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jeudi 14 août 2025


 

John McCumber, Time in the Ditch. Analytic Philosophy and the McCarthy Era, Evanston, Northwestern University Press, 2001, XXIV-213 p., 29,95 $.

 

Bentham, dans son Manuel des sophismes politiques (tr  fr Éd. LGDJ,1996, p. 311), appelle sweeping classifications celles qui consistent à « attribuer à un objet individuel les propriétés d'un autre objet, seulement parce que ces deux objets sont rangés dans la même classe désignée par le même nom ». Bernard-Henri Lévy restera peut-être célèbre pour avoir proposé jadis l'une des plus jolies versions de ce fallace : les Lumières et la raison sont tyranniques, car Lénine, qui était un tyran, promettait les soviets et l'électricité. J. McCumber pourrait bien devenir célèbre pour avoir proposé une des plus jolies versions du même sophisme combiné avec le post hoc ergo propter hoc : la philosophie analytique s'est implantée aux Eats-Unis à l'époque du mccarthysme, qui faisait régner la terreur et l'intolérance au nom de la vérité ; par conséquent, la philosophie analytique est un terrorisme au nom de la vérité. L'auteur n'hésite pas à soutenir que l'ère McCarthy aux États-Unis explique non seulement les conditions institutionnelles par lesquelles le positivisme s'est implanté, mais aussi les présupposés philosophiques de la philosophie analytique dominante aujourd'hui (p. 18). L'argument est simplissime : les philosophes analytiques disent rechercher la vérité et examiner des énoncés, McCarthy faisait la même chose pour traquer les communistes, ergo... On croit qu'on va lire des archives sur des philosophes analytiques ayant dénoncé leurs confrères, ou ayant participé à des chasses aux sorcières, mais McCumber est évidemment bien en peine d'en trouver des exemples. Il s'appuie seulement sur des soupçons de dirigisme et d'autoritarisme de l'American Philosophical Association, principale organisation professionnelle aux États-Unis, qu'il n'est en mesure d'étayer par aucun fait probant. Il semble oublier que la plupart des émigrés positivistes des années 1940 fuyaient l'Allemagne nazie, et qu'une grande partie des analytiques, comme Carnap ou Putnam, ont été des socialistes et des marxistes (auquel cas il faudrait revenir à 1'« argument » de BHL). Donnons raison à McCumber sur un point : en effet, la philosophie analytique, depuis les années 1950, a dominé la philosophie américaine, et elle n'a jamais eu de grande sympathie pour l'existentialisme et ce qu'elle appelle la « philosophie continentale ». Ces philosophes ont-ils pour autant été empêchés d'enseigner et de publier ? Ce qui est vrai est que la philosophie analytique a tendu dans sa première période à être apolitique et orientée vers la science ; mais cette tendance s'est infléchie dans les années 1960 avec la guerre du Vietnam, les mouvements sur les droits civiques, etc. McCumber a sans doute raison de dire que la philosophie aux États-Unis n'est pas une discipline « culturelle » et que les philosophes y participent peu aux débats de « société » (encore que cf.Nagel, Rawls, Dworkin, Nussbaum, Kitcher, Dennett, etc.). Mais est-ce pour autant un mal en soi, quand on voit à quelles dérives conduisent les gender studies, les cultural studies, les science studies sur les campus ? Je ne plaide pas pour l'isolationnisme des analytiques. Ils devraient plus prêter attention aux débats publics, ce qui laisse le champ libre aux penseurs « libres » (de dire n'importe quoi). Mais ce n'est sans doute pas en s'inspirant de la démarche heideggérienne qui « étend le territoire de la rationalité au-delà du modèle fondé sur la vérité de la thèse et de l'argument » (p. 166) qu'on retrouvera les conditions d'une vraie démocratie intellectuelle. Cet ouvrage inepte est à recommander aux adversaires de la philosophie analytique qui voient en elle la forme contemporaine de la tyrannie intellectuelle. Ils y trouveront, à défaut d'arguments (inutiles et nuisibles, de l'aveu même de l'auteur), de quoi alourdir leur besace de fallaces.

