Massimo, italien de Paris, parlait un
français parfait, et même meilleur que celui des natifs. Mais il avait conservé
de sa langue maternelle un goût pour les superlatifs latins en –issime. Il usait bien sûr des
superlatifs italiens dont nous usons en français , comme bravissimo, bellissimo, pianissimo, et de
ceux que le français a gardés -
comme généralissime,
brillantissime, excellentissime , urgentissime , gravissime, sérénissime célébrissime
, éminentissime, richissime,
génialissime, nullissime,
élégantissime . Mais de plus il en forgeait d’autres : admirablissime, mochissime, vulgarissime, crétinissime,
puantissime, parisianissime, chiantissime, et même postmodernissime,. Plutôt que de dire, comme les enfants et les
ados: « C’est trop bien » ou « Il est trop » , il disait
« C’est benissime » , « Il
est gentillissime ». Comme il
était journaliste, et que cette profession aime en rajouter dans les adjectifs
laudatifs ou dépréciatifs, il faisait merveille quand il s’agissait de suggérer
au lecteur ou à l’auditeur l’urgence alors que ses collègues français étaient à
court d’adjectifs : importantissime,
indispensablissime, profondissime, admirabilissime, et même mustissime. Il excellait donc dans la
chronique politique, mondaine ou cinématographique. Monica Belluci devenait sexyssime, Carla Bruni charmantissime, Nicolas Sarkozy mediatiquissime, Juppé ennuyantantissime, Hollande falotissime. Les films de Wes Anderson
étaient kitchissimes, ceux de Danny
Boom et de Valérie Lemercier drôlissimes,
ceux de Arnaud Despléchin snobissimes,
ceux où apparaissait Fabrice Luccini énervantissimes.
Il donnait même des superlatifs aux noms propres : derridissime, lacaninissime, badivissime, houellebecquissime, d’ormessonissime,
proustissime ou aux noms communs : félinissime,
éléphantissime, cyclissime. Il étendait cela, plus curieusement, aux verbes :
escroquerissime, travaillerissime,
voyagerissime. Et il faisait des adverbes superlatifs : stupidissimement, amicalissimement.
Massimo s’entendait bien avec tout le monde et
était un homme de son temps, car à force de superlatifs il appuyait les
émotions, positives ou négatives, et couvrait tout le monde de louanges, n’allant
quêter l’opprobre que quand il était public et approuvé de tous. Il donnait
parfaitement dans l’excès hollywoodo- commercial: The greatest movie of all times, The best baseball player of the Earth,
le baiser le plus long qu’on eût jamais donné, qu’il traduisait : le film le le plus grandissime de tous les
temps, le joueur de baseball le meilleurissime, etc. Il refusait le ton neutre,
l’understatement anglais, et les
jugements exacts. Sur face book il n'aimait pas simplement liker le post d'un friend, il voulait le liker doublement , triplement, l'aimissimer . Il pratiquait la surenchère, comme internet , qui refuse qu'on soit muet, et qui veut, comme tout le marketing qu'on se manifeste, et comme les professeurs en manque
d’autorité, qui délivrent toujours les plus grands compliments aux plus
mauvaises copies d’étudiants. Le résultat prévisible était qu’on oubliait tous
les objets de ces jugements à peine avaient-ils été prononcés, puisque tous se
trouvaient au plus haut de l’échelle de comparaison. Il était aussi qu’on n’était
dépourvu de tout moyen de critiquer, puisque chaque événement grave devenait gravissime, chaque scandale scandalissime, chaque chose digne de
quelqu’intérêt admirablissime. Rien,
finalement, n’avait d’importance, puisque tout avait la plus haute importance. Rien n'était secret , tout était public, parce que systématiquement porté aux nues.
Un raisonnement par l'absurde rigolo !
RépondreSupprimerIl y a un style italianisant et littéraire, qui cultive le superlatif absolu, et qui envahit le langage et la pensée.
RépondreSupprimerMassimo a un prénom évocateur, d'origine latine, car il est vrai que le superlatif suffixé était d'abord latin.
Il a une sorte de tic ou une manie, qui le pousse à suffixer superlativement les verbes et les adverbes, après tous les adjectifs, et même à absolutiser le superlatif relatif : "le film le plus grandissime de tous les temps".
