All I'm askin' Is for a little respect when you come home (just a little bit) (Otis Redding) |
Je n'ai jamais bien compris ce que Benda voulait dire quand il parle, dans la Trahison des clercs, du "respect de valeurs transcendantes" telles que la justice et la vérité. Ou encore quand il dit qu'on "honore" ces valeus.Si, comme il le dit, ces valeurs , et particulièrement celle de vérité, sont "abstraites" et "désintéressées", indépendantes des vérité particulières, comment peut-on les respecter ou les honorer? La vérité abstraite n'est pas une statue dans un Temple, et on ne voit pas comment on peut avoir vis à vis d'elle des sentiments ou des émotions tels que la peur, la crainte, ou le respect. La vérité n'est d'ailleurs pas une valeur. C'est simplement la propriété de certaines propositions, jugements, croyances ou théories. Que le jugement que la neige est blanche soit vrai est seulement une propriété de ce jugement, ou de son contenu, quand la neige est blanche. en lui lui, même le jugement n'est ni vrai ni faux e seulement susceptible de l'être. Il est vrai quand sa condition de correction - être correct si vrai - est satisfaite. Il n'y a pas de respect , de peur ou d'émotion particulière à le constater. Certaines vérités peuvent nous inspirer crainte ou plaisir. Mais c'est parce que nous désirions, ou ne désirions pas croire ou savoir que ce sont des vérités que nos avons ces sentiments. La vérité n'est pas une valeur et ne peut inspirer des sentiments. En revanche croire qu'un jugement est vrai, désirer qu'il soit vrai, craindre qu'il soit faux, sont des attitudes qui portent de la valeur. Ce qui a de la valeur est la croyance, ou la connaissance, de la vérité, non pas a propriété d'être vrai, et encore moins la valeur "abstraite" de vérité. De même pour la raison: nous ne valorisons pas des croyances, des actions, pour être conformes à la raison ou rationnelles, car ce sont là de simples faits. Ce que nous valorisons c'est l'attitude que nous avons quand nous jugeons ces actions ou croyances conformes à la raison. C'est pourquoi d'ailleurs Benda parle souvent non pas de clercs qui respectent ou méprisent la vérité et la raison, mais qui remplissent la fonction du clerc ou la trahissent. Pourtant, peut on remplir la fonction sans la respecter en quelque manière par une attitude de valorisation? Peut-on trahir cette fonction sans, en quelque manière la mépriser, l'ignorer volontairement ou la négliger?
Quand il dit que ces valeurs sont "désintéressées", Benda veut dire qu'on les respecte quelles que soient les conséquences pour nos intérêts personnels, sociaux ou politiques et quels que soient leurs effets pratiques, à la manière des impératifs catégoriques kantiens.Le respect, selon Kant est consubstantiel à la reconnaissance d'une valeur comme conforme à la raison:
"On pourrait m'objecter que sous le couvert du terme de respect je ne fais que me réfugier dans un sentiment obscur, au lieu de porter la lumière dans la question par un concept de la raison. Mais, quoique le respect soit un sentiment. ce n'est point cependant un sentiment reçu par influence; c'est, au contraire, un sentiment spontanément produit par un concept de la raison, et par là même spécifiquement distinct de tous les sentiments du premier genre, qui se rapportent à l'inclination, ou à la crainte. Ce que je reconnais immédiatement comme loi pour moi, je le reconnais avec un sentiment de respect qui exprime simplement la conscience que j'ai de la subordination de ma volonté à une loi sans entremise d'autres influences sur ma sensibilité, la détermination immédiate de la volonté par la loi et la conscience que j'en ai, c'est ce qui s'appelle le respect, de telle sorte que le respect doit être considéré, non comme la cause de la loi. mais comme l'effet de la loi sur le sujet. A proprement parler, le respect est la représentation d'une valeur qui porte préjudice à mon amour-propre
Par conséquent, c'est quelque chose qui n’est considéré ni comme objet d’inclination. ni comme objet de crainte, bien qu'il ait quelque analogie avec les deux à la fois. L'objet du respect est donc simplement la loi, loi telle que nous nous l'imposons à nous mêmes, et cependant comme nécessaire en soi." ( Fondements de la métaphysique des moeurs, tr. Delbos, I, note 2)
Ce que Benda exprime ainsi (préface à l'édition de 1946 de TC) :
" je ne tiens pour cléricales que des valeurs dont l’adoption implique l’exercice de la raison, alors qu’au contraire des attitudes comme l’enthousiasme, le courage, la foi, l’amour humain, l’étreinte de la vie n’ont, en tant que reposant sur le seul sentiment, point de place dans l’idéal du clerc."
