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samedi 30 août 2025

Un langoureux vertige

 


François Dumont, Variations Vertigo. Le sot l’y laisse, 62 p., 15 €


Deux écueils guettent quiconque écrit sur Hitchcock, et notamment sur un film aussi célèbre que Vertigo (au titre français tellement imbécile que tout le monde s’en tient à l’original). Le premier est celui de l’hitchcockologie : tout comme la tintinologie, c’est une science que tout le monde se vante de pratiquer, accumulant les clins d’œil érudits. Elle est d’autant plus aisée que les schèmes répétitifs, indices, et citations sont si nombreux dans l’œuvre du Maître que l’on adore jouer au jeu qui consiste à les repérer.

Le second est ce que l’on peut appeler le syndrome du tourisme cinéphilique. Le phénomène est connu : quand un lieu et les personnages d’un film sont devenus emblématiques, nous ne pouvons plus nous y rendre sans y superposer ces images. Quand je suis allé à Monument Valley, j’étais dans La chevauchée fantastique, quand je vais sur les Champs-Élysées, je ne peux m’empêcher d’y voir Jean Seberg vendant le Herald Tribune, je ne peux aller au parc Monceau sans revoir sa boulangère, je ne revois pas Vienne sans le Troisième homme, Ostie sans la petite Paola de la scène finale de La dolce vita, etc. Même les lieux que je croyais à l’abri de ces pollutions filmiques, comme les garrigues provençales, sont infectés de mes souvenirs pagnolesques. Vertigo, bien plus que tout autre film situé à San Francisco, est devenu une destination de tourisme californien.

François Dumont, écrivant, à la suite de bien d’autres, sur ce film nommé en 2012 par un jury de 846 experts « le plus grand film de tous les temps » et « le plus étudié de toute la carrière d’Hitchcock », évite ces écueils avec brio, parce que son but n’est pas d’ajouter aux commentaires, filmiques et philosophiques de Vertigo, ni de repasser son bac option cinéma, mais de faire une expérience de pensée : que se passerait-il si, se laissant tomber dans l’univers onirique du film en tournoyant comme le personnage du générique, il parcourait les spirales de cette intrigue selon le principe eadem mutata resurgo, toujours le même mais toujours différent ? Tous les films de Hitchcock convient le spectateur à prendre le point de vue du personnage, et à se laisser happer par lui. Mais le spectateur très érudit qu’est l’auteur de ce livre n’est pas happé ici de manière linéaire, non seulement parce que le film est fait d’allers et retours – la scène primitive de la chute du toit, le retour vers le passé de Carlotta Valdes, de Scottie vers les lieux de sa rencontre initiale avec Madeleine, de Scottie et Judy là où Madeleine est tombée du clocher – mais aussi parce que nous revisitons le film à travers des volutes successives, comme lorsque, debout devant un zinc de café italien, nous remuons pensivement avec notre petite cuillère la surface de notre capuccino, et y découvrons la forme du chignon de Madeleine-Kim Novak, le vrai MacGuffin du film.

Variations Vertigo, de Francois Dumont : un langoureux vertige

 

La première de ces volutes nous entraîne dans le roman qui a servi de base au scénario, D’entre les morts, de Boileau et Narcejac, au décor provincial français, qui paraît ridicule comparé au film (le détective Flavières y suit une Madeleine dans une Simca alors que Scottie en suit une au volant d’une DeSoto). Le changement majeur chez Hitchcock vient de ce coup qu’il fait au spectateur de lui révéler le fin mot de l’histoire – c’est Elster qui précipite sa femme dans le vide et pas la Madeleine dont Scottie s’était épris – alors que le héros l’ignore et va l’apprendre dans la seconde partie du film. Mais Boileau et Narcejac sont de bons guides : ils préfiguraient déjà le thème central de la femme revenue des morts Celle qui n’était plus, plus connu sous le nom des Diaboliques par le film de Clouzot.

