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lundi 23 décembre 2024

SPINOZA CI SPINOZA LA SPINOZA SU SPINOZA GIU

 

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 Spinoza! Spinoza! Spinoza!, ecc.Ahimè, che furia!Ahimè, che folla!Uno alla volta, per carità!Ehi, Spinoza! Son qua.Spinoza qua, Spinoza Spinoza  su, Spinoza giù.Pronto prontissimo son come il fulmine:sono il factotum della città.Ah, bravo Spinoza! Bravo, bravissimoa te fortuna non mancherà.


Spinoza par-ci, Spinoza par-là

par Pascal Engel

EN ATTENDANT NADEAU 26 mars 2019

Il y a quelque chose qui ne laisse pas d’étonner dans le succès de Spinoza, perdurant depuis plus de trois siècles : comment une philosophie dont les thèses sont aussi bizarres, illogiques et même contradictoires peut-elle continuer à fasciner et à valoir à son auteur la réputation de philosophe le plus profond de toute l’histoire et un prestige inentamé de libérateur des esprits et des corps ?


Spinoza, Œuvres complètes. Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1 137 p., 32 €

Eva Debray, Fréderic Lordon et Kim Sang Ong-van-Kung (dir.), Spinoza et les passions sociales. Amsterdam, 355 p., 22 €

André Pessel, Dans l’Éthique de Spinoza. Klincksieck, 146 p., 21 €


Prenons d’abord la thèse qu’il n’y a qu’une substance, Dieu ou la Nature. On accuse son auteur, ou on le loue, selon le camp dont on vient, d’être un naturaliste – la thèse selon laquelle il n’y a que des entités naturelles, explicables par des causes naturelles. Admettons ou rejetons cette thèse, selon que nous sommes monistes ou dualistes. Mais pourquoi dire alors que cette nature, c’est Dieu lui-même, l’unique substance ? On attendait autre chose de Dieu que d’être la Nature. Il est supposé être infini, comment peut-il être aussi la nature, qui est finie ? Cela s’appelle traditionnellement du panthéisme, mais cela fleure le mysticisme : on nous dit qu’il n’y a que des causes naturelles, mais qu’elles sont Dieu. Et une seule substance, à laquelle tout est identique, un grand Tout ? Descartes au moins en admettait deux : la pensée et l’étendue. Leibniz disait qu’il y en avait une multiplicité. Spinoza nous dit qu’il n’y en a qu’une seule, qui a deux attributs, pensée et étendue. C’est comme une anamorphose : tantôt on voit le portrait d’une âme, tantôt on voit un paysage de corps.

Mais alors, insiste-t-on, il n’y a que des corps ? Mais non, nous dit le spinoziste : si vous regardez bien, ce sont des âmes aussi. Mais comment, si c’est le cas, pourrait-on dire que nos désirs, nos intentions, nos volontés puissent causer des actions, des événements dans le monde ? Comment nos idées peuvent-elles être des idées des choses si choses et idées sont de deux ordres distincts ? Réponse spinoziste : elles ne le sont pas, l’ordre et la connexion des idées et l’ordre et la connexion des choses sont les mêmes. – « Mais alors, c’est de l’idéalisme ? » – « Non, Monsieur, non, c’est du réalisme de la plus belle eau ».

Les surprises continuent si l’on considère la théorie de la liberté du natif d’Amsterdam. D’un côté, il est déterministe : nous ne sommes pas plus libres que les pierres ne le sont de tomber, et nos passions nous dominent, notre conatus nous force la main. Mais de l’autre, nous pouvons savoir que nous tombons, nous acquérons une connaissance des causes de nos actions, de nos passions et de leur force, et ce savoir nous libère. On pourrait penser qu’il nous déprime, mais non, il nous rend gais, et il nous libère. Nous sommes automates mais spirituels. Et nous voilà libres. On pourrait allonger la liste : nos jugements ne sont pas le produit de notre volonté, parce que nous n’avons même pas, quand une idée nous vient à l’esprit, la possibilité de la considérer pour savoir si nous devons y assentir, dès que nous avons l’idée que nous jugeons vraie. Mais en allant d’idée vraie en idée vraie, nous atteignons le Vrai.

Dans chaque cas, Spinoza a une arme fatale : le sive (« ou bien ou bien ») ou le quatenus (« en tant que »). Dieu sive Nature, Âme sive Corps, substance quatenus pensée, quatenus étendue, causa sive ratio. La traduction de ces expressions latines est toute trouvée : et en même temps. Pas étonnant que Spinoza soit le penseur favori des marxistes. Les gauchistes de Mai 68 voulaient à tout bout de champ faire une analyse concrète d’une situation concrète. Mais il n’y avait rien de plus abstrait que leur analyse. Spinoza est le roi de la dialectique : toute détermination est une négation. Oui, mais, nous dit Deleuze, il n’y a pas penseur plus antidialectique. Loin d’être un précurseur de Hegel, nous dit l’auteur de Différence et répétition, il est un précurseur de Nietzsche, de Bergson et des pensées de la vie. Mystique et en même temps rationaliste, déterministe et libertarien, juif et non juif, athée et géomètre, théologien cabaliste et libérateur séculier. Le succès posthume était assuré. Mais à l’anthume ce malheureux moniste eut bien des ennuis, et il fait figure de martyr de la pensée et de clerc au sens de Julien Benda, avec son expulsion de la synagogue, son placard ultimi barbarorum quand il apprit l’assassinat des frères de Witt, son refus d’une chaire à Heidelberg par peur de la censure, et sa vie recluse et solitaire de polisseur de verres de lunettes.

Ce caractère bifrons se retrouve dans la réception de l’œuvre de Spinoza. D’un côté, les lecteurs de Spinoza qui, acceptant ses prémisses, en acceptent avec enthousiasme les conséquences – naturalisme panthéiste, critique radicale de la religion et du théologico-politique – et font de lui un penseur de la libération. Ils se soucient peu des contradictions du système et ne cherchent pas à les résoudre. Comme le disait déjà Bayle au sujet des idées du philosophe de la Haye, « il faut donc les laisser dans les ténèbres impénétrables où leur auteur les a mises ; et ne leur point chercher d’autre antidote que leur propre obscurité ». C’est cette tradition qui a donné à la fois les lectures des philosophes des Lumières allemandes du Pantheismusstreit, de Mendelssohn, Lessing et Jacobi, qui tirent Spinoza vers le mysticisme, et celles des penseurs français matérialistes, comme Dom Deschamps, Boulainvilliers, Helvétius et Diderot. Les livres de Paul Vernière sur Spinoza et la pensée française avant la Révolution (PUF, 1954), pillé par Jonathan Israël dans Les Lumières radicales (Oxford, 2001, trad. fr. Amsterdam, 2008, et Une révolution des esprits, Agone, 201) ont exploré cette tradition.

C’est elle qui inspire les vagues néo-spinozistes que nous avons connues depuis une cinquantaine d’années, qui tantôt prennent l’Éthique pour le complément des diverses bibles marxistes, tantôt prêtent à Spinoza un masque nietzschéen  de penseur de la vie : c’est Althusser et ses Rosencranz et Guildenstern, Deleuze, qui prend la Substance pour le Corps sans organes, Toni Negri qui voit des multitudes partout, Henri Atlan et Antonio Damasio, qui voient en lui un précurseur de leur physiologie, Alain Badiou qui respire l’infini à pleines narines, Frédéric Lordon, qui lit Spinoza à la lueur des lampions de Nuit Debout, et tant d’autres. Tous ces auteurs s’intéressent moins à la cohérence du spinozisme qu’à ce que les journaux appellent l’effet Spinoza : Spinoza nous fait du bien et nous aide à vivre, il nous renforce dans nos convictions, qu’elles soient théistes ou matérialistes, mystiques ou révolutionnaires.

De l’autre côté, il y a les lecteurs de Spinoza qui, tout en ayant des sympathies pour certaines de ses thèses, ne se satisfont pas de leurs conséquences romantiques ou panthéistes, ou voudraient les rendre cohérentes avec leurs prémisses. Ce sont d’abord les auteurs de la tradition rationaliste dont vient Spinoza, celle de Descartes : Malebranche, qui était réticent face aux enthousiasmes spinozistes de Dortous de Mairan, Leibniz qui rencontra le philosophe de la Haye en 1676 et publia plus tard une réfutation de sa doctrine. Ensuite, les Allemands veulent tous se mirer au miroir spinoziste. Hegel, à rebours de ce qu’a suggéré Jean-Bernard Pouy [1], voit en lui un idéaliste, mais Feuerbach fait de lui un anti-Hegel. Marx et surtout Engels flirtent avec lui. Hermann Cohen, quant à lui, voulait le réconcilier avec Kant.

En France, après avoir inspiré les matérialistes, Spinoza fut présent à presque toutes les étapes de la philosophie depuis le XVIIIe siècle. Taine voulut faire une synthèse d’hégélianisme et de spinozisme. Lagneau, Alain et Brunschvicg firent de lui le penseur de la raison version Troisième République. Victor Delbos, avant 1914, résistait au Spinoza romantique. Martial Guéroult passa de Fichte à Descartes et à Spinoza, devenu le penseur clef de sa théorie structurale des systèmes philosophiques. Alexandre Matheron poussa l’examen un cran plus loin, Pierre-François Moreau et d’autres ont repris le flambeau.

On saura gré à ces historiens d’avoir essayé de lire Spinoza comme un penseur systématique, et d’avoir refusé l’absurde conseil de Bergson, qui, dans sa fameuse conférence L’intuition philosophique, soutenait qu’il ne fallait surtout pas chez un auteur, et chez Spinoza en particulier, s’intéresser à la cohérence de ses concepts, mais à l’intuition directrice qui les sous-tend et qu’ils sont par définition incapables de capturer [2]. Autant dire qu’on ne lit jamais chez un philosophe que ce qu’on y met soi-même.

Ces divers visages du spinozisme se retrouvent dans l’abondante littérature récente parue sur Spinoza en France. Il semble que, de même que tout auteur qui se respecte se doit d’avoir son Flaubert, son Montaigne ou son Proust, il faille avoir son Spinoza. On préfère en général plutôt traiter des affects et de la théorie politique que des difficultés ontologiques ou gnoséologiques du spinozisme. Même Alain Minc (Un roman juif, Gallimard, 1999) et Frédéric Lenoir (Le miracle Spinoza, Fayard, 2017) s’y sont mis, avec leur sens un peu léger des dettes intellectuelles. On saura gré à Thibaut Gress d’avoir republié dans la collection « Bouquins » de Robert Laffont l’œuvre complète dans la traduction Appuhn, dans laquelle plusieurs générations ont lu Spinoza mais qui est souvent imparfaite, et de nous donner d’utiles repères bibliographiques, des index et un glossaire, mais il est un peu dommage qu’il ne se serve pas plus des progrès des éditions savantes. Quand il nous dit qu’il va garder, comme Appuhn, la même traduction – « âme » – pour anima et pour mens, on se demande pourquoi il n’intervient pas. En attendant, on se servira de l’édition Curley (Princeton 2016), qui semble, comme tous les commentaires anglophones, avoir disparu des radars.

Le volume Spinoza et les passions sociales, qui se propose de lire Spinoza en le confrontant aux sciences sociales, relève le plus souvent de la vague romantico-marxiste, ou plutôt de la mise de Spinoza à toutes les sauces : celle de l’immarcescible Judith Butler, qui plonge le penseur juif dans un bain freudien et levinassien, celle de l’inoxydable Frédéric Lordon, qui entend transformer l’économie more spinozico, celle d’Eva Debray, qui ajoute quelques pincées de René Girard dans ce potage, à côté d’articles sur le spinozisme chez les sociologues français de l’époque durkheimienne, et des articles de Kim Sang Ong-Van-Cung sur la même Butler et sur Sartre, et de Pierre-François Moreau qui confronte la théorie de la personnalité de base de Ralph Linton à la conception spinoziste du caractère. Spinoza s’inquiétait de l’intrusion des passions dans la politique, mais il semble que son œuvre soit devenue le motif principal d’une célébration du primat de l’affect dans tous les domaines. Benda, dans La trahison des clercs, se plaignait que les passions politiques aient acquis au XXe siècle une universalité qu’elles n’avaient jamais connue, et il s’élevait contre leur règne sans partage. Les spinozistes contemporains prennent l’exact contrepied de Benda.

