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jeudi 17 février 2022

L'art de la dissertation

Goscinny-Uderzo Oumpah-Pah(1958)

       Le père Tout-à-tous désirait enseigner à l'Ingénu l'art de la dissertation de philosophie. "C'est un art, lui dit-il, qui te servira, pour peu que tu saches le bien manier, ta vie durant, et qui te vaudra le succès auprès des dames et la jalousie des messieurs." Le Huron lui demanda quelle était cet art merveilleux, et comment l'acquérir pour plaire à Mademoiselle de Saint Yves. "C'est l'art, lui dit Tout-à-tous, de parler philosophiquement de n'importe quoi. Les bons élèves des classes supérieures de nos écoles y parviennent aisément, pourvu qu'ils aient quelque vernis des doctrines philosophiques du passé et puissent citer à propos quelques maximes, de préférence en latin,, qu'ils sachent un peu de rhétorique et faire un plan en trois parties (thèse, antithèse, synthèse), qu'ils s'expriment correctement en français, et qu'ils puissent donner l'allure de la profondeur même aux choses les plus plates du quotidien." Mais même des choses en apparence aussi simples dans la bouche du jésuite paraissaient à l'Ingénu inintelligibles. Il demanda d'abord ce que c'était qu'une doctrine philosophique. Tout-à-tous lui répondit que c'était une réponse cohérente aux grandes questions que tout un chacun se pose sur la nature de l'univers, sur ses causes et ses lois, et sur la volonté du Créateur qui a voulu que les choses soient ainsi. "Mais si le Créateur a voulu que les choses soient ainsi, dit l'Ingénu, pourquoi devrait-on s'interroger sur ses raisons?" — "Bravo!, s'exclama Tout-à-tous, en disant cela tu as fait de la philosophie." L'Ingénu s'étonna d'être aussi philosophe, sans même avoir appris les rudiments de la philosophie. "C'est que la philosophie commence là où l'on s'étonne", lui dit le jésuite. "Alors, lui dit l'Ingénu, j'en ai plus que quiconque parmi vous." Le Huron demanda ensuite ce qu'était une maxime en latin. Tout-à-tous lui en proposa une: Nihil appetimus nisi sub ratione boni, nihil aversamus nisi sub ratione mali. "Cela veut dire que tout ce que l'on désire est bon pour nous, et que tout ce que l'on fuit est mauvais pour nous. "Voilà une maxime avec laquelle je m'accorde pleinement, dit l'Ingénu. "Mais n'arrive-t-il pas que tu désires quelque chose de mal, et que tu fuies quelque chose de bien?" lui rétorqua le bon père. "Ah! oui! par exemple j'ai désiré Mademoiselle de Saint Yves, mais on m'a dit que c'était mal. Alors je ne comprends plus la maxime. "Eh bien, le fait que tu ne comprennes pas est encore un signe de ce que tu es philosophe. La philosophie est l'art de .proposer sa perplexité, et de la mettre élégamment en forme. Mais tu dois noter la différence entre être bon (ou mal) pour nous ou relativement et être bon en soi ou absolument. La maxime nous enjoint de réfléchir sur cette différence." L'Ingénu fut encore plus perplexe de se trouver aussi philosophe, et il confessa ne pas voir la différence: ce qui lui semblait bon pour lui devait bien être bon en soi, puisqu'il le sentait du fond de son coeur. Quand il voyait quelqu'un attaquer sa bien-aimée, et qu'il se précipitait pour la défendre, ne faisait-il pas ce qui est bien en soi en même temps que ce qui est bien pour lui ? Il demanda ensuite ce que c'était que citer un philosophe, et comment il pouvait y parvenir, n'en ayant point lu. "Inutile de les lire tous, lui répondit le jésuite. Il suffit d'abord de lire les bons, ceux qui sont au programme, comme Platon, Aristote, les Pères de l'Eglise, et quelques médiévaux, comme St Thomas d'Aquin. A vrai dire, point n'est besoin de lire même ceux-là. Les manuels qui résument leurs doctrines suffisent." Et il désigna derrière lui les rayonnages de la bibliothèque, où s'étalaient de gros in quarto. Cette réponse troubla fort