Pascal Engel.

 Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, OCTOBRE 2003, T. 193, No. 4,

 


mardi 8 janvier 2019

RIC HOCHET








            Je n'aimais pas tellement, dans Tintin, les aventures de Ric Hochet, par Tibet et Duchâteau. Le personnage était bellâtre, blondasse comme les photos qu'on voyait chez les coiffeurs pour Pantène ou Petrol Hahn, et ses aventures fadasses. Et puis il y avait ce nom ridicule. C'était la fin du journal Tintin. J'étais déjà passé à Pilote, puis redécouvrais Spirou. Tout m'était hochet.


Comme par hasard l'inventeur de ce pétrole est suisse














jeudi 6 décembre 2018

Commentaire politique





Pour une fois, et on m'excusera, je commente l'actualité. J'ai entendu çà de mon grand père,
de la génération de 14-18:

Dans un’ séance très rageuse
A la chambre des Députés,
La Droit’ grinc’, la Gauche est rageuse,
On s’apprête à s’taper su’l’nez !
Ayant vain’ment s’coué sa sonnette
Afin d’apaiser l’ouragan,
Le président s’couvre la tête,
Et crie aux faiseurs de boucan :

Parlé
Ah ! Les sales bêtes !
En voulez-vous des z’homards .... i’s ont du poil aux pattes !




C'était une ritorunelle de l'époque, qu'on trouve par exemple chez Allais ( On n'est pas des boeufs) 


vendredi 27 avril 2018

De Smet à Char

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Interview d'Emmanuel Macron dans la NRF N°63à: 


"J’ai fait beaucoup de philosophie."

 - Combien beaucoup ?

"Les Français sont malheureux quand la politique se réduit au technique, voire devient politicarde. Ils aiment qu’il y ait une histoire. J’en suis la preuve vivante ! Je suis très lucide sur le fait que ce sont les Français et eux seuls qui m’ont « fait » et non un parti politique."
-   Il semble  en être convaincu. Mais 24%  au premier tour, puis 66,1 % au second, avec 43% des électeurs votant pour lui dans un contexte où comme en 2002 il s'agissait pour au moins la moitié de son électorat du second tour, de barrer le passage à Le Pen, et avec 25 % d'abstention à ce second tour, ce qui ne s'était pas vu depuis 1969, il n'y a pas de quoi pavoiser. On peut difficilement dire qu'il y ait eu un vote de masse en faveur de Macron, ni que"les Français" l'aient fait. Le vent de l'histoire a soufflé, mais c'est un sirocco léger plutôt qu'une bourrasque de mistral.Et comment peut-on prétendre avoir été "fait" par les Français sans jamais avoir été élu dans la moindre élection locale? 

     "J'en suis la preuve vivante!" Hegel eût-il vu passer Macron à cheval à Iéna, il n'eût pas dit autre chose.

Quand on lui demande pourquoi il fait un vibrant hommage à Johnny, dont l'intervieweur nous dit qu'il " incarnait symboliquement quasiment Victor Hugo," ( sic) le président répond: 

"Cela fait des décennies que le pouvoir politique est sorti de l’émotion populaire. Il faut considérer cela : l’émotion populaire se moque des discours. Le jour des obsèques, je savais très bien que la foule qui était là n’était pas acquise. Elle n’attendait pas un discours officiel. Elle était dans l’émotion brute du moment. C’est cette émotion que j’ai partagée avec la foule. Rien d’autre. "
Est-ce aux hommes politiques de "partager l'émotion brute"?  Cet appel à l'émotion fait penser à de tristes moments de l'histoire. 
       Le même nous annonce d'ailleurs qu'il n'a pas à expliquer, y compris aux intellectuels, ses décisions, qui sont par nature,si l'on comprend bien, instinctives.

