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dimanche 7 avril 2019

Engrais intellectuel






En hommage à Jean Gayon 




      Je voudrais évoquer l’article que Jean Gayon a consacré en 1998 à  « Agriculture et agronomie dans Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert », paru dans le numéro spécial « Science et récit », de la revue Littérature. [1] C’est un article court, assez marginal dans sa bibliographie dans la mesure où il n’avait pas l’habitude d’écrire beaucoup sur la littérature, mais à mon avis très révélateur de sa manière. Il aimait se pencher sur un point précis, en apparence anodin, et tirer, à partir de là, sans avoir l’air d’y toucher, des remarques profondes sur l’histoire des sciences et la philosophie.

      Il est assez naturel qu’un normand, natif du Havre, ville de Queneau (« mon père était mercier, ma mère était mercière, ils trépignaient de joie ») et proche d’Honfleur (où Alphonse Allais fut apprenti pharmacien et y inventa le café lyophilisé), s’intéressât à son compatriote Flaubert. On notera aussi que Félix-Archimède Pouchet, l’adversaire de Pasteur, dont il va être question plus loin, était normand. Il était encore plus naturel qu’un maître ès biologie végétale, qui fut toujours passionné par la botanique, s’intéressât aux efforts agricoles de Bouvard et Pécuchet. Bouvard et Pécuchet ne sont pas seulement deux crétins parisiens venus s’établir près de Falaise pour s’y livrer aux travaux agricoles. A travers eux, Flaubert évoque les manuels  de jardinage et d’agronomie de l’époque, sur lesquels, comme pour tous les sujets abordés dans son roman, il a réuni une documentation abondante.  Ce qui intéresse Gayon, dans le chapitre II de Bouvard et Pécuchet, ce sont essentiellement trois choses.
 
    La première, ce sont les références de Flaubert aux connaissances en agronomie de son époque, et au fait que l’agronomie est aux plantes et aux cultures ce que la médecine est au corps humain. Le livre est donc l’occasion de passer en revue l’histoire naturelle, la science agricole et la chimie naissante de l’ époque, mais aussi les sciences biologiques au XIXème siècle.

   La seconde c’est la trame narrative qui comme dans tout le roman, porte sur les échecs des deux bonshommes dans tout ce qu’ils entreprennent. Ils reproduisent systématiquement les erreurs que relèvent les manuels d’agriculture consultés par Flaubert, comme celui de Gasparin, ou celui de Gressent. Mais ils y ajoutent les leurs propres. Cela permet à Gayon, en disciple de Bachelard, d’esquisser à travers le couple d’imbéciles une réflexion sur les relations entre théorie et pratique, théorie et expérience, et sur la connaissance comme erreur rectifiée. Le problème est que les compères font des erreurs systématiques et répétées à chaque tentative. Gayon cite en particulier la manière dont Bouvard cherche à se débarrasser des hannetons en : 

« [imaginant] pour détruire les mans d'enfermer des poules dans une cage à roulettes, que deux hommes poussaient derrière la charrue — ce qui ne manqua point de leur briser les pattes » . 

La méthode d’employer des poules pour détruire les vers blancs était orthodoxe, mais sa mise en œuvre est en l’espèce idiote.[2] La bêtise, thème central du roman, tient ici non pas à l’erreur ou à l’ignorance, comme le notèrent Queneau et Deleuze [3],  puisque Bouvard et Pécuchet savent beaucoup de choses et ne demandent qu’à apprendre, mais au manque de jugement dans le passage de la théorie à la pratique. Flaubert est pleinement kantien dans sa théorie de la bêtise comme Mangel an Urteilskraft

        Le troisième intérêt de Gayon dans son article tient aux théories des fumiers et des engrais qui se trouvent dans les manuels que lisent Bouvard et Pécuchet, dont celui de Girardin, professeur à l’école d’agronomie de Rouen et spécialiste des fumiers. Ici l’on touche à la métaphysique végétale, à la biologie et à la mythologie scientifique, qui ne pouvait que passionner l’élève de Canguilhem s’intéressant aux idéologies scientifiques. 