l'Ingénu, mais il tut ses doutes, car il ne voulait pas offusquer son maître. Il demanda ce qu'était la thèse, l'antithèse et la synthèse. "La thèse, lui dit le jésuite, c'est ce que l'on propose au premier chef, par exemple que Dieu est tout puissant. L'antithèse est ce qu'on oppose à la thèse, par exemple qu'il y a du mal dans le monde. La synthèse est ce qui permet de concilier les deux, par exemple que Dieu n'est pas responsable du mal dans le monde, mais l'homme qui est pécheur et a le libre arbitre. "Je vois bien la thèse et l'antithèse, répondit l'Ingénu, mais je ne comprends rien à la synthèse. Car si c'est Dieu qui a créé l'homme pécheur, il doit bien avoir aussi créé le mal, puisqu'il a créé sa source." Tout-à-tous s'empourpra, le menaçant d'hérésie. "C'est une vérité de la foi, de celles dont on ne doit point douter." L'Ingénu éprouva autant de difficulté à se sentir hérétique qu'il en avait éprouvé tout à l'heure à se sentir philosophe. Mais comme il voyait bien, tout en ignorant le sens de ces dénominations, qu'il valait mieux se ranger sous la seconde que sous la première, il se tut à nouveau. Il demanda enfin ce que c'était que donner de la profondeur même aux choses les plus plates du quotidien. Comment, s'étonnait-il, pourrais-je donner de la profondeur à ce verre d'eau ou à ces brins d'herbe? "Rien de plus aisé, lui dit Tout-à-tous; il suffit d'être phénoménologue. La phénoménologie, comme son nom l'indique, est la science des phénomènes. Un phénomène est ce qui apparaît, en particulier dans la perception. Ce verre d'eau t'apparaît, n'est-ce pas?" L'Ingénu en convint, bien qu'il eût préféré dire plus simplement qu'il voyait ce verre d'eau. "Eh! bien!, lui dit le jésuite, cet apparaître du verre d'eau a un être, qui est son apparition. Et cet apparaître est aussi l'apparaître de ce qui ne t'apparaît pas, comme le verre d'eau vu sous sous un autre angle, l'angle sous lequel tu ne le vois pas. Donc l'être de l'apparaître de ce verre d'eau est aussi l'être de ce qui n'apparaît pas. Dans tout apparaître, il y a donc un apparaître de ce qui n'apparaît pas, et qui se donne à nous comme ce qu'il n'est pas. Ainsi il y a des êtres dont l'être est de n'être pas. Parménide est réfuté." L'Ingénu en fut tout éberlué, et se demanda qui était ce Parménide qui subissait un si mauvais sort. "Voilà comment on donne de la profondeur aux choses les plus banales, lui rétorqua Tout-à- tous. Tu peux essayer avec les brins d'herbe. Mais il n'y a pas que la phénoménologie qui peut faire de tels exploits . La philosophie analytique a aussi ce pouvoir. Tu as deux mains, n'est-ce pas? L'ingénu enconvint.— "Mais les sceptiques soutiennent que nous ne savons pas si nous avons deux mains?" L'Ingénu ignorait qui sont ces gens qui croient des choses absurdes, mais elles lui parurent si absurdes qu'il déclara tout de go qu'ils devaient avoir tort. "Parfait, dit Tout-à-tous! En effet il est absurde dire que l'on ne sait pas si l'on a deux mains, parce qu'il est absurde dire même qu'on le sait.. Donc les sceptiques disent un non-sens. Tu as deux mains (Tout-à-tous montra les siennes).— Eh bien alors, le monde extérieur existe, et le scepticisme est réfuté." L'ingénu ne se lassa pas de réfuter le scepticisme en tendant devant lui ses deux mains. Tout à tous lui dit aussi : "Et si tu pousses assez loin, tu pourras aussi atteindre l'ordinaire". L'Ingénu ne savait pas ce que c'était: "Eh bien, lui dit le jésuite, c'est le quotidien, le banal, la vie commune, celle que nous menons ici, avec Mademoiselle de Saint Yves. nous allons chercher l'eau à la fontaine, coupons nos miches, balayons le seuil, allons fagoter." L'Ingénu était aux anges: la philosophie venait à lui sans qu'il eût à faire d'effort: il suffisait d'observer autour de soi, de laisser parler les choses. L'Ingénu redoubla d'intérêt pour les miches.