Mais Benda parle aussi de passion des valeurs cléricales, un peu comme s'il craignait que la simple conscience de leur conformité à la raison ne suffise pas à motiver le clerc.
https://www.dcnews.ro/rectorul-mircea-dumitru-filosoful-pascal-engel-de-la-sorbona-confruntarea-momentului_594948.html
RépondreSupprimerVous pouvez publier des commentaires, mais s'ils contiennent des allégations diffamatoires et mensongères, je les supprime. Je suis contre les fake news.
RépondreSupprimerIl est vrai qu'il y a encore beaucoup à apprendre sur les fake news. C'est souvent simplement l'intérêt irrésistible de produire un scoop, selon les situations, qui nous expose à cette manie virale. Mais on peut aussi se poser le problème de l'existence de la prescription dans ce domaine, quand les fake news concernent un passé révolu qui provoque, au mieux, des haussements d'épaule.
RépondreSupprimerLe respect serait un sentiment moral, venant de l'esprit, et donc intellectuel. Pourtant, il n'est pas à l'origine de la loi morale et du devoir.
Parler de la passion de la raison, est-ce faire une concession à la sensibilité ? À propos de la pensée de Julien Benda, on a parlé d'intégrisme, de fanatisme ou de religion de la raison, ce qui nous emmène plus loin que l'attachement passionné ou l'enthousiasme excessif. On serait plutôt dans la zone de l'apathie.
Chercher une illustration de la passion de la vérité dans le film boulevardier "L'Homme qui cherche la vérité" pose la question de la métaphysique du vaudeville. Kierkegaard avait ouvert le feu avec une analyse de la pièce de Scribe, "Les Premières Amours", dans "Ou bien...ou bien". Le premier amour du stade esthétique fait entrevoir le paradoxe de la béatitude éternelle, à partir d'un point de départ pris dans le temps, qui n'est qu'une occasion dont on pourrait se passer. Il est vrai que l'amour est aussi une affaire de foi laïcisée. Il reste que le théâtre de boulevard ne recherche pas la béatitude des vérités éternelles, mais le souverain bien, entendu au sens du bonheur terrestre.
À cet égard, le film d'Alexandre Esway ne semble pas avoir la profondeur involontaire de la pièce de Scribe. Le personnage de Raimu fait l'expérience de la misanthropie, au point de n'avoir plus que son chien comme ami. Le vaudeville est habituellement une affaire d'oreille, qui regorge de malentendus à cause des mots, dont le théâtre de l'absurde se souviendra. Dans "Éducation de prince" d'Alexandre Esway, d'après la pièce de Maurice Donnay, il y a même un signifiant flottant, un gros mot intraduisible ("Chousko !") qui revient dans la bouche du chambellan amoureux de la reine de Silistrie, et qui reste pour toujours l'énigme hermétique de la pièce. Le film "L'Homme qui cherche la vérité" est plutôt une affaire de malentendant, puisque Raimu simule la surdité pour découvrir la noirceur d'âme des personnes de son entourage, au point de n'avoir plus d'ami que son chien. Néanmoins, on reste dans la comédie bourgeoise de mœurs traditionnelle, qui aboutit à une révolution conservatrice. Raimu, menacé dans ses privilèges par la jeunesse, retourne la situation à son profit, jette tout le monde dehors et fait une sorte de remariage avec son amie infidèle. À la fin de sa vie, il pourra remercier Dieu, sa femme et son chien, ce qui est une forme de sagesse.