"J’assume les choix qui sont faits, et je hais l’exercice consistant à expliquer les leviers d’une décision : il y a un temps pour la délibération, un temps pour la décision, ils ne peuvent se confondre."
L'interview est supposée porter sur la littérature. Le président cite dans ses premières amours littéraires Giono ( le retour à la terre pétainiste), Gide et les Nourritures terrestres ("l'inquiéteur" , celui qui se veut en permanence "disponible" - "disponible Nathanël") . On apprend que Proust, Céline ( un autre défenseur de l'émotion) viennent après, et Char. L'a-t il lu?  

On devrait - mais c'est un intellectuel qui le fait - conseiller au président la lecture de la Trahison des clercs plutôt que l'insipide Camus (à moins qu'il ne s'agisse dans l'interview de Jean Claude Camus, le manager de Johnny):
Le progrès des passions politiques en profondeur depuis un siècle me semble singulièrement remarquable pour les passions nationales. D’abord, du fait qu’elles sont éprouvées aujourd’hui par des masses, ces passions sont devenues bien plus purement passionnelles. Alors que le sentiment natio­nal, lorsqu’il n’était guère exercé que par des rois ou leurs ministres, consistait surtout dans l’attachement à un intérêt (convoitise de territoires, recherche d’avan­tages commerciaux, d’alliances profitables), on peut dire qu’aujourd’hui, éprouvé (du moins continûment) par des âmes populaires, il consiste, pour sa plus grande part, dans l’exercice d’un orgueil. Tout le monde conviendra que la passion nationale, chez le citoyen mo­derne, est bien moins faite de l’embrassement des intérêts de sa nation — intérêts qu’il discerne mal, dont la perception exige une information qu’il n’a pas, qu’il n’essaye pas d’avoir (on sait son indifférence aux questions de politique extérieure) — qu’elle n’est faite de la fierté qu’il a d’elle, de sa volonté de se sentir en elle, de réagir aux honneurs et aux injures qu’il croit lui être faits. Sans doute il veut que sa nation acquière des territoires, qu’elle soit prospère, qu’elle ait de puissants alliés ; mais il le veut bien moins pour les fruits matériels qu’elle en recueillera (que sent-il personnellement de ces fruits ?) que pour la gloire qu’elle en tirera. Le sentiment national, en devenant populaire, est devenu surtout l’orgueil national, la susceptibilité nationale. Combien il est devenu par là plus purement passionnel, plus parfaitement irrationnel et donc plus fort, il suffit pour le mesurer de songer au chauvinisme, forme du patriotisme proprement inventée par les démocraties. Que d’ailleurs, et contrairement à l’opinion commune, l’orgueil soit une passion plus forte que l’intérêt, on s’en convainc si l’on observe combien les hommes se font couramment tuer pour une blessure à leur orgueil, peu pour une atteinte à leurs intérêts.


et du Discours à la nation européeenne 

Cette résolution d’élever les œuvres de l’Intel­ligence au‑dessus de celles de la sensibilité, je ne la vois guère chez les éducateurs actuels de l’Europe, fussent‑ils les moins acquis aux passions particula­ristes, les plus soucieux d’unir les peuples. Ce que je vois chez presque tous, c’est, au contraire, le désir d’humilier l’Intelligence dans sa prétention à l’uni­versel, de l’identifier à la scolarité ; d’honorer la sensibilité dans ce qu’elle a de plus personnel, de plus inexprimable, de plus intransmissible, de plus antisocial ; d’en faire le mode suprême de la connaissance, voire de la connaissance « scienti­fique , en équivoquant sur ce mot.


mardi 1 août 2017

Le théorème de Hobbes

Cet article m'a été commandé par Atlantico . On n'a pas jugé bon de le publier.