      Il trouva l'art de la dissertation merveilleux, et il se mit à disserter à tout va. Il lut, d'abord en manuel, puis dans le texte, les philosophes Grecs, les Pères de l'Eglise, l'Aquinate, puis les classiques, Descartes, Leibniz et Spinoza. De là il passa aux empiristes, puis à Kant et aux idéalistes allemands. On lui conseilla les positivistes, puis les néo-kantiens (mais aussi de ne pas trop en abuser), et il les lut sans broncher. Après chaque lecture, il s'entraînait à faire des antithèses à partir de leurs thèses, et il ne manquait jamais de trouver la synthèse. Il aimait par dessus-tout disserter devant Mademoiselle de Saint Yves, et il lui montrait comment tirer bien des choses des banalités du quotidien. Il lui montra ses deux mains, et bien d'autres choses encore. Elle se risquait à lui présenter la thèse, et lui l'antithèse. Alors il trouvait aisément avec elle les voies de la synthèse, et elle les goûtait fort. Constatant ses progrès, le jésuite, qui était, comme tous les membres de sa compagnie, fort tolérant et même curieux à l'égard des idées nouvelles, lui fit lire Nietzsche, Marx, Freud, et même Wittgenstein. Le Huron s'entraîna cette fois à soupçonner tout, et la vérité elle-même. Avec Heidegger et Carnap il apprit même que la métaphysique était parvenue à sa fin. Tout-à-tous lui dit que cela ne l'empêchait pas de continuer à disserter, et il eut la surprise de constater que c'était le cas. Avec le R.P. Rorty il se livra à l'art désabusé de la conversation entre les grands penseurs.  Il obtint ainsi brillamment le Capes, puis l'Agrégation de philosophie. I1 s'apprêtait à faire une thèse à l'Université (sur l'espace chez Malebranche et l'espace logique chez Wittgenstein), quand il connut une crise. Il revint voir Tout-à-tous, qu'il avait depuis quitté pour aller écouter les leçons d'autres jésuites plus mondains.

 "Comment, lui dit-il, avez-vous pu m'apprendre un art aussi stérile? Comment puis-je me livrer à l'examen ou même seulement à la simple citation de toutes ces doctrines sans me poser la question de savoir, pour chacune, si elle est vraie ou fausse? Comment puis-je croire des choses dont je ne me figure pas les raisons? Comment puis-je apprécier ces raisons si je n'use pas de ma lumière naturelle et de mon raisonnement? Comment puis-je exercer ce dernier sans obéir, ne serait-ce que de manière minimale, aux règles de la logique que nous enseigna Aristote? Comment puis-je seulement saisir la cohérence de l'oeuvre d'un philosophe si je n'ai pas, par moi-même, essayé de la penser ? Comment puis-je, avec les déconstructeurs et déconstructionnistes de tout poil, me délecter de façon morose de la mort de la philosophie sans même avoir essayé de rendre ces pensées vivantes pour moi-même et pour autrui? Que valent ces banalités soi-disant profondes qui gisent dans le quotidien si je n'ai pas le moyen de savoir penser même selon le sens le plus commun? Et comment puis-je apprécier la vérité de toutes ces choses sans avoir essayé de la formuler pour autrui, de la soumettre, le plus clairement possible à sa critique et de corriger mes erreurs à la lumière de celle-ci? Ce sont là les vraies règles de la dissertation philosophique, et non pas ces billevesées que vous m'enseignâtes!"

