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dimanche 19 juillet 2020

OLD POP SPINOZA

Laetitia, gaudium ou titillatio



      Dans Joy in the Morning (1946) , Bertie se lève de bon matin par une belle journée, et se sent joyeux. Il demande à Jeeves s'il aimerait recevoir de lui un cadeau.
       Jeeves accepte et demande s'il ne pourrait avoir la dernière édition de Spinoza qui vient de paraître. Bertie n'a pas la moindre idée de qui peut être ce Spinoza, mais se met en quête du volume dans une librairie.





Là il tombe sur un employé incompétent, qui après lui avoir proposé différents ouvrages
commençant par "Spin", lui met entre les mains un livre intitulé Spindrift .




 C'est à ce moment que derrière Bertie surgit Florence Craye, une ancienne fiancée,
très intellectuelle, "of commanding aspect", qui est ravie de le voir s'intéresser à Spinoza et à son propre livre Spindrift. 






Florence Craye dans le feuilleton Jeeves and Wooster



L'ouvrage   Spindrift , de Florence Craye, est fameux chez les fans de Wodehouse







Florence Craye suggère également à Bertie de lire Types of Ethical Theory. Wodehouse  ne mentionne pas le nom de l'auteur, mais il y a tout lieu de penser qu'il s'agit de Five types of ethical theory  de C.D. Broad,  paru en 1930, et qui traite des éthiques de Spinoza, Butler, Hume, Kant et Sidgwick.






Bertie n'ose pas démentir Florence quand elle croit qu'il lit Spinoza





Spinoza's latest


            Je fais de même. Toute ma vie j'ai fait semblant de lire Spinoza.




14 commentaires:

  1. DjileyDjoon@orange.fr21 juillet 2020 à 14:29

    Peut-on lire Spinoza en se mettant dans la tête d'une blonde faussement naïve, comme Marilyn Monroe qui tient ses livres à l'envers pour montrer qu'elle fait semblant de lire, dans "Comment épouser un millionnaire" ? En d'autres termes, quels sont les présupposés de la posture de coquetterie universitaire, qui consiste à faire semblant de lire Spinoza ? Quant à Jeeves, s'il préfère Spinoza à Nietzsche, c'est parce qu'il ne pourrait pas être un nietzschéen de gauche. Son conservatisme est révélateur de la psychologie des "gens de maison", mais celle-ci est plus complexe. En France, Sacha Guitry a fait une galerie de personnages qui évoquent les valets de comédie du théâtre classique, et dont le meilleur est Désiré. Au-delà de l'exercice rhétorique des lieux communs de la domesticité, celle de Scapin, Figaro ou Jacques le Fataliste, il y a la recherche du point de vue idéal. Quand on demandait à Jean Paulhan qui il aurait voulu être, quand il était invité dans les salons aux lambris dorés, il répondait : le majordome, celui qui voit tout et entend tout.

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  2. Merci d'avoir noté la subtilité d'un valet qui lit Spinoza et doit goûter particulièrement la partie IV.

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  3. Merci pour ce post cher Ange.

    Il semblerait que les "Types of Ethical Theory" soit plutôt une référence à un ouvrage de James Martineau (en 2 volumes): https://archive.org/stream/typesofethicalth02martuoft?ref=ol (volume 2).

    Il n'en reste pas moins que CD Broad avait tout d'une plume digne de Plum :

    "In the meanwhile I retire to my well-earned bath-chair, from which I shall watch with a fatherly eye the philosophic gambols of my younger friends as they dance to the highly syncopated pipings of Herr Wittgenstein's flute." Preface to Mind and Its Place in Nature (1925). On croirait lire Bertie !

    Mrs. Lora Delane Porter est également une lectrice de Spinoza dans la nouvelle "A Prisoner of War"
    http://www.madameulalie.org/ism/ISM_A_Prisoner_of_War.html (1915/1916)

    Quant à Nietzsche, Jeeves n'est pas un admirateur en effet: il était bien dans l'intention de Lady Florence "to start you almost immediately upon Nietzsche. You would not enjoy Nietzsche, sir. He is fundamentally unsound."

