Le Mahieu, Bd Saint Michel ,1900 |
le macdo qui l'a remplacé |
J’étais tranquillement assis au Café Mahieu, avec mon ami Charles Cros et le capitaine Cap, à l’angle de la rue Soufflot et du Boulmiche, et nous étions en train de siroter une absinthe pure bien méritée après une dure et chaude journée, quand passa soudain devant nous, sans doute se dirigeant vers le Collège de France, notre ami Marcellin Berthelot. Nous hélâmes le célèbre chimiste et le priâmes de venir s’humecter le gosier avec nous. Le digne savant, qui ressentait comme nous la chaleur estivale, ne se le fit pas dire deux fois. Nous lui présentâmes, Cros et moi, notre ami Cap, et lui demandâmes de ses nouvelles.
-
Tout baigne, dit l’éminent professeur (qui ne
craignait pas d’user de métaphores empruntées au monde de son laboratoire et de
ses fioles, sans pour autant vouloir se payer la nôtre, car il était le sérieux
même). Mais j’ai bien du souci avec l’Administrateur du Collège, dont la seule
idée est d’administrer la science, en nous faisant crouler sous des tonnes de
paperasse. Un savant doit-il s’occuper
de çà ? Lui faut-il, tel un apothicaire, tenir ses comptes ? Diriger ses laborantins comme un caporal des
hommes de troupe ?
-
C’est la faute de la bureaucratie, s’écria Cap,
je l’ai bien dit quand j’ai été candidat à la mairie du IXème arrondissement. L’un
des points phares de mon programme était
l’abolition de la bureaucratie !
-
Comment l’éviter ? demanda l’humble
savant. Je me suis moi-même présenté et ai été élu au Sénat. J’ai même
été un an ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Si elle n’avait pas été là, cette bureaucratie, qu’aurais-je fait ?
Votre programme, M. Cap, je m’en souviens, était un peu radical. Il prônait la
suppression de l’Ecole des Beaux-Arts, dont j’avais aussi la charge. Que serait devenu Taine, si l'on avait décidé de se passer de ses services?
Cap, je le sentais, était un peu
dans ses petits souliers (que je voyais enfler avec ses chevilles au fur et à
mesure qu’il s’enhardissait en parlant à l’éminent Ministre et savant) .
-
Euh ! Monsieur le Ministre, c’était une
bulle un peu lancée en l’air pour provoquer
la discussion.
-
Vous devriez savoir, lui répliqua le célèbre
chimiste, que les bulles, une fois touchées par la pression de l’air ambiant,
éclatent.
-
Je ne l’ignore pas, répondit Cap, et c’est
pourquoi ce que je voudrais vous proposer aujourd’hui est plus solide. Ce n’est
pas une Réforme intellectuelle et morale,
dans le genre de celle que votre ami
Renan a proposée après notre piteuse défaite de Sedan, que je voudrais avancer.
On sait qu’aussi beau soit l’Idéal Spirituel, il retombe lui-même comme les
bulles. C’est une Réforme Industrielle et
commerciale de l’organisation de la science que je voudrais vous proposer,
Monsieur le Ministre.
-
Vous m’intriguez, Capitaine, je vous écoute.
-
J’ai fait du commerce et de l’industrie dans les
mers du Sud toute ma vie, dit Cap, et je peux parler d’autorité. Le problème de
la science actuelle, celle que vous représentez dans votre honorable
institution collégiale et dans votre ministère, n’est pas seulement qu’elle est
bureaucratique, mais qu’elle est aussi bien trop tournée vers la recherche
libre du vrai. Les savants ne peuvent
pas plus vivre d’amour du vrai et d’eau fraîche que les jeunes gens du Quartier
Latin. Il leur faut des phynances.
-
Je n’en disconviens pas, répondit Berthelot,
mais nous en avons. L’instruction publique a un budget, voté par le Parlement.
Il suffit à nos laboratoires. Nos maîtres, en sciences comme en lettres, n’ont
pas besoin de plus que de craie, de tableaux noirs, et de quelques éprouvettes.
Certes à la Faculté de médecine et en pharmacie, il nous faut quelques
scalpels, quelques maccabées, et divers
flacons. Ce qu’il faut c’est surtout de la vertu républicaine, appliquée à la
Science.
-
J’en doute, répliqua Cap. Ce dont la science a
besoin est de l’argent, et de la concurrence, tout comme l’industrie et le
commerce. Pour avoir trafiqué un peu en
Malaisie (même quelques esclaves à Aden, en Arabie), je peux vous dire que ce
qui se vend est le seul vrai moteur de la vie humaine.
