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lundi 3 janvier 2022

UNE NOUVELLE TRADUCTION DU TRACTATUS

 

 

                                                

   Anatole France (Les fous dans la littérature), puis Raymond Queneau (Les enfants du Limon), et les pataphysiciens, ont recensé les fous littéraires. A ma connaissance on n'a pas encore recensé les fous philosophiques, même si on a ici ou là des études sur Swedenborg (Kant),  Hoené Wronski,  Fourier, ou sur les tocades de Berkeley pour l'eau de goudron et d'Auguste Comte pour l'Humanité, sans parler de l'admirable Lucien de Samosate. Peut être les post-modernes français seront-ils un jour dans une telle anthologie. Mais s'il est un livre qui a suscité toutes sortes de vocations fantaisistes, et qui peut être dans certains de ses aspects peut apparaître comme l'oeuvre d'un fou philosophe, c'est bien le Tractatus de Wittgenstein. Plusieurs contemporains émirent l'hypothèse. Il y a même un livre intitulé La folie Wittgenstein, par Francoise Davoine (Editions du Croquant 2012). Souvent la folie rôde quand il est question, de près ou de loin, de religion. Mais il y aussi des fous du Rationnel. Je voudrais attirer l'attention sur un autre tour de folie, celui de la traduction du Tractatus.  En 1962, un certain Valentin Dru, professeur de mathématiques dans un Collège de Normandie,  mécontent de la traduction de Pierre Klossowski, qu'il trouvait obscure, entreprit de traduire lui-même - partiellement -  le Tractatus, avec l'intention de rendre plus clair un texte qui pourtant proclamait que le but de la philosophie est de clarifier les pensées. Il ne parvint jamais à publier sa traduction - et je crois pour cause - mais elle a récemment été retrouvée dans le déménagement des archives d'un éditeur parisien. Nous en livrons ici au lecteur, quelques extraits. Le traducteur , on le verra, avait négligé de  larges parties du texte, celles qui portent sur la logique, dont de toute évidence il ne comprenait traître mot.


1 Le monde, c’est ce qui se passe

1.1. Le monde ce sont les faits, pas les choses dedans.

1.21 Quelque chose peut se passer sans que rien ne se passe à côté.

2. Ce qui se passe donne lieu à des situations compliquées

2.02 – Les choses pourtant sont bien simples.

2.032   Pour le dire vite : elles sont en noir et blanc

2.024   La substance c’est ce qui reste quand on a tout enlevé

2.05 La totalité de ce qui reste en place c’est le monde

2.063   Le monde est réel.

2.022 - Il est évident que, si on rêve d’un autre monde, celui-ci aura quelques traits communs avec le nôtre.

2.1 Nous imaginons

2.12 L’image ressemble à la réalité

2.141   L’image est authentique.

2. 1 5 1 – les choses ressemblent à ce qui en est l’image

2. 1 5 1 4 – L’image représente les choses

2. 1 7 1 – l’image spatiale représente tout ce qui est spatial, l'image en couleurs tout ce qui est coloré, etc.

2.202 - L'image représente une situation possible sur un tableau.

3. L'image pense à nous.

3.01 Penser nous donne une image du monde.

3.03 - Nous ne pouvons rien penser d'illogique, mais rien de logique non plus

3. 144 - Les situations peuvent être décrites, sans qu’on puisse leur donner de nom. (Les noms pointent, les propositions indiquent comme des flèches,)

4 - La pensée est une proposition pleine de sens.

4.003 - La plupart des propositions philosophiques ne sont pas fausses, mais absurdes. Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à de telles questions, mais seulement établir leur absurdité. La plupart des propositions et questions des philosophes découlent du fait qu’ils ne comprennent pas la logique. (Elles sont du même type que la question : le Bien est-il plus ou moins identique que le Beau?) Les problèmes les plus profonds ne sont pas des problèmes.

4.01 La proposition représente la réalité. Avec les propositions nous modélisons le réel.

4.027 - Il est dans la nature de la proposition de pouvoir nous dire quelque chose de neuf.