La seconde volute est constituée par toutes les réminiscences intra-et extra-hitchcockiennes qu’évoquent les scènes du film. On tombe souvent de haut chez Hitchcock (au propre et au figuré : la chute est le trope de la surprise et du suspense). François Dumont fait une liste non exhaustive de toutes les chutes chez Hitchcock : le maître-chanteur qui tombe du haut de la coupole du British Museum dans Chantage ; l’agent nazi qui tombe du haut de la statue de la Liberté dans Correspondant 17 ; celle – déjà – de James Stewart dans Fenêtre sur cour ; la monte-en-l’air qui va tomber dans l’air dans La main au collet ; et bien sûr Eve Kendall s’apprêtant à tomber du haut du mont Rushmore, rattrapée pour monter dans la couchette du train qui entre dans un tunnel à la fin de La mort aux trousses, l’une des plus belles prolepses du cinéma. Vertigo est la quintessence de la chute : celle à laquelle échappe Scottie, celle de Madeleine devant le Golden Gate, celle de Madeleine du haut de la tour, puis, rebelote, celle de la Judy démasquée. François Dumont commente longuement les échos de Rebecca dans Vertigo. Dans les échos extra-hitchcockiens, il repère ceux de Brian De Palma dans Obsession, ceux de Chris Marker, grand commentateur de Vertigo, et de Mullholland Drive, de La captive de Chantal Ackerman, et bien d’autres.

La troisième spirale est la plus belle. C’est celle des réminiscences littéraires que cette histoire de fantômes fait ressurgir. D’abord la Sylvie de Nerval, où la tante voit Sylvie dans la robe de sa jeunesse (comme Joan Fontaine portait celle de Rebecca), qui fait écho à la scène clef de Vertigo, où Judy, abandonnant son pull vert et son apparence vulgaire (1), revêt le tailleur gris de Madeleine et réapparaît, d’entre les morts et incarnant la mort elle-même, nimbée d’un autre vert, quasi sirkien, « dans la gloire verdâtre de l’inexistence ».

Variations Vertigo, de Francois Dumont : un langoureux vertige

 

L’obsession même de Scottie à faire revenir Madeleine dans Judy fait penser à l’aventure rêvée de Gérard avec Jenny Colon que cite Dumont : « J’ai pris au sérieux les inventions des poètes et je me suis fait une Laure ou une Béatrix d’une personne ordinaire de notre siècle » (Aurélia). À partir de là, tous les spectres reviennent : ceux d’Eurydice, de la Béatrice de Dante, de Kleist (Mikael Kolhaas), de Gautier (Spirite), et surtout d’Adieu, étonnante nouvelle du Balzac « philosophique » : un soldat de Napoléon croit avoir perdu sa fiancée sur la Bérézina, la retrouve amnésique et, pour faire revivre son amour, reconstitue le fleuve et une fausse Russie dans la forêt de L’Isle-Adam (Villiers du même nom s’en souvint-il dans Véra ?), pour la voir mourir dans ses bras quand elle revoit la scène. Zu spät, comme dira Scottie. Hitchcock voulait dans son film une atmosphère gothique comme dans l’hôtel McKittrick qui rappelle la maison Bates de Psychose, pensant sans doute à des références romantiques et victoriennes, ou peut-être au James de La chambre verte que son complice Truffaut reprendrait.

Variations Vertigo, de Francois Dumont : un langoureux vertige
Portrait de Jenny Colon (1808-1842) 