    « Excité par Pécuchet, il eut le délire de l'engrais. Dans la fosse aux composts furent entassés des branchages, du sang, des boyaux, des plumes, tout ce qu'il pouvait découvrir. Il employa la liqueur belge, le lizier suisse, la lessive Da - Olmi, des harengs saurs, du varech, des chiffons, fit venir du guano, tâcha d'en fabriquer — et poussant jusqu'au bout ses principes, ne tolérait pas qu'on perdît l’urine ; il supprima les lieux d’aisances. On apportait dans sa cour des cadavres d'animaux, dont il fumait ses terres. Leurs charognes dépecées parsemaient les campagnes. Bouvard souriait de cette infection. À ceux qui avaient l'air dégoûté, il disait : « Mais c'est de l'or ! c'est de l'or » — Et il regrettait de n'avoir pas encore plus de fumiers. Heureux les pays où l'on trouve des grottes naturelles pleines d'excréments d'oiseaux ! » .  

     Gayon nous précise que la lessive Da Olmi était un engrais obtenu en mélangeant des fumiers animaux et différentes substances salines, salpêtres, cendres et plâtres. Bouvard adhère aux théories de l’engrais régénérateur du cycle de la vie défendu par les romantiques. Flaubert ici dénonce le délire bouvardesque sur les engrais, le guano et les excréments. Mais il n’en était lui-même pas si loin. Il avait lu dans Gasparin la thèse selon laquelle l’engrais devait être un recyclage des excréments, notamment humains, permettant au cycle de la vie de se perpétuer. Pierre Leroux défendait ces idées, et après lui Victor Hugo. Dans un article récent sur l’engrais chez Flaubert, qui prolonge les investigations savantes de Gayon, Florence Vatan a approfondi ces thèmes[4] , et elle cite un passage des Misérables 

« Paris jette par an vingt-cinq millions à l’eau. Et ceci sans métaphore. […] Au moyen de quel organe ? au moyen de son intestin. Quel est son intestin ? c’est son égout. […] La science […] sait aujourd’hui que le plus fécondant et le plus efficace des engrais, c’est l’engrais humain. Les Chinois, disons-le a notre honte, le savaient avant nous. Pas un paysan chinois […] ne va a la ville sans rapporter, aux deux extrémités de son bambou, deux seaux pleins de ce que nous nommons immondices. Grace a l’engrais humain, la terre en Chine est encore aussi jeune qu’au temps d’Abraham. Le froment chinois rend jusqu’a cent vingt fois la semence. Il n’est aucun guano comparable en fertilité au détritus d’une capitale. […] Si notre or est fumier, en revanche, notre fumier est or. Que fait-on de cet or fumier ? On le balaye à l’abime. »

Pierre Leroux défend ce qu’il appelle la « loi de Nature », contre la loi de Malthus. Quand on sait combien ce dernier influença Darwin, on voit que Gayon savait sur quoi il mettait le doigt, avec ce délire romantique. Gayon ne cite pas ces passages, mais il connaissait sûrement l’engouement que Flaubert avait pour Félix-Archimède Pouchet et la théorie de la génération spontanée. Il était ami de son fils Georges Pouchet, lui-même naturaliste à Rouen.

« La fermentation et la putréfaction, disait Pouchet dans son Hétérogénie, doivent être considérées comme presque indispensables a la manifestation des générations spontanées » 




et Flaubert écrit à Louise Collet en 1846 : 

« Il m’est doux de songer que je servirai un jour à faire croitre des tulipes. Qui sait ? l’arbre au pied duquel on me mettra donnera peut-être d’excellents fruits. Je serai peut-être un engrais superbe, un guano supérieur

Je ne sais pas non plus si les commentateurs ont noté la proximité du nom de Pouchet et de celui de Pécuchet. Flaubert traitait d’ailleurs les adversaires de Pouchet, comme Pasteur,  d’ »imposteurs et de crétins ».[5]  En fait les choses sont plus complexes, car Flaubert connaissait aussi le naturaliste Georges Pennetier, qui était favorable aux idées de Darwin, et était lecteur d’ Ernst Haeckel.