     Il n’est pas très difficile d’imaginer dans un avenir pas si lointain un monde dans lequel la presse et les media traditionnels auraient totalement disparu et où l’information serait véhiculée uniquement par les réseaux sociaux, dominés par quelques grandes compagnies. L’enseignement serait effectué uniquement par ordinateur, sur des MOOCS, et il n’y aurait pas de problème de sélection à l’entrée de l’université car tout le monde aurait le droit de s’inscrire (la valeur des diplômes ainsi obtenus serait une autre affaire). Les gouvernements et les agences étatiques ne communiqueraient plus que par réseaux sociaux, de même que les groupes d’opposition. Il n’y aurait plus de manifestations dans les rues, mais des sorties massives d’opinions sur twitter, et l'on voterait électroniquement. Les armes conventionnelles auraient quasiment disparu et les guerres seraient essentiellement des guerres d’information, où la propagande et la désinformation joueraient un rôle aussi important que les armées conventionnelles, qui disparaîtraient peu à peu au profit de cyber-attaques des ordinateurs ennemis. La propagation de fausses nouvelles, les escroqueries informationnelles et les entreprises de déstabilisation par dispersion de rumeurs joueraient tel rôle que chaque utilisateur d’internet devrait se munir de logiciels détecteurs de fake news et que toutes les organisations devraient avoir des bureaux et des équipes dédiées exclusivement à la traque de ces fausses informations. Au bout d’un temps, les humains seraient submergés, et les machines prendraient le pouvoir. A supposer que les promoteurs de mensonges et de faussetés se répandent au point de devenir majoritaires dans la population, le citoyen lambda n’aurait plus aucun moyen de discerner le vrai du faux. Il n’irait plus au cinéma, ni ne commanderait de sushis ou de pizzas sur son portable, n’utiliserait plus son GPS ni son auto piratée, ni son compte en banque en ligne. Il n’oserait plus tweeter, de peur de recevoir des fake news.  Peut-être même n’oserait-il plus ouvrir son ordinateur. Sa vie se réduirait à son voisinage immédiat et à de rares communications orales empruntes de méfiance permanente. Il serait réduit à un état qui ne serait pas sans évoquer l’état de nature de guerre de tous contre tous  selon Thomas Hobbes dans le Léviathan

   Ce scenario est d’autant moins difficile à imaginer que c’est déjà en grande partie le nôtre. Si l’on en croit un récent et aussi passionnant qu’inquiétant rapport préliminaire ( working paper) du Centre d’études des medias de l’Université d’Oxford, « Troops, Trolls andTroublemakers: A Global Inventory of Organized Social Media Manipulation »  des cyber-troupes et des organisations gouvernementales, principalement dans les pays à régime autoritaires, mais aussi de plus en plus au sein des  démocraties, sont déjà actives depuis une dizaine d’années au moins pour répandre, via les réseaux sociaux, des fausses informations, à fin de déstabilisation de divers individus, groupes ou populations. Les révélations sur le rôle des  hackers russes dans l’élection de Trump, la manière dont ce dernier a usé des medias, le rôle de la NSA dans l’espionnage du gouvernement allemand, les rumeurs lancées contre Macron, le rôle joué par la Corée du Nord dans des fausses informations, l’usage des medias sociaux par Al Qaida et Daech, la guerre menée en Chine par internet interposé  nous ont rendus familiers avec ces cyber-guerres. Mais ce que l’on apprend dans le rapport d’Oxford est accablant. Il nous documente sur la variété des techniques utilisées  (trolling, faux comptes, harcèlement, hashtag poisoning dirigé contre les opposants, diffamations,  méthodes de lavage de cerveaux, production de discours de haine, et bien entendu hacking et diffusion massive de fake news), l’étendue de leur usage dans tous les pays du monde, l’implication des organisations gouvernementales, des partis, étendue du financement et des méthodes d’entrainement des cyber-troupes. Personne, après un tel rapport, ne peut ignorer que la guerre par internet est devenue non seulement une guerre d’autant plus réelle qu’elle est supposée être « virtuelle », qu’elle a ses armes, ses soldats, ses officiers, ses officines à peine secrètes, mais aussi ses contre-offensives et sa géopolitique globale. Personne ne peut ignorer, non plus comme le  notent les auteurs, Samantha Bradshaw et Paul Howard, que ces mêmes méthodes et guerres cybernétiques se déroulent au sein des démocraties occidentales, et en affectent de manière profonde le fonctionnement : les élections, les stratégies des groupes politiques, les financements des partis, les modes de scrutin, et l’opinion publique en sont profondément affectées et remodelées. Il n’y a pas qu’un seul Steve Bannon, mais de nombreux spin doctors du même genre partout, qui un jour où l’autre vont, comme ils l’ont fait aux Etats Unis, prendre le pouvoir.