La quatrième volute ou spirale est celle des lieux du film. On a beaucoup écrit sur la San Francisco de Vertigo, sur laquelle aussi le songe s’épanche dans la vie réelle, où la Californie espagnole et catholique de la Mission Dolores et de la Mission San Juan Battista vient se heurter au monde WASP incarné par un James Stewart au visage ordinaire et au style bien connu « Where’s my left shoe ? », et par la compatissante Midge-Barbara del Geddes, qui deviendra l’insipide maman de J.R. dans le feuilleton Dallas. Ce parcours californien, dans les séquoias de Muir Woods, sur la côte Nord de la Baie, là où Madeleine tombe dans les bras de Scottie, près de la Bodega Bay où iront voler méchamment les oiseaux, dans les rues qui descendent de Nob Hill, dans le parc du Praesidio où les amoureux se bécotent, sur la route qui va vers Carmel et la Mission fondée par le père Junipero Serra (dont la bibliothèque contenait la Formal Logic de De Morgan, que Scottie n’aurait jamais eu l’idée de lire), ce parcours nous le refaisons sans cesse. Nous y ajoutons les souvenirs de nos amours perdues et pourchassées, comme celui d’une Irlandaise mystérieuse ou d’une Adrienne de notre adolescence, et irions presque jusqu’à reconstituer, dans le fond de nos jardins, de petits Golden Gate sur des bassins dans des rochers, pour y faire tomber sans cesse Kim Novak qui, quoi que les puristes et Hitchcock lui-même en aient dit, est parfaite dans ce film (quelle idée pouvait bien avoir le Maître de recourir à Vera Miles pour ce rôle ?).

Variations Vertigo, de Francois Dumont : un langoureux vertige
James Stewart interloqué par un soutien-gorge en forme de  Golden Gate        


La plus grande force du texte de François Dumont ne réside peut-être pas dans son pouvoir poétique. Elle est dans le désaveu implicite des commentaires philosophiques de Vertigo, comme celui de Robert B. Pippin. Ce dernier a brillamment commenté le western et le film noir, hegeliano more. Mais, alors que ses gloses sur John Ford ou Nicolas Ray sont souvent pertinentes dans leur souci de traiter le cinéma comme manifestation de l’Esprit Objectif , ici elles tombent à plat. Pippin a consacré un livre à Vertigo : The philosophical Hitchcock. Vertigo and the Anxieties of Unknowingness (University of Chicago Press, 2017). Il y soutient que le ressort principal du film est dans les anxiétés de la connaissance et de l’interprétation d’autrui et de soi-même. Le problème de Scottie serait, outre, comme on l’a dit, un problème sexuel, un problème de reconnaissance, d’Anerkennung. Soit. Mais Pippin dit cela à peu près de tous les films qu’il analyse. Quand on écrit en philosophe sur le cinéma, il vaut mieux éviter de plaquer ses propres thématiques sur celles des films. C’est aussi le problème de Stanley Cavell. Il vaut bien mieux voir le cinéma comme une forme de littérature, comme le firent Bazin, Marker, Truffaut, Godard, et ici François Dumont, avec sa lecture nervalienne si profonde de Vertigo.


  1. Qu’elle porte sans soutien-gorge, remarque Truffaut dans ses dialogues avec Hitchcock, pertinemment car le thème du soutien-gorge fait surface dans la scène où Midge dessine cet appareil.
     
    En attendat Nadeau , 175, 23 mai 2023  

lundi 29 avril 2024

ASTEROÏDE BIZARROÏDE

 

Johnny Duncan & His Blue Grass Boys – Last Train To San Fernando (Vinyl) -  Discogs
Last train to San fernando

paru dans Contreligne, 30 juin 23

Version longue, pour la version publiée, voir

https://www.contreligne.eu/2023/06/meteorite-wes-anderson-film-asteroid-city-usa-pascal-enger/

Wes Anderson, Asteroid City

 

        Il est probable que ceux qui, voyant la bande annonce d’Asteroid City, se seraient  attendus à ce que Wes Anderson, après avoir réalisé le très curieux French Dispatch, fasse un mélodrame romantique à la manière d’A l’est d’Eden, un drame à la manière des Misfits ou de Paris Texas, un western spaghetti dans le style Pour une poignée de dollars, une parodie de film pulp de science-fiction dans le genre de Mars Attacks, une comédie du désert comme Bagdad café , voire un dessin animé de Bip Bip dans le style de ses films d’animation comme Fantastic Mr Fox, seront déçus. Pourtant il y a dans Asteroid City des ingrédients et des réminiscences de tous ces films, mais dans le style typique andersonien : plans fixes et symétriques, couleurs pastel à la Sirk ou à la Demy, avec une prédilection pour le jaune et le rose bonbon, goût pour les costumes, maniérisme des détails loufoques, décors de maquettes pour théâtre de marionnettes et allusions cinéphiliques pour afficionados. Les mêmes ronchons qui ne regardent plus les films d’Anderson que d’un œil d’ennui blasé pour réviser son répertoire de gimmicks et de coqs à l’âne ou les refourbir dans des parodies sur Utube, des défilés de mode hipster ou les décors de café, comme le Bar Luce à Milan qu’il a, comme on dit, designé, auront l’impression que le compatriote de Tex Avery ne fait que se répéter.

