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vendredi 2 décembre 2016

Salavin redivivus


                                 hommage à Bibi, in Les aventures de Salavin 1963




C'est alors que je remarquai son oreille gauche. Je m'en souviens très
exactement et juge encore qu'elle n'avait rien d'extraordinaire. C'etait
l'oreille d'un homme un peu sanguin; une oreille large, avec des poils
et des taches lie-de-vin. Je ne sais pourquoi je me mis a regarder ce
coin de peau avec une attention extrême, qui devint bientôt presque
douloureuse. Cela se trouvait tout près de moi, mais rien ne m'avait
jamais semble plus lointain et plus étranger. Je pensais: "C'est de la
chair humaine. Il y a des gens pour qui toucher cette chair-la est chose
toute naturelle; il y a des gens pour qui c'est chose familière".
Je vis tout a coup, comme en rêve, un petit garçon,--M. Sureau est père
de famille--un petit garçon qui passait un bras autour du cou de M.
Sureau. Puis j'aperçus Mlle Dupère. C'était une ancienne dactylographe
avec qui M. Sureau avait eu une liaison assez tapageuse. Je l'aperçus
penchée derrière M. Sureau et l'embrassant la, précisément, derrière
l'oreille. Je pensais toujours: "Eh bien! c'est de la chair humaine; il
y a des gens qui l'embrassent. C'est naturel". Cette idée me paraissait,
je ne sais pourquoi, invraisemblable et, par moments, odieuse.
Différentes images se succédaient dans mon esprit, quand, soudain, je
m'aperçus que j'avais remue un peu le bras droit, l'index en avant et,
tout de suite, je compris que j'avais envie de poser mon doigt la, sur
l'oreille de M. Sureau.
                                                          George Duhamel, La confession de Minuit


    Quand j’étais enfant, on jouait aux billes dans la cour de récré. Il y avait une hiérarchie des billes, selon leurs couleurs, qu’on échangeait sur un véritable marché, où le plus recherché était le billot en métal, qu’on gagnait en tirant plus ou moins bien sur des tas de billes, et qui était comme une sorte de Premier Moteur immobile. Mais le jeu favori était la course de billes. On poussait sa bille d’une pichenette de l’index sur le pouce pour poursuivre l’adversaire et le dégommer. Le plus pratiqué était le parcours, qui consistait à créer un circuit dans la terre de la cour, avec de petits monticules. Quelquefois ces circuits étaient vastes et complexes, et quand la cour était assez grande et la terre favorable, ils pouvaient atteindre une dizaine de mètres de long. Le gagnant était celui qui avait parcouru le circuit le plus vite. Mais ces circuits, qui ressemblaient de loin à des espèces de taupinières, étaient détruits chaque soir par les balayeurs de l’école, et il fallait les reconstruire chaque matin. Un jour j’en construisis un superbe, avec des virages inclinés, des courbes complexes, des tas de sable très sophistiqués, une sorte de petit 24 heures du Mans dans le sable. Tout le monde voulait jouer avec moi. Mais il y avait dans la cour un garçon, très brutal et grossier, qui faisait régner la terreur, et jouait les petits caïds. Son nom était prédisposé à ce rôle : « Boussacour », qui sonnait comme « bouse à cour ». Voyant un jour mon succès comme organisateur de jeux de billes, il s’avança vers le circuit, et en quelques coups de pied rageurs l’anéantit. 


