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lundi 2 avril 2018

BENDA ET GUEHENNO

Benda 1947
Guéhenno 1942 , professeur de khagne à Louis le Grand 





  
 « Etrange petit vieillard que ce Benda (il a soixante douze ans). Insupportable et pourtant sympathique. Je l’ai trouvé installé dans un garni. Il a emporté quelques effets, quelques livres, m’explique qu’en faisant attention il a de l’argent pour vivre six mois, mais il est tout juste aussi placide, aussi méchant, aussi inaccessible que toujours. L’ordre du monde est-il changé ? Pourquoi M. Benda qui n’en est que l’explicateur changerait il ? M. Julien Benda est le diseur de Dieu. La misère, peut être prochaine, ne l’effraie pas. Il s’apprête à faire des progrès en esprit de pauvreté. C’est très nécessaire au clerc. Au reste, rien de tragique encore dans sa situation. Il a à Carcassonne des amis riches, qui ont un excellent piano à queue, et Eleuthère – Belphégor – Julien Benda s’en va tous les soirs chez eux pour jouer du piano. Même il a obtenu qu’on le laisse seul et Belphégor s’enivre d’harmonie. Sur sa table il a rangé minutieusement tous ses papiers, les notes pour ses prochains livres. Dans le coin de gauche, un exemplaire de l’Ethique. Il met la dernière main au livre qu’il était en train de composer en avril dernier : La grande épreuve des démocraties. Il est enchanté de son titre. Il travaille aussi à un roman où ce faux impassible racontera ses difficiles amours. Il ne parle que de lui, de son dernier article. Il exulte, parce que Gringoire, le matin même, a publié de lui une caricature avec cette manchette : Le clerc sanguinaire qui rêvait d’immoler la France à Israël



Gringoire 31.10.40

La définition que Pascal a donnée de l’homme ne lui semble pas tout à fait exacte. ce n’est pas un « roseau pensant ». Ce n’est qu’un roseau « bien-pensant ». Le hasard lui en a donné une nouvelle preuve : à midi, au restaurant, un lieutenant-colonel sur le point de s’asseoir à la table proche de celle où nous déjeunions ensemble reconnaît soudain en lui le juif sanguinaire dénoncé le matin Gringoire : alors ce noble officier a demandé à la serveuse de transporter son couvert dehors, sur la terrasse, expliquant qu’il ne saurait déjeuner dans la même salle que cet individu dégoûtant de sang. Benda était au comble de l’intérêt. » 
(Jean Guéhenno, Journal des années noires, Gallimard 1947, ed. Folio p. 29-30) 


Peut être Benda, Paulhan et Guéhenno déjeunèrent à la Barbacane, devenu très chic?

Cet épisode,  mentionné aussi dans les Antimodernes de Compagnon, a lieu en aout 1940. Benda a quitté Paris en juin à l’arrivée des Allemands, avec instruction de Paulhan de joindre le sous-préfet poète (comme il y en avait encore en ce temps-là comme au temps d’Alphonse Daudet) Maurice Joucla, qui organisa son voyage vers Nîmes et Carcassonne (voir son article « Benda sous l’occupation », dans Europe, sept 1961, ainsi que l'article de Gérard Malkassian dans la Revue philosophique). Ajoutons que Paulhan, qui était de Nîmes, a dû le faire bénéficier de ses amitiés. Joucla rapporte que tous les préfets de France avaient eu instruction de "s’opposer à la sortie du Territoire du nommé Benda" . A Carcassonne il trouva des protections, grâce au poète Allibert, et devint un des familiers du héros-poète local, Joe Bousquet (était-il l’ami au piano ? Benda semble avoir fréquenté toute l’intelligentsia locale). Chose curieuse mais pas étonnante, tous ces gens réprouvaient ses idées, en littérature comme en politique (Benda, toujours ingrat, ne se priva pas de critiquer durement la poésie de Bousquet dans La France byzantine). J’ai cité dans ce blog ses visites au Mas de Fourques à  Lumel chez Jean Hugo. Il était apparemment à l’abri, et il semble clair, à la fois par l’anecdote racontée par Guéhenno et par la relative facilité avec laquelle il se mouvait dans Carcassonne, qu’il ne fut pas inquiété, au moins jusqu’en 1943, menant l’existence paisible et monastique qu’il a racontée dans Exercice d’un enterré vif, sans l’amour de Fabrice pour Clelia dans sa prison, mais au moins avec celui des Idées. Les choses changèrent au début de 1944 (ou était-ce avant ?), quand la Gestapo vint le cueillir chez lui. L’épisode est narré ici.  Cependant quel est ce roman que Benda préparait, qui plus est sur ses amours? Le seul texte littéraire que publia Benda pendant la guerre fut Le rapport d'Uriel (Minuit 1943), dont je reparlerai.



