Pages

Affichage des articles dont le libellé est hellenica. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est hellenica. Afficher tous les articles

dimanche 18 novembre 2018

le golfe sardonique




 J'ai déjà ici commenté "Reusement" dans les Biffures de Leiris, où le poète se remémore les assonances de son enfance comme " Habillé en cour" . J'ai les miennes, de gloses, que je serre dans mon glossaire, par exemple quand, enfant j'entendais "cire humaine" quand on me parlait du cerumen que j'avais dans les oreilles. Ou quand j'entendais dans  "Fier comme Artaban" fier comme un bar tabac. Longtemps je suis allé au métro Montparnasse-Bienvenüe en croyant qu'on me souhaitait bienvenue à la gare Montparnasse. Aujourd'hui, quand j'entends parler de l'ethique du care, je crois entendre éthique du Caire.

        Ceci quand bien même, tardivement, j'ai rejeté, bendesquement, cette esthétique surréaliste qui veut voir dans les jeux de mots l'essence du langage. Leiris, Queneau voulurent l'un renouer avec l'histoire des mots de leur ontogénie, l'autre avec ceux du peuple. Cela me frappait fort, quand j'étais pataphysicien, et je crois que je n'ai jamais aimé Breton à cause de son langage châtié ( j'avais tort, car je pense qu'il adoptait ce ton non pas, comme je le croyais, par orgueil et style hautain, mais parce qu'il voulait, en adoptant le langage même de la littérature à laquelle il s'opposait, faire surgir les contrastes magiques qu'il espérait fixer dans la vie). J'ai plus tard compris que Marcel Duhamel, avec les titres de la série noire, faisait exactement la même chose que Leiris, et bien entendu Prévert et Vian.




Ainsi, passant récemment devant la Rue de la Rosière, dans le quinzième arrondissement, pourtant rue très quelconque et mocharde vers la place du Commerce, je pensai immédiatement au choix que fit Duhamel  de traduire The little sister  de Chandler par Fais pas ta rosière.  Quel rapport entre le personnage du roman, les starlettes de Hollywood, et le titre de Duhamel? Chandler, comme le notait François Forestier au moment de la retraduction du livre,  ne comprenait pas : "On définit "rosière" comme une jeune fille à qui l'on décernait une guirlande de roses et une petite dot pour la récompenser de sa vertueuse conduite. Son emploi ici me laisse pantois.» Mais Duhamel, et les traducteurs de la série noire des années 50 (comme Henri Robillot , qui était provéditeur du Collège, et Jeanne Hérisson) avaient leur logique, qui venait tout droit du surréalisme et de la pataphysique: ils pensaient tout de suite à transposer le Hollywood des années 40 dans le Paris et sa banlieue des années 50, mais aussi utilisaient leurs souvenirs littéraires. Quand nous parlons de rosières, nous pensons immédiatement à Maupassant, Le rosier de madame Husson, dont fut tiré le film de Jean Boyer, devenu célèbre par la composition de Bourvil dans le rôle d'Isidore ( il y a une version de 1932, avec Fernandel). Dans toute cette histoire, il est question de vertu. On se prend en effet à essayer d'imaginer ce que cela pourrait vouloir dire aujourd'hui. Est-ce que le rosier de nos jours ne serait pas un jeune homme qui professe son féminisme, et Madame Husson une disciple de Judith Butler? Evidemment qui dit Isidore dit Ducasse. Le coq à l'âne continue quand on apprend que le CNRS a appelé Isidore son portail de recherche bibliographique.

    Alors pourquoi, quand il m'est arrivé de parcourir l'admirable Golfe Saronique, qui fait face à l'Attique, avec ses îles Salamine, Egine,bordé au Sud par Poros, Spetsès, Hydra, ai-je pensé à un golfe sardonique?