   Adolescent, j’étais godiche avec les filles. Elles me plaisaient, mais je ne savais pas comment m’y prendre. Il y en avait une dans ma classe dont j’étais amoureux. Elle avait quelque chose de Marianne Faithfull, que je voyais sur les photos de magazines aux côtés de Mick Jagger, à l’époque de As tears go by et de Lady Jane, mais cela devait tenir plus à son look BCBG qu’à une quelconque anglitude. J’essayais de m’asseoir à côté d’elle, mais ce n’était pas facile, car on aurait dit que tous les garçons de la classe avaient le même béguin que moi. Un jour je parvins, à la faveur d’un cours de chimie, à m’asseoir à côté d’elle, devant la paillasse où l’on faisait brûler quelque substance, en se souciant comme d’une guigne de sa place sur le tableau de Mendeleiev. J’espérais, avec quelques blagues bien placées, provoquer quelque cristallisation temporaire, qui eût pu devenir plus définitive. J’avais bien entendu lu l’épisode où Julien prend la main de Madame de Rênal, mais mon plan était moins audacieux. Elle portait un pull à manche courtes, et une mini-jupe. Mon idée était de profiter de la froideur de la paillasse pour toucher un coude, effleurer un bras, voire un genou, espérant que le contraste entre ma main et l’univers glacial de carrelage blanc qui nous entourait tourne à mon avantage. Malheureusement, ma main, trop longtemps posée sur la paillasse, était elle-même froide, et quand je cherchai à toucher le coude de la belle, elle se rétracta en poussant un petit cri, qui alerta la classe, et le professeur. La tentative avait avorté. 


     Au lycée, j’eus aussi à subir les bizutages. On vous couvrait au mieux de mousse à raser et au pire de sirop gluant, après vous avoir fait ramper dans la rue et chanter des obscénités aux passants. Je n’avais pas un grand talent pour m’y soustraire, mais je réussis plus ou moins à passer entre les gouttes, en chantant juste un peu, comme à la messe, et en acceptant juste une toute petite quantité de mousse et de sirop, comme quand on fait semblant d’avaler l’hostie.  Mais ces bacchanales duraient peu car très vite les tâches quotidiennes, la version latine ou grecque à faire pour le lendemain, occupaient tous les esprits. Pendant un an rien ne se produisit, et j’entretenais avec les autorités – c’est-à-dire un groupe d’anciens qui présidaient, tels des prêtres goguenards, ces festivités – des rapports distants mais courtois. Je me croyais débarrassé définitivement de l’huile de ricin de ces Beineberg et Reiting parisiens, et je n’aspirais pas à être leur Basini. Mais un soir, alors que je rentrais tard au dortoir du lycée, à une heure où tous les autres pensionnaires étaient en principe endormis, je cherchai à tâtons mon lit, au milieu de l ‘alignement des lits du dortoir. Je me heurtai sur des tubes et des barreaux de fer répandus au sol, et fis grand bruit en les remuant, provoquant la colère des condisciples endormis. Le lit avait été intégralement démonté et démantelé. Si je voulais passer la nuit, il fallait que je le remonte entièrement. Cela me prit plus d’une heure, car il faisait sombre et les éléments s’emboîtaient difficilement. Enfin je réussis à remettre l’objet en place, et m’apprêtais à me coucher quand mes Breineberg et Reiting parurent, goguenards, au pied de mon lit. J’étais prêt à leur sauter au cou pour les étrangler, mais une douche glacée m’arrêta. Ils venaient de déverser sur moi le contenu du seau qu’ils destinaient en principe à un autre pensionnaire qui devait arriver plus tard. A la suite de cet épisode nocturne, et pour éviter les surprises, longtemps j’ai préféré me coucher de bonne heure.


