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dimanche 3 décembre 2023

PARTICULARISME NAPOLEONIEN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Madame de Stael, citée par Taine (Origines de la France contemporaine, tome 9)

 « Je le vis pour la première fois, dit Mme de Staël (*), à son retour en France, après le traité de Campo-Formio. Lorsque je fus un peu remise du trouble de l’admiration, un sentiment de crainte très prononcé lui succéda. » Pourtant « il n’avait alors aucune puissance, on le croyait même assez menacé par les soupçons ombrageux du Directoire » ; on le voyait plutôt avec sympathie, avec des préventions favorables ; « ainsi la crainte qu’il inspirait n’était causée que par le singulier effet de sa personne sur presque tous ceux qui l’approchaient. J’avais vu des hommes très dignes de respect, j’avais vu aussi des hommes féroces ; il n’y avait rien, dans l’impression que Bonaparte produisit sur moi, qui pût me rappeler ni les uns ni les autres. J’aperçus assez vite, dans les différentes occasions que j’eus de le rencontrer pendant son séjour à Paris, que son caractère ne pouvait être défini par les mots dont nous avons coutume de nous servir ; il n’était ni bon, ni violent, ni doux, ni cruel, à la façon des individus à nous connus. Un tel être, n’ayant point de pareil, ne pouvait ni ressentir ni faire éprouver de la sympathie ; c’était plus ou moins qu’un homme ; sa tournure, son esprit, son langage, sont empreints d’une nature étrangère… Loin de me rassurer en voyant Bonaparte plus souvent, il m’intimidait tous les jours davantage. Je sentais confusément qu’aucune émotion du cœur ne pouvait agir sur lui. Il regarde une créature humaine comme un fait ou une chose, et non comme un semblable. Il ne hait pas plus qu’il n’aime, il n’y a que lui pour lui ; tout le reste des créatures sont des chiffres. La force de sa volonté consiste dans l’imperturbable calcul de son égoïsme ; c’est un habile joueur dont le genre humain est la partie adverse qu’il se propose de faire échec et mat… Chaque fois que je l’entendais parler, j’étais frappée de sa supériorité ; elle n’avait aucun rapport avec celle des hommes instruits et cultivés par l’étude et la société, tels que la France et l’Angleterre peuvent en offrir des exemples. Mais ses discours indiquaient le tact des circonstances, comme le chasseur a celui de sa proie… Je sentais dans son âme comme une épée froide et tranchante qui glaçait en blessant ; je sentais dans son esprit une ironie profonde à laquelle rien de grand ni de beau ne pouvait échapper, pas même sa propre gloire, car il méprisait la nation dont il voulait les suffrages… » — « Tout était chez lui moyen ou but ; l’involontaire ne se trouvait nulle part, ni dans le bien, ni dans le mal… » Nulle loi pour lui, nulle règle idéale et abstraite ; « il n’examinait les choses que sous le rapport de leur utilité immédiate ; un principe général lui déplaisait comme une niaiserie ou comme un ennemi ». —

 Taine continue :