Democrite contemplant sardoniquement le Golfe saronique

      Selon Littré, "sardonique" renverrait à une moquerie méchante et amère, comme un plante qu'on trouve en Sardaigne: "Il a un ris sardonique, il rit à contre-cœur, ou il a un ris moqueur, ou un ris annonçant la malignité." Le rire sardonique est la contrepartie de la schadenfreude, emotion de joie maligne. C'est le ris amer, celui de Démocrite. L'essence même du commentaire, qu'on fait sur un blog, comme le notait Hilaire Putnam sur le sien, peu avant sa mort.


Qui remplacera jamais Sylvana Mangano ? Il est aisé de remplacer les mâles, Gassman, Raf Valone.
Mais qui nous rendra les grandes italiennes?









samedi 1 juillet 2017

sénilité solitaire


                                                                  Makronissos, l'ile Macron

       Je lis dans une gazette que Iorgos Zoitakis,  l'un des putschistes  du régime des colonels de 1967 et vice-roi de Grèce pendant la période, fut condamné puis gracié pour lui permettre de jouir d'une "sénilité solitaire". Sa maison devint plus tard un lupanar branché. Sans doute Zoitakis fut il interné un temps

                                                                Georgios  Zoitakis (à gauche)


dans l'île de Makronissos au sud d'Athènes, qui servit de camp de déportés pour les prisonniers politiques des colonels, tout comme le fut, une fois destitué , Papadopoulos. Cette île est, de fait, peu hospitalière, et y furent déportés quantité d'écrivains et poètes, comme Ritsos et Theodorakis.

                                                         camp à Makronissos


      La vie à Makronissos devait être tout sauf agréable. Mais qui n'a pas rêvé de jouir d'une sénilité solitaire?

"Les hommes qui ont vieilli dans le désordre pensent que quand l’heure sera venue ils pourront facilement renvoyer de jeunes grâces à leur destinée, comme on renvoie des esclaves. C’est une erreur. On ne se dégage pas à volonté des songes ; on se débat douloureusement contre un chaos où le ciel et l’enfer, la haine et l’amour se mêlent dans une confusion effroyable. Vieux voyageur alors, assis sur la borne du chemin, Rancé eût compté les étoiles en ne se fiant à aucune, attendant l’aurore, qui ne lui eut apporté que l’ennui du cœur et la difformité des jours. Aujourd’hui il n’y a plus rien de possible, car les chimères d’une existence active sont aussi démontrées que les chimères d’une existence désoccupée. Si le ciel eût mis au bras de Rancé les fantômes de sa jeunesse, il se fût tôt fatigué de marcher avec des Larves. Pour un homme comme lui il n’y avait que le froc ; le froc reçoit les confidences et les garde ; l’orgueil des années défend ensuite de trahir le secret, et la tombe le continue. Pour peu qu’on ait vécu, on a vu passer bien des morts emportant leurs illusions. Heureux celui dont la vie est tombée en fleurs ! élégances de l’expression d’un poète qui est femme." ( Vie de Rancé , Bossard, Paris, 1920, préface de Julien Benda)

                                                        

                                                                    Rancé

lundi 6 juillet 2015

Euclide au pouvoir



"Défendant la même ligne que son prédécesseur", Les journaux

Les choses qui se conviennent mutuellement sont égales entre elles

On appelle limite ce qui est l’extrémité de quelque chose

Si à des grandeurs inégales, on ajoute des grandeurs égales, les touts seront inégaux
Le tout est plus grand que la partie.
Deux droites ne renferment point un espace
Les droites qui sont parallèles à une même droite sont parallèles entre elles.
Les triangles construits sur des bases égales et entre les mêmes parallèles sont égaux entre eux
Les parallèles sont des droites qui, étant placées sur un même plan, et qui étant prolongées de part et d'autre à l'infini, ne se rencontrent nulle part
 

jeudi 2 juillet 2015

Alcibiade et le référendum






        Plutarque, dans sa vie d'Alcibiade, raconte que ce dernier "Voulant rencontrer Périclès, se présenta chez lui, mais on lui  dit qu'il était occupé, parce qu'il examinait comment il allait rendre ses comptes aux Athéniens. Alors Alcibiade , en s'en allant : " Ne ferait il pas mieux d'examiner comment ne pas les rendre ?"

jeudi 18 juin 2015

Mais oui, les Grecs sont des Byzantins


                                                                Byzance

Parmi le flot des commentaires provoqués par la menace du Grexit, l'article de Berthold Seewald dans Die Welt a fait un hit.