Gayon conclut finement son étude relativisant la bêtise des deux bourgeois :
« Tout cela suggère en vérité que tout bourgeois du milieu du XIXe siècle, muni du même projet, des mêmes moyens, et agissant dans le même contexte scientifique et technique, en serait arrivé au même point, même s'il ne commettait pas les innombrables et succulentes bévues de détail qui émaillent le chapitre II du roman de Flaubert ». 

La morale qu’on peut en tirer, à partir des elliptiques remarques de Gayon, est que la bêtise d’une époque, même dans le domaine des sciences empiriques, est bien partagée. Elle est même partagée par ceux-là même qui entendent réagir contre cette bêtise de masse au nom de la création artistique de l’individu, puisque Flaubert n’était, au fond, pas si loin de prendre le parti des deux  crétins.  

Flaubert écrit encore à Louise Collet en décembre 1853:

« Et même ne pas oublier les latrines, et surtout ne pas oublier les latrines ! Il s’y élabore une
chimie merveilleuse, il s’y fait des décompositions fécondantes. – Qui sait a quels sucs
d’excréments nous devons le parfum des roses et la saveur des melons ? A-t-on compte tout ce qu’il faut de bassesses contemplées pour constituer une grandeur d’âme ? tout ce qu’il faut avoir avale de miasmes écoeurants, subi de chagrins, endure de supplices, pour écrire une bonne page ? Nous sommes cela, nous autres, des vidangeurs et des jardiniers. Nous tirons des putréfactions de l’humanité des délectations pour elle-même. Nous faisons pousser des bannettes de fleurs sur ses misères étalées. Le Fait se distille dans la Forme et monte en haut, comme un pur encens de l’Esprit vers l’Eternel, l’immuable, l’absolu, l’idéal. »[6]

      L’idéal de Bouvard ne se réalise-t-il pas de nos jours ? Dans le Monde du 27 novembre 2018 on apprend que « A Villetaneuse, la ferme pédagogique donne lieu, en partenariat avec un laboratoire du CNRS, à diverses expériences autour de la production d’énergie à partir des excréments des animaux ». Prolongeons la réflexion de Gayon et celle de Flaubert, en passant de la merde littérale à la merde intellectuelle. Aujourd’hui que le bullshit, littéralement la bouse de vache, désigne certains produits de notre société d’information mais aussi les pseudo- productions savantes de nos philosophes, on se prend à rêver, à la manière de Flaubert, que de cette bêtise massive puisse, par régénération spontanée, finir par produire de l’intelligence et se fondre cosmiquement avec celle-ci. Qui sait si la foutaise ne produira pas un jour des vérités profondes ? N’est-ce pas le destin de la science, somme d’erreurs collectives, qui finissent par produire des théories correctes?


                                                                                 
 (lu en décembre 2018)


[1] n° 109 (mars 1998), p. 59-73.
[2] cela rappelle l’épisode du pied bot dans Madame Bovary
[3] Queneau Bâtons, chiffres et lettres, deleuze différence et répétition
[4] F.Vatan à paraître , « Cultiver son jardin » : rêves et délires de l’engrais dans Bouvard et Pécuchet, 2018 . Je remercie Florence Vatan de m’avoir communiqué son manuscrit.
[5] Benedicte Percheron, Flaubert, les naturalistes rouennais et les theories biologiques de 1865 a 1880 , cité par Vatan, op cit. http://flaubert.revues.org/2425
[6] à Louis Collet, dec 1853, correspondance, II, p. 485, cité par Florence Vatan



Vespasien

12 commentaires:

  1. " ... et la grande Nature,
    Si pleine de raison,
    A fait avec leurs corps tombés en pourriture
    Sa belle floraison."
    Quelques vers écrits par Théodore de Banville dans les Stalactites en 1846, que je trouve dans l'excellente édition des Fleurs du Mal (1957) par Antoine Adam. Il les cite dans son commentaire de La Charogne.
    Cela dit, je crains que malheureusement n'existe pas, telle la grande Nature, cette grande Culture à laquelle vous rêvez sans y croire, j'imagine.