On notera que le superlatif hollywoodo-commercial, anglo-saxon, reste relatif, car il affiche le résultat d'une comparaison, d'une compétition : "le plus grand film de tous les temps" (sans doute "Autant en emporte le vent"). Cela le rend peut-être plus tolérable, car il se réfère à une réalité éloignée de l'hyperbole d'un discours rhétorique.
En société, on attribue sans doute à la culture méridionale, un peu napolitaine, de Massimo, l'excès histrionique de ses émotions ou de ses louanges, pour n'en retenir que le bon côté. Cela lui épargne le soupçon d'ironie ou de familiarité que l'on s'attire quand on superlativise les qualités des autres.
Le superlatif honorifique italianisant de Massimo a une utilité pratique sur le plan de la sociabilité, mais il est ruineux sous l'aspect de la connaissance intellectuelle. Il dévoile immédiatement, et sans possibilité de discussion, le fond des êtres et des choses qu'il qualifie excessivement, mais ce faisant, il le rend évanescent.
Sur internet et les réseaux sociaux, on aura plutôt le goût du préfixe, dans la surenchère. Tout sera super, hyper, méga, etc.
Mais sur le Web, et davantage que dans la vrai vie, Massimo pourrait rencontrer des censeurs, à cause de ses approximations langagières.
Vous êtes bien optimiste si vous croyez que le web est capable de vous corriger grammaticalement comme intellectuellement ! Massimo n'est que le produit de la culture web qui superlativise tout. Ainsi Face book ( où je ne suis pas, et refuse d'être, même si j'ai un compte pour voir ces horreurs) : on est supposé "liker" ceci ou cela que l'on vous envoie sur votre réseau, y compris quand on le trouve nul, juste parce qu'il faut garder le contact et ne pas perdre ses friends. On n'a aucun moyen de s'exprimer négativement, faute de quoi on est exclu du cercle enchanté.
RépondreSupprimerEn général, la première année, on pratique les réseaux sociaux naïvement, en jouant le jeu de la sociabilité à l'extrême. Ensuite, on en découvre progressivement les limites et le côté étouffant, avec lassitude et déception. Personnellement, je ne "like" plus pour plaire à des amis, quand je n'aime pas leur publication, et je ne me vexe plus quand je ne reçois pas d'approbations. Les internautes qui persistent a se faire un monde de tout cela finissent par voir un psy.
RépondreSupprimerFacebook reste très utile pour envoyer ou recevoir des alertes sur tout ce qu'il y a à lire, à écouter ou à voir, et pour suivre l'actualité en temps réel, même si l'on critique ce type d'information.
Je viens d'apprendre par Facebook que l'Opéra-Bastille va donner "Samson et Dalila" de Saint-Saëns et "Lucia di Lammermoor", ce trésor du bel canto de Donizetti.
Facebook est excellent quand on organise une activité ou un événement avec un groupe.
Si l'on trouve que la sincérité et la franchise restent toujours impossibles avec ses amis FB, on se dit aussi que le problème est le même dans toute la vie sociale. Savoir s'il faut toujours dire la vérité à ses amis est peut être le plus vieux problème du monde. Et l'on est toujours trop gentil avec ses amis ! Reste à savoir si les amis FB sont vraiment des amis.
Quant à Massimo, j' avais oublié qu'il suffixait aussi les noms propres d'un superlatif. Sur les réseaux sociaux, il pourrait avoir des critiques de personnes qui ne sont pas ses amis. Les Anglos-saxons nomment "grammar nazis" les personnes qui naviguent sur les pages et les blogs, pour signaler méchamment les fautes d'orthographe ou de syntaxe, les barbarismes, etc.
Bastille me fait perdre le charme de l'Opera. Je n'aime que Favart ou Garnier. Pourquoi aller sur Facebook pour apprendre les programmes alors qu'il suffit d'aller sur http://www.resmusica.com/
RépondreSupprimerMais cela ne m'ennuierait pas d'aller sur Face book si c'était juste une banque d'infos, consultable anonymement. Or c'est aussi un réseau social, où il faut partager. Je n'ai pas envie que la terre entière sache que je voudrais aller écouter Cavalli.
