Il y a aux Etats-Unis une société , celle des Rousseauists Anonymous
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où l'on essaie de soigner les gens pour leur rousseauisme impénitent. L'un des premiers textes qu'on leur donne est celui-ci
"Voici que d’un autre côté le même cri s’élève ; c’est
le bataillon de Rousseau et des socialistes qui, à son tour, vient donner
l’assaut au régime établi. La sape que celui-ci pratique au pied des murailles
semble plus bornée, mais n’en est que plus efficace, et la machine de
destruction qu’il emploie est aussi une idée neuve de la nature humaine. Cette
idée, Rousseau l’a tirée tout entière du spectacle de son propre cœur :
homme étrange, original et supérieur, mais qui, dès l’enfance, portait en soi un
germe de folie et qui à la fin devint fou tout à fait ; esprit admirable
et mal équilibré, en qui les sensations, les émotions et les images étaient
trop fortes : à la fois aveugle et perspicace, véritable poète et poète
malade, qui, au lieu des choses, voyait ses rêves, vivait dans un roman et
mourut sous le cauchemar qu’il s’était forgé ; incapable de se maîtriser
et de se conduire, prenant ses résolutions pour des actes, ses velléités pour
des résolutions et le rôle qu’il se donnait pour le caractère qu’il croyait
avoir ; en tout disproportionné au train courant du monde, s’aheurtant, se
blessant, se salissant à toutes les bornes du chemin ; ayant commis des
extravagances, des vilenies et des crimes, et néanmoins gardant jusqu’au bout
la sensibilité délicate et profonde, l’humanité, l’attendrissement, le don des
larmes, la faculté d’aimer, la passion de la justice, le sentiment religieux,
l’enthousiasme, comme autant de racines vivaces où fermente toujours la sève
généreuse pendant que la tige et les rameaux avortent, se déforment ou se
flétrissent sous l’inclémence de l’air. Comment expliquer un tel
contraste ? Comment Rousseau l’explique-t-il lui-même ? Un critique,
un psychologue ne verrait là qu’un cas singulier, l’effet d’une structure mentale
extraordinaire et discordante, analogue à celle d’Hamlet, de Chatterton, de
René, de Werther, propre à la poésie, impropre à la vie. Rousseau
généralise : préoccupé de soi jusqu’à la manie et ne voyant dans le monde
que lui-même, il imagine l’homme d’après lui-même et « le décrit tel qu’il
se sent ». À cela d’ailleurs l’amour-propre trouve son compte ; on
est bien aise d’être le type de l’homme ; la statue qu’on se dresse en
prend plus d’importance ; on se relève à ses propres yeux quand, en se
confessant, on croit confesser le genre humain. Rousseau convoque les
générations par la trompette du jugement dernier et s’y présente hardiment aux
yeux des hommes et du souverain juge : « Qu’un seul te dise, s’il
l’ose : Je fus meilleur que cet homme-là ! » Toutes les souillures
qu’il a contractées lui viennent du dehors ; c’est aux circonstances qu’il
faut attribuer ses bassesses et ses vices : « Si j’étais tombé dans
les mains d’un meilleur maître..., j’aurais été bon chrétien, bon père de
famille, bon ami, bon ouvrier, bon homme en toutes choses. » Ainsi la
société seule a tous les torts. – Pareillement, dans l’homme en général, la
nature est bonne. « Ses premiers mouvements sont toujours droits... Le
principe fondamental de toute morale, sur lequel j’ai raisonné dans mes écrits,
est que l’homme est un être naturellement bon, aimant la justice et
l’ordre... L’Émile en particulier n’est qu’un traité de la bonté
originelle de l’homme, destiné à montrer comment le vice et l’erreur, étrangers
à sa constitution, s’y introduisent du dehors et l’altèrent insensiblement...
La nature a fait l’homme heureux et bon, la société le déprave et le fait
misérable. » Dépouillez-le, par la pensée, de ses habitudes factices, de
ses besoins surajoutés, de ses préjugés faux ; écartez les systèmes,
rentrez dans votre propre cœur, écoutez le sentiment intime, laissez-vous
guider par la lumière de l’instinct et de la conscience ; et vous
retrouverez cet Adam primitif, semblable à une statue de marbre incorruptible
qui, tombée dans un marais, a disparu depuis longtemps sous une croûte de
moisissures et de vase, mais qui, délivrée de sa gaine fangeuse, peut remonter
sur son piédestal avec toute la perfection de sa forme et toute la pureté de sa
blancheur."
Mais dès qu'ils savent qui en est l'auteur, ils replongent.
On pense à Nietzsche, précisément au paragraphe 6 de la première partie de Par-delà le bien et le mal quand on lit ce texte de Taine : Toute grande philosophie est la confession de son auteur, en quelque sorte ses mémoires. Taine ouvre ici l'herméneutique du soupçon. Nietzsche semble d'ailleurs avoir apprécié Taine, même s'il le juge corrompu par Hegel : dans la Généalogie (III, 19), il mentionne "la rigueur inflexible d'un Taine"
RépondreSupprimerNietzsche appréciait Taine et apparemment vice versa. Mais je ne sais pas si ce dernier pratiquait l'herméneutique du soupçon.
SupprimerCher Ange,
RépondreSupprimerHippolyte Taine, sans doute ? Quels sont les autres textes qui auraient les vertus curatives appropriées ?
Jeffrey Aspern
Et contre l'anti-rousseauisme intempérant, je suggère Starobinski
Supprimer(Accuser et séduire, Gallimard, 2012).
A bientôt.
C'est bien pourquoi je disais que quand ils apprennent le nom de l'auteur du texte, ils replongent !
SupprimerEn résumé : aucun remède à conseiller ni au rousseauiste impénitent, ni à l'anti-rousseauiste intempérant. On se contente de relever ici deux catégories d'incurables.
SupprimerQue cela n'empêche pas de lire Taine ET Starobinski...
A ma connaissance, le texte donné aux victimes de l'addiction en question n 'est pas si souvent cité. Il produit donc un certain choc sur la victime. Mais celle-ci se trouve assez vite des stratégies d'immunisation et des excuses pour son vice. Le Croque Mi Taine n'a donc d'effet que de courte durée.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerBingo. Les origines de la France contemporaine, Paris, Hachette, 1875, III, 3, 6.
SupprimerWarren Hope
Certains ne pardonnent pas à Jean-Jacques d'avoir flétri l'inégalité. Ils s'obnubilent des effusions au lieu de discuter les arguments de raison qui vont contre leurs certitudes : la naissance de la propriété privée et de l'Etat, le renforcement circulaire des institutions et des passions qu'elles excitent, c'est tout de même autre chose que la fine psychologie parée par M. Taine des couleurs de la science... Un rationaliste ne devrait pas prêter la main aux opérations de blanchiment pseudo-scientifique du dogme du péché originel et, par lui "justifiés", de tous les arbitraires.
RépondreSupprimerJe n'arrive pas à lire cela dans Taine.
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