Pages

mardi 24 avril 2018

plaidoyer pour les midinettes




    Il m'est tellement souvent arrivé de pester, tel un vieux prof, contre la bêtise et la frivolité de mes étudiants et étudiantes, que je ne peux résister au désir de m'accuser moi-même de les avoir sous estimés (-ées, comme on dit).  Quant au secondes, je me rappelle l'une d'elles au Lycée de Londres en 1976, répondant  à ma demande  d'énoncer la table des catégories de Kant et me montrant ses ongles couverts de vernis brillant et rougeoyant:

" Volontiers , M'sieur, je vous dirai cette table, mais dès que mes ongles auront séché".

Au fond, peut être connaissait-elle la Table en question , et ne demandait-elle qu'un petit répit.




    La midinette fait partie de Paris, comme le Titi. Ce fut une tradition, Mais que sont-elles devenues?  des fashion victims ? Des mondaines ou à demi telles ?



      La lycéenne, l'étudiante de classe prépa, celle de sciences Po, qui deviendront des Marie-Chantal ou des Parisiennes de Chiraz, que sont-elles devenues? Où sont les neiges d'antan?



    A n'en pas douter, elles seront remplacées, et auront d'autres allures. Il n'est pas difficile, dans le cas des Parisiennes de Kiraz, de deviner les dialogues. Pas plus que pour ce personnage de la petite bourgeoise française qu'est l'hypokhagneuse. Ni la khagneuse ( celle qui a résisté un an). Mais c'est toujours une surprise agréable, pour un vieillard, plus encore que de voir Suzanne au bain, que d'entendre le dialogue que j'ai surpris Boulevard Saint Germain en janvier dernier.

    J'attendais au feu rouge au croisement du Boulevard et de la rue Saint Jacques, vers 9 heures du matin. Deux jolies jeunes filles, mises comme des lycéennes - ni midinettes ni bas bleu mais très hip - apparurent , en grande conversation. L'une d'elles dit : " Je pense que la liberté n'est pas compatible
avec l'égalité" . L'autre lui répond : "Mais si!". Et là dessus d'engager toute une conversation , d'un assez bon niveau.

    Je crois que nous autres français avons de grand défauts, et que nos institutions sont pourries. Mais
que deux jeunes filles de 19 ans , à la frontière du VI eme et du V ème arrondissement , se disputent sur ce point, me semble quelque chose qu'on entend peu ailleurs.

     Il y a donc encore un peu d'espoir chez les midinettes.

Où sont nos amoureuses ?
Elles sont au tombeau .
Elles sont plus heureuses,
Dans un séjour plus beau !


4 commentaires:

  1. Je ne suis pas surpris : lycéens et lycéennes s'enflamment pour les problèmes philosophiques, ils tiennent aussi compte de leur cours et font confiance à leur professeur. Mais c'est un feu de paille pour la plupart et je crains que les traces de leur implication ne soient bien minces, voire nulles, quelques années après, même quand ils gardent un bon souvenir du moment. Comme, encore jeunes, ils prennent vite le pli, bien vite ils pourront en prendre d'autres, plus du tout philosophiques mais plus avantageux pour leur avenir. Peut-être suis-je trop pessimiste...

    RépondreSupprimer
  2. n'empêche, il n'y a qu'en France qu'on entend ce genre de dialogue entre jeunes filles dans la rue!

    RépondreSupprimer
  3. Quand on parle du type flou de la midinette, on pense d'abord à son côté sentimental. Georges Perros inventa aussi le midinet, ce qui a autorisé Frédéric Schiffter à s'avouer "philosophe midinet", en plus de "philosophe surfeur", et à écrire une "Philosophie sentimentale" inspirée des crooners, notamment Chet Baker interprète de "My Funny Valentine". On peut avoir de la finesse et de l'élégance, sans être un rationaliste, et même si l'on a pris plusieurs vagues de l'Atlantique sur la tête, fut-ce en surfant à la rame. D'ailleurs, la légende veut que Malebranche ait eu du génie à la suite d'une chute de cheval.
    Il faut reconnaître que la midinette a évolué avec la société. De l'apprentie-couturière bien décrite par le Guide secret "Paris-Noceur" de 1910 (Gallica) sous les traits de Marcelle Horlyn, dans le chapitre "des femmes qui font ce qu'on appelle la NOCE", elle est devenue la Parisienne chic des années 30 à 60, avant de prendre les traits de la petite-bourgeoise non-radicalisée, élève des classes préparatoires, en conséquence de la démocratisation des fortes études.
    C'est alors que la midinette a confirmé son attribut principal, la frivolité, qui a une riche histoire et qu'il ne faudrait pas confondre avec la sottise, car la frivolité est aussi capable de philosophie, comme on peut le constater sur le Boulevard Saint-Germain.
    Au XVIIIème siècle, Condillac a dit : "La frivolité consiste à parler pour parler, sans but, sans rien à dire." Au XIXème siècle, Jane Austen, l'inspiratrice de Barbara Cartland, parla aussi très bien de la frivolité. Mais il était d'interdit de l'attribuer aux hommes, même si elle avait un équivalent chez eux, qui était la galanterie (voir la "Folie", la bagatelle, etc.).
    Néanmoins, le discours frivole n'est pas le "bullshit". Tout en condamnant la frivolité, qui se sert parfois "du jargon des beaux esprits gâtés par une mauvaise métaphysique" (Condillac), les philosophes et les écrivains ont défini un désir et un besoin vital de frivolité, qui pourrait être un parler-vrai.
    Il faut dire que l'on ne parle jamais innocemment, ni peut-être honnêtement, de la frivolité. En la dénonçant, on condamne une jouissance, que l'on montre furtivement, alors que l'on voudrait la faire disparaître. Pour Jane Austen, c'était inévitable. De façon plus ou moins inconsciente, il y a quelque chose de complice, voir d'érotique, dans le jugement sur la frivolité, jugement forcément négatif, mais qui ne peut empêcher son objet d'exercer une forme de séduction.
    On retrouve peut-être la même ambiguïté dans la critique du bergsonisme ou de la postmodernité.

    RépondreSupprimer
  4. Merci beaucoup, Mr Grig de ces savantes précisions. J'avoue que quand je pense à la midinette c'est à ses incarnations récentes, pas aux Catherines de jadis. Et sur a frivolité vous avez parfaitement raison. Derrida jadis préfaça Condillac sous ce titre "l'archéologie du frivole".

    RépondreSupprimer