     Ils se tromperont lourdement. Certes, Asteroid City est quintessentiellement andersonien : tout comme Rushmore, The Royal Tenenbaums, The Darjelling limited, the life Aquatic, et Moonrise Kingdom, Grand Budapest Hotel, Island of Dogs, il se déroule dans un lieu clos (collège, train, bateau, maison sur une île, palace assiégé, décharge sur une île), où les personnages se retrouvent pris au piège et cherchent à s’échapper. Tout comme Moonrise kingdom et les films en stop motion d’Anderson, c’est un film où il y a beaucoup d’enfants et d’ados, tous aussi déjantés que les adultes qui les entourent. Tout comme dans les autres films du cinéaste, ces enfants sont en mal d’amour, face à des adultes incapables de s’occuper d’eux et de s’occuper d’eux mêmes.  Tout comme les autres films, celui-ci contient force clins d’œil et références, et bénéficie d’ un casting époustouflant, réunissant tous les usual suspects de l’équipe d’Anderson, comme Jason Schwartzman, Willem Dafoe, Tilda Swinton et Edward Norton, et de fraîches recrues comme Tom Hanks et Scarlett Johansson.  Mais pourquoi s’en plaindrait-on, alors que pratiquement tous les films de Hollywood des années 50, époque durant laquelle se déroule le film, sont des puits à citations, tout comme les films de la Nouvelle vague que révère le Texan ? Ce dernier réussit pourtant à se renouveler, tout en conservant sa panoplie.

      Il le fait d’abord par la dramaturgie : le film auquel on assiste est un en fait un film au sein d’une pièce de théâtre filmée pour la télévision par un metteur en scène au tee-shirt brandoesque (Adrian Brody) , introduite par  un présentateur (Bill Cranston) au style très fifties, et écrite par un écrivain en robe de chambre (Edward Norton) (dispositif qui rappelle celui du pseudo-Stefan Zweig du Grand Budapest Hotel), et les personnages du film sont en réalité en train de répéter le rôle qu’ils vont y jouer, y compris, pour l’actrice principale Scarlett Johansson, qui incarne une actrice, Midge Campbell, sorte de Marilyn Monroe brune bourrée de pilules qui révise son rôle de dépressive prête à se suicider dans sa baignoire. Mais on réalise à la fin du film que tous les acteurs sont des élèves d’un Actor’s studio où officie une sorte de Lee Strasberg , joué par Willem Dafoe. Nous sommes donc dès le départ dans Limelight et All about Eve, le tout relayé par des clins d’œil au Carrosse d’or, à La nuit américaine ou à nombre de films de Godard, qui fonctionnent sur le même principe du théâtre dans le théâtre et du film dans le film.