      Paris pendant ma jeunesse bruissait de manifs. On se sentait tenu d’y aller, ne serait-ce que parce que les Maos et les Trostks du lycée comptaient les partisans ou les foies jaunes. J’y allais bravement , car en plus je croyais – un peu au moins – à la Révolution. Souvent c’était assez glorieux. On marchait derrière Sartre, Foucault, Deleuze, Clavel, Benny Levi alors dit Pierre Victor, et tant d’autres. Ou du moins le croyait-on car on était dans le gros des troupes, ne voyant que rarement les leaders. On n’était d’ailleurs pas sûrs qu’au moment où la manif se terminait, ceux-ci ne soient pas partis boire un vin chaud ou un grog avec l’élite militante, pendant que le gros des troupes, et surtout les professionnels du militantisme, affrontaient les CRS.  Un jour j’eus l’occasion de les voir de plus près. C’était une énorme manif contre la Loi Debré. Elle était partie bon enfant, les étudiants et lycéens regroupés brocardant Michel Debré, alors ministre de la défense et promoteur d’une loi interdisant les sursis pour service militaire, en l’affublant d’un entonnoir de brave fou de la République. Je n’avais aucune intention de jouer les durs, seulement de jouer les touristes. Mais à la fin de la manif, sur un grand boulevard, seuls les durs s’apprêtaient à affronter la police. Ils avaient tous des foulards pour se protéger, pas moi. Je ne sais comment, mais je fus poussé par mes camarades, et  finis par me retrouver, par la pression de la foule derrière moi, dans le dernier carré militant, juste au premier rang devant les CNRS, qui m’apparurent, en un rang serré à une cinquantaine de mètres devant moi. Ils chargèrent, lancèrent les lacrymogènes, et frappèrent tous les gens du premier rang de la manif, dont moi,  déjà en larmes.    
 

      J’écrivis un livre, non sans mal, sur un sujet intéressant. Je le soumis à un éditeur, qui l’accepta (pour aller voir l’éditeur, on mettait une cravate, une secrétaire vous faisait attendre dans une antichambre, et on avait l’impression de passer un examen ou d’aller chez un notaire). A cette époque, on ne faisait pas de photocopies, encore moins de fichiers informatiques, au mieux on doublait avec du papier carbone, et l'on tapait à la machine à écrire (pour moi une petite Olivetti, mais pas question de carbone pour un manuscrit de 300 pages, sauf si on donnait le manuscrit à taper par une dactylographe , ce qui coûtait trop cher). Je n’avais donc qu’un seul exemplaire. Peu de temps après l’acceptation du manuscrit, l’éditeur me téléphona : le manuscrit avait disparu, on ne parvenait pas à le retrouver. Je me lamentai, pensai porter plainte, mais m’en abstins, car mon manuscrit était largement plagié :  je m’étais contenté de recopier quelques livres de bibliothèque, et avais ajouté un liant de mon cru. C’était habile, mais assez visible par quiconque aurait scruté un peu le texte. Mais quelque temps après, j’eus la surprise de voir le livre publié chez un autre éditeur. On l’avait volé, sans doute un concurrent avait pénétré dans le bureau et volé la chemise contenant le tapuscrit, l'avait trouvé à son goût et publié sous son nom. Je pensais porter plainte. Peu de temps après, un critique littéraire moins idiot que les autres s’aperçut de la supercherie, et dénonça le plagiaire. Je riais sous cape, mais me gardai bien, évidemment, de dire que j’étais l’auteur.

   J’achetai une maison, sur le tard dans ma vie, après avoir longtemps été locataire. J’en étais ravi. Elle avait une porte et des fenêtres, comme le château du baron de Thunder-Ten-Tronckh, une jolie cour arborée, un beau portail, et de nombreuses pièces. Elle était située dans l’une des plus jolies communes de France, dans un cadre charmant, et le climat y était doux. Je conclus l’affaire en quelques mois, en souscrivant à un emprunt. On alla, chez le notaire, et l’on signa l’acte. Mais j’avais oublié un détail. Quand je me rendis à la maison quelques heures  après la signature, pour prendre possession de mon bien, j’y trouvai un voisin, genre Séraphin Lampion, installé dedans. Je protestai. Il me montra un texte de loi, qui disait que, quand une maison est vendue, le propriétaire doit en prendre possession immédiatement, faute de quoi la première personne qui franchit le seuil devient elle-même propriétaire. J’eus beau retourner chez le notaire pour faire valoir mon droit, faire un procès, le tribunal donna raison au voisin.