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  2. La foutaise d'aujourd'hui sera peut être le génie de demain ! Qui sait ? peut être le génie d'Onfray ou
    celui d'Amélie Nothomb passeront le test du temps, et les oeuvres confidentielles que nous admirons resteront dans leur oubli définitif!

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  3. D'accord, je vous reconnais, votre rêve est un cauchemar.

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  4. DjileyDjoon@orange.fr11 avril 2019 à 16:19

    Avec "Bouvard et Pécuchet", on a bien la preuve qu'une œuvre n'appartient pas à son auteur, et que les lecteurs en font ce qu'ils veulent. Le livre de Flaubert est devenu un manuel d'épistémologie et d'histoire des sciences. Pourquoi pas ? Néanmoins, au risque de s'aventurer dans la zone des idées reçues, on pourrait dire que le néorural madré du hameau de Croisset, à Canteleu, qui y avait son "gueuloir" pour tester la musique de sa phrase, nous a légué une authentique œuvre littéraire, qui par son style rend belle la laideur du monde, afin de mieux la supporter. C'était déjà le conseil de Marc-Aurèle dans ses "Pensées" (Livre III, II), qui invitait à chercher la beauté secrète au fond de la laideur : la décomposition des aliments faisandés leur ajoute de la saveur, la bave de la gueule du sanglier lui procure un charme puissant, les personnes âgées retrouvent la grâce de l'enfance, pour qui sait la voir.
    On continue d'aimer naïvement le style de Flaubert, qui donne forme à l'informe, en se souvenant de la lueur de joie dans le regard du professeur en abordant son œuvre, comme s'il allait enfin pouvoir parler de littérature, et ne plus faire que boucler un programme. On aime toujours l'étrange discours indirect libre chez Flaubert, qui est à mi-chemin entre le dialogue et la narration, qui excite le pédantisme des exégètes, et qui nous fait un peu partager la posture vertigineuse du romancier devenu le Créateur invisible dans sa création. On aime encore son art de l'ellipse, qui ressemble au montage de cinéma, son génie de la chute qui en fait partie, et, on ne sait pas bien pourquoi, son Antiquité kitsch pour péplum ou bandes dessinées.
    Il est intéressant de faire des rapprochements avec Hugo, pour la barricade de 1832 et l'égout des Cagnards du Pont Notre-Dame, mais chez Hugo il s'agit d'anecdotes, d'occasions, dans la trame de son roman sentimental humanitaire. Chez Flaubert, les personnages mélangent vraiment leur histoire intime à l'Histoire, même si Bouvard et Pécuchet sont dans le désenchantement mondial post-juin 1848, ou à l'histoire des sciences et des techniques, et ils n'en sortent pas indemnes.
    En ce qui concerne la théorie de la génération spontanée, elle avait le mérite de poser le problème de l'origine de la vie à partir de la matière. Le problème est réapparu avec la cosmogénèse et la soupe primitive des biochimistes.
    Dans les publications de Florence Vatan, on ne trouve pas de "Flaubert philosophe", comme pour Musil. Le pessimisme réaliste de Flaubert n'était pas le pessimisme existentiel de Schopenhauer.Et Flaubert, en faisant une "encyclopédie critique en farce", n'avait pas non plus de projet anti-hégélien déclaré.

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  5. Eh bien, plus je vieillis , plus je pense qu'une oeuvre appartient à son auteur, et que le principe d'Eco , lector in fabula, est faux. Flaubert avait des intentions, une doctrine. Quiconque le lit avec sérieux, avec une connaissance minimale de son contexte, voit ce qu'il avait en tête. C'est justement le propre des grands auteurs de dire la vérité objective, fût elle passée à travers les sentiment et la fiction.

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    1. La première phrase intrigue. Quel rapport entre le nombre des années vécues et la conviction que l'auteur est celui qu'il faut croire sur le sens de son oeuvre? Cela ressemble à un argument à cause de la proportionnalité (plus... plus...). On comprendrait que ça signifie: j'ai de moins en moins le temps et la patience ou le goût de me référer aux éxégètes. Ou, ma vue baisse, donc Flaubert OK, mais pas les commentateurs de Flaubert. Alors que ça pourrait "signifier": on ne me la fait plus, je suis de plus en plus malin, j'ai de plus en plus raison. "L'expérience instruit toujours, je l'avoue, mais elle ne profite que pour l'espace qu'on a devant soi. Est-il temps au moment qu'il faut mourir d'apprendre comment on aurait dû vivre", Rousseau, Philosophie, sections technologiques, Hatier 2006, p. 148.

