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samedi 10 août 2024

QUEL UNIVERSEL?

 

 

    Les organisateurs de la cérémonie d’ouverture très réussie des Jeux olympiques de Paris se sont défendus d’avoir cherché, dans leur défilé carnavalesque d’images évocatrices de la France et des mondes multiples auxquels elle est associée, à privilégier l’une d’elles – reine décapitée, dieu bacchique schtroumphant, apôtres drag queens – et les symboles qu’elles éveillent. 

 


 

Ils n’ont, nous disent-ils, voulu choquer personne, ni catholiques crispés ni fachos bornés, et seulement illustrer, par leur kaléidoscope kitsch, l’état dispersé du monde se réfractant dans la France. Pourtant, les justifications de l’un des concepteurs, Patrick Boucheron, 

 

 


 

 

ne sont pas convaincantes quand il explique (dans son entretien du 27 juillet dans Le grand continent[1] ) avoir « voulu parler d’universel, mais sans être dans l’universel surplombant », en se référant à ce que «  Souleymane Bachir-Diagne, à la suite de Maurice Merleau-Ponty, appelle un universalisme latéral, horizontal, qui prend en compte la diversité des points de vue ». 

 

 


       Cette scie de toutes les discussions récentes autour de l’universalisme, qui consiste à chercher à avoir le beurre (l’universel « pluriel », « divers ») et l’argent du beurre (l’unité de l’universel quand même) cache d’énormes confusions, que le moindre Abélard, grand penseur médiéval des universaux, n’aurait pas manqué de discuter avec une Héloïse parisienne. Un concept universel est ce qui subsume, comme disent les logiciens, des particuliers. Par exemple « chien » subsume Médor, Mirza, les labradors, les bassets. Être subsumé, contrairement à ce que les adversaires de l’universel abstrait laissent quelquefois entendre, ce n’est pas être soumis ou gouverné par l’universel : tous ces chiens sont égaux sous le concept chien. Cela ne les empêche pas d’être divers, d’avoir les uns des poils longs, les autres des poils ras, ou le museau court. Bien sûr certains, les universalistes au sens logique, diront que l’Espèce chien existe indépendamment de Médor et de Rantanplan, alors que d’autres, les nominalistes, diront qu’elle n’existe que dans les particuliers. Ces derniers préfèreront sûrement, surtout s’ils organisent des spectacles féériques, les images particulières au concept abstrait. Mais si l’on se dit universaliste, on ne peut pas être les deux. Il y a bien quelque chose de commun entre Médor, Mirza et Rantanplan qui fait d’eux des chiens, mais on n‘obtiendra pas de chien latéral en prenant un petit bout de Mirza pour le transférer dans Rantanplan, car on chercherait alors Mirza en vain.  En réalité l’universel n’est pas comme un gros Chien, surplombant les particuliers canins. Il est en eux, non pas au sens où il les soumettrait, mais au sens où sa règle doit être explicitée et construite.  




    Ce point élémentaire, qui s’applique aussi quand l’universel porte sur des droits, se transfère aux discussions interminables qui opposent les « universalistes » et les « pluralistes » dans le paysage monotone de nos idées politiques, engendrant notamment les querelles entre « anti-wokes » et « wokes ». Un universel véritable n’est ni une identité qui imposerait sa loi de fer ni une diversité bariolée et libre, il demande à être construit par une règle, qui n’est pas donnée d’avance, mais qui suppose une coopération entre les parties. C’est pourquoi cela n’a pas de sens de se réclamer des images et de leur mobilité si l’on entend illustrer vraiment l’universalisme. L’universel est nécessairement abstrait. C’est vrai que cela ne le rend pas aisément représentable. A trop vouloir représenter on ne représente rien. Mais cela ne veut pas dire que l’abstrait soit un tyran, et le concret une armée d’« identités » particulières, encore moins que l’universel peut se concevoir comme une collection d’identités particulières. Cela veut juste dire que dans la cité l’abstrait est ce que doivent vouloir ceux qui cherchent un bien commun. Tant qu’à faire, je trouve que la rotonde de la Villette de Nicolas Ledoux aurait eu mieux sa place dans le défilé.