-
Vous m’horrifiez, répliqua le savant.
-
Attendez, dit Cap. Je propose d’organiser la
science non pas sur le modèle de vos académies, dont sait, comme celle de Lagado, qu’elles n’entretiennent que
des loufoques à vie, mais sur le modèle de l’industrie. Chaque laboratoire doit être
comme une usine, dirigée par un maître de forges. Il faut que ces laboratoires
soient cotés en bourse et fassent des profits.
Ainsi on verra les meilleurs laboratoires, comme des firmes, avoir le
plus d ‘argent. Comment ? me direz-vous ? En incitant les maîtres
d’industrie à financer la science. C’est tout leur intérêt, car eux aussi
visent le progrès. Et les travaux scientifiques serviront à leurs machines.
-
Mais sur quelles bases les laboratoires, les
universités entreraient-elles en compétition ?
-
Sur les publications qu’elles produisent, qui
seraient diffusées comme la presse et l’édition, au lieu de rester
confidentielles, comme vos Annales de
chimie organique, ou vos comptes rendus de l’Académie des sciences. Plus on
publierait, plus on serait riche, tout comme plus un trafiquant vend ses
ballots, plus il peut investir ailleurs (dans des fusils, des esclaves, du caoutchouc). Un laboratoire qui obtiendrait un gros financement deviendrait
dominant sur le marché, il contraindrait les autres à l’imiter, et il aurait
ainsi rapidement le monopole.
-
Mais c’est absurde ! Les seules récompenses
que cherchent nos savants sont des prix, comme celui que vient d’avoir même une
femme physicienne, Madame Slodowska, dite Curie, des palmes académiques, des
médailles, comme celle qu’on vient d’attribuer à une autre dame, Bachia
Kasinska, qui vient de proposer un plan pour explorer nos colonies en apprenant
le bantou et le swahili sans peine .
-
Que de
polonaises ! Chopin en eût la tête tournée ! Mais ces prix, vous le
voyez bien, Monsieur le Ministre, ne vont qu’à des dames, dont, pardonnez-moi
et sauf le respect que je leur dois, je doute qu’elles s’illustrent beaucoup
dans la science, à l’exception de ces quelques-bas bleus qu’on nous brandit
comme des breloques. Je préfère, je vous l 'avoue, mes vraies cocottes du Moulin rouge à ces danseuses entretenues. Ce dont la science a besoin, ce ne sont pas des
polonaises, mais des hommes capables de supporter des alcools plus forts, comme
l’argent ( Cap ici commanda une autre
absinthe et vida son verre d’ un trait) .
Ce dont la Science a besoin c’est
d’argent, comme aurait dit Zola, pas d’Esprit.
Imaginez les effets formidables que l’enrichissement des laboratoires à
la manière d’industries produiraient.
Les professeurs écriraient des projets,comme Lesseps pour le Canal de Suez, et ils gagneraient de l'argent avant même d'avoir découvert quoi que ce soit, écrit quoi que ce soit, comme des placiers en bourse. Ils auraient de petites banques de crédits. Ils se libèreraient de la bureaucratie, car ils emploieraient des intendants, des commis, pour administrer leur fortune.
Les journaux diffuseraient leurs découvertes, et les vanteraient, d'autant plus que les journalistes seraient payés au prorata des gains qu'ils procureraient en faisant de la publicité aux savants, qui deviendraient aussi célèbres que des vedettes de cabaret, comme ce jeune homme à lavallière qui chante des chansons grivoises au Chat Noir.
Les jeunes étudiants pauvres ne seraient plus à la recherche de maigres bourses ou n’auraient plus à faire la plonge pour subvenir à leurs besoins. Ils seraient employés par les professeurs, qui y trouveraient la gloire qui leur manque si souvent. Plus un professeur aurait d’employés, plus il serait puissant. Plus aussi ses travaux seraient pris au sérieux. Et plus on chercherait à épouser ses hypothèses (voire ses filles, car on sait que se marier avec la fille d'un mandarin, pour un jeune assistant, est le plus sûr moyen pour lui d'avoir la chaire du beau-père). Les plus riches imposeraient leurs vues, attireraient les étudiants, les gazettes, inonderaient le marché de leurs découvertes comme les apothicaires de leurs réclames.
Les journaux diffuseraient leurs découvertes, et les vanteraient, d'autant plus que les journalistes seraient payés au prorata des gains qu'ils procureraient en faisant de la publicité aux savants, qui deviendraient aussi célèbres que des vedettes de cabaret, comme ce jeune homme à lavallière qui chante des chansons grivoises au Chat Noir.
