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jeudi 12 mai 2022

Stratagème à la Perec pour l'écriture inclusive

   

le roman dont se serait inspiré Perec

L'écriture inclusive nous pourrit l'existence. Si vous résistez, vous passez pour un infâme réactionnaire, opposé à la marche de la fémanité. Si vous l'acceptez, vous rendez vos communications illisibles. Comment adopter un compromis et avoir un minimum de tranquillité, même s'il faut bien admettre que la tranquillité grammaticale c'est de respecter les lois de la grammaire d'une langue, qui sont supérieures à celles de son  lexique ? Ou bien faut-il, comme les latins (qui n' étaient pas spécialement féministes ) pour les arbres, tout mettre au féminin? Un premier pas consiste, comme me l'a suggéré une amie, à utiliser des abréviations comme celles qu'on a souvent dans les fins des correspondances par mail :

"amts" pour "amitiés"

"bat" et "bav" pour "bien à toi" et "bien à vous"

Mais cela ne résout pas le problème. La solution, me semble-t-il, est de doubler du stratagème de Georges Perec dans son fameux La disparition: supprimer la lettre "e", responsable de bien des maux. Mais cela ne suffit pas non plus, car le féminin ne se marque pas qu'avec des "e". Il faut donc recourir à un moyen plus radical: supprimer les voyelles.Voici quelques exemples sur des cas fréquents:

chères et chers collègues / chrs cllgs 

chers ami(e)s / chrs ms 

toutes et tous / tttts 

mesdames et messieurs / msdsmssrs  ou plus simplement : msd

professeur(e)  / prfssr 

directeur/ trice / drctr 

 auteur/trice / tr 

lecteur/trice  / lctr 

docteur/oresse / dctr 

doctorant (e), post-doctorant (e)/ dctrt , pst-dctrt

écrivain (e) / crvn 

président(e) / prsdnt  

ministre / mnstr  

plombier / plmbr 

On me dira peut-être que c'est un peu radical: autr, doctr , lectr, ecrivan seraient suffisants. C'est un peu embêtant aussi pour les glaces plombières. Mais si l'on veut être fidèle à Perec, il faut y aller carrément.

on évite aussi le notoire "iel" /  l , et au pluriel : ls

un/une / n 

le/la   l 

chacun/e     chcn

etc.

Comme on aura noté, le "et" n'est plus nécessaire, puisqu'une seule forme suffit pour désigner les deux genres, et surtout les .(es) et autres ajouts perdent leur raison d'être. C'est très commode, une fois répandu, car cela évite aussi d'user de trop de signes, en une époque de tweets et où la lecture sur internet ne dépasse pas vingt lignes .

Mais comme on voit il faut généraliser : les termes désignant le féminin doivent aussi subir le même régime :

femme / fmm 

dame / dm 

repasseuse / rpsss 

ravaudeuse / rvds 

procureuse/ prcrs   , qui bien plus commode qu'un terme légèrement connoté. 

la colonelle  l clnll

mais si l'on veut être vraiment épicène, c'est à dire unisexe, les termes masculins ne doivent pas faire exception :

homme / hmm 

mâle / ml

gros macho / grs mch  

la colonnelle ne se distinguer de son mari que par un l : l clnll / l clnl

et cela s'applique aux prénoms :

Martin . ine / mrtn

Jean/Jeanne  Jnn

Isabeau / Isb  (et tant qu'à faire appliquons le à la particule: de Bavière/ d Bvr  )

mais aussi aux adjectifs :

présent/e  : prst 

joli / jolie   / jl

On pourra quand même garder le "e" dans les formes nominales non fléchies, les adverbes, les verbes :

est, sont, gentiment, marcher

Bien sûr il y aura des homonymes , puisque "l" sera à la fois "la" et "iel" : 

"la meuf est jalouse" / l mf est  jls 

"il est jaloux le mec" / l mc l est jl

On notera que cela évitera le scandale de ces termes au féminin désignant souvent des mâles : 

sentinelle / stnll 

ordonnance / rdnc 

personne / prsnn

    J'admets que cela ne satisfera pas les plus rdcls: si l'on doit écrire "femmage" pour honorer n prsnn de sexe fmnn, et "hommage" pour honorer n prsnn de sexe mscln, ma réforme ne sera d'aucune aide. Pour assurer l'épicénie, il vaudrait mieux simplement garder "hommage" et l'écrire:

hmmg 

"mes hommages, Madame" / mes hmmgs, Mdm

Il ne reste plus qu'à mettre en pratique.


