Il pourrait s'agir de l'air de Dalila, "Mon cœur s'ouvre à ta voix", dans "Samson et Dalila" de Saint-Saëns, mais j'en doute. En tout cas, Claude Chabrol l'a utilisé pour son film "Landru". Julien Benda éprouvait une admiration profonde devant Saint-Saëns, en commun avec le Sire de Gambais. Cela ne doit pas être extrait du "Carnaval des animaux", ni de la "Danse macabre", ni non plus du "Caprice sur des airs danois et russes". Je pencherais plutôt pour les Études pour piano, ou bien les Concertos pour piano, peut-être le Concerto "Égyptien". Pour cet air, Julien Benda n'aurait pas donné "tout Rossini, tout Mozart et tout Weber', tel Nerval, mais des "tomes de musique d'outre-Rhin", si je lis bien, c'est-à-dire tout Wagner. En 1918, Julien Benda remercie peut-être Saint-Saëns pour le compliment qu'il lui a fait d'avoir publié "Belphégor". Saint-Saëns n'était pas un postromantique échevelé, un wagnérien comme les musiciens français et allemands de l'époque. Il était classique, mais pas néoclassique comme Stravinsky, qu'il n'aimait pas. Dans "Belphégor", Benda dénonce la religion de la musique que se font les postromantiques, et la "musicalisation" de tous les arts. Il oppose la sensibilité plasticienne à la sensibilité musicale. En effet, on ne peut pas savoir la musique après avoir écouté le chant des oiseaux : ce serait l'esthétique de l'âme élémentaire, de l'instinctif pur. Contre la musique comme art sans formes et pure fluidité (ce sera l'ineffable bergsonien de Jankélévitch), véritable "patriciat de l'âme", Benda rêve d'une musique à idées claires et distinctes, et à ponctuation. Contre la musique "source d'épandement" de la volupté, la musique "source de tenue" qui inspire un thème intellectuel à l'imagination. Ainsi, selon Benda, les grands adeptes de la fluidité, comme Wagner et Debussy, ont été sauvés "in fine" par leur recours aux "mœurs de l'art plastique". De même, la poésie de Baudelaire ne se rattache à la musique que si elle est plasticienne. Le modèle de l'Art pour l'Art des Parnassiens était la peinture. Julien Benda est platonicien . Il reproche à la musique de provoquer l'émotion, comme le théâtre, c'est-à-dire de nous faire vivre directement une action. Les sensations de l'ouïe ne gardent pas leurs distances, comme celles de la vue. Cela explique le privilège abusif de la voix humaine, et la prépondérance dans l'orchestre des bois et cuivres, prolongements du souffle humain, sur les cordes. En ce sens, selon Wagner, le piano ne ferait que décrire la musique. Pour Benda, ce n'est pas une critique. Cela explique l'intérêt de Julien Benda pour l'œuvre pianistique de Saint-Saëns. Pourtant Saint-Saëns a écrit une Symphonie avec orgue, cet instrument au souffle puissant qui chante la gloire de Dieu, et qui nous émeut jusqu'au fond de l'âme.
Je pense que c'est Concerto n°1 pour piano et orchestre Très bonnes remarques sur l'esthétique musicale de Benda. Benda pratiquait beaucoup Chopin au piano, et caressait à la fin de sa vie l'idée d'un livre sur la musique.
Il est difficile de classer certains musiciens dans des courants bien définis. C'est le cas avec Saint-Saëns et le postromantisme. En effet, pendant tout le XIXème siècle musical, demeure une inspiration classique française, qui dégage un charme et une grâce indiscutables (un je-ne-sais-quoi, ou un presque-rien, selon Jankélévitch, qui ne voulait pas en savoir davantage), et qui échappe aux classifications. On retrouve cette inspiration chez Gounod, Fauré, Bizet ou Saint-Saëns. Les purs postromantiques sont plutôt wagnériens, comme César Franck et ses élèves, ou comme Mahler et Bruckner, mais l'étonnant Brahms ne l'est pas, et Tchaïkovski, dont les accents slaves déchirent le cœur, non plus. Dans les postromantiques non-wagnériens, on pourrait ajouter le Finlandais Sibelius, ou les Anglais Elgar et Vaughan Williams. L'inspiration de Benjamin Britten restera romantique, avec en plus une influence de la musique baroque. En Amérique, le postromantique Charles Ives a tenté d'intégrer le bugle à son style. Londres a été la Mecque du postromantisme, avec des chefs comme Thomas Beecham ou Adrian Boult, qui officiaient au Royal Albert Hall.