    L'auteur y déclare :

"Die Vorstellung, dass es sich bei den Griechen der Neuzeit um Nachfahren eines Perikles oder Sokrates handeln würde und nicht um eine Mischung aus Slawen, Byzantinern und Albanern, wurde für das gebildete Europa zu einem Glaubenssatz. Dem konnten sich auch die Architekten der EU nicht entziehen. In seinem Sinne holten sie das schon 1980 klamme Griechenland ins europäische Boot. Die Folgen sind täglich zu bestaunen." 

    Ce Blog, qui traite par Benda interposé les Français eux-mêmes de Byzantins, ne pouvait pas rester à l'écart de telles accusations. Mr Seewald serait bien inspiré de lire Benda : cela lui permettrait de traiter les clercs français eux aussi de Byzantins. Non seulement le journaliste allemand, tout obsédé par sa thèse raciale absurde (les Anciens Grecs n'étaient pas une race pure), oublie que le byzantinisme ne désigne pas , comme il le croit, un ramassis ou une mixture (Mischung) de peuplades post-hélléniques, mais l'une des plus grandes civilisations de l'humanité, qui résista malgré tout plus de mille ans aux invasions des Ostrogoths. Mais pas à celle des Ottomans: quand on va à Istanbul, il ne reste plus rien de Constantinople.

     Certes  Gibbon passa un jugement sans appel sur Byzance qui selon lui presents a dead uniformity of abject vices, which are neither softened by the weakness of humanity nor animated by the vigor of memorable crimes". Et le byzantinisme désigne l'esprit compliqué , sophistiqué, non sans rapport avec l'alexandrinisme que fustigeait Benda. Mais on a montré que ces jugements étaient faux. Une civilisation occupée d'icônes et de sexe des anges ne peut pas être celle d'une Mischung de métèques. L’avis a changé sur Byzance , mais le journaliste du Welt ne s'en rend pas compte.  Et quand on dit "C'est Byzance" , c'est pour s'ébahir du luxe et de l'opulence. Alors les Grecs, surtout en ce moment, devraient plutôt être ravis du compliment. 

     De même que le Julien des Dialogues à Byzance était fier qu'on le compare à l'Apostat. 

Την εκκλησίαν αγαπώ — τα εξαπτέρυγά της,
τ’ ασήμια των σκευών, τα κηροπήγιά της,
τα φώτα, τες εικόνες της, τον άμβωνά της.

Εκεί σαν μπω, μες σ’ εκκλησία των Γραικών·
με των θυμιαμάτων της τες ευωδίες,
μες τες λειτουργικές φωνές και συμφωνίες,
τες μεγαλοπρεπείς των ιερέων παρουσίες
και κάθε των κινήσεως τον σοβαρό ρυθμό —
λαμπρότατοι μες στων αμφίων τον στολισμό —
ο νους μου πηαίνει σε τιμές μεγάλες της φυλής μας,
στον ένδοξό μας Βυζαντινισμό. 


I love the Church — her angel heads with wings,
her silver vessels, the high taper-stands,
the lights, the pulpit, the grave images.
 
There — in one of the churches of the Greeks —
the atmosphere of fragrant incenses,
the measured voice liturgical that speaks,
and the liturgical voice symphonies;
the stately priests serving with solemn ease,
the gravely rhythmic movement of their hands,
the splendour of their vestments; all the things
inherent to the venerable place;
carry my thought to that imperialism —
to those great honours that befell our race
in its illustrious Byzantinism.

 Constantin Cavafy