    Dans The Prince and Betty (1912), on peut lire au sujet d'un personnage : "From contemporary accounts she seems to have out-Nietzsched Nietzsche. Nietzsche’s vision stopped short at the superman. Jane Scobell was a superwoman. She had all the titanic selfishness and indifference to the comfort of others which marks the superman, and, in addition, undeniable good looks and a knowledge of the weaknesses of men." https://www.madameulalie.org/evemail/PB_06.html

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  4. Vous avez probablement raison. Je ne connais pas Martineau. Ce qui me faisait penser à Broad était que 4 types of ethic theory etait plus récent (1930, puis rééditions). Mais la preuve viendra si l'on trouve dans Martineau le passage du livre cité au début du ch 2 de Joy in the Morning. Je n'ai pas vérifié dans Broad, qui a san doute pris son titre par moquerie pour Martineau.

    Je vois que j'ai affaire à un expert de Wodehouse. Ce qui est intéressant dans Joy in the morning est que PGW renvoie à Spinoza au moment même où Bertie éprouve de la joie. Or on sait qu'il y a chez S plusieurs sortes de joie: titillatio, gaudium et laetitia. Bertie cherche manifestement la forme la plus élévée, et ne la trouve , comme la Emma de Jane Austen, que quand il s'essaie à "matcher" d'anciennes maîtresses à ses amis. Il y a aussi quelque chose de tragique, d'un point de vue spinoziste, à ce qu'un benêt comme Bertie trouve la joie comme amor intellectualis Dei dans ses manoeuvres mondaines. Mais c'est évidemment Jeeves qui atteint ce stade du livre V.

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    1. Le passage de Martineau cité dans "Joy in the Morning" se trouve dans le volume 1, page 124 de "Types of Ethical Theories" (I, 2, 1, §1): https://archive.org/details/typesofethical01mart/page/124/mode/2up
      Le même Martineau a aussi composé "A study of Spinoza" (1882).

      Merci pour votre analyse des types de joie spinoziennes appliquées aux deux inséparables. Il m'a toujours semblé que Wodehouse pouvait faire la joie des épistémologues tant le nombre de situations de croyances justifiés (mais fausses) et d'étourderies de raisonnements sont légion.

      Reste à savoir quels autres philosophes furent et sont des amateurs de WOdehouse ? Ryle, Quinton, Engel,...? Vaste question empirique.

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    2. Much obliged,sir. Merci , la preuve est faite.
      Ryle aimait surtout Austen,je ne sais pas s'il a jamais lu un autre auteur. Simon Blackburn aime bien Wodehouse (il cite Wodehouse dans Spreading the word 1984, et le même passage de PGW est cité par Pascal Engel , dans Davidson et la philosophie du langage, 1994, p.61) . Scruton, je pense, avec ses tendances aristocratiques, devait apprécier PGW. Et vous avez lu l'article de Jean Lacoste.

      On dit (Pumtopia : https://honoriaplum.wordpress.com/tag/philosophy/)

      que Wittgenstein appréciait Plum. Mais la réciproque n'aurait sans doute pas été vraie, car Plum aurait sans doute été de l'avis de Broad que vous citez. Le ton prétentieux et profond de LW aurait sans doute été pour PGW, l'eût il connu, l'objet d'un de ses personnages ridicules.
      Il y a un Américain, qui, je crois, devait apprécier Wodehouse, c'est HL Mencken , même si Mencken aimait Nietzsche.

      https://www.unige.ch/lettres/framo/files/7415/1733/1688/Benda_and_Mencken_11.17-_.pdf

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    3. Merci pour ces pistes. Je me suis souvenu que Derek Parfit cite aussi Wodehouse dans "On What Matters" (volume 1, p. 290 et volume 3, p. 445 n. 249). Une fois pour un exemple au sujet de la maxime de l'agent (moral) et la seconde pour illustrer une incompréhension entre Blackburn et lui. Il cite alors le début de Right Ho, Jeeves.

      Curieux de vous lire sur Orwell et sa défense de Plum.

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    4. Pour Ryle, on peut trouver l'info dans l'introduction à son magnum opus signée par Daniel Dennett, "Re-Introducing The Concept of Mind" dans l'édition Penguin Classics (2000). Wodehouse était un de ses auteurs favoris nous dit Dennett, aux côtés d'Austen.
      https://ase.tufts.edu/cogstud/dennett/papers/Re_introducing_The_Concept_of_the_Mind.pdf

      Il est vrai que la recension de la bibliothèque de Ryle ne contient pas de Wodehouse à la lettre W. https://www.linacre.ox.ac.uk/sites/default/files/appendix2.pdf (page 3).