l'anglais a résolu le problème



 


 

vendredi 10 février 2017

p, du coup q



                  



                                               Le vent me vient, du coup le vent m'évente
                                                                                           Rutebeuf
                                       

     On aura remarqué le tic de langage du moment : l’usage à tout bout de champ de « du coup ». Il est difficile de  localiser cette expression du point de vue de son rôle syntaxique et sémantique . Tantôt on l‘emploie comme une conjonction au sens de «  par suite »  ou «  à partir de là » ou « de ce fait » pour désigner une consécution temporelle et causale («  il n’y avait plus de pain à la boulangerie, du coup j’ai acheté des biscottes », «  il y avait des embouteillages, du coup je suis arrivé en retard »), tantôt au sens de « donc » ou « il s’ensuit que »  avec un sens de conséquence ou d’implication quasi logique ( «  votre emprunt est à 3%  du coup cela vous fait des mensualités de 300 euros par mois »).  Le plus souvent les inférences sont causales et inductives : «  Il avait plu. Du coup les rues étaient mouillées ». « Il avait la grippe, du coup il était fiévreux. »  Il est rare qu’on l’emploie au sens strict d’une implication logique, comme dans « Ce triangle est rectangle, du coup il a un angle droit », ou «  2 et 2 font quatre, du coup quatre moins deux fait deux », mais on peut l’employer au sens d’une implication conceptuelle ou en vertu d’une règle : « Il s’appelle de Broglie, du coup il est noble » , «  Il est président de la République, du coup il est chef des armées ». « Du coup » est aussi très souvent un connecteur pragmatique, qu’on emploie pour ponctuer une conversation. Ainsi votre coiffeuse vous dit-elle, quand vous entrez dans sa boutique : «  Du coup, je vous fais des mèches ? », ou le pompiste quand vous vous arrêtez chez lui : «  Du coup, je vous fais le plein ? ». Dans ce cas " du coup" est plutôt un opérateur sur une phrase, qu'un connecteur ,un peu comme "finalement"  ou " eh bien alors" :" eh bien alors je vous fais le plein?" . Mais le rôle joué par  « du coup » semble le plus proche de celui du connecteur « si ….alors » : «  S’il y a eu de la grêle, les vignes ont souffert » = « Il y a eu de la grêle, du coup les vignes ont souffert » . «  p , du coup q » est  un énoncé conditionnel où p   est l’antécédent (la protase) et q  le conséquent (l’apodose). La sémantique des conditionnels est notoirement difficile. Faut-il entendre si p alors q  au sens philonien, c’est-à-dire au sens où le conditionnel est vrai quand le conséquent est vrai et l’antécédent faux, et faux seulement quand  l’antécédent est vrai et le conséquent faux ? Un conditionnel matériel comme « si tu es sage on ira au cinéma » peut être vrai même quand  l’antécédent est faux  du moment que le conséquent est vrai ( il arrive qu’on emmène au ciné même un enfant pas sage). Mais est-ce que « p du coup q » a ce sens philonien ? «  Tu as été sage, du coup on ira au cinéma » suppose bien que l’enfant a été sage, et a le sens de la conséquence « donc ». Mais la conséquence logique peut aussi valoir quand l’antécédent est faux (le faux implique n’importe quoi).  Ce n’est donc pas – ou du moins pas paradigmatiquement – au sens de la conséquence logique ou de l’implication ( « donc ») que l’on use de « du coup » comme connecteur. Cela n’empêche pas nombre d’usages de « du coup » d’être très proches du conditionnel. Pour rendre compte des usages pragmatiques de « si…alors » et conserver la thèse selon laquelle ses conditions de vérité sont celles du conditionnel matériel philonien, H.P .Grice (1969) a proposé l’idée que le sens littéral de « si..alors » est bien celui du conditionnel matériel, mais que dans divers usages dans la conversation on doit supposer qu’un sens implicite s’ajoute, en fonction des intentions du locuteur, sous la forme d’implicatures. Cela se transpose à « du coup ».

