Dans Un régulier dans le siècle, Benda confie le dédain du clerc pour le monde extérieur, en particulier en voyage: " En tant que peu troublé par le monde extérieur, j'ai d'assez beaux états de service. J'habitais San Remo depuis un mois quand on m'apprit que la ville possédait deux plages, et que celle que je voyais de ma fenêtre n'était pas la plus belle" (in La jeunesse d'un clerc, reed Gallimard 1969, p. 160).
Les deux plages sont assez éloignées l'une de l'autre.
Benda aurait-il peu manifester aussi peu de curiosité à Sestri Levante, qui a aussi deux plages, mais très proches l'une de l'autre ?
Si c'étaient les plages que Julien Benda voyait ou aurait pu voir de sa fenêtre, un littoral complètement construit, et peut-être déjà bétonné, il avait raison de tirer ses rideaux et de se replonger dans l'écriture de ses mémoires. De plus, dans l'ambiance conquérante d'un pays devenu hostile, qui communiait dans le culte d'un chef et qui se préparait à nous faire la guerre, on n' avait peut-être pas très envie de quitter son hôtel. Il reste que Julien Benda n' aurait jamais fait comme Nietzsche, qui avait écrit les aphorismes d'"Humain, trop humain" en plein soleil, sur les plages d'Italie.
RépondreSupprimerBenda alla à San Remo vers 1900. Mussolini n'était pas encore aux manettes. C'étaient les beaux jours de la Riviera.
RépondreSupprimerJe suppose que les gens se baignaient encore en maillot de bains très couvrants, et qu'on pratiquait plus la passagietta que le bain de mer. J'imagine aussi mal Benda en maillot de bain.
Malgré tout ce que dit Nietzsche sur ses écritures au grand air, je serais fort étonné qu'il ait écrit sur la plage, sauf s'il était, tel Aschenbach, assis dans un transat d'hotel de luxe , face à la mer.
L'intellect doit rester habillé, mais il ne doit pas non plus se baigner.
J'ai lu que Julien Benda avait beaucoup voyagé avant la Guerre de 1914, mais sans doute uniquement en Europe, où l'on dit d'ailleurs qu'il n'y avait pas beaucoup de formalités pour passer les frontières. Il s'est rendu plusieurs fois en Suisse pendant la Première Guerre, ce qui lui a valu d'être surveillé par la Préfecture de Police de Paris. Il a été surveillé aussi à la suite de son article sur la Guerre d'Ethiopie, paru dans L'Humanité. Quand il a fait paraître "Un régulier dans le siècle" en 1938, il ne valait pas mieux être à San Remo, pour lui, à cause de son antifascisme militant.
RépondreSupprimerEn 1900 en Italie, Julien Benda n'a pas eu d'illumination ni de crise existentielle, comme Paul Valéry pendant sa Nuit de Gênes, à l'issue de laquelle il avait décidé de se consacrer à la vie de l'esprit. Mais l'attitude romantique de Valéry, tentant de se faire foudroyer pendant l'orage à sa fenêtre, était tout le contraire de ce que recherchait Benda.
Le romantisme de Stendhal et de ses "Promenades dans Rome" n'était peut-être pas non plus son affaire. Stendhal liait toujours la contemplation des œuvres d'art à des évènements de sa vie.
Aujourd'hui 22 août, c'est l'anniversaire du vol de la Joconde au Louvre par Vincenzo Perrugia, le soi-disant secrétaire d'Apollinaire. Cela aurait pu avoir un rapport avec Julien Benda, si Belphégor avait été le Fantôme du Louvre, mais à vrai dire le livre de Benda précédait le ciné-roman d'Arthur Bernède, grâce auquel la télévision française fera trembler l'Europe dans les années 60. Julien Benda allait sans doute fort peu au cinématographe, contrairement à Henri Bergson qui s'y référait dans certaines de ses analyses.
Benda ne disait pas explicitement pourquoi il se plaçait sous le patronage de Belphégor dans son "Essai sur l'esthétique de la présente société française", qui le fit passer pour un maurrassien. On dit qu'il s'inspirait d'un conte de La Fontaine, qui mettait en scène un démon perspicace et misogyne, envoyé sur terre pour comprendre pourquoi les maris étaient damnés. À la Préfecture de Police, on connaissait le célèbre "Cherchez la femme !". À mon avis, en matière de goût esthétique, Benda expliquait le déclin de la société française par l'abus de l'émotion et du sentiment, qui traduisait un défaut de virilité.