Au sein de cette marée spinoziste, qui ne cesse, dans ses versions romantiques et révolutionnaires, de nous dire qu’il ne faut pas lire l’auteur de l’Éthique sub specie aeternitatis mais comme s’il avait publié hier sur son blog, un livre comme celui d’André Pessel sera un havre. Deleuze nous expliquait qu’il ne fallait pas lire le Hollandais selon l’ordre géométrique seulement, mais aussi et surtout dans les scolies, où il exprime ses thèses et où éventuellement il polémique. Mais on ne peut pas lire Spinoza comme on lit Descartes, comme histoire d’un esprit. André Pessel, qui a formé des générations de philosophes passés par le lycée et la khâgne de Louis-le-Grand, grand spécialiste de la pensée de la Renaissance et de l’âge classique, traite de Spinoza en lecteur. Il ne cherche pas à l’annexer à telle ou telle doctrine ou marotte, mais à faire comprendre comment cet ordre géométrique impersonnel s’impose au lecteur comme s’il n’était pas de Spinoza, mais déroulait les choses mêmes. Il entend montrer comment les apories usuelles (le tout de la substance et ses parties, la relation de l’infini et du fini, l’aspect statique que la géométrie semble induire et le caractère dynamique du conatus) se résolvent quand on comprend comment les éléments s’intègrent entre eux, et que le spinozisme contient une conception de la puissance qui s’auto-produit. On aimerait souvent que Pessel soit moins elliptique, mais son livre modeste et subtil est un excellent antidote au spinozisme débordant.

Peu d’auteurs autant que Spinoza sont capables de satisfaire à la fois nos désirs métaphysiques et nos aspirations éthiques les plus profonds. Spinoza les satisfait sans doute, et c’est ce qui explique le succès jamais démenti de son œuvre. Il est peut-être le philosophe populaire par excellence. Si ce qu’on attend de la philosophie populaire est qu’elle nous apporte ce que nous désirons ou ce que nous aimerions croire, alors la lecture de Spinoza nous satisfera toujours.


  1. Jean-Bernard Pouy, Spinoza encule Hegel  (1983, rééd. Gallimard, 1999).
  2. Bruno Clément s’en étonne à juste titre, mais semble finalement d’accord avec Bergson.

 

un livre abondamment pillé



81 commentaires:

  1. Faut-il sauver le soldat rationaliste Spinoza ? Avis aux amateurs éclairés.
    En effet, l'épistémologie rationaliste française a tenté de sauver le rationalisme de Spinoza, à cause de la systématicité de sa démonstration géométrique. Les épistémologues français comme Cavaillès et Desanti (après sa lecture marxiste de Spinoza), et l'historien de la philosophie Guéroult (venu de la Doctrine de la Science de Fichte), y verront un pré-structuralisme mathématique à la manière de Bourbaki. J'avais entendu Desanti en cours d'agrégation à la Sorbonne : commentant Spinoza, il ne ratait pas une occasion de faire allusion à la logique et à la méta-mathématique, en assumant de prendre une volée de bois vert des spécialistes de ces disciplines.
    -- Dans cette optique, sauver Spinoza, c’est préserver une figure-phare d’un rationalisme systématique, fondé sur la démonstration géométrique et la puissance explicative de la raison. Cette démarche rejoint les travaux de figures comme Cavaillès ou Desanti, qui voyaient en Spinoza un précurseur non seulement de l’analyse mathématique structurée, mais aussi d’une pensée systémique applicable à des champs variés, y compris les sciences modernes et le marxisme.
    La référence à Bourbaki illustre une lecture de Spinoza qui met l’accent sur la rigueur formelle et la capacité de sa pensée à structurer un champ conceptuel autonome, indépendamment de tout ancrage subjectif ou empirique. Dans ce cadre, Spinoza devient un modèle de rationalité pure, avec ses limites, et dont la survie symbolique garantirait la persistance d’une philosophie rigoureuse et systématique dans un paysage intellectuel en mutation.
    Cependant, cette volonté de sauver Spinoza en tant que rationaliste peut aussi apparaître comme une réduction de la richesse de son œuvre. En effet, elle tend à ignorer ou à minimiser les dimensions plus affectives, éthiques et pratiques de son système, qui en font un penseur singulièrement moderne et universel. Le Spinoza "géométrique" du regretté Pessel risque alors de devenir une figure figée, un monument du rationalisme, au détriment d’un Spinoza vivant, capable d’interroger les crises existentielles et politiques contemporaines, même s'il sert à se créer des illusions pour vivre.
    Que sauver de Spinoza ? Son ordre géométrique impersonnel, avec des réserves quant à sa cohérence, ou bien son dynamisme conceptuel et éthique, qui dépasse les limites de toute systématicité rigide ?
    -- Des épistémologues français des années 1960, tels que Jules Vuillemin et Gilles-Gaston Granger, ont trouvé leur point d’ancrage dans la pensée kantienne, plutôt que dans le spinozisme. Cela s’explique en grande partie par leur souci de préserver une conception critique de la raison, centrée sur la distinction entre conditions de possibilité et réalité empirique, propre à Kant.
    Pour Vuillemin, la philosophie des sciences reposait sur une systématicité conceptuelle, mais cette systématicité n’impliquait pas nécessairement le monisme métaphysique de Spinoza. Il préférait la perspective kantienne, où la rationalité se déploie à travers une pluralité de cadres normatifs (mathématique, physique, métaphysique), tout en respectant les limites imposées par l’expérience. Cette approche critique permettait de maintenir un équilibre entre la nécessité logique et la contingence du donné empirique, un point de divergence avec la lecture rationaliste stricte de Spinoza.
    De même, Gilles-Gaston Granger, dans ses travaux sur les modèles et la rationalité scientifique, trouvait en Kant une base plus souple pour articuler les rapports entre théorie et pratique, ou entre concept et expérience. Là où Spinoza proposait une vision monolithique du savoir comme déduction géométrique, Granger et d'autres kantiens valorisaient la diversité des formes de rationalité, en tenant compte de leur contextualité et de leur historicité.

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  2. très bien, mais quelle est la question?

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  3. J'avais déjà lu l'article, car en effet je m'étais déjà posé des questions sur votre rapport à Spinoza ...
    Comment ça, le Père Noël du grand accomplissement de la joie cosmique, par connaissance intuitive et amour fusionnel avec le divin, n'existerait pas ? Bein mince alors, hé hé. Vous allez faire beaucoup de déçus qui auraient sans doute fini par l'être de toutes façons ...
    Reste l'ambiguïté du bonhomme qui n'est pas sans saveur, car Spinoza écrit aussi que l'espérance n'est pas une vertu, qu'elle est davantage le signe d'un manque que d'une capacité d'agir, etc.
    Où on met le doigt peut-être sur un point névralgique sous-jacent à son édifice systémique qui ne serait pas sans lézardes. Même si ici mon argumentation relève encore davantage des motivations psychologiques affectives que de la cohérence pleine des justifications. Il y aurait à dire sur la "mode perpétuelle" du spinozisme fréquente dans les approches débutantes de la philosophie, dont je ne fus pas moi-même jamais tenté, même si des accents plus cioranesques ou schopenhaueriens m'en ont aussi un peu préservé. Disons que j'aurais plus voulu y croire que je n'y ai jamais vraiment cru. Mais oui : on observe une tendance courante, qui ne s'arrête pas qu'à Spinoza mais dont il est symptômatique, non pas tant par sa seule philosophie (à moins qu'elle ne l'encourage) que par une certaine façon d'en traiter, la tentation récurrente des formules prêtes à l'emploi d'une sagesse avant tout pratique, la réduction par exemple de certains courants grecques à une forme de "coaching de vie" au service d'une obsession du "mieux être", dont on retrouve des traces récurrentes dans les intitulés de couverture de certains magazines qui se disent philo là où ils ressemblent fort à ceux dit psycho (pas forcément à vocation scientifique). La méfiance toujours du discursif théorique mais en oubliant celle qui est dûe également à l'apparente et illusoire limpidité d'une dimension pratique qui garantirait presque l'épanouissement, alors qu'on n'en voit guère le signe ou la trace irréfutable. Ou à tout le moins : qui encourage le réconfort, la consolation, avec le risque de l'aveuglement volontaire sur tout ce pourrait légitimement mettre en doute certaines facilités trop rapides pour être véritables. Mais comme vous et d'autres le rappelez, on confond souvent l'honnêteté de son désir avec sa vérité. Et on privilégie la valeur morale comme ce qui aide à vivre plutôt que celle qui exigerait des conditions, voire obligations, plus dures. Et moins aisées à l'application que ce que le programme nous en annonçait. Mais l'intention de départ à défaut d'être juste et donc vraiment "bonne" est compréhensible : on voudrait que la philosophie nous aide avant tout à mieux vivre, à nous épanouir. Et ce au prix de cacher beaucoup de poussières sous le tapis qui risquent de finir tôt ou tard par faire retour et modérer les ardeurs de l'enthousiasme... Je ne sais jusqu'où il faut l'expérience d'une vie ou le cap d'une lucidité a priori à tenir pour en être ou devenir conscient. Mais il y a une vraie question entre les dérives d'un spinozisme relevant d'un malentendu et d'une compréhension insuffisante, et celles qui viendraient plus directement de Spinoza lui-même. D'un côté, le beurre de l'absence de finalité et l'argent du beurre de sauver la réalisation plus pleine du désir.
    Sans doute la dernière partie de l'éthique est celle qui soulève le plus d'obscurités. Mais beaucoup d'amateurs pseudo "new âge" s'arrêtent à cette idée qui les arrange d'un cosmos (ou Nature), s'il n'est pas que providentiel, demeure toutefois plus qu'opportun ... Mais ils oublient toutefois en passant la nuance que Spinoza rappelle ensuite, sur laquelle certes il s'étire moins (m'enfin il précise quand même dans son développement, sa psychologie des passions, fortement pompée sur le stoïcisme d'ailleurs, n'est pas dépourvue de finesses), à savoir : la haute difficulté à mettre en application la sagesse, mais encore une fois, il est certes lui-même ambigu.

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    1. le but n'était pas de faire un traité sur Spinoza. Mais de soulever quelques doutes. Je note seulement que peu de ceux qui s'enthouiasment
      pour spinoza discutent les questions de fond, sur son ontologie et sa théorie de la connaissance. La joie, c'est sûr j'aime bien , mais celle que je recherche est intellectuelle.

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  4. Et d'ailleurs, quand la systématisation verserait davantage vers le manque insatisfaisant comme moteur du désir à la sauce Schopenhauer par exemple, je ne suis pas sûr d'être davantage convaincu. C'est la notion de plénitude ou d'insuffisance du désir comme définitifs qui me paraissent aussi douteuses l'une que l'autre. Où l'intrication des raisons objectives et des motivations affectives ne proposent pas le meilleur discernement possible.
    Mais oui, il y aurait sans doute à creuser surtout sur les soubassements théoriques de Spinoza et ses difficultés, voire incohérences : son panthéisme qui n'en est pas tout à fait un, son immanentisme qui ne l'est peut-être pas tant que ça, son unicité de la substance qui ne serait ni étendue ni pensée alors même qu'on y accède par elles, son parallélisme corps/esprit (et ici, c'est vrai que le travail effectué en philosophie de l'esprit m'a aidé au moins à y voir beaucoup plus clair sur la façon de poser les enjeux, à défaut de m'en donner des réponses définitives, mon coeur et ma raison balancent entre dualisme, fonctionnalisme, émergence forte ou faible, etc). A noter un des points où Spinoza me pose le plus de problèmes de compréhension : son articulation entre son nominalisme revendiqué et son essentialisme, je m'y perds parfois ... Enfin, le pivôt central du compatibilisme ou non entre déterminisme et liberté qui est sans doute une des questions philos parmi les plus difficiles qui soient. Je suis souvent tenté d'aborder l'ouvrage de Bouveresse sur le sujet, mais jusqu'ici rien que le titre ... m'a quelque peu fait reculer, je ne suis pas sûr d'être prêt. Disons que sans souscrire à la liberté pure guère sensée de l'existentialisme Sartrien (où on remarque encore une dominante affective de l'enjeu : la focalisation sur l'inquiétude existentielle que dénonçait Benda, et qui fût et resté sans doute un des apports d'éclaircissement les plus importants pour ma propre gouverne, merci pour ça), la réduction de la liberté à la compréhension des causes qui nous déterminent ou au fait de n'être déterminé que par sa nature propre (rien que là, Spinoza n'est pas toujours clair entre les limites tributaires de nos passions imaginations refus craintes et celles qui s'imposeraient de l'extérieur, mais c'est un problème qu'on retrouve dans le stoïcisme : jusqu'où l'acceptation est possible, et avec Spinoza : jusqu'où relève-t-elle d'une autonomie active ou d'une sorte de découlement de maturation presque par elle-même...), et j'admets avoir quelque penchant pour la notion d'émergence, voire de survenance, ou de ce qu'une raison n'aurait pas que d'une cause ..., mais là j'ai encore du travail pour en mieux comprendre les tenants et aboutissants. Et puis, je n'ai toujours pas fini de traiter le sujet du précédent billet, je crois, même s'il y a des liens avec celui-ci.