La page de Casella, A la manière de Debussy, op.17, n'est-elle que l'illustration de "pianissimo" ou faut-il y voir aussi autre chose ?
RépondreSupprimerEn tous cas, nous avons affaire à une pastiche respectueux et non à une parodie moqueuse... Debussy n'aurait-il pas jugé que les ppp sont encore trop audibles ?
Il était trop
RépondreSupprimerIl existe des réseaux sociaux musicaux intéressants, comme Spotify.
RépondreSupprimerPersonnellement, je m'efforce d'aller sur tous les réseaux sociaux, et ceux-ci ne cessent d'augmenter, pour tenter de dissoudre mon moi dans la matrice numérique. De Twitter, Tumblr, Facebook, StumbleUpon, Reddit, etc., etc., jusqu'aux réseaux chinois, ce qui oblige à apprendre la langue, mais Philippe Sollers l'avait bien fait, pour traduire les poésies classiques du Président Mao.
Quand je jouais à fond le jeu des réseaux sociaux, j'aimais l'aventure dangereuse, avec émotions fortes, que cela constituait, à cause des pirates, des malveillants, des pornographes, des "fakes" comme les jolies filles soi-disant tombées amoureuses, des mythomanes, etc. Sans compter les amitiés qui tournent mal, en raison des malentendus ou des analyses non approuvées en période d' attentats.
Quant à Massimo, malgré ses outrances, ses activités sur les réseaux sociaux pourraient être musicales. Il serait peut-être davantage du côté de Verdi que du côté de Wagner. Mais quand on est mélomanissime, comment ne pas verser dans la métaphysique de la musique, qui serait l'expression de la Volonté dans la conscience humaine, selon Schopenhauer ? Avec Clément Rosset, on pourrait même, dans la surenchère, parler du "sombre précurseur", ce monde de la musique qui précèderait le vouloir-vivre.
On pourrait aussi bien préférer un autre métaphysicien de la musique, Vladimir Jankélévitch, qui était l'héritier de Bergson.
Plus snob que vous, plutôt que Spotify, je prefère prendre un abonnement au festival de Glyndebourne, mais faut que je fasse le Brexit d'abord
RépondreSupprimerhttp://www.glyndebourne.com/your-visit/what-to-wear/
Il y a des enjeux politiques et économiques concernant notre vie privée, derrière Facebook, ce merveilleux réseau social du "golden boy" Mark Zuckerberg. Comme Google, il sait tout de nous et il constitue un algorithme pour établir notre profil, à partir de nos centres d'intérêts. Il oriente notre navigation vers un but commercial. Il connaît nos activités et nos idées politiques.
RépondreSupprimerSon intrusion dans notre vie va jusqu'à conserver les commentaires que nous n'avons pas envoyés. Sur le plan juridique, il peut librement et légalement utiliser, distribuer et commercialiser nos photos et nos publications. En nous inscrivant, nous lui avons accordé cette licence, mais nous avons oublié de bien lire ses conditions générales d'utilisation !
La publicité que nous faisons de notre vie sur les réseaux sociaux a parfois des conséquences fâcheuses. On vient de le voir avec l'Affaire Kim Kardashian. Mais pour ces vedettes des médias qui, comme Paris Hilton, s'enrichissent uniquement grâce à leur beauté et à leur célébrité, ce que certains appellent une imposture, comment ne pas parler et faire parler de soi ?
Sur les réseaux sociaux, nous pouvons limiter la confidentialité de nos publications à nos amis. Comme le disait Mark Zuckerberg dans "Social Network", « on ne peut pas avoir 500 millions d'amis sans se faire quelques ennemis ». On se demande avec une certaine angoisse comment font les malfaisants pour repérer exactement certaines publications de notre compte Facebook.
Incidemment, une nouvelle génération de "hackers" est née, qui change l'image du pirate que l'on se fait. Pour rappeler les droits des internautes concernant leur liberté, leur sécurité et la protection de leur vie privée, il y a ainsi de nouveaux Robins des Bois, des militants "hacktivistes", comme les Anonymous.