Sur https://archive.org/details/belphgoressaisur00bend, je peux lire gratuitement "Belphégor". Quel style néo-classique étonnant !
Chapeau, Monsieur Benda.
Benda était adepte de de Maistre ( Xavier, pas Joseph), l'auteur de "Voyage autour de ma chambre". Lisez ses mémoires. Où qu'il allât il était indifférent aux beautés du lieu, et se murait dans sa chambre d'hotel. Il aurait pu passer ses vacances à Vesoul, comme la chanson, ou à Vierzon. On se demande pourquoi il voyageait.
RépondreSupprimerJe ne connais qu'une allusion au cinéma de toutes l'oeuvre de Benda: à la Grande illusion, et encore c'est uniquement pour en dénoncer la fraternité germano-française artificielle ( qui n'aurait aimé une Gretchen comme Dita Parlo ?)
je vous remercie beaucoup de la comparaison avec Valéry . Cette nuit de Gênes dit tout, avec le fait que Valéry était anti-dreyfusard, de la différence entre ces deux génies. Mais comme vous le savez Benda prit à Valéry sa petite amie après que celle-ci ( Catherine Pozzi, sa Katie) l'ait quitté .
Si Julien Benda se trouvait des affinités avec Xavier de Maistre, qui s'intéressait plus à son moi qu'aux lieux qu' il visitait, il était donc romantique lui aussi, d'une certaine façon !
RépondreSupprimerDans "La jeunesse d'un clerc", Benda disait avoir composé le plan de "Belphégor" en étant couché dans le sable d' une plage d'Italie, ce qui rappelle assez Nietzsche écrivant "Humain, trop humain", nonobstant ce que je croyais, et même si Nietzsche devait plutôt chercher à s'abriter confortablement du soleil.
Benda avait sillonné l'Europe jusqu'aux confins de l'Écosse. Je crois comprendre qu'il avait vu l'Amérique et le Mexique. Pour l'Extrême-Orient, ce n'était pas Malraux.
Benda dit aussi avoir séjourné au Maroc, à Rabat, mais toujours avec son habitude d'éviter d'aller voir la ville toute proche, en l'occurrence Fès, et alors que tout le monde lui conseillait cette visite. Benda n'était pas proustien, même s'il ne rangeait pas Proust dans la catégorie des clercs qui avaient trahi les valeurs universelles.
Pour Marcel Proust, c'était impensable de dissocier le côté de chez Swann du côté de Guermantes, à cause de la conjonction monadique des lieux dans le monde de l'Art. Julien Benda n'avait pas du tout cette conception des "côtés".
L'extrait cité dans ce billet vient de Un régulier dans le siècle . Benda raconte avoir voyagé beaucoup entre 1900 et 1914 en Europe. Il avait de l'argent et était rentier (il avait hérité de son père). Il menait alors apparemment le genre d'existence décrite dans les livres de James où les bourgeois séjournent dans les hotels chics. Mais rien à voir avec les Mémoires d'un touriste de Stendhal.
RépondreSupprimerJ'ignore s'il est allé au Mexique, mais il a fait en 1938 un long séjour aux USA, dont il revenu enchanté . Il a publié ses notes dans la NRF.
L'opposition des Guermantes et de Swann en effet est étrangère à Benda. Son monde était un. Mais il était tout sauf romantique. Son moi ne l'intéressait que pour le donner à la psychologie future des tenants de l'Idéal.
Benda a dans le texte cité dans votre billet une posture de rationaliste. Il en devient presque un personnage de Diogène Laërce, personnage qui incarne des thèses en montrant ce qu'il pense par une conduite souvent provocatrice (la Raison au-dessus du naturel, du phénoménal, de l'empirique, du particulier...)
RépondreSupprimerPeut-être se fût il baigné nu en aout 2016...
RépondreSupprimerOu habillé...
RépondreSupprimerÀ défaut de Benda, c'est Pierre Joxe qui se sera baigné habillé
Supprimerhttps://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/260816/baignade-surveillee-par-pierre-joxe
Il aurait mieux fait de rester dans son transat.