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  5. Une observation intéressante faite par d'autres sur les différences entre Spinoza et Nietzsche. Spinoza souligne que la tendance à persévérer dans son être se manifeste par celle du développement de sa puissance d'agir, mais pas au prix de sa préservation. "En même temps" qu'il n'y aurait pas de finalité ultime dans la Nature elle-même. Bon, vu de façon succinte, ça semble une position plutôt "sage" au sens classique, bien que sous-entend peut-être déjà malgré tout un certain optimisme quant à cohérence profonde de la nature humaine. Nietzsche considère, lui, que la volonté de puissance, si elle n'est pas le fruit d'un pur sujet libre et transparent non plus, excède déborde toutefois notre instinct de préservation ... Ce qui manifeste davantage un certain soupçon suant aux motivations réelles qui guideraient l'être humain. Quand on voit la situation actuelle du monde et sa maigre aptitude à y changer grand chose, on se dit qu'à défaut d'être plus "sage", Nietzsche se montre peut-être sur ce point plus lucide. Mais encore une fois, on remarque chez les deux une même tendance à essayer d'expliquer l'homme et le monde avant tout par des motivations de type psychologique, même s'il y a chez S un souci plus grand de rationalisation apparente : reste sans doute la question de critères de connaissance naturaliste plus rigoureux et de démonstrations plus probantes, mais aussi de dégagement plus clair de l'objectivité ou non des raisons. Enfin, l'ultime problème et pas le moindre : la question morale, jusqu'où elle ne se réduit pas à celle du désir (on remarquera ici des points de rencontre possible entre Spinoza et Hume, mais aussi des difficultés : Spinoza prétend davantage à l'essentialisme sur ce point
    Mais s'il ne devait y avoir qu'une question : reconnaissez-vous quelque pertinence, malgré ses insuffisances théoriques, à la dimension pratique chez Spinoza, susceptible de favoriser joie et sens de la mesure vis à vis de ses passions, où considérez-vous que l'affect y prend trop de trop de place par rapport à la raison et qu'il témoignage davantage d'un optimisme beat ou d'une obscurité indécrottable ?

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    1. la dimension pratique est pertinente, mais à condition qu'elle découle de celle théorique

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  6. Un autre point sur Spinoza : si c'est mon désir qui cause la valeur bonne de la chose, à quel degré en retour la chose pose elle-même des conditions ? Puisque on ne peut désirer non plus ce qu'on veut ... Il s'agirait de vouloir son désir juste et bien compris. Mais le désir seul ne peut suffire à la mesure sans la raison. A reconnaître toutefois que Spinoza n'a jamais dit que le désir précède la raison, puisque le désir est appétit avec consciente de sa cause. Mais puisqu'il semble les envisager comme nécessairement potentiellement fort compatibles, il a sans doute favorisé la mésinterpretation qu'on en fait souvent au profit de la subjectivité de son affect, là même où il voulait en mieux faire discerner les raisons justes.

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  7. En définitive, la question de fond semble être : le supposé pré-structuralisme logico-mathématique de Spinoza suffit-il à en faire un penseur rationaliste ? Mais qu'est-ce que le rationalisme ? Nous parle-t-il encore ? Est-il autre chose qu'une vieillerie académique pour questions de cours, une étoile morte qui continue à émettre ?

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  8. voyez les bons auteurs
    https://agone.org/livre/manuelrationalistedesurvie/

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  9. Je me permets : il y a aussi ce que Spinoza dit sur l'erreur ... qu'il voit plutôt comme une insuffisance. Il semble encore une fois mettre en avant que l'incompréhension est davantage l'effet d'une cause. On voit mal en quoi elle procéderait davantage de raisons ...et donc d'une possibilité de disposer d'une marge de correction possible dont on serait responsable. La difficulté chez lui est qu'on ne peut être responsable qu'à partir du moment où on comprend correctement les causes. Reste la question : peut-on être responsable au moins en partie de son incompréhension ? Sans doute il y a des conditions et des causes qui précèdent notre aptitude à raisonner. Mais jusqu'où la compréhension ou l'incompréhension de celles-ci sont-elles tributaires ou non de notre propre activité ? A partir du moment où une erreur peut être corrigée, à quel degré cela fait-il intervenir ce dont nous ne pouvons être responsables tant que nous ne le comprenons pas ou ce dont nous pouvons être responsables puisque possiblement corrigeable et susceptible au moins d'une meilleure compréhension ? Certes, il s'agit de comprendre pour pouvoir être responsables, mais n'y a-t-il pas déjà quelque responsabilité de notre part ne serait-ce que parce qu'une compréhension est possible (et si je ne souffre bien-sûr d'aucune déficience pathologique) ? Je crois que ça rejoint une question centrale que vous abordez vous-même dans un des derniers chapitres de votre Manuel rationaliste : la question du degré de nos biais cognitifs comme plus ou moins inhérents ou non. Si je ne m'abuse, on est ici au coeur de l'interrogation du rapport non seulement à la raison, à la vérité, mais aussi à notre propre responsabilité, non ? Est-on entièrement irresponsable lorsqu'on ne comprend pas, un peu comme si ça revenait à ne pas pouvoir voir, n'a-t-on pas aussi une responsabilité à mieux comprendre, lorsque celle-ci toutefois ne peut se résumer justement à une impossibilité de voir ?

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  10. qu'on ne peut être responsable qu'à partir du moment où on comprend correctement les causes
    Quels textes étayent cette affirmation ?

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  11. A mon souvenir et à ce que j'ai compris, c'est plutôt la thèse que me semblait défendre Spinoza dans l'Éthique (je n'ai pas l'ouvrage sous la main et je n'ai plus souvenir des parties précisément), une liberté qui n'est possible que par la compréhension des causes qui nous déterminent et/ou qui revient à être déterminé par sa nature propre bien comprise, non ? Parvenir à distinguer les désirs susceptibles de contribuer au développement réel de ma puissance d'agir et de ma joie, grâce à une meilleure compréhension de leurs causes et fonctionnement, des passions plus spontanées passives aveugles et promptes à s'emballer dans le refus des conditions et l'imagination, c'était je crois un principe et but de l'ouvrage. L'accord à trouver entre une nature qui ne poursuit pas nécessairement une finalité et ma propre tendance naturelle à persévérer dans mon être, mais avec pour le coup toutes les questions qui peuvent se poser sur leur liaison possible et différence. Après, cela pose aussi d'autres questions : jusqu'où ma nature propre est susceptible par la compréhension de s'accorder aux causes plus externes, cela ne me paraît pas toujours clair. Mais surtout est-il possible d'admettre un gradualisme de disposition à la compréhension de ma nature ou des causes externes, sans que ça ne relève seulement d'une alternative entre totale compréhension ou incompréhension ? Et enfin : quel est le degré d'autonomie active de ma nature propre chez Spinoza, jusqu'où cela relève d'une cause plutôt interne ou encore d'une externalité qui s'impose à moi

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  12. Bon, une cause peut m'imposer une diminution de ma puissance d'agir, donc la compréhension de la cause n'induit certes pas forcément une responsabilité, encore que Spinoza insiste plutôt sur la marge qui dépendrait de nous : l'amplification du problème par le refus et la crainte imaginaire, l'acceptation de la nécessité pour mieux y retrouver ce qu'il nous reste de capacité d'agir ... Il semble tout de même que la compréhension des conditions permette de mieux dégager ce qui serait déterminé davantage par ma nature propre, et puisqu'il y articule la notion de liberté, j'ai pris peut-être un peu vite le raccourci de parler de responsabilité, qui n'est cependant pas un terme dont use Spinoza, c'est vrai ..., si je me souviens bien .... Est-ce là où vous vouliez attirer mon attention ?

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  13. Bon, il n'y a pas à proprement parler de responsabilité au sens strict (pas plus que de culpabilité morale) chez Spinoza, c'est vrai. On ne peut être libre que dans la mesure où notre nature nous le permet. Seulement, là où c'est obscur encore une fois : jusqu'où comprendre ce que ma nature permet ne vient que de ce que ma nature permet ou tout de même d'une part d'engagement plus actif de ma part pour comprendre ?

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  14. Spinoza : (Origine) Gloubi-boulga de Hollande. (De nos jours) Fortifiant et reconstituant, délivré sans prescription. Reconnu pour ses formules roboratives et publicitaires indémodables. Certaines exploitées et mises en circulation sous le prestigieux label "Sub specie æternitatis".
    "Si vous voulez que la VIE vous sourie apportez-lui d'abord votre bonne humeur !",
    réclame des laboratoires Carnine Lefrancq, réputé pour son remède élaboré à partir de sang de bovin, particulièrement destiné aux malades de la tuberculose. (Source : Bruno Bonnemain et François Lapatte, Les Établissements Jacquemaire. L'histoire d'un pharmacien méconnu.)
    Sempiternelle source d'inspiration. Souvent imité mais jamais égalé. Se retrouve sous la patte joyeuse de maints talents obsolescents.
    "Nous sommes seuls responsables de la morosité de nos existences. Le monde est gris de nos fadeurs. La vie paraît pâle ? Changez de vie, gagnez les cabanes. Au fond des bois, si le monde reste morne et l'entourage insupportable, c'est un verdict : vous ne vous supportez pas ! Prendre alors ses dispositions." (Sylvain Tesson)

    Obsolescent : Sub specie durationis. Pas pour l'éternité. Baruch Spinoza était contre. Peut aujourd'hui se programmer.

    Spinoziste : Dupont-Lajoie éloquent et raffiné.

    Spinozisme : Est à Dieu ce que le Gouda est au fromage.

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  15. Dans sa thèse complémentaire "Spinoza et le problème de l'expression", dont la soutenance a été étrangement épargnée par les bandes armées qui occupaient la Sorbonne en 1968, Deleuze s'intéresse à la manière dont Spinoza conçoit l'expression comme un moyen de libération et d'éclaircissement des passions humaines. Il soutient que l'expression, pour Spinoza, est une faculté essentielle qui permet aux individus de transcender leurs états passagers et de se rapprocher de la connaissance de soi et de la réalité. Cette faculté est intimement liée à la capacité de l'homme à comprendre et à exprimer ses affects de manière claire et ordonnée.
    1. Expression et connaissance : Deleuze analyse comment Spinoza associe l'expression à la connaissance. Pour Spinoza, exprimer ses affects de manière claire et ordonnée permet de mieux comprendre et de maîtriser ces affects, ce qui conduit à une forme de libération personnelle.
    2. Expression et liberté : Deleuze explore également la relation entre l'expression et la liberté. Selon Spinoza, l'expression authentique est un acte de liberté, car elle implique une prise de conscience et un contrôle sur ses propres états émotionnels.
    3. Expression et société : Deleuze examine comment Spinoza envisage l'expression dans un contexte social. L'expression authentique peut contribuer à une meilleure compréhension mutuelle et à une société plus harmonieuse.
    En somme, Deleuze montre comment Spinoza considère l'expression non seulement comme un moyen de communication, mais aussi comme un outil philosophique et éthique pour atteindre une meilleure compréhension de soi et une plus grande liberté.

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  16. je ne vois pas en quoi exprimer ses affects ( son indignation devant Wall Street, devant la Puerta dels Sol, sur la Place de la République, ou ailleurs) permet de les connaître. Je peux m'exprimer sans être libre: par exemple la folie est une forme d'expression, mais est-ce la liberté? le point 3 est bon mais si toutes les passions s'expriment en même temps, où est l'harmonie?

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  17. La thèse complémentaire de Deleuze sur Spinoza correspond à sa période lyonnaise. À cette époque, dans les souvenirs de ses étudiants, il était influencé par Ludwig Wittgenstein, particulièrement par les idées du second Wittgenstein sur le langage ordinaire.
    Wittgenstein, dans ses œuvres tardives comme "Philosophical Investigations", explore comment le langage est utilisé dans des contextes quotidiens pour exprimer des significations et des passions. Cette perspective a sans doute intéressé Deleuze dans sa propre réflexion sur l'expression chez Spinoza.
    Cependant, l'engagement de Deleuze avec Wittgenstein fut relativement bref. Deleuze s'est rapidement dirigé vers des concepts plus radicalement novateurs, notamment avec ses idées sur les machines désirantes. Ces concepts, influencés par Heidegger et Nietzsche, cherchaient à expliquer les dynamiques du désir et les processus de production du désir dans la réalité sociale et psychique, notamment dans la folie idéalisée, ce qui ne correspondait pas du tout aux préoccupations des wittgensteiniens.