4. 1 1 2 - Le but de la philosophie est de nous mettre au clair. La philosophie ne se théorise pas : elle se pratique. Une oeuvre philosophique doit clarifier. La philosophie n'a pas à produire des «thèses », mais à rendre claires les thèses des autres domaines. Tout est trouble. La philosophie doit dissiper ce trouble.

5 - La proposition est vraie en fonction des propositions qui la composent.

Une proposition simple est fonction de sa propre vérité

5. 1 24 - Une proposition dit déjà tout ce qui s’ensuit.

5. 1 5 1 1 – les propositions probables ne parlent de rien du tout.

5.454 1 - Les solutions des problèmes logiques doivent être simples, car elles sont le parangon de la simplicité. Les hommes ont toujours soupçonné qu'il devait y avoir un domaine de questions dont les réponses formeraient une construction close et régulière, et où Simplex sigillum veri.

5.47 1 - La forme générale de la proposition est sa nature même.

5.47 1 1 – L’essence du monde est ce que décrit la proposition

5.473 - La logique doit se prendre en mains.

. 6 – Mon langage circonscrit mon monde.

5.6 1 - Le monde est plein de logique; c’est elle qui contrôle les frontières du monde. Mais la logique ne nous dit pas ce qu’il y a dedans.

5.62 1 - Le monde c’est la vie.

5.63 – C’est moi le monde. (Le microcosme, c'est moi.)

5 .632 - Le sujet n’est pas dans le monde, il est à sa porte.

6.  et il n’y a rien d’autre à dire.

6. 1 25 1 – La logique ne peut pas nous surprendre par derrière.

6. 1 3 - La logique est une image du monde. Elle nous dépasse.

6.42 1 - Il est clair que l'éthique n’a rien à dire. Elle nous dépasse. (Éthique et esthétique c’est pareil.)

6.43 L'homme heureux n’est pas malheureux.

6.43 1 1 – Quand on est mort on ne s’en aperçoit pas

6.44 – l’élément Mystique est présent, mais on ne sait pas comment.

6.5 1 - S’il n’y a pas de question, il n’y a pas de doute. S’il n’y a pas de doute, il n’y a pas de question, et si pas de question pas de scepticisme. Donc le scepticisme est irréfutable. 

6 . 5 4  J'éclaire, mais ce que je dis est un non sens  (mon lecteur doit éviter de tomber de l'échelle.)

7 – Ceux qui n'ont a rien à dire feraient mieux de se taire.

 

 

 


6 commentaires:

  1. Vous oubliez un autre tour de folie, celui de l'adaptation du Tractatus.
    https://www.youtube.com/watch?v=6T0SJJk5Oj4 Nous aurons peut-être un jour une reprise française de cette adaptation musicale. Il faut encore trouver le chanteur...
    Il faudrait aussi penser à un réalisateur pour le film ou la série Netflix (une saison par aphorisme et un épisode par remarque).

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  2. oui, en effet

    mais il ne chante pas la traduction d'Ogden révisée par Pears.

    Et nous n'avons , sauf erreur, aucune version française de la chanson

    Wovon Man nicht Sprechen Kann, darruber muss Man Singen.

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  3. Très drôle! bravo... mais on doutera quand même de l'existence de ce Valentin Dru!

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  4. Mais si , c'est le cousin de Valentin Brû

    https://www.abebooks.com/Revue-amis-Valentin-Bru-n%C2%B02829-Queneau/22798482101/bd

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  5. DjileyDjoon@orange.fr19 janvier 2022 à 14:41

    Quelque chose nous échappe. Nous ne comprenons pas pourquoi ce logico-maniaque ne formalisait pas le "Tractatus" en formules logiques. Étrangement, il préférait traduire ses énoncés en bribes de conversations ordinaires entendues dans un café viennois. Comme Jacques Bouveresse, il devait estimer que les satiristes autrichiens étaient meilleurs penseurs que les philosophes.

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