La maison qu'occupa Benda de 1940 à 1944, au 15 rue de Montpellier (merci à Martial Andrieu, voir le blog http://musiqueetpatrimoinedecarcassonne.blogspirit.com/seconde-guerre-mondi/ )







                     
      

                  les tours de Carcassonne



une autre chambre à Carcassonne

 Jean Guéhenno, qui ne le dit pas dans son Journal des années noires , avait déjà rencontré Benda, et polémiqué avec lui une dizaine d'années avant. Dans Europe, que dirigeait Guéhenno, et dans la NRF , où Benda était devenu avec Gide l’un des ténors, eut lieu une passe d’armes au sujet de Romain Rolland et de son pacifisme . Benda, reprenant l'une de ses marottes depuis ses attaques contre Rolland dans ses Billets de Sirius,  avait  été dans l'une de ses « scholies » de la NRF (« De quelques avantages de l’écrivain conservateur » ( 1er janvier 1930) jusqu’à comparer Rolland et Maurras : « L’écrivain de droite n’est jamais discuté par les siens », puisqu’il « s’adresse à un public épris d’obéissance et celui de gauche à un monde qui pratique la liberté de l’esprit ; [...] le premier écrit pour des moutons et le second pour les loups. Notons toutefois que si l’on admet cette définition, beaucoup d’auteurs dits de gauche devraient être dits de droite : il est clair que M. Romain Rolland écrit pour des moutons tout comme M. Maurras. » 

Dans une « « Lettre ouverte à M. Julien Benda », in « Notes de lectures », in Europe, 15 février 1930, l'auteur de Caliban parle répliqua . Guéhenno endossait « ce titre [... de] « mouton de M. Romain Rolland » » et estimait que « ce n’est pas si mal » : « Heureux, cher M. Benda, qui n’a pas besoin de berger. Je ne me vante pas pour moi d’être de ceux-là. » . Il rappelait son respect pour  La Trahison des clercs mais avec une nuance : « Trois ans sont passés. [...] et l’on est un peu déçu. Vous ne faites plus que la petite guerre. [...]. Aux vrais combats de la terre vous ne vous intéressez pas.»
             Le débat s’envenima encore dans Europe, et dans une  Lettre à Jean Guéhenno , in « Scholies », dans La Nouvelle revue française, 1er avril 1930), Benda approfondit la discussion : » Ce que vous ne me pardonnez pas, c’est de prétendre qu’on soit, « en tant que clerc, obligé à toute la probité et, en tant que laïc, autorisé à toutes les malhonnêtetés ». [...] la malhonnêteté fait en effet partie de la définition du laïc » qui, ayant, contrairement au clerc, « des intérêts temporels à défendre », se voit parfois contraint d’« estropie[r] la vérité. » […] « Dois-je vous dire que la laïcisation dont je fais ici le procès, et qui est tout simplement l’absorption de l’idée de cléricature dans celle de laïcité, n’a rien à voir avec cette autre, que je glorifie comme vous, par laquelle les vertus spirituelles ont cessé, depuis quatre siècles, d’être tenues pour le monopole d’hommes porteurs d’un habit clérical ? […]  
   Paul Fochas, dans un livre sur lespolémiques entre Gide et Guéhenno dont j’extrais quelques unes de ces citations  , commente :