 Alors le jésuite sourit, et dit au Huron: "Dans mes bras, mon enfant,  maintenant tu es vraiment devenu philosophe!"

 

Victor Eriatlov, ancien directeur de l'antenne universitaire de Falaise (Calvados)

scène de l'Ingénu

7 commentaires:

  1. DjileyDjoon@orange.fr19 février 2022 à 13:43

    Pour être en bonne voie de devenir philosophe, il faudrait peut-être revenir à l'ouvrage que le jeune Voltaire pouvait encore lire au collège, à savoir le "Magister sententiarum" de Pierre Lombard. Pour mériter d'être maître en philosophie, il fallait le connaître par cœur.
    Si la pratique des médiévaux était prioritaire, il ne faudrait pas oublier les penseurs alexandrins et les Arabes. Au XIIe siècle, Ibn Tufayl, alias Abubacer, a écrit son célèbre "Philosophe autodidacte", qui a inspiré Defoe et tous les auteurs de robinsonnades, avant d'être au programme de l'agrégation en 2019. Par sa seule raison, le Robinson éveillé Hayy ben Yaqdhân retrouve toutes les vérités de la philosophie et de la science. Quand il rencontre enfin ses semblables, il découvre l'incompatibilité de la philosophie et de la religion, quand celle-ci consiste en une lecture littérale des textes révélés. Il semble malgré tout faire retomber la faute sur la philosophie et sa lecture allégorique des textes sacrés. À la fin, Hayy retourne méditer sur son île.

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  2. Ibn Tufayl a beau faire de son Havy une sorte de pré-Robinson, le contenu de sa philosophie a peu à voir avec ce Que Tout à tous apprend au Huron. Relisez Mahomet de Voltaire. Mais Volaire évolua à la fin de sa vie, et réduisit l'Islam à un théisme comme les autres.