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  18. je doute fort que Deleuze ait lu en 68 les Investigations philosophiques ou même le Cahier bleu, dont les traductions sont venues plus tard. Il ne les cite jamais, pas plus que le Tractatus. Je doute aussi que les machines désirantes viennent de Heidegger.....

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  19. Deleuze : (À propos de Wittgenstein) « Une régression de la philosophie, un système de terreur, la pauvreté instaurée en grandeur. ». (Source : Archives d'Ange Scalpel)

    Folie : État de confusion qui honore le malade. Distributrice de bonheur aux yeux de certains. La (seule) liberté pour d'autres.
    « Les gens n'ont de charme que par leur folie.» (Deleuze)

    Liberté : On la présuppose dans l'acte du criminel (afin justement de la lui retirer). On l'invoque en politique, aussi bien à droite qu'à gauche :
    "Si vous adorez la liberté laissez les gens utiliser librement leur télécommande pour regarder Cnews ou C8 !"
    "Si vous adorez la liberté laissez les femmes porter librement leur voile pour regarder le monde !"
    Est devenue une véritable vache à lait.

    Libre-arbitre : Pour l'âme essentiellement. D'un usage plus réservé, plus distingué. Beaucoup de degrés. Va du "hasard" (son degré zéro) à "libre-arbitre" proprement dit (son degré le plus élevé), en passant par "électron libre", "libre comme l'air", "chute libre", Elon Musk, Javier Milei, etc.

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  20. Wittgenstein distingue expression et description. Et souligne que l'émotion n'est pas la compréhension de l'expression.
    L'expression comprise, d'après W, et pour faire trop court, serait plutôt le signe d'une disposition à certains comportements, actes, usages.
    Autre point : authenticité n'est pas synonyme de vérité.
    La conception anthropologique d'un W ne se résume pas nécessairement à un consensus intersubjectif auto suffisant, il y a des arguments (même si c'est discuté..., il y en a des plus conséquents que d'autres en tous cas).
    En tous cas, rappeler qu'exprimer ne peut suffire à comprendre et connaître, sous l'apparence triviale, ça mérite ptêtre d'y réflechir vraiment ...

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  21. Ce qui clarifie et ordonne l'expression ne se trouve pas dans l'expression seule.

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  22. À Nanterre, j'ai connu des étudiants lyonnais de Deleuze montés à Paris, qui m'ont effectivement étonné : Deleuze avait fait de Wittgenstein son livre de chevet, tant que Deleuze était un philosophe du langage, et avant d'être un philosophe du désir. Mais peut-être Deleuze, penseur éclectique en instance de rupture avec l'histoire de la philosophie, utilisait-il en cours l'invocation de Wittgenstein comme un horizon, une posture, une fiction commode pour avancer. Klossowski avait traduit le "Tractatus" et les thèses de Wittgenstein étaient dans l'air du temps en France, qui n'était pas complètement arriérée : voir le jeune Bouveresse. De plus, Fanny Deleuze, traductrice et muse, donnait accès à Deleuze aux bons textes anglo-saxons. Elle comprenait très bien la philosophie. Pour les machines désirantes, c'est venu dans le milieu intellectuel vincennois. Il s'agissait de mettre en connexion la volonté de puissance du point de vue de la connaissance (développée par Heidegger dans son analyse de la technique, aboutissement de la métaphysique comme oubli de l'Etre), et la volonté de puissance du point de vue de l'Art (développée par Nietzsche dans l'optique du Désir). La solution a été la création du concept de Machine désirante.

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    1. Surprenant: pourquoi des étudiants lyonnais de Deleuze montés à Paris auraient ils été à Nanterre, alors que leur maître était à Vincennes? Ils y auraient trouvé des gens comme Paul Ricoeur, Sylvain Zac, Mikel Dufrenne, Clémence Ramnoux, Henri Dumery, tous certes estimables mais pas du niveau de l'auteur de l'Anti Oedipe selon leurs standards. Wittgenstein , Cahier bleu ne fut traduit qu'en 1968, les Investigations étaient très peu connues. Granger en 1968 avait fait un petit Wittgenstein chez Seghers, et les travaux de Bouveresse étaient encore inconnus. Il aurait fallu à Deleuze bien du flair, alors même qu'il ne jurait à l'époque que par Lacan, Simondon, et toujours Bergson, pour se plonger dans Wittgenstein en anglais ou en allemand. Et pourquoi aurait il en 1988 dans son Abécédaire fait cette déclaration incendiaire sur la pauvreté instaurée en grandeur? Je crains que vous n'affabuliez.

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  23. Octave, alité pour indigestion de fromage hollandais, en veut à l'éthique... (Mon frère peut se montrer quelques fois déraisonnable et un peu injuste !)
    Qu'à cela ne tienne, je transmets en son nom. Avec votre indulgence.

    Éthique : Sa signification n'est pas quelque chose qui s'obtient clairement en en parlant, malgré des efforts considérables et continués pour la rendre toujours plus "Reader's Digest". (Voir la définition de "Vache qui rit" ou de "Prosper Youpla Boum").

    "Vache qui rit" : Trinité en pâte : une substance, une image, un produit-phare. Modernité commerciale, payante et radieuse. (Le point délicat ici tient en ceci que l'expression "Vache qui rit" ne se mange pas. Ne cherchez donc pas dans les mots seuls ce qui satisfait son emploi, a fortiori ce qui clarifie et ordonne sa définition !)
    Célèbre boite ronde française, flanquée de son pictogramme universel sans légende. Est-il une image de la vie heureuse plus rondelette, plus populaire, plus enfantine, plus immédiatement communiquable à des êtres qui ignoraient tout de nos usages du mot "éthique" ?
    L'expression bien comprise d'une joie indéfiniment réfléchie. Tient quelque chose de l'infini et de ce qu'on appelle l'éternité chez Spinoza. En somme, l'Éthique au format timbre-poste. Réduite à sa plus simple expression. À portée de charbonnier.

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  24. Tentative d'explication au plus simple : éprouver ou/et exprimer des affects peuvent être vus comme issus de causes subies plutôt passivement, ou être eux-mêmes des causes un peu mécaniques, ou bien d'autres fois : être compris comme le fait d'avoir des raisons (d'éprouver ces affects), voire de devenir eux-mêmes des raisons à certains actes (cependant : des affects par eux seuls en sont-ils vraiment ? Ils y participent, sans doute, mais y suffisent-ils ? A être proprement des raisons hein), mais la question pertinente à surtout se poser : sont-ils des raisons suffisantes à eux-seuls, légitimes, justifiées, conséquentes ?
    Vous voyez ? Le cadavre du rationalisme bouge encore ... Et l'anti dogmatique libertaire systématisé, en mode automatique aveugle, est peut-être le plus sûr fossoyeur de la liberté qu'il croyait défendre, alors qu'il détruisait les conditions de son caractère sensé, et sans s'en rendre compte ...
    Certes, l'affect est moteur chez Spinoza, mais surtout pas le volant. Ce n'est pas : l'expression de l'affect au pouvoir, c'est plutôt disposer de critères d'évaluation rationnelle épistémique de ce qu'il est vraiment (à savoir ici : une tendance vers une fonction, celle de préserver et développer sa puissance d'agir, mais bel et bien seulement si l'affect est compris et régulé par la raison, sinon il tendra surtout à être un appétit de puissance aveugle inconscient de ses limites et destructeur) et des conditions réelles et non imaginaires à son épanouissement.
    Mais là où d'après moi, et mon interprétation ici peut être discutée hein, Spinoza se montre éventuellement ambigu : il tend trop par son parallélisme systématique à rabattre raison vers cause, même si d'une certaine autre façon on peut me rétorquer qu'il peut y être clair : la raison, c'est avoir conscience des causes et de leurs effets et de pouvoir agir en fonction, et c'est ce qui ferait advenir proprement une liberté qui soit sensée. Reste la difficulté : que chez lui, ce n'est justement pas tant une question de volonté de responsabilité etc, ce qui renvoie aux questions que je posais précédemment : la raison plus active ou la compréhension n'est-elle que le fruit découlant d'une maturation de ma nature quasiment par elle-même ou demande-t-elle quelque initiative engagement puisque elle est sensée être justement plus active ?

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  25. Pour finir : comme le rappelait Bouveresse quand on lui parlait du fameux propos de Deleuze, il est conseillé d'être prudent quand on s'avance sur Wittgenstein, c'est un auteur difficile, peut-être pas toujours si clair d'ailleurs, mais il ne s'accommode pas si aisément à la sauce postmoderne (bien que ce soit fort discuté et ... disputé, il semblerait. Néanmoins, si on se fie à ce qui a été dit plus haut sur le propos de Deleuze, eh bien oui, ça souligne plutôt qu'il ne l'a pas lu, l'association directe entre expression et connaissance, ça ne colle pas ... Lire W dans le texte est une drôle d'expérience, parfois éprouvante, les Recherches ne sont pas tout à fait l'exposition d'une thèse par méthode analytique, il assaille de points d'interrogation, il use aussi d'analogies parfois non dénuées de poésie ... mais fort heureusement qu'il y a des commentateurs qui ont défriché un peu le terrain pour mieux me faire comprendre l'intention ... Sinon je n'aurais guère compris. Wittgenstein n'est pas un rationaliste pur et dur ni un réaliste métaphysique. Mais il demeure d'une haute exigence de rigueur et même certes à sa drôle de façon peut-être d'un certain réalisme malgré tout. Ni ni ne se résume, semble-t-il même si c'est parfois tentant, à un pragmatiste, de type empirique en tous cas. Pensez à sa critique du langage privé, par exemple (la signification ne découle pas uniquement du donné sensible d'après lui, cependant difficulté : il semble souscrire à ce que le concept n'a pas que d'empirique, mais s'il y a priori, il ne semble pas forcément absolu et définitif, bien qu'on ne remette pas en cause si aisément ce qu'il appelle plutôt le cadre grammatical -à notre conception et connaissance du réel et du monde, même si sa conception de l'universel comme "air de famille", de ressemblance plutôt que de point commun, suppose un reste vibratile d'indécision. C'est très curieux : il semble critiquer davantage le scepticisme que le dogmatisme, le point de cécité à toute compréhension n'empêche pas la compréhension, et le doute radical se nie lui-même, mais néanmoins la règle ne se fonde pas ultimement ...). Et langage public ne se résume peut-être pas tant à un consensus intersubjectif, il semble davantage supposer une extériorité, ne serait-ce que comme condition du caractère sensé du langage, de la possibilité d'un jugement distinctif vrai/faux, de vérification de l'usage correct ou non du langage, mais demeure problème : à partir du moment où la règle grammaticale ne repose pas sur un réalisme métaphysique, on se demande jusqu'où elle a un lien avec une réalité externe alors même que la règle ne peut la justifier entièrement, bien qu'il semblerait qu'elle ait besoin d'en poser l'hypothèse pour une connaissance possible, au moins meilleure qu'une pure ignorance, etc. D'où question insistante sur la cohérence ou non de W ... Mais là, soyons honnêtes : je suppose plus que je ne comprends bien tout, même si c'est plus clair très petit à petit avec le temps ...

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  26. Octave s'est endormi. Pfiou, enfin !
    Chuuut... Je pourrais vous livrer maintenant les miennes si vous voulez. Mais, motus et bouche cousue ! Quelle scène me ferait-il s'il apprenait que j'ai composé, pour une fois dans son dos, quelques définitions à moi ?! Oh et puis, après tout, que fait-il lui-même la plupart du temps : il n'agit pas autrement, ne jugeant pour ainsi dire presque jamais opportun d'abord de m'en aviser... Alors bon, ça va, ça va...

    Raison : (au singulier) Éclairage naturel. Sorte de (lumière) frontale. Exige de pédaler et de transpirer beaucoup pour en produire par soi-même le moindre faisceau utile. S'efface aujourd'hui devant la fonction "lampe torche" du smartphone – plus puissant et aussi plus facile, mais sans le charme du cheminement filandreux qui mène patiemment à la vérité. Il est remarquable qu'une époque sombre et artificielle comme la nôtre, qui compte beaucoup d'allumeurs de réverbères au nombre de ses lumières, prennent à témoin la noirceur du cosmos et trouve spirituel d'accuser la raison elle-même de pollution lumineuse, et de bien d'autres maux plus obscurs encore.
    (au pluriel) Chacun a les siennes formant dans le monde un curieux chapelet luminescent. Magnifique de les voir pendre et briller au front des petites têtes humaines éclairées, tel un nuage de lucioles vibrionnant au plus profond de la nuit noire, quoi que l'ensemble dessine des mouvements encore très irréguliers.