« Au souhait de Guéhenno, toujours préoccupé d’engagement, de voir le clerc se mêler à la vie, entrer dans les luttes, Benda réplique en réaffirmant « la valeur – la nécessité – du clerc qui ne descend pas dans l’arène, mais honore le bien dans sa pureté abstraite, hors de toute réalisation terrestre. » Le véritable clerc, pour Benda, « doit n’être d’aucun parti » pour ne jamais devoir « substituer plus ou moins l’esprit de discipline à l’esprit de vérité. » L’opposition est donc totale entre les deux hommes. D’ailleurs Benda exclut lui-même toute possibilité de rapprochement en concluant : « Au fond, le conflit qui nous divise est éternel. C’est celui qui, depuis qu’il existe des hommes voués à des causes morales, met aux prises le contemplatif et l’actif. » 
  La querelle s’aiguisa encore au congrès des écrivains pour la culture de 1935, il avait entendu le discours de Benda, l’un des plus forts de cette célèbre rencontre entre intellectuels et dirigé contre la conception marxiste de la littérature (voir Précision). Benda opposait la conception occidentale de la culture et de l’art, qui pose une coupure radicale entre la vie matérielle et la vie de l’esprit, et la conception marxiste qui les unit, voire réduit, soutenait Benda, la seconde à la première. Guéhenno avait répondu. Et Benda avait répliqué : 
 
« A la suite du précédent discours, plusieurs communistes, notamment MM. Guéhenno et Nizan, protestèrent qu'ils n'acceptaient pas ma définition de la littérature occidentale ; qu'à côté de la lignée platonicienne que j'évoquais, et qui, en effet, y tenait une grande place, on y trouvait des penseurs qui avaient pris en haute considération la lutte de l'homme avec la nature : Épicure, les Sophistes, Lucrèce, Spinoza, les philosophes matérialistes du XVIIIe siècle, dont se réclamait fortement Lénine ; que ce sont ces occidentaux-là qu'ils entendaient considérer et qu'alors la culture communiste ne se posait nullement en rupture avec la nôtre, mais qu'elle en était le prolongement, l'épanouissement.
[…]D'où vient cette application des marxistes à se poser en prolongement de la culture occidentale? Pourquoi ne nous disent-ils pas franchement: « En dehors de quelques germes que vous n'avez pas su faire lever votre culture est fondée tout entière sur la croyance à l'autonomie du spirituel par rapport à l'économique. En tant que telle nous la répudions sans réserve, et voulons lui en substituer une autre, radicalement différente. » Un tel langage est possible devant des foules moscovites. Il serait très maladroit devant un public français, pour lequel, même s'il est composé de révolutionnaires, la culture classique conserve un immense prestige, dont les marxistes entendent bien ne point se priver. Il était curieux d'observer l'autre soir que c'était moi, bourgeois, qui leur rappelais constamment que leur position à l'égard de nos valeurs occidentales ne pouvait être que la guerre, alors qu'eux ne parlaient que de conciliation et de communion1. Évidemment la propagande aussi a ses raisons que la raison ne connaît pas. 

  D'où vient cette haine des marxistes pour l'intelligence désintéressée ? D'abord de ce qu'elle est extrêmement gênante pour ceux qui veulent pénétrer l'homme d'une pensée dont toute la valeur est dans ses effets pratiques. Et puis de cette idée, très sincère chez eux, que l'intelligence désintéressée n'est pas de l'intelligence, que la véritable intelligence n'est nullement, comme l'enseigne une philosophie « châtrée », celle qui s'applique à s'affranchir de l'intérêt et de la passion, mais au contraire celle qui plonge ses racines dans la volonté et l'esprit de lutte. Fils du romantisme nietzschéen, les marxistes m'ont crié : « Écris avec ton sang et tu verras que le sang est esprit. » Je leur réponds par Socrate qui pensait que l'esprit est esprit, rien qu'esprit – encore qu'il ait su donner son sang pour sa cause tout aussi bien que Liebknecht ou Rosa Luxembourg . ( note : Ainsi Guéhenno nous a dit : « Pour faire triompher le marxisme, il n'y a pas besoin de révolution, il n'y a qu'à retrouver l'Homme, l'Homme total. » Mais pour trouver votre « Homme total », il faut une révolution, ô Guéhenno, puisque notre vieux monde ne sait pas le trouver, ne veut pas le trouver – comme vous ne cessez, d'ailleurs, de le lui crier.)"
  
