiers en bourse. Ils auraient de petites banques de crédits. Ils se libèreraient de la bureaucratie, car ils emploieraient des intendants, des commis, pour administrer leur fortune.
Les journaux diffuseraient leurs découvertes, et les vanteraient, d'autant plus que les journalistes seraient payés au prorata des gains qu'ils procureraient en faisant  de la publicité aux savants, qui deviendraient aussi célèbres que des vedettes de cabaret, comme ce jeune homme à lavallière qui chante des chansons grivoises au Chat Noir.
         Les jeunes étudiants pauvres ne seraient plus à la recherche de maigres bourses ou n’auraient plus à faire la plonge pour subvenir à leurs besoins. Ils seraient employés par les professeurs, qui y trouveraient la gloire qui leur manque si souvent.  Plus un professeur aurait d’employés, plus il serait puissant. Plus aussi ses travaux seraient pris au sérieux. Et plus on chercherait à épouser ses hypothèses (voire ses filles, car on sait que se marier avec la fille d'un mandarin, pour un jeune assistant, est le plus sûr moyen pour lui d'avoir la chaire du beau-père). Les plus riches imposeraient leurs vues, attireraient les étudiants, les gazettes, inonderaient le marché de leurs découvertes comme les apothicaires  de leurs réclames.

-          Mais quoi ? s’écria Berthelot, les partisans de l’atome en chimie gagneraient plus de crédit scientifique que les énergétistes juste parce qu’ils sont plus riches ?

-          Mais vous-même, Monsieur le professeur, ne voulez-vous pas acheter une nouvelle machine pour votre laboratoire de Meudon ? Ne voulez-vous pas combattre l’influence de la religion ?
Imaginez ce qui se passait si grâce à l’argent vous pouviez combattre les congrégations, l’influence de l’Eglise, qui, elle, ne manque pas d’argent pour imposer ses mémoires religieux. Ne vient-on pas à Turin de dévoiler un daguerrotype ayant saisi l’image du Christ au tombeau, qu’on a diffusée en cartes postales dans toutes les paroisses ? La science doit se doter de moyens modernes.  Les bistrotiers ont eu l’idée, depuis l’Affaire Dreyfus, de fabriquer des anisettes antijuives. Pourquoi pas des absinthes anti-atomistes ? Votre Collège de France prendrait les bénéfices des ventes, je me porte garant que je pourrais organiser ce commerce.
Vous avez  inventé l’explosif sans fumée , ce qui eût ravi Ravachol, allez-vous continuer à faire de la science sans commerce ? Minerve ne doit-elle pas s’ allier à Mercure ? Le savant ne doit-il pas devenir capitaine d'industrie,comme je le suis de la marine marchande?

Mon ami Cros, qui s'était paradoxalement tu jusqu' alors, renchérit:

- On pourrait même, pour rendre la suggestion de Cap encore plus attirante, imaginer un phonographe qui enregisterait les articles des savants, et qui, relié à un téléphone , permettrait à chaque savant d'annoncer ses oeuvres. On diffuserait ainsi la science à grande vitesse, ce qui renforcerait la publicité.  La science serait à la portée de tous, et serait aisément commercialisable. Si l'on branchait tous les téléphones ensemble, imaginez la puissance de communication , et donc de commerce, ainsi atteinte !
 
-          Je ne peux même pas imaginer , déclara l’illustre savant, que ce que vous proposez arrive, même dans un siècle !Autant imaginer que le Mahieu soit remplacé par un saloon comme on en voit au Far West ! 

Là-dessus, il se leva, furieux.
-          On verra bien, dit Cap, levant son verre.



   PS Un lecteur attentif aura noté que Charles Cros étant mort en 1888, la campagne de Cap dans le IXme  datant de 1893, et l 'Affaire Dreyfus ayant commencé  en 1894, cette conversation n' a pu se tenir.  ¨Mais Cap nous a fait remarquer que Cros avait fait enregistrer sa voix avant de quitter ce monde, et que celle entendue au Mahieu devait être celle  d'un compère muni d' un paléographe  de son invention.Comme on sait le café Mahieu a été remplacé par un Mc Donald il y a près de trente ans.

5 commentaires:

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    1. le capitaine cap au moins n allait pas raconter n importe quoi sur face book!

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  3. il faut distinguer avoir une double casquette et confondre les casquettes.
    par exemple ecrire sur un blog et calomnier sur face book

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