   

19 commentaires:

  1. Cher Monsieur Scalpel, le récit que vous faites n'a pas manqué de m'interpeller. Non pas parce que je m'y retrouve, ni parce que je me suis converti à l’existentialisme. Non, juste parce qu'on pourrait y voir les souffrances du jeune Werther ou encore les terribles désillusions de Goliadkine. En somme, l'existence n'est qu'une addition indigeste de déconvenues plus ou moins bien digérées. Comme disait Rutebeuf, "le mal ne sait pas seul venir, ce qui m'était à venir, m'est avenu". Alors oui, ras-le-bol de la charité, de la maxime universelle et du comportement modéré bien pensant. On crève des autres. Autrui c'est l'enfer sur terre. Comment panser ses plaies, et comment survivre à l'horreur d'être humain?

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  2. C'est drôle que, malgré le titre et la photo, vous ne
    voyiez pas que c'est Salavin le héros de cette histoire... Cherchez bien , il y a d'autres références. Mais je ne vois pas trop le rapport à Werther, même si Le double de Dostoievski est pertinent. Et sans doute plus encore Gogol.

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  3. Ma culture est si mince qu'on peut aisément dire que je n'en ai point du tout. Toutefois, quelques recherches m'ont permis d’entre-apercevoir quelques éléments de votre référence à Salavin. Effectivement, on s'y retrouve même si apparemment, il se confronte à quelques expériences bien pénibles avec Marguerite si j'ai bien compris.
    Concernant Werther, je pensais aux désillusions auxquelles il doit faire face avec la fameuse mademoiselle de B**** au cours de la seconde partie. Lui qui pensait précisément réchauffer son coeur après avoir fui Charlotte et qui pensait voir en cette demoiselle quelqu'un de différent. Le lien s'arrête là.

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  4. Ça sent le Candide de voltaire à plein nez et Collonge la Rouge,( un drame, que dis-je, une révolution en Corrèze..) tout près de la Macronésie?

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  5. On pourrait évoquer aussi cette posture de l'éternel perdant, du "loser", celui à qui rien ne réussit. A certaines époques, ces personnages faisaient rire. Au cinéma par exemple avec les Bourvil, de Funès, Pierre Richard et j'en passe (désolé pour ces références de m....). Lorsque ces personnages occupaient des positions importantes, c'était pur hasard, pure provocation, histoire de faire rire, de divertir, d'imaginer un monde irréel.
    Aujourd'hui, il en est tout autrement. Une cravate de travers, un embonpoint et nous sommes moqués, vilipendés, caillassés. On fuit le loser, on le marginalise. En entreprise, l'échec est plus jamais source de brimades, de sanctions. Il n'y a plus d'essais et d'erreurs. Les gens font des burn-out en voulant travailler trop bien, en s'accrochant à des valeurs inaccessibles et ils sont bannis et matraqués. Bien souvent d'ailleurs par des nuls, de vrais nuls. Le nul moderne d'ailleurs. Celui qui cette fois peut devenir président, peut réunir trois ou quatre millions d'électeurs à une primaire en disant "je vais vous matraquer la gueule pendant 5 ans et Thatcher aura l'air d'une jouvencelle à mes côtés". On ne rit plus du nul, on le hisse aux plus hautes sphères. Ou plutôt se hisse-t-il au plus haut grâce à sa capacité à être insipide, interchangeable et niais. On voit alors des abrutis à forte ambition régner sur leur petit monde et s'imaginer faire leçon de leur bêtise. Le "loser" ne fait plus rire, on ne compatit plus avec lui, on l'encense. Le pire, il évoque la vérité comme seul cap de leur trajectoire sans jamais savoir vraiment ce qu'il en est de celle-ci, ce que cela exige. Et là, Laurent Delahousse nous sort lors de la soirée électorale des primaires "Il parle de 'la vérité', je dirais plutôt 'sa vérité'". Beurk et megabeurk. Vivement le prochain coup de scalpel.

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    1. Bien sûr on peut décliner l'échec de multiples manières, existentialistes ou autres, mais ce n'était pas nécessairement le thème de ce billet.

