jeudi 9 janvier 2014
La voiture éducative qui se conduit toute seule
un Mooc se conduisant tout seul à travers le cyberspace
De même que la bulle internet et autres bulles économiques, la bulle MOOC pourrait bien exploser comme la bulle immobilière dans la crise des subprimes. Sebastian Thrun , le fondateur de la plateforme Udacity, qui a plus ou moins démarré le mouvement des MOOCs dans la Silicon Valley il y a quelques années en lançant son cours d'intelligence artificielle suivi par 160 000 personnes de par le monde, et provoqué la soi-disant révolution que l'on sait, vient d'annoncer qu'il abandonne sa tentative d'éduquer en ligne toute la planète pour se lancer dans une entreprise plus modeste et d'autres aventures tout aussi business like.
Un article récent du journal de business technologique Fast Company , écrit dans le langage high tech et cool qui sied au genre, nous annonce : “The man who started this revolution no longer believes the hype”. La raison de son raccrochage, nous explique-t-on, est qu'il s'est rendu compte que ses MOOCs ne marchaient pas:
"As Thrun was being praised ... for having attracted a stunning number of students--1.6 million to date--he was obsessing over a data point that was rarely mentioned in the breathless accounts about the power of new forms of free online education: the shockingly low number of students who actually finish the classes, which is fewer than 10%. Not all of those people received a passing grade, either, meaning that for every 100 pupils who enrolled in a free course, something like five actually learned the topic. If this was an education revolution, it was a disturbingly uneven one.
Dans un cours de maths à San José State University, seulement 25% des étudiants réussissaient le programme, et un étudiant prenant le cours d'algèbre de la manière "normale" avait 52% de chances de plus de réussir. Il payait 150 $ pour suivre le MOOC, soit trois fois moins que la "tuition" normale, mais avec des chances de succès divisées par 4.
Pour toute personne sceptique quant aux capacités des MOOCs à obtenir réellement l'équivalent d'une éducation en "présentiel", ces résultats n'ont rien d'anormal. Le fondateur d'Udacity expliqua alors qu' en fait cet échec venait du fait que les étudiants de San José State venaient de "milieux défavorisés" : autrement dit les MOOCs marchent mieux sur les riches que sur les pauvres. Adieu veaux, vaches, cochons, couvées !
Echec éducatif, et surtout échec financier, conduisirent, nous dit-on, le fondateur d'Udacity, vanté sur tous les medias comme "l'entrepreneur" ( un mot que, paraît-il, les Français n'ont pas) de la décennie, à changer de cap, et à se détourner de leur grand rêve d'un MOOC Global et à prendre des partenariats plus modestes avec Georgia Tech University. Qu'on se rassure, le profit sera toujours là, mais à plus petite échelle que les milliards de dollars promis, car l'idéal de l'online education gratuite a vécu, et on fait à présent payer les mouqués pour des interactions avec les professeurs:
"It's a bold program, partly because it is the first accredited degree to be offered by a provider of massive open online courses, but also because of how it's structured. Georgia Tech professors will teach the courses and handle admissions and accreditation, and students will get a Georgia Tech diploma when they're done, but Udacity will host the course material. Thrun expects the partnership to generate $1.3 million by the end of its first year. The sum will be divided 60-40 between the university and Udacity, respectively, giving the startup its single largest revenue source to date."
Non seulement cette orientation était prévisible - there is no free lunch - mais l'échec de la tentative initiale de masse l'était. ce qui est sidérant est le fait que ces entrepreneurs de plateformes éducatives sur MOOCs aient pu avoir l'illusion qu'ils allaient donner le même enseignement qu'à Harvard ou Stanford en ligne à la terre entière sans utiliser le moindre professeur ancienne manière. Avec une ingénuité touchante, le journaliste rapporte:
"Still, I couldn't help but feel as if Thrun's revised vision for Udacity was quite a comedown from the educational Wonderland he had talked about when he launched the company. Learning, after all, is about more than some concrete set of vocational skills. It is about thinking critically and asking questions, about finding ways to see the world from different points of view rather than one's own. These, I point out, are not skills easily acquired by YouTube video."
Mais la chose la plus étonnante que l'on apprend en lisant cet article est que le même Sebastian Thrun avait, avant de se lancer dans l'entreprise MOOC, mené des travaux d'IA avec Google en vue de faire la voiture qui se conduit toute seule :
"Thrun and his team originally planned to spin their research out into their own company that would create detailed images of the world's roads, using car-mounted cameras like the ones used to steer Stanley. Page offered to hire them instead. The collaboration helped lay the groundwork for Google Street View, and eventually for the fleet of self-driving Google-branded Priuses that these days navigate rush-hour traffic on Bay Area freeways without incident."
L'idéal des premiers fondateurs de compagnies MOOCs s'éclaire : ils voulaient créer l'enseignement qui se conduit tout seul , comme on avait crée l'aspirateur qui aspire sans vous, ou le four qui s'auto- nettoie. Ils imaginaient que l'enseignement se pilote comme une machine, comme Prévert parlait de la machine à écrire des lettres d'amour! Que leurs MOOCs allaient atteindre tous les cerveaux comme la voiture qui se pilote toute seule traverse la Bay Area juste avec un programme de Google maps!
Une telle naïveté autoroutière et intellectuelle ne sera confondante que pour ceux qui n'ont pas été familiarisés avec les rêves de grandeur technologiques qui inspirèrent les premiers pas de l'IA jadis.
Mais surtout, cette naïveté éclaire aussi la conception que ces gens ont de l'éducation. Comme le dit Roberto Casati ( qui ma signalé cet article de Fast Company) dans son remarquable livre contre le colonialisme numérique ( Albin Michel 2012) dont j'ai parlé ailleurs, ceux qui veulent vendre des livres sur internet veulent vendre le même livre à toute la planète. De même eux qui promeuvent les MOOCS mondiaux veulent que toute la planète suive le même cours, si possible produit dans leurs studios, exactement comme ceux d'Hollywood veulent faire le film que la planète entière verra. Il commence à leur apparaître lentement que l'éducation, ce n'est pas çà.... Mais entretemps ils nous auront bassinés avec leurs rêves de cyber-Pérettes au pot au lait.
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