     Les sceptiques répondront que nihil novi sub sole : qu’y a –t -il de nouveau, mise à part la sophistication technologique, par rapport aux entreprises de propagande, de bourrage de crâne et de désinformation du passé ? Les espions durant la première guerre mondiale, Goebbels et le KGB ont usé de telles méthodes, même si l’on frémit à l’usage qu’ils auraient pu faire d’internet et des réseaux sociaux à leur époque. Le journalisme et la publicité n’ont pas attendu internet pour user des bobards. Ce qui change cependant, ce sont les capacités technologiques, qui font que l’information ne se diffuse pas simplement exponentiellement. Desphysiciens ont montré que la diffusion de l’information sur internet obéit à des mécanismes semblables à ceux qui opèrent quand on pousse doucement du sable sur une surface plane : il s’amoncèlera jusqu’à ce qu’il atteigne un angle critique, et rien ne se passera, jusqu’à ce que soudain un grain de plus cause une avalanche.     Ces effets sont d’autant plus dangereux que les humains sont naturellement curieux et crédules : l’évolution nous a appris à enregistrer les informations sans les filtrer, et pratiquement tout notre savoir est devenu collectif, et se trouve sur internet. D’ici à peu de temps plus personne n’ira dans les bibliothèques et pratiquement tout le savoir sera du savoir googlé, c’est-à-dire du pseudo-savoir, puisqu’on a évalué pratiquement 40 % de ce qui est sur internet comme faux.


     A-t-on les moyens de résister ? Les sites de contrôle des fake news, la pédagogie de l’usage d’internet, le contre-espionnage informatique, et des techniques d’autodéfense existent et peuvent être apprises.  La guerre cybernétique comme toute guerre se joue sur de multiples fronts. Mais ce qui incite au pessimisme est aussi le fait que les gens semblent préparés à recevoir les fake news : la plupart des sites dits d’information sont basés sur le principe qu’il faut trouver ce qu’on y voit surprenant, divertissant et digne d’être tweeté aux friends. Nous avons une addiction pour l’information « intéressante » comme nous en avons une au sucre.  Les conditions même de la politique s’en trouvent profondément changées. Les campagnes électorales ne se font plus qu’en traquant les scandales supposés. Le rapport d’Oxford note qu’il existe des « banques » à informations compromettantes qu’on est prêt à ressortir en temps voulu contre telle ou telle cible. Les affaires des courriels d’Hillary Clinton, l’affaire Pénélope Fillon, les fausses rumeurs sur Macron, sont encore présents à notre mémoire. Cette technique de guerre politique n’est pas nouvelle, mais ce qui est nouveau est qu’elle semble à présent l’unique forme du combat politique. On est loin du « marché libre des idées » que prônaient les théoriciens classiques de la pensée libérale. Les seules armes de résistance sont l’éducation, l’exercice du jugement critique, la vigilance intellectuelle, le réapprentissage du savoir personnel contre le savoir googlé.  Mais on a quelquefois l’impression que ces mots ont aussi peu de sens que ceux de  vérité ou de faits, qui finissent par ne plus vouloir rien dire. Les historiens ont montré combien le peuple allemand s’est laissé séduire par les idées nazies, et Czesław Miłosz a montré, dans son grand livre La pensée captive (1964)(*) , combien le stalinisme avait réussi à faire accepter des contre-vérités évidentes à de grandes franges de la population, et surtout  comment les gens se construisaient un système complexe d'aveuglement volontaire et de résistance aux faits évidents. Nous croyons être revenus de telles époques. Mais en sommes-nous tellement loin ? Hobbes, toujours lui,  remarquait que si un jour le fait que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits menaçait la volonté de pouvoir et les intérêts de certains individus puissants, ils n’hésiteraient pas à essayer de cacher ou de jeter le soupçon sur cette vérité géométrique(*). Les fake news portent sur des vérités de fait, non sur des vérités de raison, comme celles des mathématiques. Mais il y a  fort à parier que la guerre cybernétique produira un jour des manuels de géométrie et d’arithmétique  conformes aux intérêts des belligérants. Il faudra alors réapprendre que deux et deux font quatre.