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  6. Dans sa réponse au discours de réception de Georges Duhamel à l'Académie, Henry Bordeaux disait justement de lui qu' il avait mis dans Salavin la part de tout homme.
    Salavin, c' est aussi le type littéraire du parasite social que l'on retrouve après la Guerre de 14, et qui avait hanté les humoristes de la Belle Époque décadente : Jules Renard, Courteline, Alphonse Allais, Tristan Bernard, etc.
    Auparavant, du côté des Russes, il y avait eu "Oblomov", de Gontcharov.
    Nos humoristes de la Belle Époque auront les Loufoques comme héritiers. C'est pourquoi le Salavin moderne de Collonges la Rouge n'intégrera pas par hasard l'équipe des Loufoques pour "Signé Furax" à la radio.
    De son côté, Paul Valéry s'était créé un double, Monsieur Teste, qui était le personnage de l'intellectuel désœuvré, sorte de Salavin transcendantal avant l'heure.
    Bien plus tard, on dit que l'anti-héros de la "Confession de minuit" inspirera Camus pour "La Chute", mais d'autres ont plutôt pensé à un décadent comme Jean Lorrain et son "Monsieur de Bougrelon".
    On peut aussi trouver que l' épisode de l'oreille du patron de Salavin a quelque chose de pré-sartrien. On pense à Roquentin fasciné par l'absurdité nauséeuse d'une souche. Mais Salavin est spiritualiste plus que phénoménologue. Cette oreille qui ressemble à une matière laide et inerte, il tente de la spiritualiser en la touchant par un geste d'humanité et de tendresse. Mais les savants naturalistes pourraient aussi dire que les parasites sont justement attirés par la peau, comme des vampires !
    Personnellement, j'avoue un intérêt un peu pataphysique pour le lieu de la Rue du Pot-de-Fer, où Salavin demeure dans le roman, rue moyenâgeuse de la Montagne Sainte-Geneviève,
    qui est peut-être encore plus étroite que la Rue Visconti.
    Georges Duhamel s'intéressait aussi au ratage psycho-social qui prend sa revanche autrement qu'en rêve, dans les révolutions et les guerres. Il
    appelait son prédécesseur, Georges Lenotre, le Plutarque des monstres. Il est vrai qu'il y avait déjà du Salavin chez Marat ou même Robespierre. Au XXème siècle, il y a Hitler, un Salavin oisif d'Autriche, un ancien peintre de croûtes qui avait raté le train de l'art moderne et qui s'était inventé un double politique monstrueux auquel il avait fini par s'identifier.
    Quant à Julien Benda, j' ai lu qu' il se sentait plus proche de Jean Guéhenno que de Georges Duhamel, de son Salavin et de ses Pasquier.
    Le critique Charles Du Bos comparait Salavin à un meuble rustique, produit d'un honnête artisan.

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  7. As usual, you got me right. Il y a du Salavin chez Louis XVI Capet. Il aurait pu garder sa tête, mais l'enchaînement des circonstances...
    Duhamel a pensé à Mr Teste. Camus à Salavin dans La chute, mais aussi à Roquentin. Mais Törless n'avait rien de Salavin.