    Cause : Conduit à l'erreur plus fréquemment qu'à la vérité. Souvent confondue, à tort, avec la raison ou les raisons dont la chaîne n'est justement pas infinie, contrairement à celle des causes. Ce pour quoi on peut "perdre la raison", mais non "la cause" à proprement parler.

    (Post-)Vérité : Époque de certitudes, et non justement de vérités. Dit un peu, beaucoup, à la folie notre temps. « Les notions d'importance, de nécessité, d'intérêt sont mille fois plus déterminantes que la notion de vérité, pas du tout parce qu'elles la remplacent mais parce qu'elles mesurent la vérité de ce que je dis.» (Deleuze)

    Certitude : Trompe énormément. S'accorde mal avec l'humilité.
    Homme de certitude : "Je suis le chemin, la vérité, et la vie".

    Post-modernité : Lorsqu'on ne peut plus raisonnablement se dire d'un rêve absurde que ça n'arrivera pas.
    Rêve absurde : Un esthète, genre bellâtre mâle – coupe ritale et gominé –, va voir Carmen à l'opéra avec l'assurance que Don José lui ressemble de près. C'est alors qu'il entend la voix du ténor singulièrement et scandaleusement perchée. Il comprend, se lève aussitôt de son fauteuil comme un homme d'honneur offensé en s'écriant d'un ton de Stentor expressément grave et puissant : "Il me semble que c'est un CASTRAT !".

    Castrat : Bel organe sans avenir. Petit chanteur d'opérette tombé en désuétude. "Trans" dans son genre. Grande voix féminine, avant MeToo et LGBTQIA+. Le résultat biologique est stérile mais l'idée féconde : d'une mutilation de la nature lui est venue sa grandeur.

    Carmen : Féminicide passé sous les radars.

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    1. « Les notions d'importance, de nécessité, d'intérêt sont mille fois plus déterminantes que la notion de vérité, pas du tout parce qu'elles la remplacent mais parce qu'elles mesurent la vérité de ce que je dis.» (Deleuze)

      Déjà commenté par mon collègue Engel. Déclaration contradictoire: si l"importance et l'utilité sont mille fois plus déterminantes que la vérité et la "mesurent", n'est ce pas qu'elles la remplacent? Et si elles ne la remplacent pas, en quoi sont elles déterminantes, et pour quoi le sont elles?

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    2. Philosophie : Le bêtisier de la philosophie est lui-même de la philosophie.

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    3. dont acte: le bêtisier est lui-même bête

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    4. Tant que la philosophie ne s'y réduit pas toute ...

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    5. Octave et Gustave F.30 décembre 2024 à 23:50

      Je dirais même plus (philosophique ou pas) :

      Bêtisier : Animalier et inoffensif. L'autre exclusivement, avec drôlerie.
      Se décline sous toutes sortes de thématiques. Programmes télé populaires projetés les soirs de réveillon, de préférence, sur grand écran plat.
      Test du miroir avancé : plus il nous touche de près, plus on le regarde de loin. Difficile outil d'apprentissage et de progression pour la bête humaine. Nous échouons devant lui comme une poule devant un couteau. Comme deux Flaubart devant Bouvard et Pécuchet.
      Spéculaire et mordante, son image renversante trompe les meilleurs. Elle a beau être fidèle, ses admirateurs s'en sentent rarement offensés.
      Platitude déguisée en profondeur.
      Passer et repasser sans arrêt la main sur l'envers de sa surface comme pour s'assurer qu'il y a là, nécessairement, un corps étranger qu'on pût saisir. Ne cherchez rien derrière ce miroir, il est lui-même notre moi le plus profond, le plus personnel.

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    6. Abécédaire (de Deleuze) : Peu d'entrées mais beaucoup de bêtises. Tout l'inverse d'un dictionnaire.

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    7. Saisir ou effleurer ... l'envers de la surface et qu'on y pèche sans doute nous-mêmes en partie, d'accord. De là à dire que c'est la surface notre "moi" le plus profond. On peut mieux se poser en s'opposant mais il ne s'agit pas de s'en contenter. Comme d'une vaste bonne blague. Si toute proposition ne peut plus être qu'en s'appuyant systématiquement sur le contre-exemple, un peu comme le "syndrôme du Homard" qui grimpe par réflexe sur son congénère pour essayer vainement de sortir de la casserole d'eau bouillante, alors ça revient à une dialectique mais cette fois au sens péjoratif : on recommence l'enfermement dans le renvoi infini des reflets en un cercle perpétuel. On passe de pertinence par mise en relief de la contre-pertinence à ... tout du pareil au même. Surtout : vous semblez y tenir.

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    8. Les frères Flaubart1 janvier 2025 à 02:51

      "...tout du pareil au même. Surtout : vous semblez y tenir."

      Ah bon.
      Ne l'oubliez pas Amateur : beaucoup de bêtises et d'ironie dans ces définitions ! Mais pas que. En l'occurrence, que le bêtisier puisse constituer une sorte de miroir (un miroir, de fait, plutôt repoussant de prime abord), et qu'un miroir (de façon la plus générale) puisse être décrit comme "platitude déguisée en profondeur" ne nous semblaient pas relever particulièrement de l'exagération, ni d'une "vaste bonne blague"... Cela étant, bien des choses dans cette définition seraient à revoir, et sans doute à couper, nous vous l'accordons. Encore trop "profond" et pas assez "plat" à notre goût.

      En attendant mieux, ajoutons ces deux là...

      Bêtises : En veux-tu en voilà. Vivre sans en faire serait un enfer. Éviter cependant d'en être fier. Il n'y a (peut-être) que cela d'irréductiblement personnel et de profond en l'homme. Ce serait déjà un immense progrès si l'on ne refaisait pas les mêmes. Avons-nous seulement la possibilité de nous exprimer différemment ? Que perfection soit faite dussions-nous périr. Il faut bien tenter de vivre.

      Moi (Le) : Nait à côté des urines et des excréments. A une toute petite chance de migrer vers les parties plus saines. Pas sûr qu'il en subsisterait quelque chose de si personnel qu'on le dit après l'épreuve de déconstruction et de consolidation dûment menée par la raison – une fois l'être nettoyé de ses dernières bêtises, comme il se doit.

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    9. Messieurs les frères, alors c'est moi qui vous ait mal compris, et je l'accorde volontiers. D'autant que bien-sûr il y a aussi beaucoup de choses de vos envois que j'apprécie. Au risque de la platitude, mais claire, je tenais à le dire.

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    10. Oh, et puis allez, en petit hommage aux frères (bientôt un troisième ?) qui me font souvent sourire (dans le bon sens hein, et me font même parfois réfléchir) : ce qui n'est pas un luxe superflu dans ce monde pas aussi rondelet que la fameuse boîte à fromage. Puisqu'il faut bien le payer le fromage, et passer à la caissière qui elle ne sourit guère ... pas plus que l'agriculteur qui se la coltine, la vache ... tandis que je déleste de ma modeste contribution mon porte-monnaie sans qu'il n'y en aît grand chose qui passe dans le leur ... mais que le code barre de la boîte hilare fait tilt, lui ... Bovidée couleur mère noël goguenarde, la pourvoyeuse de lait se permettant même, dans la pub animée, un hypocrite et cynique clin d'œil aguicheur pour attirer les petits enfants innocents vers le goûter. Jusqu'au jour où l'expression enjouée et joufflue qui materna mon enfance révéla son véritable sens : simple com' de surface à vocation cupide, même l'agitation de ses boucles d'oreilles n'avait d'abyssale au fin fond sans fond qu'un portefeuille de Danaïdes devenues actionnaires. Le rêve puéril fût brisé : Mamie Noël n'existait pas. Bien qu'on la traye jusqu'à l'os
      Voilà, vous pouvez m'inspirer, quoi. Même si oui, trop frontal, pas aussi fin que vous sur ce plan, en général. Souhaitant donc continuation allègre à votre plume affûtée. Mais n'en profitez pas trop toutefois, hé hé.

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    11. Il me semble indiqué de rappeler que cette "récréation" ne signifie pas que je vire au rouge vif des têtes bien tranchées des vaches ... A la vérité, à tort et/ou à raison, je suis plutôt du genre gradation des nuances. Après, on peut s'emmêler les pinceaux dans le discernement des degrés . Et certes, je ne suis pas non plus toujours d'une parfaite impartialité et lucidité. Quoique ici ça se discute. D'autant surtout quand on se retrouve aux premières loges d'un état des lieux tout de même assez récurrent. A défaut d'être une excuse pour quelque pointe de démesure, c'est au moins un peu plus qu'une circonstance de passage. Miroir... dis-moi qu'il n'y a pas que moi, ni que nous, et dis-moi donc ce que nous en faisons de cela.

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  27. Il est à noter que pour le Spinoza de la fin de l'éthique, le sommet du développement de la puissance d'agir est la contemplation qui aurait sa fin en elle-même (où on reconnaît des accents aristotéliciens de l'autre éthique ...) et n'est donc pas à confondre avec disons un développement de la capacité d'action plus prosaïque de type purement fonctionnel technique au sens utile ou le plus apparent. Mais clairement chez S : le conatus ne saurait précéder la vérité, ça n'aurait aucun sens, de quoi d'ailleurs la raison pourrait avoir mesure sans elle ? En revanche, l'appétit aveugle précède plus ou moins la raison et le désir conscient (l'appétit tend bien vers quelque chose mais dont il n'aurait d'abord qu'une idée obscure, cependant un embryon de raison doit bien s'y trouver déjà quelque part,, à mon souvenir lointain : S n'est pas clair à quel moment précis la raison intervient, en tant que rationaliste elle semble avoir de l'inné mais a à se consolider par l'acquis, si j'ai compris), et que appétit puisse obscurcir le jugement de la raison, voire sous la forme plus élaborée d'un calcul d'intérêt mais encore trop court qui puisse l'emporter sur la raison plus entière et conséquente (ou simplement cohérente), ça oui, mais c'est une autre question que la vérité secondaire par rapport à ma mesure, c'est juste que ma mesure est alors incorrecte. Et la mesure correcte ne consiste pas qu'en ma satisfaction, mais en la compréhension de ses conditions qui ne se réduisent pas à elle. Il me semble qu'il y a souvent confusion entre vérité et accès à la vérité, et que dans l'accès on confond la motivation conditionnelle de l'affect et la faculté rationnelle plus active, même si en pratique : la frontière entre les deux n'est pas toujours si nette à tous les coups. Et qu'on peut peut-être aspirer à un démarquage plus décisif de la raison neutre par rapport à l'affect contrairement à ceux qui souhaiteraient davantage les rapprocher, même si ici c'est justement la vérité qui décide du possible. Spinoza tend quand même à considérer que l'affect a quelque chose de conditionnel, comme une cause encore plutôt aveugle, à la raison, mais pas pour verser dans le pathos ni se contenter de rester à ce stade. Le primat de l'affect n'implique pas sa primauté. Et Spinoza n'est pas si mauvais, après tout, à distinguer finalité, tendance, et ce qui ne relève pas nécessairement d'une finalité mais sans lequel il ne pourrait y en avoir l'ombre d'une.

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  28. Je dis qu'il n'est pas si mauvais, bien que c'est ptêtre surtout moi qui ait du mal à repérer précisément où se tient son obscurité, bien que je la pressente aussi. Bon, là, j'expose un partage paradoxal en moi entre reconnaissance de sa clarté et ce qu'elle garde de plus indécis.
    Au fond, si un rationalisme ne se réduit pas à un naturalisme, serait-ce justement là qu'avec Spinoza la frontière serait moins claire (?), bien que je ne sois pas si sûr ici d'arriver vraiment à le prendre en "flagrant défaut" de cohérence, mais ce rapport nature/raison c'est sans doute ce qui le rend douteux à certains philosophes, non ? D'autant que la causalité chez lui, une fois posée ses principes ou son ontologie, est surtout approchée en termes de augmentation ou diminution de puissance d'agir, auxquelles se relierait l'affect passif ou tendanciel, mais pas encore pleinement relayé par la raison. Il ne me semble pas totalement obscur au final dans l'aptitude à montrer ce que la raison distingue de l'affect peu ou bien compris, bien qu'il soit moins bon à faire comprendre comment la faculté de raison, elle, se distingue.
    En tous cas, je connais mal Deleuze, mais le peu que j'ai lu de l'Anti Oedipe, ça m'a paru : en avant toute l'imaginaire ..., et quand bien même je n'aurais pas assez compris d'où viennent les obscurités de l'Éthique, l'ouvrage de S m'est apparu au moins incomparablement plus clair, et lui je l'ai lu jusqu'au bout (même si oui : j'ai été bien moins attentif du début que quand il aborde le chapitre des passions. Bon, c'était il y a plus de vingt ans, et c'est vrai que je pourrais ptêtre y revenir, voir aborder Descartes dans le texte, ce que j'ai peu fait, histoire de comparer ...). Je conçois qu'il y a une raison que vous nous ayez soumis Spinoza. Je sens le problème mais je ne parviens pas à totalement le cerner (l'insuffisance théorique sans doute).

