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dimanche 16 janvier 2022

RENE POMMIER ET HENRI MONNIER

 

      On ne lit plus trop Les mémoires de Joseph Prudhomme d'Henri Monnier (1857) bien que le personnage soit resté dans la langue sous la forme de l'adjectif prudhommesque.  Pourtant Monnier est l'un de ceux qui ont élevé la tautologie à la hauteur de l'un des Beaux Arts. Monsieur Prudhomme est un bourgeois louisphilippard, inspiré par des personnages de Balzac, qui est devenu un type, et qui s'est réincarné  diversement chez Flaubert en Homais , en Bouvard, ou dans la voix universelle de la bêtise qui parle à travers le Dictionnaire des idées reçues ( les rapprochements entre Monnier et Flaubert sont nombreux, voir Douchin ,L'influence des publications populaires sur l'oeuvre de Flaubert). Verlaine l'a immortalisé : 

Il est grave : il est maire et père de famille.
Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux
Dans un rêve sans fin flottent insoucieux,
Et le printemps en fleur sur ses pantoufles brille

 On le retrouve aussi chez le Monsieur Fenouillard de Christophe, et peut être aujourd'hui dans le beauf de Cabu. C'est un type éternel, qui traverse les époques, et se réincarne chez Labiche, Feydeau, Alphonse Allais, Anatole France, Bloy, Jarry, Proust, entre autres. Des hommes politiques comme le Maréchal Mac Mahon l'ont incarné ("Que d'eau, que d'eau !" voir ici même) Le modèle contemporain pourrait, entre autres, en être celui du philosophe médiatique et bombastique, genre Michel Onfray, qui a un avis sur tout et prétend reconstruire le monde à partir des plateaux télé. 

   Suffisant, plein d'auto-satisfaction, Joseph Prudhomme est maître en formules ronflantes et absurdes comme "Le char de l'Etat navigue sur un volcan" ou "  Ce sabre est le plus beau jour de ma vie » et en tautologiques absurdes comme:

"Une erreur peut être vraie ou fausse selon que celui qui l'a commise s'est trompé ou non" 

"Ce sont ceux qui auraient le plus besoin d'argent qui en ont le moins"  

"Otez l'homme de la société et vous l'isolez" 

« C’est l’ambition qui perd les hommes. Si Napoléon était resté officier d’artillerie, il serait encore sur le trône. »

et on lui a attribué la fameuse formule d'Allais sur les villes qu'on devrait reconstruire à la campagne.

Flaubert a particulièrement épinglé la tautologie comme essence de la bêtise. Alain Roger, dans son grand livre Bréviaire de la bêtise l'a analysée, de même que Clément Rosset (Le démon de la tautologie, Minuit 1997). Je n'y reviendrai pas.

      René Pommier, dont il a déjà été question ici  et ailleurs n 'a rien d'un Henri Monnier,même si souvent ses accents polémiques ont quelque chose de flaubertien. Dans son dernier livre, Brocards (Kimè 2022),

 il use aussi de la tautologie , d'une manière que l'on peut appeler assassine. Ses cibles ne sont pas les bourgeois, mais les curés, les imams et tous les intellectuels que l'on a canonisés dans les journaux français depuis des décennies, comme Barthes, Freud, Girard, Dolto. Pommier pratique l'assassinat tautologique, et l'élève, sur le modèle de de Quincey, à l'un des beaux arts.  Ses brocards sont des aphorismes , des calembours et des notules piquantes, et contiennent un florilège de ses lectures, dans lesquelles il relève les absurdités et les tautologies des contemporains, mais le plus souvent sa méthode vise à extraire la tautologie implicite et absurde dans un raisonnement. Exemples:

"Le texte littéraire est produit pour être reçu et écouté à distance du lieu où il a été produit" (George Molinié et Alain Viala , Aproches de la réception, sémiostylistique et socio-poétique de Le Clézio, PUF 1993. .. Nous voilà tout à fait rassurés. Pour comprendre le dernier paragraphe des Mémoires d'outre tombe, il n'était pas nécessaire de se trouver le 16 novembre 1841 à six heures du matin au 120 de la rue du bac, dans la chambre où Chateaubriand était en train d'écrire les dernières lignes de son grand chef d'oeuvre."

"Ce n'est pas par une sociologie de la lecture qu'on arrivera à savoir ce qu'est la lecture au niveau du texte", déclare doctement Roland Barthes dans ses Entretiens avec Georges Charbonnier. Assurément, mais cela n'a aucune importance, puisque tout le monde le sait déjà."

Après un long commentaire de la Genèse en vue de chercher les raisons de la préférence de Yavé pour Abel , en discutant notamment les explications de Bossuet, Pommier conclut : "Si l'on s'en tient à ce que dit la Bible, la seule raison de la préférence que Dieu manifeste pour Abel est qu'il préfère la viande aux fruits et aux légumes, et comme les dieux de l'Olympe n'aime rien tant que l'odeur de la viande grillée"

 Remarquant qu'un philosophe pédant ( Comte Sponville) ou un critique comme Barthes éprouvent le besoin , en parlant de la religion comme d'une illusion d'ajouter "au sens de Freud" ou de parler de "transformation au sens de Condillac" , Pommier suggère que ce mal atteindra bientôt les medias et qu'une présentatrice météo finira par dire : "Il est tombé beaucoup d'eau, au sens que Mac Mahon donne à ce mot".

Rappelons que Mac Mahon est  également l'auteur du mot fameux : " J'y suis, j'y reste". 

Pommier a l'humour potache. Il pose sous toutes les fesses des coussins péteurs et glisse dans tous les sermons de toutes les églises des boules puantes. Il pratique avec talent ce que Swift appelait "trifle", la bagatelle, et ce que la tradition appelle l'épigramme.



PS dans ce billet on retrouvera qu'il y a un peu trop de références à moi-même et à ce blog. Se répéter un penchant prudhommesque, et signe de vieillesse.

4 commentaires:

  1. DjileyDjoon@orange.fr17 janvier 2022 à 11:46

    L'immense François Ponsard affirmait que lorsque les bornes sont passées, il n'y a plus de limites. On a attribué l'aphorisme à presque tous les humoristes. Or, on ne voit jamais le sens kantien qu'il pourrait avoir, si on choisissait d'ignorer les problèmes de traduction en philosophie.

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  2. Se répéter […] signe de vieillesse.

    Tant que l'on s'en souvient, cela va encore. Après, quelle importance ?

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  3. Je dirais de Pommier que s'il n'existait pas il faudrait l'inventer, mais il n'appréciera qu'à moitié la référence...

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  4. En fait il ne se réinvente pas beaucoup, car il fustige souvent les mêmes. Mais ce n'est pas sa faute. C'est la bêtise qui se réinvente sans cesse. Elle aime
    l'innovation, comme ceux qui nous gouvernent.

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