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  3. Je me sens un petit peu comme Huron. Je n'ai pas apprécié l'enseignement de la philosophie au lycée. Le concours de prof d'EPS en poche, je décidais d'étudier la philosophie en licence à distance. Nous étudiions Derrida, Deleuze, Nietzsche, un peu Heidegger et les freudo-marxistes (pas un mot sur un philosophe analytique ou pragmatiste, comme s'ils n'existaient pas), quelques auteurs classiques... Nous étions évalués sur des dissertations, sans jamais avoir de critère d'évaluation, ni d'apprentissage de la méthode, si ce n'est quelques conseils assez vagues (du type il faut problématiser, ne pas se laisser enfermer dans une méthode...). Je n'y voyais alors rien à redire, et, même si je ne m'en sortais pas si mal, je me sentais coupable de ne pas avoir mieux suivi les enseignements de philosophie et de français au lycée, de ne pas avoir plus lu de littérature pour donner de la chair à mes dissertations. Et puis j'étais très impressionné par Derrida (nous avons étudié pendant une année entière le petit ouvrage "Foi et savoir") ; cela me rassurait de voir que la philosophie pouvait être utile, puisque la mort de la philosophie était m'inquiétait : elle permettait, depuis mon bureau, de donner une explication au "retour du religieux" et à l'échec du "projet des Lumières" ; ou encore, avec Nietzsche, de comprendre pourquoi "Dieu est mort". L'étude de ces auteurs en particulier, et ce uniquement dans le but de faire des dissertations (non pour l'examen "collégial", par exemple), me conduisait rapidement à devenir cynique à l'égard de la philosophie. Je confesse un peu piteusement qu'exactement comme votre Huron, je m'amusais à ratiociner sur tout et n'importe quoi (avec un air mi-pénétré mi-ironique) pour séduire des Mademoiselle de Saint-Yves.
    En fin de L3 je décidais d'arrêter les études de philosophie. Continuer en master me semblait absurde puisqu'aucun thème ne m'intéressait pour un mémoire : nous n'avions eu le droit qu'à de l'histoire de la philosophie, or je voulais étudier des questions contemporaines ; nous n'avions étudié que des auteurs "continentaux" (ou presque) qui ont fini par m'ennuyer et même m'agacer profondément (la lecture de "Anti-Oedipe" et de "Eros et civilisation"...).
    Fort heureusement, et un peu par hasard, durant ma troisième année de licence, je me suis mis à écouter sur le chemin du travail les cours au Collège de France. J'écoutais d'abord les cours d'histoire, de droit et d'économie. Puis, progressivement je m'intéressais aux cours de philosophie de Claudine Tiercelin. Je découvrais ainsi des philosophes qui m'étaient jusqu'alors restés inconnus et surtout je découvrais la philosophie "argumentative". Depuis, je m'attèle à étudier les auteurs classiques de la philosophie analytique, j'étudie un peu la logique formelle et je lis quelques auteurs contemporains (j'achève à peine la lecture de votre Manuel rationaliste de survie, j'attaquerai bientôt Vices du savoir). J'ai dans l'idée de chercher chez ces auteurs les réponses qui me paraissent être les bonnes à différents problèmes en philosophie et, si quand c'est possible, de les mettre en lien avec la vie privée et publique, sans aucune prétention. Cette façon de faire oblige à s'appuyer sur des données empiriques, à former et à évaluer des arguments et à être cohérent. Je ne dis pas que j'y arrive très bien mais au moins est-ce là une façon de faire qui me plaît et surtout qui me semble viser quelque chose ayant plus de valeur que la simple virtuosité intellectuelle.
    Désolé de m'être épanché sur ma petite vie mais je dois dire que votre Huron m'a bien fait rire (à mes dépends) ; merci pour votre travail pour ce blog que j'aie découvert il y a quelques mois et que je ne manque pas de consulter régulièrement.

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    1. la fable du neo huron fut en 1995 en exergue du bulletin des etudes du department de philosophie
      de l' université de Caen, que je dirigeais alors. Un de mes collègues la trouva déplacée et elle fut supprimée.

      La dissertation n' a aucune importance. Ce qu 'il faut, c'est aimer écrire de la philosophie. Le reste vient tout seul. Mais c 'est sûr que si on commence par DErrida c 'est plus dur. Un très bon manuel, que j ai découvert très tard , était celui de Paul Mouy.