      Quant à l’histoire-dans-l’histoire elle-même, elle est du pur Anderson-Roman Coppola (son co-scénariste constant). Elle est supposée se passer en 1955, dans une pseudo ville, Asteroid city, ainsi nommée car un astéroïde s’y est jadis écrasé en laissant un cratère géant, dans un désert arizono-nevadesque en carton-pâte, souvent ébranlé par des explosions atomiques en toc, avec des mesas vaguement monument valleyesques, et traversé par des road-runners sortis des cartoons de Bip-Bip .  La scénographie du désert est elle-même celle des cartoons, avec des scénettes qui se succèdent. Y débarquent, à la suite de la mort mécanique de leur station wagon, un photographe de guerre barbu et pipu, Augie Steenbeck (Jason Schwartzmann) – seul un i le distingue de l’auteur d’A l’est d’Eden- accompagné de ses enfants, trois petites filles blondes très cute, et « épiscopaliennes »,  ainsi  qu’un garçon surdoué au gros nez, Woodrow (Jake Ryan). Le père transporte, apprend-on très vite, les cendres de sa femme dans un tupperware, mais ses enfants ne le savent pas encore. Ils seront rejoints par un beau-père golfeur, Zak (Tom Hanks), en pantalon à carreaux ridicule, qui rappelle celui de Bill Murray dans Moonrise Kingdom. Midge Campbell, qui tape dans l’œil de Steenbeck, débarque avec sa fille grassouillette Dinah (Grace Edwards), qui va taper dans l’œil de Woodrow. Ils s’installent dans un motel dirigé par un directeur à chemise vert pomme portant une visière vert pomme, qui a installé un distributeur automatique où l’on peut acheter, outre des martinis, des lopins de terre du désert pour 10 dollars. Plusieurs autres  protagonistes sortent de grosses bagnoles américaines et viennent stationner dans les bungalows. La "ville" devient vite animée par une convention de junior stargazers, dont la plupart sont des surdoués amateurs de jeux intellectuels, et dont une délégation est menée par une jolie institutrice tout en jaune - ce qui doit alerter les Andersoniens -  June Douglas (Maya Hawke) , et subit l’intrusion de l’armée, dirigée par un général d’opérette très poète (Jeffrey Wright). Quand toute cette troupe se réunit dans une sorte de théâtre en plein air pour organiser nuitamment un spectacle autour de l’astéroïde et de la venue potentielle d’extraterrestres, organisé par une scientifique dingue d’aliens, sorte de Carl Sagan femelle (Tilda Swinton). Ce qui devait arriver arrive : une soucoupe volante se pointe, et on assiste à une rencontre du troisième type, avec un alien longiligne (Joeff Goldblum), comme dans le film éponyme de Spielberg dans lequel jouait Truffaut et où Richard Dreyfus ressemblait à Zak. Là-dessus l’armée décrète une quarantaine, ou plutôt un confinement, à la faveur duquel se noue une intrigue amoureuse entre le photographe Steenbeck et la star Midge, dont les bungalows voisins se font face. Tous deux, qui veuf, qui divorcée, échangent leurs solitudes, et de plus en plus, via l’intrigue parallèle dans l’Actor ‘s studio, leurs angoisses d’acteurs. 

  Asteroid City' Screenplay: Read Anderson And Roman Coppola's Script

       La banalité du mauvais scenario, que l’on a reproché à Anderson dans ce film – vague histoire dans le style Rencontres du troisième type -  devrait alerter. Que peut bien raconter un film au scénario vide, avec des acteurs qui ne semblent s’illustrer que par des détails incongrus ou grotesques (la fille de Midge est parfaitement physiquement dissymétrique à côté du physique de star de la mère, le fils de Steenbeck a un nez disproportionné, l’alien ressemble à un Giacometti, le tenancier du motel n’a l’air d’être là que pour illustrer sa visière verte, pourquoi obtient-on des martinis dry dans un distributeur ?).

 

 On a reproché à Anderson son style collector : il accumule les stars même dans des rôles de figuration (Tom Hanks, Scarlett Johansson, Tilda Swinton, Adrien Brody, Edward Norton, Mat Dillon, Jeff Goldblum et même Margot Robbie- Barbie dans une courte scène en noir et blanc). La plupart de ces personnages ne participent à l’action que comme des marionnettes, et ils sont posés là comme les cactus dans le désert). Comme dans d’autres films d’Anderson on cherche à décoder les signes. Le côté statique de l’histoire du désert contraste avec l’histoire en noir et blanc, où l’action véritable a lieu : c’est celle de personnages pirandelliens en quête d’auteur, manipulés par le maître de l’Actor’s studio, dont la doctrine fameuse est que l’acteur doit se mettre dans une sorte transe pour incarner  son personnage. L’histoire de Augie Steenbeck et de Midge Campbell converge quand ils sont dans la classe de Saltzburg Keitel , et quand Augie est confronté au fantôme de sa défunte épouse (qui apparaît dans le film en noir et blanc, pas dans celui en couleurs). Mais tout le film semble mettre en scène une question : qu’est-ce que je pourrais bien raconter ? Tout le film semble, comme le dit très bien Michael Wood  (London review of books, 13.07.23) un rêve, ou une idée.( https://www.lrb.co.uk/the-paper/v45/n14/michael-wood/at-the-movies)