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    1. Mon conseil: outre lire Spinoza, lire les grands commentateurs: Delbos, Brunschvicg, Gueroult, Alquié , Moreau, Curley, Wolfson

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  29. Dans les "Investigations philosophiques", Wittgenstein n'aborde pas directement les passions de manière exhaustive comme Spinoza pourrait le faire, mais il s'intéresse plutôt à la façon dont le langage exprime des états mentaux, y compris des émotions et des sentiments. Son approche est souvent plus conceptuelle que phénoménologique.
    Quelques exemples de passions et d'émotions qu'il explore incluent :
    1. Douleur : Wittgenstein discute longuement de la façon dont nous exprimons la douleur et comment les autres comprennent ces expressions. Il utilise l'exemple de la douleur pour illustrer la notion de "jeu de langage" et pour contester l'idée que des états mentaux privés peuvent être parfaitement partagés par le langage.
    2. Tristesse : Il aborde également la tristesse en discutant comment des états émotionnels peuvent être manifestés à travers le langage et le comportement. Wittgenstein s'intéresse à la dimension publique des émotions et à la manière dont elles sont intégrées dans des formes de vie.
    3. Joie et plaisir : Bien que de manière moins centrale, il mentionne aussi des émotions positives comme la joie et le plaisir, en explorant comment les expressions de ces états peuvent varier selon les contextes culturels et linguistiques.
    L'approche de Wittgenstein est de montrer que les émotions et les passions ne sont pas simplement des états internes, mais font partie intégrante de nos interactions sociales et de notre langage. En cela, il offre une perspective unique qui peut enrichir notre compréhension des émotions humaines de manière comparable à celle de Spinoza, mais sous un angle différent.

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  30. je ne suis pas sûr que Ludwig ait une conception sociale des émotions, ni Baruch.

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  31. Il y a des choses justes dans ce que vous dites, Gepetto. Mais vous oubliez ce que souligne Wittgenstein : à savoir que l'expression seule n'est pas suffisante à ce qui permet un langage disons plus élaboré qu'un cri montrant ma douleur. Alors oui, le comprendre n'est certes pas toujours que raisonnement par inférence, W le rappelle, il y a en partie une articulation à faire non seulement dans un déploiement de temps à travers la description d'une action plus complète, voire de notre façon de rendre compte des raisons des causes des finalités (et ce quand bien même W privilégie la description à l'explication, il n'écarte pas l'importance de la question pour faire sens, mais se refuse à établir définitivement la réponse) , qui tient certes en partie donc de nos usages sociaux, mais il y a aussi à interroger : le cadre proto conceptuel stable conditionnel au sens , ce qu'il faut au moins de supposition a minima d'une vérité possible avant tout possibilité d'aborder son contenu, cadre lié à notre forme de vie, à la fois à notre nature et à notre construction. Mais même si W refuse d'y poser un fondement universel définitif, ou essentialiser la définition de notre nature, la question de celui-ci (universel ou naturel, que W ne recoupe pas forcément entièrement, mais pas plus forcément au bénéfice que du naturel ou/et du culturel ...) comme cadre nécessaire au sens, qui ne se réduirait pas à une construction à partir de nos émotions, bref la question du réel du vrai, ne serait-ce que comme question, et des critères pour qu'elle soit intelligible, demeure incontournable, d'une haute importance. La douleur, la joie, etc, pour W, ne sont pas des connaissances à elles seules. Et il ne suffit pas de poser le concept après coup, mais aussi ce qu'il aurait d'avant ... D'après lui, dire : "je sais que j'ai mal" n'a pas de sens, justement parce qu'il est impossible d'en douter ou de l'ignorer. La douleur, pour devenir concept savoir, certes, passe par mon interaction avec les autres. Mais concevez, par exemple, que si il y a "interaction" et "autres", ça implique nécessairement une condition première : que quelque chose se tienne non seulement entre mais aussi hors soi et les autres ! Une réalité quelque part ... comme sorte de préconception conditionnelle. Alors certes, W n'en affirme pas la nature métaphysique, ce qui peut tenter de considérer que cette règle de base commune ne tient qu'à l'accord des subjectivités. Seulement il faut ici relier la critique de l'intériorité privée à celle du solipsisme dans le Tractatus

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  32. Pour simplifier, W montre que même si tout revenait à l'esprit ou au sujet, cela implique : 1/ que ce sujet est celui philosophique et pas seulement celui de mon petit "moi" 2/ que lorsque vous voulez saisir quoi que ce soit de ce sujet vous êtes ramené au monde qui s'y coordonne. Mais à partir des Recherches, W veut casser encore davantage le solipsisme.
    Je vous donne ici une interprétation personnelle mais à partir de références : même si tout était esprit, alors pour que cette proposition soit vraie, pour que esprit soit vrai, alors il faut que la proposition ou l'esprit ne soit pas que le fruit de l'esprit (sinon régression à l'infini). Si l'esprit est vrai, alors il devient en quelque sorte un référentiel externalisable ou du moins objectivable. En plus simple, Bouveresse, dans "Nietzsche contre Foucault", montre que si tout est subjectif, alors votre proposition est subjective, donc affirmer le contraire est tout aussi subjectif, donc vaut tout autant, et plus rien n'a de sens. Bouveresse montre avec acuité que ce qui fait le lit d'une dictature est moins la prétention à la possession d'une vérité fixe, qui serait trop susceptible d'être confronté à une contradiction possible, que de prétendre à l'absence de vérité, lui permettant de manipuler les faits à sa convenance. Jouer donc Orwell contre Foucault ! Et un certain Engel rappelle dans son manuel qu'on voit trop le danger du dogmatisme d'une vérité fixe , là où le danger est bien plus grand dans une vérité aveugle sans appui stable et raisonné. Rendez-vous compte, essayez, de voir ce que ça implique : non seulement de remettre les pendules à l'heure pour une mode postmoderniste qui a fait des dégâts à force de trop faire l'économie de la notion de vérité, pensez à internet aux Fake News par exemple, demandez-vous si la démocratie y gagne tant à l'hyper-démocratisme participatif, allons nous finir par décider de savoir si Hitler a existé uniquement par un vote ? Et tout ce que je vous dis ici est bien mieux expliqué dans le Manuel que vous a indiqué l'administrateur. Si vous êtes si antidogmatisme, allez voir, oser explorer ce dont vous avez moins l'habitude, et éventuellement de soupeser une remise en cause ici et là. L'enjeu est sérieux.

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    1. CE que dit Bouveresse se trouve aussi dans Platon, Protagoras.

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    2. Ok ! Ce qui me permet d'envisager d'autres liens et notamment avec d'autres billets ... Sans être trop présomptueux, je crois mieux entrevoir certaines de mes erreurs et empressements, les choses se mettent un peu mieux en ordre de marche. Mais du coup, d'un autre côté, la référence à Platon me rappelle un point trouble récurrent du rapport exact entretenu entre le rationalisme de Bouveresse et l'approche de Wittgenstein qui aimait à traiter des différences ... Bon, j'ai suffisamment argumenté précédemment, je crois, pour montrer que je peux comprendre la différence entre un non réalisme métaphysique et un anti réalisme. Reste que c'est justement votre pensée qui intervient alors et me rappelle qu'il y a là peut-être là encore quelque chose de pas suffisamment affirmé. Et que votre propos, pour ce que j'en comprends jusqu'à présent, est sans nul doute moins ambigu. Comme m'avait dit un ami à qui j'avais conseillé votre Manuel : "Lui, au moins, il tourne moins autour du pot ...". J'ai encore des doutes, des partages entre Idée de Platon et Substance première/seconde d'Aristote (je simplifie vite pour faire court). Mais oui, j'ai sans doute trop attaché d'importance pendant longtemps à l'"essence mais en acte", et j'entrevois plus aujourd'hui ce que peut permettre leur distinction plus nette. Et aussi peut-être le rapport Éternel/Temporel. Je n'irais pas toutefois encore jusqu'au platonisme entier revendiqué de la caverne, mais je n'exclus pas de modifier mon jugement, quand j'aurais une idée plus complète des tenants et aboutissants. J'ai encore quelque résistance à accorder un complet caractère ontologique au concept, même si je sens plus la friction à partir du moment où je ne le considère pas non plus que comme une représentation mentale ...
      On se demande tout de même pourquoi Bouveresse a étudié tant d'années Wittgenstein. Bon, je sais qu'il y a d'autres auteurs auxquels il s'est consacré. Mais pourquoi autant Wittgenstein ? En raison des problématiques qu'il posait ? Je veux dire : pour combattre le postmodernisme, il n'a pas non plus choisi l'auteur le plus facile. Mais peut-être parce qu'il se tient justement au coeur de quelque chose de l'enjeu, voire de la bataille ?

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  33. Et pour en revenir à Flaubart, le bêtisier doit servir à retrouver au moins un peu la voie plus droite. On joue pas à colin-maillard non plus. Ça a des conséquences. Dans notre monde. Notre réalité. Alors peut-être pas démontrée métaphysiquement. Mais clairement pas réduite à l'expression de nos émotions. La question est pour W : qu'est-ce qui leur donne vraiment sens ? L'articulation à des critères rationnels plus étayés aussi tout de même. Si W s'intéresse à la dimension publique des émotions, c'est dans la mesure où elle s'articule à des conditions de vérité possible, le sens mais aussi la cause la raison (même si W privilégie la description à l'explication, il n'en ignore pas l'importance, mais davantage comme supposition intrinsèque liée, que réponse définie définitive) ne se tiennent pas ni ne se dégagent que dans l'émotion, l'émotion ne fait qu'y participer. De même W s'intéresse plus tout de même au caractère anthropologique plutôt que simplement sociologique, c'est à dire à la dimension d'universalité ou de nature et pas que de culture, de connaissance possible donc, non pas qu'il tienne à donner une réponse définitive, mais qu'on ne saurait poser de question intelligible par la seule autosuffisance de l'enjeu social, que cela implique aussi celle de la vérité, quand bien même on ne la saisirait pas toute, elle demeure conditionnelle à la possibilité même et au caractère sensé de toute émotion ou enjeu social. W n'interoge pas langage public uniquement comme ce qui se tient au devant de nos émotions mais aussi ce qui se tient derrière (mais pas au sens de l'intériorité privée, ni du ressenti, ni de tout concept comme purement construit, si vous avez compris !).

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  34. Dans ses considérations sur le Rameau de Frazier, W reproche de juger comme irrationnelle une autre culture, mais pas pour dire : à chacun sa rationalité selon sa culture ! L'anthropologie n'est pas nécessairement qu'un culturalisme ou une sociologie.

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  35. Deleuze était en mouvement et en changement perpétuels, épousant les tendances successives à différentes époques. En réalité, il avait une philosophie holiste. Il ne haïssait que ce qui rabaissait la "vie" (dans son acception la plus vague, à force d'être générale), et il rejetait quelqu'un uniquement quand il avait été rejeté par lui, suivant le phénomène du double détournement qui lui était cher. Cela explique ses relations contrariées avec les wittgensteiniens, ou les LGBT.
    J'aurais tendance à croire les étudiants lyonnais, quand ils me parlaient du sous-texte wittgensteinien de la thèse complémentaire de Deleuze sur le problème de l'expression chez Spinoza, même s'il servait surtout pour Deleuze à s'en distancier. Il reste que les étudiants lyonnais n'étaient pas du tout Deleuze-maniaques, et qu'ils ont préféré préparer des concours de l'enseignement à Nanterre, plutôt que de suivre Deleuze à Vincennes dans son break expérimental. Ils reviendront dans la vie de Deleuze à Saint-Denis, quand sa carrière sera redevenue plus académique : Deleuze, philosophe de l'image, après le philosophe du langage et celui du désir.

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  36. Mais qui étaient ces fameux wittgnesteiniens? Qui sont ces méchants ? Des noms !

