Interview d'Emmanuel Macron dans la NRF N°63à:
"J’ai fait beaucoup de philosophie."
- Combien beaucoup ?
"Les Français sont malheureux quand la
politique se réduit au technique, voire devient politicarde. Ils aiment
qu’il y ait une histoire. J’en suis la preuve vivante ! Je suis très
lucide sur le fait que ce sont les Français et eux seuls qui m’ont
« fait » et non un parti politique."
- Il semble en être convaincu. Mais 24% au premier tour, puis 66,1 % au second, avec 43% des électeurs votant pour lui dans un contexte où comme en 2002 il s'agissait pour au moins la moitié de son électorat du second tour, de barrer le passage à Le Pen, et avec 25 % d'abstention à ce second tour, ce qui ne s'était pas vu depuis 1969, il n'y a pas de quoi pavoiser. On peut difficilement dire qu'il y ait eu un vote de masse en faveur de Macron, ni que"les Français" l'aient fait. Le vent de l'histoire a soufflé, mais c'est un sirocco léger plutôt qu'une bourrasque de mistral.Et comment peut-on prétendre avoir été "fait" par les Français sans jamais avoir été élu dans la moindre élection locale?
"J'en suis la preuve vivante!" Hegel eût-il vu passer Macron à cheval à Iéna, il n'eût pas dit autre chose.
Quand on lui demande pourquoi il fait un vibrant hommage à Johnny, dont l'intervieweur nous dit qu'il " incarnait symboliquement quasiment Victor Hugo," ( sic) le président répond:
"Cela fait des décennies que le pouvoir
politique est sorti de l’émotion populaire. Il faut considérer cela :
l’émotion populaire se moque des discours. Le jour des obsèques, je
savais très bien que la foule qui était là n’était pas acquise. Elle
n’attendait pas un discours officiel. Elle était dans l’émotion brute du
moment. C’est cette émotion que j’ai partagée avec la foule. Rien
d’autre. "
Est-ce aux hommes politiques de "partager l'émotion brute"? Cet appel à l'émotion fait penser à de tristes moments de l'histoire.
Le même nous annonce d'ailleurs qu'il n'a pas à expliquer, y compris aux intellectuels, ses décisions, qui sont par nature,si l'on comprend bien, instinctives.
"J’assume les choix qui sont faits, et je
hais l’exercice consistant à expliquer les leviers d’une décision : il y
a un temps pour la délibération, un temps pour la décision, ils ne
peuvent se confondre."
L'interview est supposée porter sur la littérature. Le président cite dans ses premières amours littéraires Giono ( le retour à la terre pétainiste), Gide et les Nourritures terrestres ("l'inquiéteur" , celui qui se veut en permanence "disponible" - "disponible Nathanël") . On apprend que Proust, Céline ( un autre défenseur de l'émotion) viennent après, et Char. L'a-t il lu?
On devrait - mais c'est un intellectuel qui le fait - conseiller au président la lecture de la Trahison des clercs plutôt que l'insipide Camus (à moins qu'il ne s'agisse dans l'interview de Jean Claude Camus, le manager de Johnny):
Le progrès des passions politiques en profondeur
depuis un siècle me semble singulièrement remarquable pour les passions
nationales. D’abord, du fait qu’elles sont éprouvées aujourd’hui
par des masses, ces passions sont devenues bien plus purement passionnelles.
Alors que le sentiment national, lorsqu’il n’était guère exercé que par
des rois ou leurs ministres, consistait surtout dans l’attachement à un intérêt
(convoitise de territoires, recherche d’avantages commerciaux, d’alliances
profitables), on peut dire qu’aujourd’hui, éprouvé (du moins continûment) par
des âmes populaires, il consiste, pour sa plus grande part, dans l’exercice
d’un orgueil. Tout le monde conviendra que la passion nationale, chez le
citoyen moderne, est bien moins faite de l’embrassement des intérêts de sa
nation — intérêts qu’il discerne mal, dont la perception exige une information
qu’il n’a pas, qu’il n’essaye pas d’avoir (on sait son indifférence aux
questions de politique extérieure) — qu’elle n’est faite de la fierté qu’il a
d’elle, de sa volonté de se sentir en elle, de réagir aux honneurs et aux
injures qu’il croit lui être faits. Sans doute il veut que sa nation acquière
des territoires, qu’elle soit prospère, qu’elle ait de puissants alliés ;
mais il le veut bien moins pour les fruits matériels qu’elle en recueillera (que
sent-il personnellement de ces fruits ?) que pour la gloire qu’elle en
tirera. Le sentiment national, en devenant populaire, est devenu surtout l’orgueil
national, la susceptibilité nationale.