Quand on considère pourtant leur action pendant la guerre, Benda et Guéhenno eurent des positions assez parallèles. Ils se turent ( Guéhenno refusa de publier sous l’Occupation). Guéhenno  le pacifiste fut plus actif que Benda dans la Résistance, même s’il n’entra pas dans la Résistance armée. Benda participa au comité National des écrivains, et fut très associé à cette époque, comme plus tard, aux communistes qui l’avaient sauvé des camps (sans leur aide, il aurait été déporté au début 44) et il leur en fut toujours reconnaissant. Le paradoxe est que Benda fut en fait plus proche des communistes que Guéhenno après guerre. Mais il n'était toujours pas partisan de l'idée qu'une révolution politique puisse changer quoi que soit à la nature et aux activités de l'esprit.Guéhenno entra plus tard à l'Acadéfraise, Benda jamais.

Engel, sportif carcassonnais des années 30

10 commentaires:

  1. Comment Benda réussit-il à faire paraître en 1942 "La grande épreuve des démocraties" à New York, aux Éditions de la Maison Française du Rockefeller Center ?
    "Le rapport d’Uriel" fut édité clandestinement par les Éditions de Minuit, qui pratiquaient une résistance intellectuelle, sans attaches politiques. Afin de faire une critique de la société française d’alors, je crois que Benda utilisait le personnage de l’ange Uriel envoyé par Dieu pour lui faire un rapport. Avec le même procédé, il s' était servi du démon Belphégor qui monte sur les toits, pour porter un regard critique sur l'esthétique de la société française. Avant lui, Lesage avait emprunté le procédé au baroque espagnol dans son roman "Le Diable boiteux", ce qui avait horripilé Boileau.
    Pourquoi Benda n' eut-il pas l'envie de se plonger dans l'étude de Jean Duns Scot avec Joë Bousquet ? Avec le "Docteur subtil", c' était le retour d’un certain platonisme qui tempérait l'aristotélisme de Saint Thomas. Et le clerc selon Benda n'était-il pas un peu franciscain ?
    Duns Scot n'a pas seulement inspiré Heidegger. Il aurait aussi donné l'idée de la métaphysique scientifique au pragmatiste Peirce, à cause de l'être comme genre logique.
    Est-ce Ferdinand Alquié, qui avait fondé une revue occitane avec Bousquet et le cathariste René Nelli, qui avait initié Bousquet à la philosophie médiévale ?
    Le clerc selon Benda n'était-il pas aussi un peu cathare ? Bousquet utilisera également le procédé surplombant de l'ange ou du démon, pour dépeindre un avatar de Carcassonne, Carqueyrolles, dans "Le Médisant par bonté".
    Comme Joë Bousquet, Benda menait une vie de moine, ou plutôt d'hérétique albigeois, à Carcassonne.
    La relation entre Benda et Guéhenno est intéressante. Mauriac disait que la vie de Guéhenno, petit cordonnier autodidacte qui s'était élevé jusqu'aux hautes sphères de la République, ressemblait à une image d'Épinal. Guéhenno était un transclasse, un fils de ses œuvres à la force du poignet, qui passa par la gauche communiste avant de rejoindre la droite gaulliste du "Figaro". Entretemps, il aura en charge la culture populaire des MJC, qui sera sacrifiée par l'État au profit de la culture marchande et élitiste. Benda, bourgeois lettré, prince de l'esprit dans la vie intellectuelle des salons, qui doublait la République des professeurs en l'irriguant, suivra logiquement le trajet inverse, et deviendra sympathisant du Parti communiste. Il faut reconnaître que tous deux se maintinrent toujours loin des extrêmes.