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    2. j admets que ce n est pas un argument.
      n est ce pas le style du blog d etre une sorte de propos de table ?
      le blogueur a un peu ecrit sur la litterature. il espere justifier plu tard son propos.

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  6. DjileyDjoon@orange.fr12 avril 2019 à 20:09

    Pour la philosophie, il y a aussi l'épisode spinoziste du roman de Flaubert, que celui-ci appelait "nihiliste" dans ses dossiers. Bouvard et Pécuchet partagent la critique que l' "Éthique" fait du finalisme. Mais il apparaît que les deux amis cherchent surtout à se venger de leur entourage, et surtout du curé, en le scandalisant par la référence à "Spinosa", grand pourfendeur de la bêtise des causes finales et du libre arbitre. Néanmoins, si Flaubert partageait le même point de vue qu'Auguste Comte et Littré sur la question, il montrait aussi les deux amis se querellant à propos des utopies saint-simonienne et positiviste, et préférant abandonner la philosophie pour l'économie politique.
    Le curé disait à Bouvard : "Monsieur, on n'est pas savant si l'on n'est chrétien". On n'imagine pas la férocité de la guerre entre catholicisme et matérialisme plus ou moins avoué, dans l'Université et la société, au XIXème siècle. Le Père Dupanloup avait des idées arrêtées sur l'instruction des jeunes gens. Elle devait être exclusivement littéraire, et jamais scientifique.
    En ce qui concerne le respect des œuvres, l'adaptation de "Salammbô" en bande dessinée par Philippe Druillet est intéressante. Elle a le défaut habituel de trop coller de pavés du texte d'origine, mais l'image conquiert une certaine indépendance en comportant des décors et des personnages de science-fiction, qui échappent à l'illustration plate et redondante. Pour le texte original, il a fallu faire des choix en terme de quantité et de proportion. Néanmoins, on pose peut-être mal le problème de la fidélité, si l'on garde l'obsession du texte. Il faudrait peut-être juger l'auteur de la BD sur sa capacité à utiliser au mieux le langage de la BD. Le problème se présente de la même manière, quand il faut passer de la BD à l'animation (Hergé s'était investi dans l'animation de Tintin) ou au cinéma. La maîtrise des potentialités propres à la BD, pour illustrer une œuvre littéraire bien caractérisée, est loin d'être naturelle. Il reste que le débat doit surtout porter sur la liberté de l'auteur de BD : jusqu'où peut-il aller, en transposant, en modifiant et en créant de simples analogies ? On constate que plus la BD s'éloigne de l'œuvre originale, plus elle est réussie. En réalité, il y a un véritable cimetière d'adaptations ratées de romans en BD, mais on dira qu'elles font au moins découvrir les œuvres.
    Il ne suffit pas non plus de maîtriser le langage de la BD. On peut s'interroger sur les choix esthétiques à faire, quand on s'éloigne de la "ligne Hergé", abstraite et sans prétention, et considérer que l'exemple de Druillet n'est peut-être pas à suivre.

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    1. Marabout - bout de ficelle: la récente adaptation à la radio (France Culture) des Sept Boules de Cristal et du Temple du Soleil m'a semblé plutôt ratée, probablement parce que c'est infaisable de traduire des images en sons, et secondairement parce que les dialogues d'Hergé ne sont pas du théâtre, ou paraissent vieillots et artificiels quand ils sont entendus lus par des acteurs, et confinent à la caricature xénophobe. Selle de cheval: essayez de lire à haute voix les tirades du baron Nucingen et ça va vite devenir pénible.

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    2. tout a fait
      j en profite pour dire que le Temple du soleil est peut etre le plus grand Tintin. mais ne me demandez pas d argument ni ne me soupconnez de faire le malin!