Les fake news sont bien plus que le désir de scoop. Je ne pense pas que les accusateurs de Salengro ou ceux de Pierre Berégovoy aient juste cherché le scoop. Et je n'ai pas l'impression que les intéressés aient réagi par un simple haussement d'épaule.
RépondreSupprimerCela paraît en effet un peu ridicule d'avoir la religion de la raison ( même si Benda n'a pour sa part jamais usé de cette expression, puisqu'il parlait seulement de "passion", expression qui aussi donne son titre à un hommage à Alquié). Mais à tout prendre une telle religion est un peu moins dangereuse que la religion tout court. Sauf à considérer que le culte de la raison instauré en l'an III par Robespierre menait droit à la Terreur
Il y a le cas extrême des fake news faites pour tuer, à cause des passions politiques, et qui y parviennent, parce qu' elles ébranlent tout le monde. Par contre, ce qui sort des dossiers archivés, des services secrets des anciens pays du bloc de l’Est, est plutôt accueilli avec des pincettes. S' il y a fake news, elles se dégonflent comme un soufflé. On sait qu'il s'agit d'informations tirées des dossiers policiers de régimes totalitaires, constitués avec une logique tordue, souvent vides, qui ont été nettoyés ou qui ont été inventés pour faire chanter des gens, ou les discréditer plus tard. Si dans un premier temps on tombe dans le panneau, pour la vanité du scoop, ou pour se venger d’on ne sait trop quoi, en descendant des gens célèbres, ou qui l’ont été, on change assez vite d’attitude. On souhaite sincèrement qu' il s' agisse de fake news, quand on pense aux souffrances morales dégradantes, endurées par les personnes contraintes de jouer les agents secrets.
RépondreSupprimerIl y a aussi des informations qui arrivent à point nommé, quand il s’agit de tourner une page, avec ceux qui ont exercé un pouvoir. Dans le cas de Heidegger, on aurait peut-être accueilli des fake news, de la même manière que les informations authentiques.
En effet, elles se dégonflent et sont démenties. Pourquoi alors les mentionner comme si elles étaient vraies ou au moins vraisemblables?
RépondreSupprimerEn ce qui me concerne, après une vie hantée par la littérature et le cinéma, il m' arrive de ne pas toujours distinguer la réalité de la fiction, le vrai du faux. Avec l' accélération et la multiplication des informations qu' offrent les nouvelles technologies, l' intrusion de cette philosophie d'esthète recherchant des instants épiphaniques où la vie se mélange à l’art, peut advenir n' importe quand. À mon avis, les fake news qui viennent du froid fonctionnent, parce que le grand coupable est John le Carré !
RépondreSupprimerIl faudrait citer le cas de Pessoa, qui n' hésita pas à mettre toutes les polices d'Europe sur les dents avec une « fake news », afin d’avoir de la matière pour écrire les enquêtes de l’un de ses hétéronymes (Quaresma, déchiffreur). Ou bien encore Orson Welles et son invasion de Martiens, qui généra dans la presse la « fake news » de toute l'Amérique en panique, pour nuire à la radio, dans une guerre des médias. Welles était reconnaissant à la « fake news » de l'avoir hissé sur les sommets de la gloire, aussi vite. Mais, toujours lucide, il regrettait de n’avoir fait ensuite que descendre ! Son esthétique du « fake » avait également des implications morales.
RépondreSupprimerOn citerait encore "Defoe avec The short way with the dissenters" et les "Grubenhund" de Kraus. ais une chose est de faire des fake news avec l'intention de piéger les journalistes qui sont à la recherche de nouvelles sensationnelles, ce qui a des implications morales, autre chose est de répandre des fake news avec l'objectif de nuire à un homme politique par exemple en insinuant qu'il a participé aux services secrets, etc.). Les fake news ne sont pas seulement des "nouvelles" fausses. Ce sont aussi des tentatives pour tromper le public en disant des choses vraies, mais sans importance, ou en impliquant que telle ou telle activité tait coupable, ou que telle ou telle parole prise hors contexte prouve que tel ou tel est antisémite, ou homophobe, etc.
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