Pages

lundi 16 juillet 2018

Nihil appetimus nisi sub ratione boni





nihil appetimus
nisi sub ratione boni

nihil aversamus
nisi sub ratione mali











Mathieu 20, 1-16
Hic erunt novissimi primi, et primi novissimi. Multi enim sunt vocati, pauci vero electi.

mercredi 11 juillet 2018

Encaustique



      Tous les printemps ma grand-mère entreprenait  de "passer l'encaustique". Je ne savais pas au début ce que c'était, mais je compris vite à l'odeur infecte du produit qu'elle répandait partout, sur les meubles, les planchers, les plinthes, les fenêtres de quoi il s'agissait. La puanteur de cette cire s'imprégnait partout, pour plusieurs jours. A l'époque, ce n'était pas de la cire d'abeille, et cela dégageait une odeur âcre, suffocante. Cette petite femme énergique passait vigoureusement la cire sur le plancher, à genoux malgré ses quatre vingt ans (son minuscule appartement était au dernier étage de ce qui avait jadis été sa maison, vendue à un médecin orléanais, et elle montait les escaliers trois fois par jour). Son idéal n'était pas que les meubles reluisent mais qu'ils soient propres, ce qui ne servait à rien car ils étaient couverts d'une épaisse couche de crasse accumulée. Le terme "encaustique" allait pour moi de pair avec "astiquer". Aujourd'hui quand j'entends le terme "caustique", je ne peux m'empêcher de penser à ces séances d'encaustiquage.Il y bien un lien entre Ἐγϰαυστιϰὴ, qui était la peinture à l'encaustique chez les Grecs, et Causticus, de ϰαυστιϰὸς, de ϰαίειν, brûler, qui est l'étymologie de "caustique", "Qui brûle, qui corrode" , et au sens figuré  , "qui brûle" , "qui mord" . Emile Littré nous dit : "Avoir l'esprit caustique, c'est appliquer une espèce de fer chaud sur ce qui est dit ou fait ; on peut être caustique sans avoir l'esprit satirique ; avoir l'esprit mordant, c'est enfoncer les dents et s'acharner. Le caustique effleure la peau ; le mordant y pénètre ; on peut donc être caustique sans être mordant" .

     Etre caustique c'est astiquer, polir passer de la brosse à reluire, tout en mordillant. Le modèle de l'esprit caustique, pour moi, c'est l'Anglais cultivé, qui, comme le dit Georges Sanders , pour qui "it is a continual source of amazement and irritation that the rest of mankind does not consist of other Englismen" ( Memoirs of a professional Cad, traduit en français sous le titre Mémoires d'une fripouille, PUF)



Sanders lui même est le modèle hollywoodien de l' anglais ,bien qu'il fût né à Saint Pétersbourg. Il a laissé dans tous ses films, dont les plus célèbres sont All about Eve, The Ghost and Mrs Muir, Rebecca , Moonfleet , Pandora , la marque de sa morgue, de sa causticité. Le caustique ,Littré a raison, n'en veut pas nécessairement aux autres, et ses piques et rictus ne reviennent pas au mépris, mais à une ironie légère, distante, mais qui peut mordre. Sanders joue en général des rôles d'aimables crapules, espions, mondains, séducteurs mais souvent malheureux. Son attitude est celle du cynique.

   L'un de mes amis ayant qualifié mes textes de philosophie de "dialectiquement caustiques", cela m'a semblé assez juste. Mais je me suis demandé ce que cela voulait dire.  Peut être pensait-il à mon penchant pour la satire, l'ironie. Peut-être cela veut-il dire que je manifeste dans mes essais, après avoir exposé avec sérieux et , je l'espère,  honnêteté, les vues que j'entends critiquer, je les dépose de manière quelquefois elliptique, par une petite griffure. Bien que je me sois prétendu analytique, aie souhaité l'être, je n'y parviens pas vraiment. Cela m'ennuie de
proposer des arguments en forme, comme dans les articles anglophones, avec prémisses et conclusions, en définissant tout. Je préfère mettre une série de touches, et congédier par une petite pirouette. Le caustique n'aime pas s'étaler. Il préfère l'article concis au gros livre. C'est pourquoi,en France, il est destiné à ne pas être compris, et à être méprisé pour ne pas vraiment jouer le jeu. Il est , comme Sanders, fatigué, épuisé. Il fera ce qu'il fait encore une fois, comme Lord Ashwood dans Moonfleet, mais pas deux.