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    3. Il faudrait quand même, à défaut d'argument(s), donner quelques critères (si possible objectifs), ou tout du moins une esquisse de justification, qui pourraient présider à l'établissement d'un tel choix. Le Temple du Soleil ne semble pas de prime abord pouvoir être candidat à pareille désignation dans la mesure où, pour pouvoir pleinement être apprécié, l'album nécessite que l'on prenne en compte Les Sept Boules (si du moins l'on prend pour critère de classement l'intérêt que peuvent susciter les éléments "narratifs" de l'histoire, c'est-à-dire ce qui s'y passe). Mais il est vrai que la linéarité des histoires de Tintin, le fait que, du Congo aux Picaros il y ait un lien entre les aventures (réapparition de personnages, souvenirs de péripéties passées qui contribue à donner une cohésion au monde possible fictif qui est celui du petit reporter) rend difficile l'entreprise qui consiste à abstraire un album seul du tout pour le désigner comme le meilleur (peut-être cette règle ne vaut-elle pas pour les premières aventures qui dans la temporalité du monde de Tintin ont lieu avant le Crabe aux pinces d'or et le Trésor de Rackham le Rouge, c'est-à-dire avant que le capitaine Haddock et le professeur Tournesol ne fassent leurs entrées, et encore...) quelque soit le critère choisit (précision historique, "inventivité" ou originalité de l'histoire, possible capacité prédictive de l'oeuvre pour notre monde, comme dans le cas de la littérature... Mais cette brève liste de critères n'est elle-même pas objective et est révélatrice d'une manière particulière de lire). Finalement peut-être faut-il s'en tenir simplement à ses élans affectifs (personnels), et votre commentaire peut donc légitimement prendre la forme péremptoire que vous lui donnez.

      Proposons quand même (par coquetterie) un candidat pour le titre du plus grand Tintin: L'affaire Tournesol.
      Argument décisif (je dirais même massue): la première apparition, fracassante (c'est le cas de le dire) de Séraphin Lampion. "Comme disait mon oncle Anatole..."

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  7. DjileyDjoon@orange.fr16 mai 2019 à 22:07

    Dans le domaine de l'adaptation des œuvres en BD, on ne se risquera pas à établir des critères de bon goût. On peut raffoler du mauvais goût, et il y a des amateurs d'art éclairés qui aiment le kitsch.
    On sera d'accord pour dire que les meilleures adaptations interprètent l'œuvre, et parviennent à une certaine fidélité, sans le collage de pavés de texte dans les images. Il y a un modèle du genre, le "Tristram Shandy" de Sterne, adapté par Martin Rowson, le dessinateur politique du "Guardian". Ou bien le "City of Glass" de Paul Auster, adapté par David Mazzuchelli et Paul Karasik. On pourrait également citer "L'Ane d'Or" d'Apulée, adapté par Milo Manara, dessinateur fellinien, inventeur de la BD pour adolescents, dans les marges de l'école vénitienne de la "Fumetti". Manara rend explicite la charge sensuelle des œuvres.
    Néanmoins, on opposera à ces exemples le cas de "La Recherche du temps perdu" en BD de Stéphane Heuet. L'adaptation a des défauts énormes (pavés de texte proustien, ligne Hergé sans ombre ni relief, multiplication de cartes postales en couleur de la Belle Époque), mais même les spécialistes avouent qu'il est impossible de ne pas l'aimer, sans bien savoir pourquoi. Il est tellement admis que le texte de Proust envahisse son adaptation en BD, qu'une spécialiste de Proust s'est associée à Stéphane Heuet, dans "Le Fantôme du petit Marcel", afin de réécrire Proust pour la BD !
    On peut aimer une BD phagocytée par l'œuvre qu'elle adapte. On supporte sans broncher toutes les conventions d'une adaptation culte, quand on est un aficionado. C'est aussi le cas pour la BD pure. On lit jusqu'au bout avec ravissement les bulles d'Edgar P. Jacobs, qui immobilisent l'action. Et l'on célèbre le "réalisme" d'Hergé, parce que l'on reconnaît ses modèles de voitures.

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