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  8. En réalité, Törless vit très mal son enfance de chef. Il échoue à faire triompher la vérité et il quitte son école militaire.
    Son interprète au cinéma, après une période flamboyante de jeune premier, où il fit même revivre le Berlin des Années 20 au cabaret, s'en fut écrire un mémoire fort savant sur Kleist dépouillé du kitsch romantique, avant d'évoluer vers des rôles dans lesquels il ressemblait de plus en plus à tout le monde. Il joua un très banal inspecteur de police dans un polar orléanais. Il y a une part d'Orléans en chaque homme.
    Avec les ratages et les râteaux avoués dans ce billet, on découvre une autre époque. Néanmoins, le salavinien vit et voit ce que personne ne devrait jamais ni vivre, ni voir, c' est-à-dire l'envers du décor d'une immense farce sociale qui nous mène logiquement au scepticisme et au relativisme en toute chose.
    En droit privé, la possession et la propriété ont des rapports très compliqués. Elles ne coïncident pas obligatoirement et l'on tombe des nues en apprenant que la possession domine le régime de la propriété. Il suffit d'être dans une situation inhabituelle pour découvrir l'enfer du maquis des lois qui nous guette et que nous ignorons. C’ est sans doute pourquoi la plupart des lois ne sont pas appliquées.
    Quant à la formation du révolutionnaire professionnel, elle était très élitiste. Dans les manifs, on ne comprenait rien aux tours de magie des meneurs qui restaient jusqu'à la charge de la police et qui arrivaient frais comme la rose le lendemain, sans plaies ni bosses. De là à croire qu' il y avait un deal quelque part, il n' y a qu' un pas.

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    1. Je me souviens du beau visage de Mathieu Carrière écoutant avec attention les cours de Deleuze à Vincennes au début des années 70...
      Je me souviens de l'imperméable pisseux et des affreuses lunettes que son rôle (l'inspecteur Ménard !) l'obligeait à porter dans Police Python de Alain Corneau...

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    2. Nous espérons lire un jour sa correspondance avec la sublimissime Loulou de la Falaise, échangée dans le tourbillon de la fête des années 1970. Nous avons bien eu la chance d’avoir les lettres d’amour de François Mitterrand, véritable bijou de littérature à l'ancienne.

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  9. On dit que le type littéraire du personnage volontairement passif, immobiliste par choix, sorte de parasite social, que l'on trouve chez les humoristes de la Belle Époque ou chez Georges Duhamel avec Salavin, aurait inspiré Beckett pour son Molloy.
    Chez les humoristes, Tristan Bernard est cité pour son faux roman policier "Aux Abois", dans lequel tout le monde se fiche de tout, le coupable que l'on connaît déjà et qui n'est pas du tout aux abois, la police qui joue aux cartes, et même l'auteur qui fait se suicider son héros pour ne pas avoir à gérer une fin mélodramatique qui demanderait trop de travail.
    C'est à Tristan Bernard que Forton a emprunté le titre d'une pièce, "Les Pieds Nickelés". Les pieds nickelés, parce qu'il sont trop lourds ou trop beaux pour marcher et aller travailler.
    Tristan Bernard a aussi traduit et adapté "Les Ménechmes" de Plaute, sous le titre "Les Jumeaux de Brighton". Et bien sûr avec paresse et un rien de nonchalance : il reconnaissait qu'il était mauvais latiniste, qu'il était à contretemps, parce qu'il écrivait des pièces en cours de latin et qu'ensuite il traduisait du latin au lieu d'écrire des pièces, il collait au texte de Plaute et son adaptation se limitait à faire parler les personnages en langage 1900.
    Puisque nous sommes en période électorale et qu'il n'y a plus de candidats du parti d'en rire, qui prônaient l'extinction du paupérisme après onze heures du soir ou le prolongement du Boulevard Saint-Michel jusqu'à la mer, il faudrait faire revivre la galerie des candidats canularesques comme Ferdinand Lop, le Captain Cap alias Alphonse Allais, ou les Loufoques Français.
    Je connais l'humoriste Arnaud Weber, un habitué de la scène du Théâtre Le Bout à Pigalle. Je lui ai suggéré de créer le Jusqu'au-Boutisme, le mouvement qui sait jusqu'où il faut aller trop loin.