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  37. Et la question derrière : qu'est-ce qui dérange tant Deleuze dans ce qu'il suppose de ce qu'il appelle les "wittgensteiniens" ?
    Autre point et pas le moindre : est-ce que placer "la vie" avant la question de la vérité (sous réserve ici que je suppose en fonction de ce que j'entends, puisque je ne connais pas suffisamment Deleuze ni les "deleuziens") est la meilleure façon de lui rendre service, à la vie ?
    Par exemple, se détourner seulement si l'autre se détourne, je vois l'intention et elle ne ne me paraît pas si mauvaise, mais suffit-elle à une application systématique, je veux dire : il nous arrive de nous détourner de ou même faire obstacle à l'autre sans attendre que cela nous concerne directement (et pas seulement s'il porte atteinte directement à la vie, ou aux sensibilités mais aussi parce qu'il touche à des valeurs d'ordre plus épistémologique, par exemple. Ces valeurs ne sont pas que secondaires à la vie, elles sont aussi des conditions de la vie en commun !). Et en passant je vais citer l'ouvrage et l'auteur qui me l'a fait beaucoup mieux comprendre : "Les vices du savoir", toujours ce certain Engel, décidément ...

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  38. Pourtant, la thèse complémentaire de Deleuze sur le problème de l'expression chez Spinoza (les passions) semble trahir l'indice d'un léger flirt avec la pensée de Wittgenstein. Mais comme dans le cas des LGBT, Deleuze a fini par agacer ceux qui se radicalisaient : il restait sur la touche, et comme Henry Miller, il prenait des cuites à l'eau pure.
    Les méchants wittgensteiniens pourraient être Bouveresse, Chauviré, Laugier ou Fabiani, ou encore des anglo-saxons. Et il y avait les "trolls" analytiques qui intervenaient sauvagement dans les séminaires de Deleuze, Foucault ou Derrida à partir du milieu des années 1970, mais Deleuze avait toujours su gérer ce genre de personnages agités du bocal, et principalement ultra-gauchistes.
    Un chercheur de haut niveau comme François Clémentz, tout le contraire d'un énergumène, allait bien faire du trolling analytique chez Derrida (il avait eu le malheur d'employer le mot "substance"). En ce qui concerne Deleuze, celui-ci semblait ramener la philosophie analytique à Wittgenstein, et il paraissait redouter un véritable complot des wittgensteiniens, un peu à la manière de Lovecraft.

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  39. Deleuze citait toujours ses sources, à la différence de Foucault. S'il avait subi une influence wittgensteinienne dans son Spinoza, il l'aurait dit. Fabiani n'a rien de wittgensteinien. Laugier ni Chauviré n'ont publié sur LW qu 'à partir des années 93, bien après l'Abécédaire de Deleuze. Je n'ai jamais vu de troll analytique aux séminaires de Deleuze, que j'ai suivis jusqu'en 1976. Clementz n'a jamais trollé Derrida. Vous fantasmez...

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  40. Chauviré, Laugier, oui, là, sans vouloir méchamment insister, mais grosse erreur chronologique (et il y a aussi ici déjà une divergence de conception de Wittgenstein à l'intérieur même de ce qu'on reconnaît en général, sous le même vocable, comme issu du courant analytique ... où W, faut-il le rappeler, occupe une place un peu à part et donc peu réductible).
    Il me semble quand même bien plus constater une certaine attention chez les philosophes analytiques (pas tous toujours mais plus souvent) à lire les autres philosophes que l'inverse ... Et de la part de ceux qui se réclament bien plus de la pluralité, ça laisse pour le moins songeur ... A moins que ce ne soit révélateur de quelque chose à déceler... Mais pour le coup, c'est déjà moi qui fait ici des généralisations trop vagues. Il faut donc avouer : je pratique souvent moi-même ce que je reproche, c'est à dire l'identification un peu trop facile de courants, de modes, sans avoir toujours une idée précise des auteurs, des pensées, etc.
    Disons au moins que du point de vue d'un type qui ne connait tout de même pas le milieu universitaire, on peut être surpris que là-aussi on ne soit pas tant épargné par le colportage du simple ouï-dire. Dont je ne prétends pas être épargné toujours, m'enfin je ne suis pas un "professionnel de la profession" comme disait Godard (ce qui ne veut pas dire que je sois d'accord avec la façon dont lui l'entendait. Et qui plus est, on était là, censément ..., dans un autre milieu.).
    Je me rends bien compte de l'importance de connaître ce dont on parle et surtout de citer ses sources plus précisément. Après, pour tout dire, pour un simple amateur quelque peu en retrait dans la brousse (pas un cloître de pure vertu non plus), c'est aussi souvent une question plus prosaïque de logistique accessible. J'emprunte beaucoup plus d'ouvrages par le réseau universitaire de ma région qui daigne venir jusqu'à ma petite ville (et je l'en remercie fort) que je n'en possède. Je prends des notes de lecture toutefois mais je n'ai pas toujours un sens de l'ordre exemplaire. Pas une excuse donc, mais ceci explique en partie cela.
    En tous cas, la curiosité intellectuelle (qui certes n'est pas toujours une vertu lorsqu'elle incline trop à la dispersion) m'a au moins appris à aller voir tout de même un peu plus quand je ne connais pas et que ça insiste. Pour mieux juger. Certes pas encore assez de façon suffisamment exhaustive, et pas sans écarts de ma part, à mon niveau d'apprentissage, que je rappelle toutefois.
    Peut-être avons-nous davantage une question à nous poser en tant que commentateurs : pourquoi avoir choisi ce blog ci plutôt qu'un autre ?

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  41. Clairement, Wittgenstein ne se réduit pas au positivisme logique et ce dernier n'est peut-être pas aussi méprisable qu'un certain positionnement réflexe tend à le croire (mais je connais mal Carnap et cie, et suppose donc plus que je ne le sais. Disons que j'essaie de me montrer prudent avant de juger trop vite, ce qui ne garantit pas encore une fois que je sois à l'abri de tout raccourci et préjugé). C'est la vision de loin en fonction de vagues classifications plus idéologiques que philosophiques, de caricatures comme de faux repères pour raccourcis apparemment bien pratiques, du moins sur le court-terme, qui semble nous jouer des tours et finir par faire pas mal de dégâts. Plus facile que de soupeser vraiment la tentation de sa critique, de se lancer la fleur de sa "bonne intention" au fusil. Sans avoir pour le coup à juger autant de la teneur de sa propre proposition, s'il y en a une.
    Mais sans plus d'arguments, je dirais que la réaction extrême de Deleuze m'a plutôt donné l'impression qu'il s'y manifestait une sorte de ... peur (pour sa propre boutique ou paroisse plutôt que connaissance ? Ou qu'il y ressentait de bonne foi, bien que peu étayée, un réel danger ? Reste qu'on retrouve le problème : un simple pressentiment ne saurait suffire d'argument. Et la crainte est une émotion qui, au delà de l'immédiateté, est rarement bonne conseillère).
    Il est vrai en passant que Wittgenstein est loin d'être le seul à avoir prétendu "d'être arrivé au terminus ad quem de la philosophie" (juste de mémoire, hélas, mais nette). Peut-être alors juge-t-on à ce qu'on suppose des "bonnes" manières de l'assassin ? Mais on voit mal ici en quoi consiste exactement le départage bon/mauvais, Deleuze n'explique rien, il pointe juste du doigt : est-ce une question de méthode, de fond ... Reste qu'il serait aussi sans doute indiqué d'arrêter cette manie de se prendre pour le prophète fossoyeur de première classe (que ce soit W ou Nietzsche ou autre), de vouloir enterrer à tout va, que ce soit la philo ou l'histoire (et bien que ça ne sente pas très bon pour l'avenir de cette dernière, mais pas exactement pour les mêmes raisons).

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    1. merci mais l'énigme n'est toujours pas résolue pour moi: qui exactement visait Deleuze?

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    2. Deleuze aurait-il pu avoir quelque écho de "Le philosophe chez les autophages" ? Quel était à l'époque le degré de reconnaissance publique de Bouveresse ? Vous êtes tout de même un des mieux placés pour vous faire une idée ...

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    3. en effet j''en ai une. Voir les pages 131-134 de Qu'est ce que la philosophie, Minuit 1991, sur la logique , qui voue "une véritable haine" pour la philosophie. Les "wittgensteiniens" sont là. et je suis cité...

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    4. D'accord, i see now, hé hé ... Le pire, c'est que je me souvenais bien en effet d'un passage où Bouveresse citait Deleuze ET Guattari sur la logique qui haïssait la philosophie, mais je n'avais pas plus en tête, ni les dates ..., j'ai hésité à en parler, au lieu de ça j'ai encore trop débité ... J'irai voir le passage cité . Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, c'est votre insistance bien-sûr mais aussi : d'aller revoir les dates de publication des livres de Bouveresse avant 1988. C'était pourtant la solution la plus probable, pour pas dire plus, dès le départ, mais vous avez aussi brouillé un peu la piste ... Mais je capte, cette fois ça y est, l'intention. Tout revient à sa place exacte ... Tiens, c'était pas le Rouletabille de Gaston Leroux (je connais que la version ciné) qui disait : "Tenir la raison par le bon bout ..." ?

      Reste que même si Deleuze avait bien une cible précise, je demande à voir son argumentation dans le livre cité, si tant est qu'il y en ait une (à moins que l'argumentation haïsse elle-aussi la philo ?), car son propos dans l'abécédaire garde quelque réactivité émotive plus obscure, bien que d'expression lapidaire, qui camoufle peut-être crainte moins avouable ... En tous cas : surjouer la mise en avant de l'indignation, quasi Don Quichotte contre la Horde logicienne, peut être pratique pour éviter d'avoir à argumenter. La question de savoir si son propos est bien philosophique ne se pose même pas, mais de savoir si sa motivation lui semblait telle pour lui-même, s'il y croyait tant, ou s'efforçait surtout de s'en convaincre, voire de convaincre les autres, peut se poser. Il était tout de même capable d'entendre la force de certains traits décochés par Bouveresse, non ?

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    5. Bouveresse n'est pas cité dans Qu'est-ce que la philosophie. Engel si. Les commentaires de Bouveresse sur Deleuze et son rejet de la discussion sont ultérieurs à 1991.

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    6. Ça y est, on tient enfin l'horrible méchant logicien, le vrai coupable, qu'on appelle la police ! J'suis curieux de savoir ce qu'il dit exactement, voire ce que vous auriez pû dire qui l'ait froissé à ce point, va falloir que je patiente un peu pour le passage cité ... Vous avez noté, je suppose , l'ironie au final, du propos de Deleuze dans l'abécédaire : sacré coup de projecteur sur le nom de Wittgenstein pour beaucoup de gens qui n'en avaient jamais entendu parlé, furent intrigués, et peut-être de fil en aiguille amenés jusqu'à Bouveresse et vous (ce ne fût pas mon chemin d'accès, perso). Qui plus est, qu'en soit responsable, au moins en bonne partie, le pur "wittgensteinien" -c'est bien connu désormais - que vous êtes...

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    7. Me manquait la touche finale, précise, tout de même...

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    8. L'affaire deleuzo-"wittgensteinienne" est donc résolue. Je déclare l'accusé ... Quoi ? Mieux justifié, au moins. Comme souvent en logique, on cherche loin la réponse qui se trouvait sous notre nez ...

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    9. Ce n'était donc pas ici que la question, mais qui la pose, et pourquoi.

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    10. non, l'affaire n'est pas résolue, car je ne sais pas qui sont les wittgensteiniens désignés dans l'Abécédaire. Mais sans doute P. Engel était il au moins partiellement visé dans les pages de Qu'estce que la philosophie citées plus haut, où il est dit que la logique "hait" la philosophie.

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  42. Tout cela appartient déjà à l'histoire de la philosophie.
    Pour Clementz et Derrida, voir le Blog de la SEMAI :
    https://semaihp.blogspot.com/2021/07/se-souvenir-de-francois-clementz.html?m=1
    J'ai plein d'autres révélations et souvenirs de la Deleuze-mania pour vous.

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    1. Je suis preneur de souvenirs. Quant à Clementz et Derrida, je me souviens. Un de mes amis en a parlé mieux que moi

      voyez

      Revue philosophique, n o 2/2022, p. 288 à p. 294



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  43. W toutefois ne se réjouit pas tant de ce qu'il appelle "la perte de son auréole" à la philosophie, c'est quelques années après son retour à Cambridge (années 30, je n'ai pas la connaissance suffisante ni de quoi vérifier à quel date précise, de savoir à quel cahier par exemple auquel ça correspond, ce qui me permettrait de mieux comprendre la progression du raisonnement. Je sais que quelque chose se passe à partir de la remise en cause de l'atomisme logique de Russell. Je ne comprends que partiellement, je crois, l'argument de l'impossibilité du rouge et du vert en un même point ...), il compare cette perte au passage de l'alchimie à la chimie. Il s'agit donc bien de reconnaître un changement pour la philosophie avec l'avènement de la science dite dure (y'avait tout de même déjà un peu de ça dans le Tractatus, la démarcation entre sciences de la nature et le reste. Sauf qu'il s'agira moins nécessairement de taire ce reste, ensuite. Et qu'on le taise ou non, ça ne semble pas changer son importance ...). W semble penser que cela oblige à considérer la philo différemment. Chez lui, en gros, moins comme théorie fondamentale que thérapie et éclaircissement. Et W ne souscrit pas au progressisme scientifique, il en doute. Mais en tous cas, comme le dit fréquemment Bouveresse, il n'est pas si sûr non plus que W ne fasse jamais de théorie ... C'est une nuance très importante, je crois. Plus largement, il n'est pas si évident que l'approche scientifique aît à ce point remis en cause la philosophie au sens classique.