  Relisons, comme toujours, Russell ( Freedom of thought and official propaganda (1922) ) 

We may say that thought is free when it is exposed to free competition among beliefs — i.e., when all beliefs are able to state their case, and no legal or pecuniary advantages or disadvantages attach to beliefs. This is an ideal which, for various reasons, can never be fully attained. But it is possible to approach very much nearer to it than we do at present. 
(..) 

"William James used to preach the “will-to-believe.” For my part, I should wish to preach the “will-to-doubt.” None of our beliefs is quite true; all have at least a penumbra of vagueness and error. The methods of increasing the degrees of truth in our beliefs are well-known; they consist in hearing all sides, trying to ascertain all the relevant facts, controlling our own bias by discussion with people who have the opposite bias, and cultivating a readiness to discard any hypothesis which has proved inadequate. These methods are practiced in science, and have built up the body of scientific knowledge. Every man of science whose outlook is truly scientific is ready to admit that what passes for scientific knowledge at the moment is sure to require correction with the progress of discovery; nevertheless, it is near enough to the truth to serve for most practical purposes, though not for all. In science, where alone something approximating to genuine knowledge is to be found, men’s attitude is tentative and full of doubt. 
 (...) 

There are two quite different evils about propaganda as now practised. On the one hand, its appeal is generally to irrational causes of belief rather than to serious argument; on the other hand, it gives an unfair advantage to those who can obtain most publicity, whether through wealth or through power. For my part, I am inclined to think that too much fuss is sometimes made about the fact that propaganda appeals to emotion rather than reason. The line between emotion and reason is not so sharp as some people think. Moreover, a clever man could frame a sufficiently rational argument in favour of any position which has any chance of being adopted. There are always good arguments on both sides of any real issue. Definite misstatements of fact can be legitimately objected to but they are by no means necessary. The mere words “Pear’s Soap,” which affirm nothing, cause people to buy that article. If, wherever these words appear, they were replaced by the words “The Labour Party,” millions of people would be led to vote for the Labour party, although the advertisements had claimed no merit for it whatever. But if both sides in a controversy were confined by law to statements which a committee of eminent logicians considered relevant and valid, the main evil of propaganda, as at present conducted, would remain. Suppose, under such a law, two parties with an equally good case, one of whom had a million pounds to spend on propaganda, while the other had only a hundred thousand. It is obvious that the arguments in favour of the richer party would become more widely known than those in favour of the poorer party, and therefore the richer party would win. This situation is, of course, intensified when one party is the Government. In Russia the Government has an almost complete monopoly of propaganda, but that is not necessary. The advantages which it possesses over its opponents will generally be sufficient to give it the victory, unless it has an exceptionally bad case."

(*) remarquablement commenté par Kevin Mulligan 
(**) cité ar Hannah Arendt dans Vérité et politique (1964)