Par un autre effet de la même structure mentale, jamais il ne fonctionne à vide ; c’est là aujourd’hui notre grand danger. — Depuis trois siècles, nous perdons de plus en plus la vue pleine et directe des choses ; sous la contrainte de l’éducation casanière, multiple et prolongée, nous étudions, au lieu des objets, leurs signes ; au lieu du terrain, la carte ; au lieu des animaux qui luttent pour vivre, des nomenclatures, des classifications, et, au mieux, des spécimens morts de muséum ; au lieu des hommes sentants et agissants, des statistiques, des codes, de l’histoire, de la littérature, de la philosophie, bref des mots imprimés, et, chose pire, des mots abstraits, lesquels, de siècle en siècle, deviennent plus abstraits, partant plus éloignés de l’expérience, plus difficiles à bien comprendre, moins maniables et plus décevants, surtout en matière humaine et sociale. Dans ce domaine, par l’extension des États, par la multiplication des services, par l’enchevêtrement des intérêts, l’objet, indéfiniment agrandi et compliqué, échappe maintenant à nos prises ; notre idée vague, incomplète, inexacte, y correspond mal ou n’y correspond point ; dans neuf esprits sur dix, et peut-être dans quatre-vingt-dix-neuf esprits sur cent, elle n’est guère qu’un mot ; aux autres, s’ils veulent se représenter effectivement la société vivante, il faut, par delà l’enseignement des livres, dix ans, quinze ans d’observation et de réflexion, pour repenser les phrases dont ils ont peuplé leur mémoire, pour se les traduire, pour en préciser et vérifier le sens, pour mettre dans le mot, plus ou moins indéterminé et creux, la plénitude et la netteté d’une impression personnelle. Société, État, gouvernement, souveraineté, droit, liberté, on a vu combien ces idées, les plus importantes de toutes, étaient, à la fin du xviiie siècle, écourtées et fausses comment, dans la plupart des cerveaux, le simple raisonnement verbal les accouplait en axiomes et en dogmes, quelle progéniture ces simulacres métaphysiques ont enfantée, combien d’avortons non viables et grotesques, combien de chimères monstrueuses et malfaisantes. — Il n’y a pas de place pour une seule de ces chimères dans l’esprit de Bonaparte ; elles ne peuvent pas s’y former ou y trouver accès ; son aversion pour les fantômes sans substance de la politique abstraite va au delà du dédain, jusqu’au dégoût ; ce qu’on appelle en ce temps-là l’idéologie est proprement sa bête noire ; il y répugne, non seulement par calcul intéressé, mais encore et davantage par besoin et instinct du vrai, en praticien, en chef d’État, se souvenant toujours, comme la grande Catherine, « qu’il travaille, non sur le papier, mais sur la peau humaine, qui est chatouilleuse ». Toutes les idées qu’il en a ont eu pour source des observations que lui-même il a faites, et ont pour contrôle des observations que lui-même il fait.

 

Si les livres lui ont servi, c’est pour lui suggérer des questions, et à ces questions il ne répond jamais que par son expérience propre. Il a peu lu et précipitamment ; son instruction classique est rudimentaire ; en fait de latin, il n’a pas dépassé la quatrième. À l’École militaire, comme à Brienne, l’enseignement qu’il a reçu était au-dessous du médiocre ; et dès Brienne on constatait que, « pour les langues et les belles-lettres, il a n’avait aucune disposition ». Ensuite la littérature élégante et savante, la philosophie de cabinet et de salon, dont ses contemporains sont imbus, a glissé sur son intelligence comme sur une roche dure ; seules les vérités mathématiques, les notions positives de la géographie et de l’histoire y ont pénétré et s’y sont gravées. Tout le reste, en lui comme en ses prédécesseurs du xve siècle, lui vient du travail original et direct de ses facultés au contact des hommes et des choses, de son tact rapide et sûr, de son attention infatigable et minutieuse, de ses divinations indéfiniment répétées et rectifiées pendant ses longues heures de solitude et de silence. En toutes choses, c’est par la pratique, non par la spéculation, qu’il s’est instruit ; de même un mécanicien élevé parmi les machines. « Il n’est rien à la guerre, dit-il, que je ne puisse faire par moi-même. S’il n’y a personne pour faire de la poudre à canon, je sais en fabriquer ; des affûts, je sais les construire ; s’il faut fondre des canons, je les ferai fondre ; les détails de la manœuvre, s’il faut les enseigner, je les enseignerai. » Voilà comment il s’est trouvé compétent du premier coup, général d’artillerie, général en chef, puis aussitôt diplomate, financier, administrateur en tous les genres. Grâce à cet apprentissage fécond, dès le Consulat il en remontre aux hommes de cabinet, aux anciens ministres qui lui adressent des mémoires. « Je suis plus vieux administrateur qu’eux ; quand on a dû tirer de sa seule tête les moyens de nourrir, d’entretenir, de contenir, d’animer du même esprit et de la même volonté quelques centaines de mille hommes loin de leur patrie, on a vite appris tous les secrets de l’administration. » Dans chacune des machines humaines qu’il construit et qu’il manie, il aperçoit d’un seul coup toutes les pièces, chacune à sa place et dans son office, les générateurs de la force, les organes de la transmission, les engrenages superposés, les mouvements composants, la vitesse résultante, l’effet final et total, le rendement net ; jamais son regard ne demeure superficiel et sommaire : il plonge dans les angles obscurs et dans les derniers fonds, « par la précision technique de ses questions », avec une lucidité de spécialiste, et de cette façon, pour emprunter un mot des philosophes, l’idée chez lui se trouve adéquate à son objet.