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  10. Allais est l'une de mes principales références.
    Quant à La sublime Loulou, nous la croisons avec les Rolling Stones dans ce billet, puisqu'elle fricota avec Brian Jones et Keith Richards. Il y a une affinité profonde entre le raté et le mondain ou la mondaine. Nous reviendrons à tout cela le cas échéant

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  11. On remarquera que les psychiatres se sont emparés du cas Salavin dès la fin des années 1920, et qu'ils en ont fait un type clinique. L'école française (Janet, Laforgue) parlait à l'époque de psychasthénie persécutée.
    Aujourd'hui, on préfère parler de névrose obsessionnelle. Comme la psychasthénie, elle a une composante négative, qui se manifeste par la haine du rival et des pulsions de destruction. Mais pour Freud, la névrose obsessionnelle n'était pas caractérisée par un affaiblissement des facultés intellectuelles.
    On peut estimer avec raison que les cliniciens ont considérablement appauvri le type littéraire de Salavin, en le faisant entrer dans les catégories de la maladie mentale.
    Dans le portrait du "Pied Nickelé" d'avant 1914, on ne voyait que le type humain du doux anarchiste récupérateur, de l'écornifleur de Jules Renard, avec en filigrane une critique sociale et politique de la France riche de l'époque.
    En 1919, un an avant Salavin, apparaît le clochard Boudu, qui sera sauvé des eaux par le libraire Lestingois, mais à ma connaissance il n'a pas subi le même traitement clinique que Salavin. Dans le livre de René Fauchois, on découvre l'étrange complicité de la bourgeoisie avec Boudu, parce qu'il constitue la part maudite de son monde.
    Par contre, le Molloy de Beckett sera le modèle du schizo, dans les années 1970, et ce sera tout bénéfice pour lui. Il faut dire que la psychiatrie et la psychanalyse étaient alors en procès, parce que trop réductrices.

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  12. C'est très intéressant, mais je me demande si Salavin est le type d'individu qui recouvre tous ces cas. Boudu est il un Salavin ? J'en doute. Mais je crois aussi que l'on a trop vite enterré Goerges Duhamel . A vrai dire, je n'aurais peut être pas dû le mettre en avant dans le titre et l'exergue de ce billet, qui aurait tout aussi bien pu s'appeler "les petites ironies de la vie". et du coup nous voilà repartis vers Thomas Hardy

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  13. Au début de la pièce de René Fauchois, Boudu est quasiment suicidé, désespéré d'avoir perdu son chien et écœuré par la société, mais il rappelle tout de même fortement le type du joyeux parasite social des humoristes de la Belle Époque.
    Par contre, avec Salavin, tout a changé. Comme les humoristes privilégiaient la peinture du rond-de-cuir, et que Salavin en est un, on a fait facilement de Duhamel un héritier de Courteline, mais on est allé trop vite. Chez Salavin, il y a en sus la souffrance psychologique du ratage, qui en ferait plutôt un personnage tourmenté de roman russe, à la façon des "Mémoires écrits dans un souterrain", et qui a alerté les cliniciens sur son cas. C'est peut-être aussi la Guerre de 14 qui a tout changé. Salavin est une gueule cassée de la compétition sociale, mais il faut dire que dans la période de l'immédiat après-guerre, tout le monde souffrait à cause de la guerre et que cela se manifestait de façon parfois étrange. Les personnages de roman n'étaient pas épargnés.
    On ne mélangera donc pas la souffrance de Salavin avec celle de Monsieur Badin, qui en fait des tonnes pour apitoyer son directeur, parce qu'il préfère en réalité pointer à la brasserie plutôt qu'au bureau.
    Duhamel portait aussi lui-même un certain regard clinique sur Salavin, car il était médecin. Il était également chimiste, comme Alphonse Allais.
    De Duhamel, j'aimerais lire "Le Désert de Bièvres", dans lequel il raconte son expérience unanimiste avec le groupe de l'Abbaye.
    Il faudra trouver le temps, d'autant qu'un "Manuel de survie rationaliste", une thérapie pour les sceptiques, est enfin disponible à partir d'aujourd'hui.
    Le Prix Nobel, Thomas Hardy ne l'a jamais eu. Après Bob Dylan, pourquoi pas Marianne Faithfull ?

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