    Par exemple supposons que je dise 

(i)                 John est anglais, du coup il est courageux

Cela s’interprète clairement au sens d’un conditionnel matériel ou d’une conséquence :

(ii)               Si John est anglais, alors il est courageux
(iii)             John est anglais, donc il est courageux

Mais mon énoncé peut être ironique, par exemple dans le contexte où je viens de constater que John a détalé à toute vitesse en entendant un gros chien aboyer. Grice fait appel aux intentions du locuteur, mais souvent le sens d’un conditionnel se comprend par rapport à un arrière-plan qui nous permet de comprendre qu’il y a une certaine connexion entre l’antécédent et le conséquent. C’est la présence ou pas de cette connexion qui nous permet d’évaluer la vérité ou la fausseté du conditionnel. Dans le cas de (i) c’est le fait que nous croyons que tous les anglais sont courageux. Ici c’est cette croyance générale qui rend vrai (i), ou qui, quand on interprète le conséquent comme faux, produit l’effet d’implicature ironique. Mais quelle est la nature de la connexion ? Igor Douven dans son livre remarquable The Epistemology of Indicative conditionals (2015) soutient que la connexion est indiquée comme une forme d’inférence, qui peut être, selon les cas une inférence logique ou déductive, ou une inférence causale, statistique, explicative, métaphysique, ou épistémique, et où le connecteur « si » est une propriété fonctionnelle du second ordre « réalisée » dans diverses sortes d’inférences, selon les contextes.
    Cela semble s’appliquer assez bien à « du coup » , qui suggère que l’on a inféré q  de p, mais où c’est au contexte de déterminer à quelle sorte d’inférence on a affaire. 

   Il avait perdu son portefeuille ; du coup il n’avait pas d’argent (causal)
   Ces enfants toussent, du coup ils ont la bronchiolite (statistique)
   C’est une Idée platonicienne, du coup c’est une entité abstraite (métaphysique)
    Hercule Poirot a trouvé des traces de pas ; du coup il suspecte le jardinier (épistémique)
Etc. 

On a beaucoup discuté pour savoir si le cogito cartésien est une inférence ou une performance (Hintikka 1962). Si Descartes avait dit 

    « Je pense, du coup je suis » 

les choses ne seraient-elles pas plus simples? Car on pourrait l’interpréter comme on veut, selon le type d’inférence visé. Notons que Descartes dit , dans le Discours : "ergo" . Mais comme on sait, dans les Méditations, il dit "Je pense , je suis" ,et la virgule pourrait bien se comprendre 
au sens non pas d'une inférence logique, mais plutôt au sens d'une consécution (non causale, peut être épistémique, ou explicative, au sens de de ce fait  ou par là même?)

En tous cas, 

« Pet, du coup cul » 

est bien une implication analytique ou conceptuelle, et non pas causale, car comme le disait Hurtaut (Art de péter, 1751) : « Cet être se manifeste par l’anus », ce qui est bien une relation analytique, ou peut-être, une vérité d’essence : qui dit pet dit cul. pet eo ipso cul,  même si le pet est un accident de la substance cul. On peut même dire que ce qui choque, dans l'usage de "du coup" pour exprimer un lien de consécution nécessaire, c'est que "coup" désigne quasiment toujours un accident. 400 coups sont par définition 400 accidents.

De cette petite enquête on pourrait conclure que nous sommes prêts à inférer n'importe quoi de n'importe quoi, selon les contextes et les circonstances. Que viendraient faire , du coup , le logicien, le philosophe, qui sont supposés être les arbitres de nos inférences, dans cette affaire? Sont-ils du coup  illégitimes et vains? je ne m'y résous pas.

 Alors du coup  serait il un flatus vocis ?


NOTE additionnelle (2020) Un lecteur fidèle, que je remercie me signale deux étude de linguistique très fouillées sur "du coup" . Du coup je donne les références.

Rossari, Corinne & Jayez, Jacques (2000)
Du coup et les connecteurs de conséquence dans une perspective dynamique
Linguisticae Investigationes 23, 303-326


Jayez, Jacques (2000)
The ‘unexpectedness’ of du coup
Handout of a talk given at Discourse Particles, Bruxelles, 7-8 December


http://perso.ens-lyon.fr/jacques.jayez/#discourse