Les jeunes étudiants pauvres ne seraient plus à la recherche de maigres bourses ou n’auraient plus à faire la plonge pour subvenir à leurs besoins. Ils seraient employés par les professeurs, qui y trouveraient la gloire qui leur manque si souvent. Plus un professeur aurait d’employés, plus il serait puissant. Plus aussi ses travaux seraient pris au sérieux. Et plus on chercherait à épouser ses hypothèses (voire ses filles, car on sait que se marier avec la fille d'un mandarin, pour un jeune assistant, est le plus sûr moyen pour lui d'avoir la chaire du beau-père). Les plus riches imposeraient leurs vues, attireraient les étudiants, les gazettes, inonderaient le marché de leurs découvertes comme les apothicaires de leurs réclames.
-
Mais quoi ? s’écria Berthelot, les
partisans de l’atome en chimie gagneraient plus de crédit scientifique que les
énergétistes juste parce qu’ils sont plus riches ?
-
Mais vous-même, Monsieur le professeur, ne
voulez-vous pas acheter une nouvelle machine pour votre laboratoire de
Meudon ? Ne voulez-vous pas combattre l’influence de la religion ?
Imaginez ce qui se passait si grâce à l’argent vous pouviez combattre les
congrégations, l’influence de l’Eglise, qui, elle, ne manque pas d’argent pour
imposer ses mémoires religieux. Ne vient-on pas à Turin de dévoiler un
daguerrotype ayant saisi l’image du Christ au tombeau, qu’on a diffusée en
cartes postales dans toutes les paroisses ? La science doit se doter de
moyens modernes. Les bistrotiers ont eu
l’idée, depuis l’Affaire Dreyfus, de fabriquer des anisettes antijuives.
Pourquoi pas des absinthes anti-atomistes ? Votre Collège de France
prendrait les bénéfices des ventes, je me porte garant que je pourrais
organiser ce commerce.
Vous avez inventé l’explosif sans fumée
, ce qui eût ravi Ravachol, allez-vous continuer à faire de la science sans commerce ?
Minerve ne doit-elle pas s’ allier à Mercure ? Le savant ne doit-il pas devenir capitaine d'industrie,comme je le suis de la marine marchande?
Mon ami Cros, qui s'était paradoxalement tu jusqu' alors, renchérit:
- On pourrait même, pour rendre la suggestion de Cap encore plus attirante, imaginer un phonographe qui enregisterait les articles des savants, et qui, relié à un téléphone , permettrait à chaque savant d'annoncer ses oeuvres. On diffuserait ainsi la science à grande vitesse, ce qui renforcerait la publicité. La science serait à la portée de tous, et serait aisément commercialisable. Si l'on branchait tous les téléphones ensemble, imaginez la puissance de communication , et donc de commerce, ainsi atteinte !
Mon ami Cros, qui s'était paradoxalement tu jusqu' alors, renchérit:
- On pourrait même, pour rendre la suggestion de Cap encore plus attirante, imaginer un phonographe qui enregisterait les articles des savants, et qui, relié à un téléphone , permettrait à chaque savant d'annoncer ses oeuvres. On diffuserait ainsi la science à grande vitesse, ce qui renforcerait la publicité. La science serait à la portée de tous, et serait aisément commercialisable. Si l'on branchait tous les téléphones ensemble, imaginez la puissance de communication , et donc de commerce, ainsi atteinte !
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Je ne peux même pas imaginer , déclara l’illustre
savant, que ce que vous proposez arrive, même dans un siècle !Autant imaginer que le Mahieu soit remplacé par un saloon comme on en voit au Far West !
Là-dessus, il se leva, furieux.
-
On verra bien, dit Cap, levant son verre.
PS Un lecteur attentif aura noté que Charles Cros étant mort en 1888, la campagne de Cap dans le IXme datant de 1893, et l 'Affaire Dreyfus ayant commencé en 1894, cette conversation n' a pu se tenir. ¨Mais Cap nous a fait remarquer que Cros avait fait enregistrer sa voix avant de quitter ce monde, et que celle entendue au Mahieu devait être celle d'un compère muni d' un paléographe de son invention.Comme on sait le café Mahieu a été remplacé par un Mc Donald il y a près de trente ans.
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RépondreSupprimerle capitaine cap au moins n allait pas raconter n importe quoi sur face book!
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RépondreSupprimeril faut distinguer avoir une double casquette et confondre les casquettes.
RépondreSupprimerpar exemple ecrire sur un blog et calomnier sur face book
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
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