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  2. je serais intéressé en effet d'en savoir plus sur les circonstances de la publication de la GED en 1941 à NY. Benda essaya vainement de passer outre Atlantique en 1941. Le rapport d'Uriel est décalqué du Monde comme il va d'Arouet. Vous avez raison d'évoquer les cathares. je ne sais pas si Benda connaossait duns Scot. Il aurait admiré sa théorie des possibles, mais pas son volontarisme, repris par Descartes et les Français. Voir son Discours cohérent. Guéhenno était en fait le modèle du clerc recommandé par Benda. Ils auraient pu s'entendre. Mais peut être que ce qui les séparait était le fonctionnariat, que Benda condamne chez le clerc. Mais si pour gagner sa croûte il faut faire le pisse copie et le lèche botte des directeurs de journaux et potentats de presse( surtout dans le journalisme d'aujourd'hui), je trouve que l'état servile est pire encore dans ce métier que dans celui de professeur...

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  3. D'après ce que je comprends, pour la publication par la "French Bookstore" à New York de son livre "La grande épreuve des démocraties" refusé par Gallimard, Benda a dû s'adresser directement en France à la Fondation Rockefeller, qui finançait cette maison d'édition, et qui continua d'exercer son mécénat sous Vichy jusqu'en 1942. La Fondation réussit à exfiltrer Gurvitch, Lévi-Strauss et l'atomiste Pierre Auger. Elle publia Saint Exupéry, qui se serait bien vu, en rival de De Gaulle, parler au micro de la France Libre de New York.
    En France, la Fondation Rockefeller finança beaucoup le développement de la recherche en sciences sociales. Les complotistes feront même du mécénat américain un paravent de la CIA, laquelle n'aurait pas hésité à soudoyer François Furet pour qu'il crée l'EHESS !
    Quant à "Gringoire", son fondateur Georges Suarez fut jugé et fusillé dès le mois de novembre 1944.
    Charles Maurras vécut à Lyon pendant la Guerre. Dans la presse locale, il passa son temps à dénoncer les familles de maquisards. Après la Guerre, outre sa mémorable "divine surprise", cela le décrédibilisa considérablement, au point qu'il perdit presque tous ses moutons.
    À sa mort en 1944, Romain Rolland semblait déjà oublié.

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  4. Votre liste ressemble à celle de ces films comme Z de Cosa Gavras, où, à la fin on énumère ce que sont devenus les colonels découverts à comploter contre l'Etat grec: mort en prison, assassiné au sortir de chez lui, se pend dans sa cellule, etc.

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    1. On ne sort pas du complotisme. La récente Affaire Kristeva nous l'a rappelé. Alain Dewerpe aurait eu beaucoup de choses à dire à ce sujet. Il y aura un beau roman à clef à écrire. Il reste que cette affaire éclaire rétrospectivement d'un jour nouveau l'œuvre de Philippe Sollers, et lui donne un regain d'intérêt surprenant, en la projetant dans l'univers de Ian Fleming ou de Graham Greene. L'actualité n'est pas loin non plus, avec l'agent Skripal, victime d'un parapluie bulgare, ou le Logeur de la Seine-Saint-Denis, qui dormait, sans le savoir tout en le sachant, sur un volcan. Seul Lévi-Strauss avait deviné, bien avant tout le monde. La très belle étudiante bulgare, qui avait intégré son laboratoire, partait toujours la dernière, en laissant la lumière allumée...