Il est certain que Saint-Saëns se sentait proche de musiciens à part, comme Berlioz ou Chopin, qui étaient dans la mouvance romantique, mais qui pratiquaient un certain classicisme, dans la composition comme dans l'interprétation. Julien Benda s'est connecté à cette forme de tradition classique dans les Arts et les Lettres. Il sera facile d'appeler cela du conservatisme, ou de l'académisme. En effet, au XIXème siècle, les musiciens romantiques et postromantiques étaient sommés de choisir entre le classique et le moderne. Ainsi, Wagner ambitionnait de composer la musique de l'avenir, même si, avant de tenter de réaliser pleinement son projet à Bayreuth, il avait ménagé les "conservateurs" : l'ouverture des "Maîtres chanteurs de Nuremberg" faisait encore l'unanimité. Pour nous, la culture de l'avant-garde va de soi, car on ne peut être qu'avant-gardiste, bien que l'avant-garde ait, elle aussi, sa tradition. Ce qui est frappant chez Benda, c'est qu'il semble ignorer complètement le séisme de la déconstruction survenue en musique, au début du XXème siècle. Chez Debussy, Benda ne repère que le classicisme formel sous la fluidité apparente, et il vante la justesse de la déclamation dans "Pelléas et Mélisande". Certes, Benda n'aurait pas été d'accord avec Jankélévitch sur l'ineffable de la musique, mais il semble le rejoindre sur la question du je-ne-sais-quoi et du presque-rien de la musique française, impalpables comme le dernier soupir de Mélisande. En effet, Jankélévitch trouve leur origine dans la tradition du bon goût français, qui a régné sur les salons et les cours d'Europe sous l'Ancien Régime. Or, la culture de Julien Benda est celle de l'honnête homme. Dans "Belphégor", il ne cite pas Saint-Saëns, mais Saint-Évremond et Saint-Simon, pour leur souci de vérité. Néanmoins, Julien Benda a dénoncé l'aristocratisme de la musique contemporaine, quand les musiciens n'écrivent de la musique que pour les musiciens.
Il pourrait s'agir de l'air de Dalila, "Mon cœur s'ouvre à ta voix", dans "Samson et Dalila" de Saint-Saëns, mais j'en doute. En tout cas, Claude Chabrol l'a utilisé pour son film "Landru". Julien Benda éprouvait une admiration profonde devant Saint-Saëns, en commun avec le Sire de Gambais.
RépondreSupprimerCela ne doit pas être extrait du "Carnaval des animaux", ni de la "Danse macabre", ni non plus du "Caprice sur des airs danois et russes". Je pencherais plutôt pour les Études pour piano, ou bien les Concertos pour piano, peut-être le Concerto "Égyptien". Pour cet air, Julien Benda n'aurait pas donné "tout Rossini, tout Mozart et tout Weber', tel Nerval, mais des "tomes de musique d'outre-Rhin", si je lis bien, c'est-à-dire tout Wagner.
En 1918, Julien Benda remercie peut-être Saint-Saëns pour le compliment qu'il lui a fait d'avoir publié "Belphégor". Saint-Saëns n'était pas un postromantique échevelé, un wagnérien comme les musiciens français et allemands de l'époque. Il était classique, mais pas néoclassique comme Stravinsky, qu'il n'aimait pas.
Dans "Belphégor", Benda dénonce la religion de la musique que se font les postromantiques, et la "musicalisation" de tous les arts. Il oppose la sensibilité plasticienne à la sensibilité musicale. En effet, on ne peut pas savoir la musique après avoir écouté le chant des oiseaux : ce serait l'esthétique de l'âme élémentaire, de l'instinctif pur. Contre la musique comme art sans formes et pure fluidité (ce sera l'ineffable bergsonien de Jankélévitch), véritable "patriciat de l'âme", Benda rêve d'une musique à idées claires et distinctes, et à ponctuation. Contre la musique "source d'épandement" de la volupté, la musique "source de tenue" qui inspire un thème intellectuel à l'imagination. Ainsi, selon Benda, les grands adeptes de la fluidité, comme Wagner et Debussy, ont été sauvés "in fine" par leur recours aux "mœurs de l'art plastique". De même, la poésie de Baudelaire ne se rattache à la musique que si elle est plasticienne. Le modèle de l'Art pour l'Art des Parnassiens était la peinture.
