Un critique m'a qualifié d'auteur de dissertations de terminale. Je poursuis donc dans cette veine.
Sujet de dissertation de philosophie donné au
bac 2016
La philanthropie est-elle une bonne chose ?
Copie d’Algernon Schmorenzeit, Lycée de Bourg en
Bresse, ayant reçu la note de 19/20
La philanthropie est bien vue. Les
milliardaires la pratiquent, et même si c’est le plus souvent pour échapper aux
impôts et faire du buzz sur les réseaux et les médias, et finalement pour
pouvoir investir plus et se protéger des critiques méchantes de ceux qui notent
que 1% de la population planétaire possède 90% de la richesse du globe entier, qui
se chagrinerait des redistributions qu’elle induit ? En plus si un
milliardaire vient donner l’aumône à ma place au mendiant qui m’accoste dans la
rue, je me sens mieux. Et ne satisfait-elle pas ce sentiment de sympathie
universelle dont Hume disait qu’il est un des ressorts de l’âme humaine ? Même
si on la trouve larmoyante et cucul, ne préfère-t-on pas aider un réfugié en
loques que donner plus à une vieille dame riche, même malade et malheureuse ?
Bien sûr il y a des objections. La
philanthropie est supposée nous conduire à aimer tous les hommes, dans toutes
les conditions, mais aussi particulièrement ceux qui sont dans le besoin. Elle
satisfait notre amour du genre humain, nos principes kantiens. Mais si les
pauvres mordent la main qui les nourrit, que dire ? S’ils sont criminels,
malgré la gentillesse dont nous les abreuvons, que dire ? Faut-il, vieux
dilemme chrétien, toujours être charitable, au détriment de la justice ? Et
la philanthropie n’est-elle pas tout simplement un renforcement du pouvoir des
riches ? Si je donne au pauvre des sous, mais le force à aller aux écoles
que j’ai construites pour lui, comme le fit jadis Pullman et de nos jours les
Gates, Zuckerberg, Buffet etc. , est-ce que je le libère ? Si je sors l’Oncle
Tom de sa case pour en faire un Nestor dans ma maison coloniale, j’ai été
philanthrope, mais ne lui ai-je pas soutiré , comme un vulgaire voleur, ce qu’il
a de plus précieux, sa liberté ? Et si en plus, je montre au monde entier
combien je suis généreux et aimable à tout le genre humain, ne satisfais-je pas
des instincts aussi bas que ceux je prétends combattre ?
On connaît toutes ces objections. Elles sont
fortes, irrépressibles. La plus évidente est encore celle-ci : le genre
humain n’est pas aimable. L’attitude naturelle de tout humain n’est pas la philanthropie
, mais la misanthropie. Qui va dire que je peux aimer les hommes politiques que je vois tous les jours, les gens dans la rue, les misérables de toutes sortes qui s'attachent à mes basques, les employés tatillons et hargneux, les commerçants gripesous, les enflures que la vie m'apporte à chaque tournant? Ce n'est pas seulement que je ne peux pas: je ne dois pas. Admettons que Kant ait raison, et que je doive aimer en moi et chez les autres l'humanité. Le meilleur moyen pour y parvenir est-il de donner plus aux miséreux ? Non. C'est de les traiter comme s'ils étaient les pires exemplaires du genre humain. Si l'on est misanthrope, on ne donnera jamais crédit aux humains, mais on s'étonnera, chaque fois qu'une lueur d'intelligence ou de bonté les anime. Alors que le philanthrope suppose que cette lueur éclaire toujours les visages des Affreux sales et méchants . C'est une grosse erreur. Ils sont affreux, sales et méchants. Mais quel plaisir insigne quand l'un d'eux est capable de s'élever à un semblant de raison, de bonté! Il est si agréable d'avoir, en de très rares occasions, la surprise de constater un peu de raison et d'humanité. N'est ce pas bien plus agréable que de supposer bêtement que ces qualités sont toujours là? La misanthropie est la meilleure attitude. Nos milliardaires en fait la pratiquent. Je les soupçonne de monter toutes ces opérations de charité publique afin de sélectionner, dans les populations qu'ils aident de leur dons, les quelques lueurs d'humanité. Ils sont en fait misanthropes. Et ont bien raison.
commentaire du professeur ayant noté la copie :
Très amusant travail, bien vu, même si pas toujours bien raisonné. Mais un peu trop schopenhauerien.
Brutti, Sporchi e Cattivi