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    2. cher mai

      quand j'étais avec vous, jadis, au lycée, je lisais Henry Michaux , la nuit bulgare.
      miracle d'internet, on a à présent la lecture de Juliette Greco de ce texte

      https://www.youtube.com/watch?v=l8KKy1cMMf8

      entre les yaourts et Kristeva, j'avoue préfèrer les yaourts

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  5. À Carcassonne, Julien Benda mena la vie d'éternel étudiant qui était le projet de sa jeunesse de clerc. Il ressemblait un peu à ces étudiants du Moyen-Âge, qui le restaient à vie. Il alla lire tous les livres de la bibliothèque municipale, et il eut une activité musicale intense.
    Il avait ambitionné de ne rien produire, et son essai qui est passé à la postérité, « La Trahison des Clercs », a aboli le restant de son œuvre. Il accomplissait sa vie de rentier assumé, qui a du loisir pour une tâche suprême, celle de philosopher. Il était devenu un vrai philosophe en pratiquant la philosophie en amateur. Il était ce que le psychanalyste Félix Guattari appelait un « amateur amaté ». En un sens, Benda était le dernier philosophe non-universitaire.
    Parvenu à un âge vénérable, et loin du regard critique du monde parisien, il pouvait se lâcher et faire de la musique, même si la sensualité de celle-ci troublait son activité rationaliste. Mais on peut supposer qu’il ne jouait pas du Rachmaninov.
    Benda avait participé à un numéro de « La Revue Musicale », sur Victor Hugo et la musique. On s'attendait plutôt à Lamartine. Toujours empêcheur de danser en rond, Benda affirmait qu'Hugo n'aimait pas vraiment la musique, parce qu'il n'en faisait pas ! En Autriche, il y eut une famille Benda de musiciens, qui étaient des précurseurs de Mozart, mais Julien Benda n' avait sans doute aucune parenté avec eux.
    Si Benda eut connaissance de la Pataphysique, ce fut peut-être par René Daumal, qui menait une expérience spirituelle en binôme avec Joë Bousquet. Mais Benda ne fut sans doute jamais cycliste.

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  6. "En un sens, Benda était le dernier philosophe non-universitaire."

    non, Sartre chercha à l'imiter. Je crois qu'il a profondément influencé Sartre.
    Benda aimait Chopin, qu'il jouait à la perfection. Il détestait Debussy, préférait Wagner.

    Le mystère est à partir de 1948, quand il s'enrôle chez les communistes. C'était tout sauf la liberté .
    je vais revenir là dessus.

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  7. Jean Guéhenno publia un recueil d'essais, "Caliban et Prospero", sur Mai 68. Ce couple l'avait hanté depuis longtemps, comme il avait inspiré Renan.
    Avant Mai 68, Guéhenno se voyait en Caliban, tandis que Prospero ressemblait plutôt à Julien Benda. Tout avait changé en Mai 68 : "C'était Caliban peut-être qui curieusement se révoltait dans tous ceux qu'on pouvait penser être des disciples de Prospero, et Prospero peut-être, en leur personne, par un généreux délire, tentait de se faire Caliban. Le grand nombre avait suffi à opérer celte révolution. Dans ce monde de masse, les clercs eux-mêmes ne sont plus du tout des clercs solitaires, mais redeviennent chaos et cohue." (Préface)
    Le livre de Guéhenno dénonçait une nouvelle forme de trahison des clercs, tout en s'excusant de passer pour l'expression de la grogne d'un vieux monsieur.
    Si Julien Benda avait vécu assez longtemps pour voir Mai 68, sa réaction aurait peut-être été surprenante. Dans sa jeunesse, il avait séché les cours de l'École Centrale, comme un héros stendhalien.
    Quant à Sartre, il connaissait bien Caliban et Prospero. La critique tiers-mondiste, qui l'avait mobilisé, avait utilisé ce couple pour dénoncer la colonisation. Mais Sartre ressemblait au Prospero des amphithéâtres décrit par Guéhenno. Dans l'interview de Cohn-Bendit par Sartre, reprise dans "Situations VIII", les rôles étaient inversés, de façon comique. Sartre était à fond dans la révolution, alors que Cohn-Bendit n'y croyait pas et qu'il allait vite être dépassé par les évènements, comme les autres représentants du mouvement étudiant.

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  8. Dans les étudiants d'aujourd'hui qui démolissent Tolbiac, Toulouse et Montpellier, je n'arrive à percevoir même pas Caliban , qui dans Shakespeare a au moins un minimum de gingin. Je trouve en revanche des interviews auto-satisfaites de l'éternel Calibendit dans New York Review of Books.

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