Julien Benda est platonicien . Il reproche à la musique de provoquer l'émotion, comme le théâtre, c'est-à-dire de nous faire vivre directement une action. Les sensations de l'ouïe ne gardent pas leurs distances, comme celles de la vue. Cela explique le privilège abusif de la voix humaine, et la prépondérance dans l'orchestre des bois et cuivres, prolongements du souffle humain, sur les cordes. En ce sens, selon Wagner, le piano ne ferait que décrire la musique. Pour Benda, ce n'est pas une critique.
Cela explique l'intérêt de Julien Benda pour l'œuvre pianistique de Saint-Saëns. Pourtant Saint-Saëns a écrit une Symphonie avec orgue, cet instrument au souffle puissant qui chante la gloire de Dieu, et qui nous émeut jusqu'au fond de l'âme.
Je pense que c'est Concerto n°1 pour piano et orchestre
RépondreSupprimerTrès bonnes remarques sur l'esthétique musicale de Benda. Benda pratiquait beaucoup Chopin au piano, et caressait à la fin de sa vie l'idée d'un livre sur la musique.
Il est difficile de classer certains musiciens dans des courants bien définis. C'est le cas avec Saint-Saëns et le postromantisme. En effet, pendant tout le XIXème siècle musical, demeure une inspiration classique française, qui dégage un charme et une grâce indiscutables (un je-ne-sais-quoi, ou un presque-rien, selon Jankélévitch, qui ne voulait pas en savoir davantage), et qui échappe aux classifications. On retrouve cette inspiration chez Gounod, Fauré, Bizet ou Saint-Saëns.
RépondreSupprimerLes purs postromantiques sont plutôt wagnériens, comme César Franck et ses élèves, ou comme Mahler et Bruckner, mais l'étonnant Brahms ne l'est pas, et Tchaïkovski, dont les accents slaves déchirent le cœur, non plus. Dans les postromantiques non-wagnériens, on pourrait ajouter le Finlandais Sibelius, ou les Anglais Elgar et Vaughan Williams. L'inspiration de Benjamin Britten restera romantique, avec en plus une influence de la musique baroque. En Amérique, le postromantique Charles Ives a tenté d'intégrer le bugle à son style.
Londres a été la Mecque du postromantisme, avec des chefs comme Thomas Beecham ou Adrian Boult, qui officiaient au Royal Albert Hall.
saint Saens n 'est il pas surtout post berliozien ?
RépondreSupprimerIl est certain que Saint-Saëns se sentait proche de musiciens à part, comme Berlioz ou Chopin, qui étaient dans la mouvance romantique, mais qui pratiquaient un certain classicisme, dans la composition comme dans l'interprétation. Julien Benda s'est connecté à cette forme de tradition classique dans les Arts et les Lettres. Il sera facile d'appeler cela du conservatisme, ou de l'académisme. En effet, au XIXème siècle, les musiciens romantiques et postromantiques étaient sommés de choisir entre le classique et le moderne. Ainsi, Wagner ambitionnait de composer la musique de l'avenir, même si, avant de tenter de réaliser pleinement son projet à Bayreuth, il avait ménagé les "conservateurs" : l'ouverture des "Maîtres chanteurs de Nuremberg" faisait encore l'unanimité.
RépondreSupprimerPour nous, la culture de l'avant-garde va de soi, car on ne peut être qu'avant-gardiste, bien que l'avant-garde ait, elle aussi, sa tradition. Ce qui est frappant chez Benda, c'est qu'il semble ignorer complètement le séisme de la déconstruction survenue en musique, au début du XXème siècle. Chez Debussy, Benda ne repère que le classicisme formel sous la fluidité apparente, et il vante la justesse de la déclamation dans "Pelléas et Mélisande". Certes, Benda n'aurait pas été d'accord avec Jankélévitch sur l'ineffable de la musique, mais il semble le rejoindre sur la question du je-ne-sais-quoi et du presque-rien de la musique française, impalpables comme le dernier soupir de Mélisande. En effet, Jankélévitch trouve leur origine dans la tradition du bon goût français, qui a régné sur les salons et les cours d'Europe sous l'Ancien Régime. Or, la culture de Julien Benda est celle de l'honnête homme. Dans "Belphégor", il ne cite pas Saint-Saëns, mais Saint-Évremond et Saint-Simon, pour leur souci de vérité.
Néanmoins, Julien Benda a dénoncé l'aristocratisme de la musique contemporaine, quand les musiciens n'écrivent de la musique que pour les musiciens.
Benda a d'autres réflexions sur la musique dans Mémoires d'infra tombe, notamment un dialogue fictif Wagner -Debussy. J'en reparlerai
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