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  4. J'aimerais faire un petit détour par ce que je fais dans mon métier d'enseignant d'EPS pour donner un peu les raisons que j'ai de penser que la dissertation, telle que je l'ai pratiqué au lycée et à l'université, me semble également ne pas être pertinente au regard de la formation des élèves et des étudiants. En EPS, j'ai tendance à penser que, pour éduquer et émanciper les élèves, il faut les confronter aux grandes oeuvres humaines : les activités physiques sportives et artistiques qui, par leur histoire, ont reçu une "épaisseur culturelle", un perfectionnement des règlements et des techniques qui en font une mine inépuisable de savoirs pratiques (contrairement, par exemple, au sport de salle privée). Il s'agit de sélectionner les activités les plus pertinentes et de leur faire subir une "transposition didactiques" pour les rendre compatibles avec les valeurs de la République (donc suppression de la référence au haut niveau et aux salles de sports car elles sont porteuses de valeurs incompatibles avec l'école républicaine : mercantilisme, domination du plus fort, culte du corps ; référence forte au sport tel que pratiqué dans les associations : bénévolat, entraide) Selon la formule de Maurice Porte, je pense qu'il faut faire vivre aux élèves une "tranche de vie de" (handballeur, coureur, danseur...), avec les apprentissages qui vont avec.
    J'ai l'impression que l'usage actuel de la dissertation au lycée, ainsi qu'à l'université prend comme référence les épreuves d'écrit des concours de recrutement des professeurs. C'est-à-dire qu'elle prend comme référence un "exercice" qui n'existe qu'à l'école et qui n'existe pas chez les auteurs qui sont étudiés. Dans l'état, j'ai l'impression que l'image que donne l'enseignement de la philosophie est que la capacité à disserter sur une question est sa finalité et la finalité de la philosophie elle-même ; alors que la philosophie existe hors de l'école, que ce soit chez les amateurs (comme moi) qui, dans leur coin, tentent de répondre avec leurs moyens aux questions qu'ils se posent, sans prétendre aucunement être philosophe, ou chez les professeurs de philosophie, et qu'elle ne ressemblent pas à une dissertation. Le recours massif à la dissertation "coupe" l'enseignement de la philosophie de sa référence culturelle : on étudie des textes de philosophes mais pour en faire un usage tout autre que ce que les philosophes eux-mêmes avaient à l'esprit en les écrivant.
    Par ailleurs, j'aurais tendance à récuser à la dissertation, pratiquée de cette façon, le statut d'exercice. C'est avant tout un outil de classement des élèves (avec effet posthumus) mais ce qui est central à l'école et à l'université, ce sont les apprentissages. Or cela nécessite d'établir clairement ce qu'il y a à apprendre et d'évaluer les élèves selon des critères claires et compréhensibles par les élèves, qui leur permettent de se situer par rapport à ce qu'il y a à apprendre. Or, la dissertation n'offre aucun critère clair (avec l'image de la philosophie comme "exercice héroïque et lui-même indéfinissable"...) ; de ce fait elle ne peut servir d’exercice aux élèves les plus éloignés des normes scolaires et fonctionne alors essentiellement comme moyen de classer. C'est pourquoi je pense que la dissertation est peu utile aux apprentissages et peu compatibles avec les valeurs de la République.
    J'eusse aimé avoir à faire les exercices que vous proposez à vos étudiants, sans doute sont-ils plus modestes que les grandes dissertations, mais j’ai l’impression qu’il s’agit là d’un moyen pour permettre aux étudiants de vivre « une tranche de vie de philosophe » et de construire quelques capacités en lien avec la pratique de la philosophie.

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    1. La dissertation marchait jadis parce qu ' avant la terminale (ou classe de philosophie) il y avait la "rhétorique" où on apprenait l 'art du discours. On était prêt ensuite à discourr philosophiquement. C 'est comme apprendre la latin.Cela demande de la discipline. Mais l ' EPS aussi, non ? pourquoi les choses de l'esprit ne seraient elles pas comme celles du corps, demandant de commencer par les bases, de l 'entraînement?

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  5. DjileyDjoon@orange.fr20 février 2022 à 03:38

    Il semble que le père Tout-à-Tous, chez Voltaire, corresponde au théologien Açâl dans le "Philosophe autodidacte". Açâl pourrait aussi être Gordon. Ernest Renan affirmera que l'Occident avait réussi le remariage du savoir et de la foi, dans l'averroïsme latin. Pourtant, l'Université de Paris avait condamné le matérialisme d'Averroès. Cette tension entre savoir et foi, qui était le non-dit prudentiel de la pensée gréco-arabe, est devenue patente dans le "Philosophe autodidacte". Pour survivre, il valait mieux faire une lecture littéraliste des textes religieux, avec le peuple et les docteurs de la foi, mais, comme plus tard les philosophes des Lumières, les gréco-arabes gardaient entre eux un secret : il y avait eu "trois imposteurs", qui s'appelaient Moïse, Jésus et Mahomet. Néanmoins, le "faylasūf" praticien de la "falsafa" pouvait compter sur l'appui des califes et des émirs, malgré leurs roueries de despotes éclairés.

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