SupprimerJ'ai rajouté pour vous une affiche avec les maillots de bain de l'époque.
RépondreSupprimerLes femmes y sont plus découvertes qu 'avec des burkini.
Oui, et si on les trouve très habillées, c'est que la libido contemporaine a besoin de beaucoup de surface de peau pour être stimulée.
RépondreSupprimerMerci tout de même !
Je crois que ce n'est pas une question de libido, mais de baignade, tout bêtement. Plus vous êtes vêtu , plus il est difficile de nager , et moins on éprouve de plaisir à sentir ce que Baudelaire désignait par ce vers:
RépondreSupprimerEt, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Il suffit de passer tout habillé par dessus bord, ou de tomber à l'eau du rivage tout habillé pour s'en rendre compte. Si donc hommes et femmes ont diminué la surface vestimentaire dans l'eau , c'est pour profiter mieux des bains. Porte-t-on d'ailleurs un burkini dans un hammam ?
Vous voilà mûr pour une philosophie de la baignade !
RépondreSupprimerJe laisse cela à d'autres
RépondreSupprimerhttp://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/17672/metaphysique-d-un-bord-de-mer
Ah je m'en doute mais il y a pire encore !
RépondreSupprimerhttp://tut-tut.fr/philosophie-aux-toilettes/
Pendant longtemps j'ai eu dans mes toilettes un exemple ( velin) du Manuel d'Epictète. C'était très utile.
RépondreSupprimerÉpictète le disait déjà : " il faut toujours avoir mes paroles sous la main pour se toiletter l'esprit."
RépondreSupprimerPierre Vesperini , dans son livre sur Marc Aurèle, que vous connaissez sans doute, dit que la philosophie de MA est une hygiène, pas seulement mentale,mais aussi physique, donnant des conseils de sagesse pour déféquer, entre autres.
SupprimerMais peut-on quand même bien déféquer si on n'adhère pas au providentialisme stoïcien ?
SupprimerMalheureusement je n'ai pas sous la main de livre de Vesperini mais voici quelques éléments de scatologie stoïcienne glanés (trop) rapidement dans les Pensées de Marc-Aurèle :
Supprimer1) "grâce à la simplicité de son régime, il pouvait rester jusqu'au soir, sans même avoir besoin de rendre les résidus de ses aliments en dehors de l'heure habituelle." (VI, 30)
Dit autrement, la régularité de la défécation en tant qu'indice de la maîtrise de soi.
2)" Comment sont-ils quand ils mangent, quand ils dorment, font l'amour ou vont à la selle, etc. ? Et puis quand ils prennent un air viril et imposant, ou bien quand ils se fâchent et blâment autrui avec excès ? Peu avant, de combien de maîtres étaient-ils esclaves et de combien de manières l'étaient-ils ? Et peu après ils en seront au même point."
La défécation est ici l'indice de l'absence réelle de maîtrise de soi de l'insensé, même si son statut lui donne une fonction de maître.
On peut en effet tirer de ces deux textes que la défécation dans son rythme comme dans sa forme est indice de vice ou de vertu.
Mais que veut dire déféquer (manger, faire l'amour, dormir en stoïcien)? C'est, je pense, respecter les usages, manifester ses besoins naturels avec retenue et modération, entre ascétisme et débauche. Le providentialisme est ici important : si l'homme a des besoins, c'est parce qu'il est bon qu'il les satisfasse mais il a aussi une raison qui subordonne ces besoins à son exercice.
Trop de maîtrise de soi produit des individus constipés
SupprimerCe sont les apprentis qui n'ont pas encore acquis la juste mesure dans la maîtrise de soi...
SupprimerVous venez de donner à vos lecteurs une nouvelle idée de livre : " Ce que lisent les philosophes aux toilettes."
RépondreSupprimerCela aussi a déjà été fait, non ?
RépondreSupprimerJe ne crois pas mais une chose n'est pas douteuse : les philosophes stoïciens, épicuriens, sceptiques ne lisent pas aux toilettes. En fait, s'ils sont vraiment sages, ils ne lisent jamais. Certes le stoïcien lit si ça fait partie de ses officia. Donc si une profession ou un statut exigent de lire aux toilettes, il le fera pour s'y conformer.
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