 


jeudi 14 juillet 2016

Fâcheux, vulgaires et goujats


"Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je sois né,
Pour être de fâcheux toujours assassiné !
Il semble que partout le sort me les adresse,
Et j'en vois chaque jour quelque nouvelle espèce"

     Les invités à un colloque qui ne viennent que pour donner leur exposé et repartent immédiatement après. Ceux qui, souvent les mêmes, ne viennent pas au colloque  ou à la soutenance de thèse mais sont présents au cocktail.
    Les organisateurs d'un colloque ou d'une table ronde qui s'invitent eux-mêmes à donner un exposé et font de l'événement l'instrument de leur auto-promotion.
    Les organisateurs d'un colloque qui en annoncent la tenue la veille, afin de décourager ceux qui aimeraient y assister , afin de pouvoir rester en petit comité d'admiration mutuelle.
    Ceux qui insistent pour que les exposés et conférences dans les colloques soient filmés et diffusés urbi et orbi, mais  écartent les vidéos et podcasts où il apparaît nettement que le public n'excédait pas cinq personnes, les autres conférenciers (quand ils n'ont pas quitté la salle) compris.
    Les auteurs d'un livre qui en font eux-mêmes la publicité sur des listes de diffusion par internet, sur face book, sur Twitter , etc. à la manière dont les hôteliers "postent" anonymement sur Tripadvisor tout le mal qu'ils pensent de leurs concurrents en se faisant passer pour des clients de ceux-ci.
   Ceux qui, profitant de la vitesse des moyens contemporains de communication, voient passer l'annoncer d'un colloque ou d'un atelier, et qui, voyant qu'il pourrait constituer une concurrence potentielle, en organisent immédiatement un autre similaire.
     Ceux qui, écrivant un livre, s'inquiètent de ce qu'un autre a pu en écrire un sur le même sujet, et cherchent par tous les moyens à s'en procurer les épreuves avant qu'il paraisse, pour pouvoir sortir le leur au même moment. 
    Les critiques de livres qui font manifestement partie des amis de l'auteur et lui passent la brosse à reluire. Ceux qui, même quand ils ne sont pas amis de l'auteur, semblent confondre critique et éloge.
    Ceux qui, sans qu'on ait jamais eu affaire à eux avant, vous tutoient de but en blanc ou vous appellent par votre prénom pour vous manifester leur camaraderie intéressée. Ceux qui partent du principe que s'adresser à un professeur ou une personne dotée d'un peu d'autorité ( y en a-t-il encore?) consiste à lui dire "Bonjour" , comme si on le rencontrait par hasard chez le boulanger ou au bistrot, un peu comme si le contact par internet vous mettait en libre service.

"mais on en voit paraître,
De ces gens qui de rien veulent fort vous connaître
Dont il faut au salut les baisers essuyer,
Et qui sont familiers jusqu’à vous tutoyer."


    Les mêmes  qui, quand il s'agit de solliciter un avantage, s'adressent à vous en vous donnant des titres ronflants ( "M. le professeur en Adjectifs Comparatifs, Madame l'Administratrice des Institutions du Devoir...") mais les oublient si les enjeux deviennent moindres, ou si leurs sollicitations n'ont pas abouti. Les mêmes encore qui font comme si les questions de genre étaient essentielles quand on s'adresse à quelqu'un ( Madame la professeure vs Mr Madame le professeur, etc.), mais qui oublient soudainement ces modes d'adresse quand il s'agit d'un service escompté rapido presto.
    Ceux qui vous plagient allègrement, ou vous excluent systématiquement des bibliographies de revues ou collectifs et vous adressent fièrement leurs articles ou leurs livres dont  vous êtes scrupuleusement absent de la bibliographie.
    Ceux qui vous sollicitent pour un service - compte rendu, lettre de recommandation, évaluation pour un éditeur ou une revue - et n'estiment même pas nécessaire, une fois le service rendu, de vous remercier ou même de répondre à une acceptation.
    Ceux (souvent les mêmes) qui vous écrivent un courrier électronique comminatoire demandant une réponse immédiate, et qui, quand on leur fait la réponse aussi immédiate, n'éprouvent même pas le besoin de vous en accuser réception et encore moins de vous en remercier.
     Ceux qui créent des sites web dans lesquels il est question essentiellement d'eux- mêmes.
    Les auteurs de thèses ou de mémoires de maîtrise qui vous proposent un sujet relevant des "me-studies" (par exemple Untel vit à Bécon-les-Bruyères et est employé de mairie, et vous propose un mémoire sur les employés de mairie à Bécon-les-Bruyères, X est savoyard et vous propose une thèse sur la fondue, ou sur le Lac d'Annecy) (1)
     Ceux qui, sur les mêmes raisons, sous couvert de vous présenter leur chien, leur bébé, leurs photos de vacances ou leur résidence secondaire, visent surtout à vous imposer leurs demandes, leur présence et leur importance.
     Ceux qui maquillent leur CV, ou le remplissent jusqu' à indiquer la date de leur obtention du brevet de natation.
      Ceux qui reçoivent un prix ou une médaille, la refusent, mais prennent bien soin de le faire savoir, afin qu'on les félicite à la fois du prix et de l'avoir refusé.
     Ceux qui reçoivent un   Festsschrift à l'âge de 50 ans  et en  profitent pour faire leur autobiographie, vous donnant rendez vous pour dans vingt ans pour la suite des hommages rendus à leur personne.
     Ceux qui écrivent leurs mémoires à trente ans.
     Ceux qui ne peuvent pas passer une journée sans twitter , sans facebooker: leurs amours, leurs maladies, leurs érections, leurs menstrues, leurs pensée métaphysiques, etc.
  