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    5. Lorsqu'on demandait à Ryle s'il lisait des romans, il répondait : "Oui, chaque année, tous les six". Comme on sait Austen a écrit six romans, et six seulement.

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  5. DjileyDjoon@orange.fr27 juillet 2020 à 16:17

    Dans la vie de Wodehouse, le châtelain du Touquet, il y a la délicate affaire, un peu célinienne, de son passage à la radio de Berlin pendant la guerre ("Comment être un interné sans formation préalable"). Il n'a pas cherché à rencontrer Ricoeur et Maldiney, qui de toute façon n'étaient pas spinozistes, et Maxime Chastaing l'aurait peut-être barbé avec Virginia Woolf, — mais qui a peur de Virginia Woolf ? Dans ses mémoires inédites, Wodehouse écrit que "le hurlement global qui a été le résultat de mon indiscrétion a excédé en volume et en intensité tout ce que j’avais connu depuis le moment où j’étais un petit garçon, quand j’avais cassé le parapluie du vicaire et que mes tantes avaient commencé à s’écrire des lettres l’une à l’autre à ce propos.". Mais Wodehouse pensait remonter le moral des prisonniers en prenant les choses à la légère et avec humour. Comme il s'adressait à des auditeurs américains, il donnait même dans le "Großer Witz", la grosse rigolade du feuilleton TV "Papa Schultz". Il est vrai que la joie a un côté grégaire et vulgaire. Pourtant, les Anglais feront de Wodehouse un traître pendable comme "Lord Haw-Haw", ce qui l'obligera à l'exil. Et les Anglais ne lui pardonnèrent pas non plus d'avoir dit à A.A. Milne, le père de Winnie l'Ourson, qu’il aimerait un fils, mais uniquement s’il naissait âgé de 15 ans. C'était du cynisme économique. Avec esprit, Wodehouse répondit que Milne, aussi homme d'affaires que lui, tirait profit de son fils dans son oeuvre : "Quand vous avez eu fini d’exploiter les possibilités commerciales du jeune Milne, les enfants avaient atteint un point de saturation et il n’y avait plus d’argent à en tirer. Le public acceptera un Christopher Robin [Milne] sautillant, mais pas une sorte de ballet russe de la descendance d’auteurs rivaux sautillant également.".

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  6. Je reviendrai plus tard sur cet épisode de la vie de PGE. On dit souvent qu'Orwell a tout dit là dessus. Mais je n'en suis
    pas certain.

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  7. DjileyDjoon@orange.fr27 juillet 2020 à 23:22

    La défense d'Orwell de 1946 est assez juste, mais il ringardise un peu trop Wodehouse afin de le rendre inoffensif, et ce faisant il lui fait perdre de sa saveur. De plus, Orwell sous-estime les non-Britanniques. Or nous comprenons tout de même un peu les nuances, et nous ne prendrions pas l'humour de Wodehouse pour de la franche anglophobie. Par contre, il est certain que Wodehouse a continué à montrer avec innocence ce que les Anglais auraient voulu vite oublier, à savoir l'état d'esprit de la drôle de guerre, la "phoney war", pendant laquelle personne ne songeait vraiment à aller pendre son linge sur la Ligne Siegfried. Il faisait la même chose qu'Evelyn Waugh dans "Hissez le grand pavois". Et en 1941, ce sera l'horreur qui s'invitera en avion la nuit dans la campagne écossaise : Rudolf Hess en personne, l'incarnation du Plan B de la diplomatie anglaise qui ne haïssait pas Hitler ! Néanmoins, Sa Gracieuse Majesté a anobli Wodehouse à la toute fin de sa vie, lui qui était resté un snob à l'ancienne, et qui se considérait comme américain depuis longtemps.

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  8. J'y reviendrai, mais Orwell fait un peu trop preuve de solidarité d'écrivain quand il dit qu'au pire PGW a fait preuve de "stupidité". La stupidité n'est pas une excuse. C'es exactement le même mot qu'a utilisé Heidegger pour essayer d'excuser son engagement au parti nazi : "eine grosse Dummheit". Les anglais qui recevaient des bombes allemandes sur le coin de la gueule n'avaient pas tort de trouver Plum un peu léger.

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