De là son goût pour les détails, car ils font le corps et la substance de l’objet ; la main qui ne les a pas saisis ou qui les lâche ne tient qu’une écorce, une enveloppe. À leur endroit, sa curiosité, son avidité est « insaturable ». Dans chaque ministère il en sait plus que le ministre, et dans chaque bureau il sait autant que le commis. Sur sa table sont des états de situation des armées de terre et de mer ; il en a donné le plan, et ils sont renouvelés le premier jour de chaque mois ; telle est sa lecture quotidienne et préférée : « J’ai toujours présents mes états de situation. Je n’ai pas de mémoire assez pour retenir un vers alexandrin, mais je n’oublie pas une syllabe de mes états de situation. Ce soir, je vais les trouver dans ma chambre, je ne me coucherai pas sans les avoir lus. » Mieux que les bureaux du mouvement des ministères de la guerre et de la marine, mieux que les états-majors eux-mêmes, il sait toujours « sa position » sur mer et sur terre, nombre, grandeur et qualité de ses vaisseaux au large et dans chaque port, degré d’avancement présent et futur des bâtiments en construction, composition et force des équipages, composition, organisation, personnel, matériel, résidence, recrutement passé et prochain de chaque corps d’armée et de chaque régiment. De même en finances, en diplomatie, dans toutes les branches de l’administration laïque ou ecclésiastique, dans l’ordre physique et dans l’ordre moral. Sa mémoire topographique et son imagination géographique des contrées, des lieux, du terrain et des obstacles aboutissent à une vision interne qu’il évoque à volonté et qui, après plusieurs années, ressuscite en lui aussi fraîche qu’au premier jour. Son calcul des distances, des marches et des manœuvres est une opération mathématique si rigoureuse, que plusieurs fois, à deux ou trois cents lieues de distance, sa prévision militaire, antérieure de deux mois, de quatre mois, s’accomplit presque au jour fixé, précisément à la place dite. Ajoutez une dernière faculté, la plus rare de toutes ; car, si sa prévision s’accomplit, c’est que, comme les célèbres joueurs d’échecs, il a évalué juste, outre le jeu mécanique des pièces, le caractère et le talent de l’adversaire, « sondé son tirant d’eau », deviné ses fautes probables ; au calcul des quantités et des probabilités physiques, il a joint le calcul des quantités et des probabilités morales, et il s’est montré grand psychologue autant que stratégiste accompli. — Effectivement, nul ne l’a surpassé dans l’art de démêler les états et les mouvements d’une âme et de beaucoup d’âmes, les motifs efficaces, permanents ou momentanés, qui poussent ou retiennent l’homme en général et tels ou tels hommes en particulier, les ressorts sur lesquels on peut appuyer, l’espèce et le degré de pression qu’il faut appliquer. Sous la direction de cette faculté centrale, toutes les autres opèrent, et, dans l’art de maîtriser les hommes, son génie se trouve souverain."

 Amazon.fr - F. Y. Edgeworth's 'Mathematical Psychics' and Further Papers on  Political Economy - Newman, Peter - Livres

 Napoléon anticipe Wittgenstein 

Wittgenstein aero-ingénieur 1908 Manchester

et le particularisme moral de Jonathan Dancy

Moral Particularism, at its most trenchant, is the claim that there are no defensible moral principles, that moral thought does not consist in the application of moral principles to cases, and that the morally perfect person should not be conceived as the person of principle.

 

 Jonathan Dancy | Liberal Arts | UT - Austin

*Considérations sur la Révolution française, 3e partie, ch. xxvi, 4e partie, ch. xviii.