 

 

Asteroid City: il significato delle scene in bianco e nero
la dernière scène

 

     On reproche à Anderson de ne nous donner que des films glacés, dépourvus d’émotion, qui ressemblent à des catalogues de mode, et abusant du marionnettisme et des décors de maison de poupée. En fait c’est faux. Tous ses personnages, derrière les décors statiques et les plans de face, sont passionnés et violemment émotifs, aussi bien les enfants, comme Suzy et Sam dans Moonrise, Max dans Rushmore, ou les membres de la famille Tenenbaum, que les adultes. Certes des personnages comme ceux incarnés par Bill Murray (ici absent du film) donnent souvent l’air de vivre dans un exil émotionnel, contemplant le passing show. Mais en fait, ils enragent, comme ici Steenbeck-Jason Swartzman qui face à Midge pose calmement sa main sur un moule à gaufres brûlant. Midge-Scarlett Johansson a bien de la difficulté, comme actrice jouant le rôle d’une actrice, à contrôler ses sentiments, et c’est bien justement la leçon que leur donne le pseudo Lee Strasberg joué par Dafoe : essayez d’être comme Marlon Brando dans On the Water front. Tous ces personnages sont coincés dans des prisons, comme dans Moonrise dans une île, dans Aquatic life dans un bathyscaphe, ici dans un désert absurde, comme si Antonioni donnait dans le genre comique (la chanson last train to san fernando indique qu'on est dans un dead end). Les enfants surdoués du film ont des interrogations métaphysiques : la vie a-elle un sens ? Dieu existe-t-il ? Ils connaissent les noms de Gödel et de Lord Kelvin, le Cercle de Vienne, quand il s’agit de faire un quiz. Comme nous ils se demandent comment s’en sortir. L’intellectualiste Anderson, bardé de citations filmiques et de références philosophiques, est en fait un sentimental et un moraliste.

    Le spectateur trop pressé de considérer ce film comme une répétition pesante des clichés andersoniens en s’attardant seulement aux aspect hipe – en effet agaçants – du réalisateur dandy de pubs et d’expositions branchées qu’est devenu le Texan - aurait tort aussi de ne pas s’attacher à des éléments qui ne se révèlent que si l’on considère la filmographie d’ensemble de l’auteur. Il n’échappe à quiconque se souvent des autres films d’Anderson que Jason Schwartzman, vieux complice du réalisateur, est aussi le héros de Rushmore et de A bord du Darjelling Limited, et qu’il est un peu son double.      Le personnage de Max Fischer dans Rushmore était alors un adolescent difficile, découvrant l’amour, et s’essayant à monter des pièces de théâtre. On le retrouve ici en photographe dans le film dans le film, et en acteur jouant ce rôle dans le film dans le film. Il a pris une vingtaine d’années et il est devenu adulte, et il a l’air déprimé. C’est lui qui se demande à quoi tout cela rime.

      Toute personne ayant traversé le Mojave Desert et voyagé en Arizona, ayant trois petites filles, ayant vu et apprécié les autres films d’Anderson et ayant une culture cinématographique minimale, aimera ce film, qui est comme tous ceux de leur auteur, une météorite indéchiffrable et familière : calme bloc, ici-bas chu d'un désastre obscur.

 

 

 


 

 voir aussi  

https://www.vanityfair.com/hollywood/wes-anderson-asteroid-city-shot-list-cinematography-awards-insider