      On me dira  - outre que tout ceci s'applique autant à moi-même et que je ne fais que décrire ma propre bassesse d'esprit et de coeur - que toutes ces malotruteries, toutes ces vilénies ne font qu'illustrer la main invisible qui permet l'expansion du savoir, ou le phénomène mandevillien des vices privés transformés en vertus publiques, et des states which are byproducts de Elster.  Les cupides héritiers du laboureur ne savent pas que:

 "Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'août.
Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place
            Où la main ne passe et repasse.
Le Père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
            Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le Père fut sage
            De leur montrer avant sa mort
            Que le travail est un trésor"

Tout intellectuel , tout administrateur de l'esprit, est ce laboureur , y compris les fonctionnaires de la Culture et du Savoir. L'ignorance même permet l'expansion du savoir - quasi trivialement - car plus ces épisodes de non savoir ou de déni de savoir se répandent,  plus le savoir, minimalement et marginalement progresse.Cause to rejoice !



   (1) comme on a déjà eu l'occasion de le noter sur ce blog, les Badiou-Studies, les Zizek Studies, les Latour Studies, etc. relèvent de ce genre.

jeudi 15 octobre 2015

Roc


     "Tout mon dessein ne tendait qu’à m’assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc"
              

   On apprend que Charlotte Marie Pomeline Casiraghi, de la famille princière de Monaco,  égérie hippique de la marque Gucci, et people, veut faire de Monaco "la capitale de la philosophie" (information parue dans les In-rocks). Les philosophes ne doivent pas dédaigner le mécénat, et ce n'est pas la première fois que les Princesses aident la Pensée à s'épanouir. Les exigences du Rocher étant élevées, il serait un peu bêta de se contenter de discuter, comme la plupart du temps, du bonheur, de l'amour, voire de l'inégalité. Voici donc quelques conseils de sujets adressés à son Altesse pour des colloques sur le Rocher.


- La régression de Bradley est-elle inévitable pour un nominalisme de la ressemblance?
- L'argument anti-lumineux admet-il des exceptions?
- Tropes ou paquets de propriétés? Faut-il choisir?
- Peut-il y avoir une théorie adverbiale de la pensée conceptuelle?
- La phénoménologie cognitive s'étend-elle  au raisonnement déductif?
- Devoir faire quelque chose est-ce être justifié à croire qu'on doit le faire?
- Peut-on passer d'un doit à portée étroite à un doit à portée large?
- La suspension du jugement est-elle une action ?
- Les normes subjectives l'emportent-elles sur les normes objectives?
- La vérité correspondance est-elle incompatible avec le pluralisme aléthique? 

Exercice : proposer des sujets philosophiques à Madame Casiraghi

PS je ne voudrais pas donner l'impression de me moquer d'une Principauté voisine. Elle n'est que le microcosme de ce qui se produit ailleurs en philosophie.