Combien il est devenu par là plus purement passionnel, plus parfaitement
irrationnel et donc plus fort, il suffit pour le mesurer de songer au
chauvinisme, forme du patriotisme proprement inventée par les démocraties. Que
d’ailleurs, et contrairement à l’opinion commune, l’orgueil soit une passion
plus forte que l’intérêt, on s’en convainc si l’on observe combien les hommes
se font couramment tuer pour une blessure à leur orgueil, peu pour une atteinte
à leurs intérêts.
et du Discours à la nation européeenne
Cette résolution d’élever
les œuvres de l’Intelligence au‑dessus de celles de la sensibilité, je ne la
vois guère chez les éducateurs actuels de l’Europe, fussent‑ils les moins
acquis aux passions particularistes, les plus soucieux d’unir les peuples. Ce
que je vois chez presque tous, c’est, au contraire, le désir d’humilier
l’Intelligence dans sa prétention à l’universel, de l’identifier à la scolarité ;
d’honorer la sensibilité dans ce qu’elle a de plus personnel, de plus
inexprimable, de plus intransmissible, de plus antisocial ; d’en faire le
mode suprême de la connaissance, voire de la connaissance « scientifique
, en équivoquant sur ce mot.
Il est urgent de traduire le premier des deux textes de Benda en catalan...
RépondreSupprimerdepuis Benda le domaine des émotions politiques s'est élargi au delà du nationalisme. Le cas Johnny le montre. Il y a bien entendu un aspect nationaliste dans les funérailles de cette "vedette" comme on disait jadis. Mais il vient par delà les thématiques. Johnny représentait - en principe - le rock . Mais c'est un truc amerloque. ma thèse est qu'il a été la bonne conscience rock des français: incapables d'aimer cette musique de sauvages dans les années 50 et 60, ils l'on acclimatée, pour avoir leur rock à eux. Voyez le même phénomène avec les Leningrad Cow Boys, du rock russe. Il y a le rock chinois de Hong Kong. Mais pour ma part, je chéris les modèles initiaux: little richard, Bo didley, Elvis P., Eddy C., Buddy H. et alii .
RépondreSupprimerMais j'ai plus la banane.
Sur le problème du nationalisme républicain, Julien Benda rejoignait Charles Maurras, mais il ne proposait pas les mêmes remèdes. Il n’y avait pas eu de guerre totale, mobilisant tous les moyens économiques, sous l’Ancien Régime, et les Rois avaient toujours su éviter l’invasion. Pourtant la IIIème République affirmait que les Rois avaient préparé la nation moderne. Il y avait eu aussi une forme de nationalisme avec Jeanne d’Arc, mais des prélats comme Mgr Dupanloup avaient remis les pendules à l’heure.
RépondreSupprimerSur la photo officielle du Président, il y a « Le Rouge et le Noir » de Stendhal et « Les Nourritures terrestres » de Gide. Le Président a un rapport affectif à ces auteurs et c’est pourquoi il les met en avant. On ne trouve pas René Char, ni Paul Ricoeur, qui appartiennent à son univers intellectuel, car le Président reste dans l'affectivité, quand il s'adresse ou se montre à tous les Français.
Le Président s'intéresse sûrement au mécénat citoyen et informel exercé par René Char, qui était un riche héritier, et qui sponsorisa même Heidegger. Char a entretenu une correspondance avec Camus, à qui il doit peut-être le fond d'idées existentialistes de sa poésie.
Comme chef de maquis à la fin de la Guerre, Char a eu un rôle de négociateur pour économiser des vies humaines.
Il est peut-être préférable comme Benda de lire Lamartine, car la poésie est avant tout affectivité et musique. Char faisait la poésie de la poésie, il était réflexif et on ne peut le lire sans Georges Mounin. C'est un peu un tableau d’art contemporain, avec toujours un texte explicatif accroché à côté de lui.
Néanmoins, Char aimait la poésie romantique d’Alfred de Vigny, notamment « La Mort du loup », poème philosophique moins bavard et plus musical que la « Légende des siècles » d’Hugo.
Quant au rapport des Français à la culture anglo-saxonne, il est assez compliqué. On voit des chercheurs, comme Philippe Buc, qui écrivent en anglais à Stanford, mais qui ont ensuite besoin d’un traducteur pour publier leur livre en France.
Il est aberrant, si on est homme politique, de mettre en avant Gide et Nathanaël: "disponible". C'est débile. Si on est homme politique on est homme à principes, pas à flâneries. Gide eut de bon moments, en URSS notamment, mais c'était un homme qui avait posé l'indécision en principe. Hollande est son digne héritier. Cela colle mal avec Ricoeur, même si au fond ce protestant était un mou ( une des énigmes de ma vie est : les protestants sont ils mous ou durs? ils sont les deux, comme les caramels). Tout cela montre que Macron est juste un malin, un opportuniste. Cela cadre mal avec Vigny aussi! Mais Hugo, vous ne le braderez pas! No pasaran los indecisos!
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