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  44. Que ce soit Pierre Hadot (outre ses livres sur la philosophie antique), Chauviré ou Laugier, tout le monde a publié tard son livre sur Wittgenstein, mais en réalité il s'agissait d'un recueil d'articles déjà anciens. Chauviré et Laugier, étudiantes et mastérantes-doctorantes, ont été les élèves de Bouveresse dans les années 60-70. Elles ont préparé de longue date leur heure de gloire wittgensteinienne, sur fond de meurtre de César ou de Moïse, rejoué avec les grands anciens Deleuze, Foucault et Derrida. Même Bouveresse a été prudentiel, préférant y aller à coup de petites phrases euphémisantes (Deleuze, grand commentateur de Nietzsche !), avant de sortir son couteau. À Besançon, Chauviré a commencé à intervenir sur Wittgenstein à la toute fin des années 70, et elle a repris tardivement ses interventions dans un recueil. À Besançon, elle a trouvé les traces du travail de Louis Rougier, qui était parvenu à être à la fois wittgensteinien, positiviste logique et pétainiste. De Lyon, Deleuze pouvait aller à Besançon pour se renseigner sur le deuxième Wittgenstein, même si Alain Badiou et autres disaient que le second Wittgenstein faisait une glose lourde du "Tractatus" pour le peuple.
    Dans les années 70, les jeunes Turcs de la recherche pensaient à voix basse, au sujet des grands anciens : c'est parfait, ils ont tout fait, ils étaient géniaux, mais quand partiront-ils ?
    Il y a eu aussi la filière sociologique originale des wittgensteiniens et peirciens, autour de Bourdieu, dont sont issus Jean-Louis Fabiani et Claudine Tiercelin.

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  45. s'il fallait, cher Gepetto, faire confiance à vos talents de généalogistes, vous auriez vite fait de me déclarer descendant de Madame de Maintenon...

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  46. Personnellement, je n'ai pas les connaissances suffisantes pour dégager clairement qui faisait ou avait fait quoi exactement en 1988 et serait susceptible de concorder avec les cibles éventuelles de Deleuze. Déjà pour vous dire mon ignorance : je ne connaissais pas Clementz qui a l'air intéressant ... Je serais tenté de penser que Deleuze a fini par faire un "lot"simplificateur mais je vois bien ce que ma considération peut avoir d'insuffisance, bien que son propos me paraisse aussi à l'emporte pièce. En revanche, pour avoir lu certains propos de Badiou sur W, là je sais que je n'ai pas à m'y fier au moins sur ce sujet.

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  47. Et Hadot est un peu court sur W dans son intervention à propos de la conférence sur l'éthique. Alors oui, W a parfois parlé de l'inutilité des doctrines et de l'importance de changer sa vie. Mais comme je l'ai exposé plus haut, il ne colle pas à la conception qui se contenterait de mettre en avant la pratique au point d'occulter la théorisation. Alors certes, dans ce qu'a pû dire W sur la religion, il y a des points très spécifiques. Mais je ne vais pas recommencer à dévier sur le trop long et ne serais plus sur le sujet mis en avant par l'administrateur. A défaut d'info supplémentaire pertinente, sur les wittgensteiniens, voire sur Spinoza, je me tais pour le moment.

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  48. Octave et Gustave (dit aussi le "gang des Flaubartiens")3 janvier 2025 à 23:52

    Wittgensteiniens", "Deleuziens", "Derridiens", "jeunes Turcs de la recherche"... Nous, on commence à s'y perdre. Avant l'Abécédaire, peut-être commencer par le béaba. Sans prétention.

    Philosophie : Ce mal prestigieux nait avec l'homme sitôt qu'il commence à penser. Concomitant de parler. Wittgenstein voulait en guérir. En vain. L'anti-philosophie est encore de la philosophie. Grande pourvoyeuse de suffixes en "isme" et en "ien" selon l'ordre desquels elle opère toutes ses divisions.

    Scepticisme : Ce mal diluvien nait avec l'homme sitôt qu'il commence à douter. Concomitant de penser. Culbute cul par-dessus tête sans aucun hématome.

    Penser : Par soi-même, c'est mieux. Premiers émois. Commence très tôt dans les limbes de l'innocence et de la spontanéité mêlées, avant que la logique de papa ne s'en mêle : "Maman, tu crois que Dieu sera fâché si je ne crois pas en lui ?". Même genre peu ou prou, beaucoup plus tard, et parfois avec l'ordre des Palmes, mais en moins le charme naturel des premiers âges et le tendre enchantement des premiers essais. Moins spontané avec le temps mais toujours aussi contradictoire. Auto-contradictoire avec panache ! Remarquable dans sa constance à défier l'Autorité de la Logique en toutes circonstances et dans tous les aspects de l'existence (syn. d'insubordination).

    Logique : Qui voudrait lui confier la direction des affaires du monde ?
    Au sens ordinaire, un je-ne-sais-quoi très embêtant, très collant, comme le sparadrap du capitaine Haddock.

    Penseur : Héroïque. Celui dont le métier est justement de penser, mais pas (nécessairement) de penser justement, encore moins de penser logiquement. Beaucoup d'espèces différentes. Par contraste avec "pensif" : simple intermittent du spectacle prenant la pose.

    Métaphysique : Impossible de s'en dépêtrer. Ne pas en avoir une, c'est déjà en avoir une.
    Aussi persistante que la bonne vieille logique ou que la tripartition entre "esprit", "langage" et "réalité". Prend la forme d'un champ d'honneur où l'on s'étripe avec solennité quant à l'antériorité et la prévalence du concept, du mot ou de la chose. Et souvent pour bien moins que cela.

    Métaphysicien : Souvent suivi d'un point d'exclamation. " Tonnerre de Brest...Mille sabords...Espèce de m...!"

    Logicien : Incompris. Réclame la Logique universelle pour tous. Lui faudrait pour cela un ministère, qu'il ne réclame surtout pas. S'il n'est pas métaphysicien : suivi de deux points d'exclamation, avec une majuscule ("espèce de L...!!")

    Universalisme : Contraire du relativisme. N'est pas prêt de mettre tout le monde d'accord, chez ses partisans eux-mêmes.

    Relativisme : Les goûts et les couleurs. Sa définition est relative. Par exemple, "Je ne suis pas beau, mais je plais !" est typique d'un relativisme esthétique de bon aloi, fort banal et plutôt sympathique. Tandis que, "Mieux vaut renoncer à la pédophilie et au viol, aujourd'hui inacceptables" (en insistant particulièrement sur le "aujourd'hui") est emblématique d'un relativisme moral qui préconise de regarder ces choses avec le détachement d'un esprit anthropologiste conciliant, qui n'hésite pas à envisager leur existence sous de meilleurs auspices. L'emploi appuyé de l'adverbe temporel "aujourd'hui" (hic et nunc) confère à la phrase le sens d'une réserve de chic et prudente neutralité morale.

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  49. Pour ma part, Bayle me semblait avoir dit l'essentiel :
    "Ainsi, dans le système de Spinoza, tous ceux qui disent les Allemands ont tué dix mille Turcs, parlent mal et faussement, à moins qu’ils n’entendent, Dieu modifié en Allemands a tué Dieu modifié en dix mille Turcs ; et ainsi toutes les phrases par lesquelles on exprime ce que font les hommes les uns contre les autres n’ont point d’autre sens véritable que celui-ci, Dieu se hait lui-même ; il se demande des grâces à lui-même, et se les refuse ; il se persécute, il se tue, il se mange , il se calomnie, il s’envoie sur l’échafaud, etc. Cela serait moins inconcevable si Spinoza s’était représenté Dieu comme un assemblage de plusieurs parties distinctes, mais il l’a réduit à la plus parfaite simplicité, à l’unité de substance, à l’indivisibilité. Il débite donc les plus infâmes et les plus furieuses extravagances qui se puissent concevoir, et infiniment plus ridicules que celles des poètes touchant les dieux du paganisme. Je m’étonne ou qu’il ne s’en soit pas aperçu, ou que les ayant envisagées il se soit opiniâtré à son principe. Un bon esprit aimerait mieux défricher la terre avec les dents et les ongles, que de cultiver une hypothèse aussi choquante et aussi absurde que celle-là."

    Mais je dois confesser que je n'ai jamais réussi à faire le travail de fond : lire toute l'éthique, analyser minutieusement les liens entre les concepts, et exhiber les contradictions.

    Disons que j'ai été découragé par la démarche. À mes yeux, reproduire l'axiomatique en philosophie témoignait d'un manque de réflexion sur la différence entre l'objet et le langage mathématiques d'un côté, et l'objet et le langage philosophiques de l'autre.

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    1. Bayle semble ne pas avoir compris la différence entre la substance et ses modes. Mais c'est vrai que ce n'est pas aisé. Ce qui ne laissera pas de m'étonner, après 50 ans de carrière, est qu'on puisse juger un philosophe sans l'avoir lu.

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  50. Plutôt que de refaire la Querelle du panthéisme de Spinoza, il semble plus intéressant de parler de sa pensée politique, ancrée dans les lois de la nature et les passions humaines, afin de comprendre les fondements rationnels de la politique moderne.
    1. Le "Traité théologico-politique" : Religion et politique
    -- Critique de l’interprétation littérale de la Bible :
    - Spinoza y déconstruit l’idée que la religion doit servir de fondement au pouvoir politique.
    - Il critique l’interprétation littérale des Écritures, notamment les lois du Lévitique ou les récits de conquête dans l’Ancien Testament, souvent utilisés pour justifier la domination et la violence.
    -- Séparation de la religion et de la politique :
    - Pour Spinoza, la religion a sa place dans la vie privée des individus en tant que source de morale et de respect mutuel.
    - Mais l’État ne doit pas fonder ses lois sur des dogmes religieux, car cela mène au fanatisme, à l’instabilité et à la domination irrationnelle.
    -- La souveraineté basée sur la raison :
    - Spinoza affirme que la souveraineté d’un État doit être fondée sur des principes rationnels et non sur des prétentions divines ou théocratiques.
    - Les lois civiles doivent viser le bien commun et garantir la liberté d’expression et de pensée, conditions nécessaires à une société stable.
    2. Le "Traité politique" : Une théorie naturaliste de l’État
    -- L’État comme union des puissances individuelles :
    - Spinoza développe une vision naturaliste de la politique, où l’État est une organisation collective née de la nécessité pour les individus d’assurer leur survie et leur sécurité.
    - L’union des forces individuelles dans une société permet de maximiser la puissance collective ("potentia multitudinis").
    -- La souveraineté comme fait, non comme droit :
    - Spinoza rejette les idées abstraites de "contrat social" basées sur des principes moraux universels.
    - Il soutient que le droit repose uniquement sur la puissance : un État ou un peuple a le "droit" d’occuper un territoire dans la mesure où il en a la capacité.
    - Le rôle des passions dans la politique :
    - Spinoza analyse comment les passions (peur, haine, espoir) influencent la vie politique.
    - Il montre que les gouvernements peuvent manipuler ces passions pour asseoir leur pouvoir, mais que seule une politique rationnelle, favorisant la liberté et la coopération, peut garantir une stabilité durable.
    -- Modèles de gouvernement :
    - Spinoza examine les formes de gouvernement (monarchie, aristocratie, démocratie) en se basant sur leur capacité à unir les forces des citoyens.
    - Il privilégie une démocratie bien régulée, où le pouvoir réside dans le peuple et est exercé selon des principes rationnels.
    3. Synthèse des deux œuvres
    -- La politique comme phénomène naturel :
    - Dans les deux traités, Spinoza décrit la politique comme une extension des lois naturelles. Les humains, comme les animaux, agissent pour préserver leur existence et se regroupent pour accroître leur puissance.
    - La formation des États est donc un phénomène naturel, dépourvu de toute sacralité ou justification morale transcendante.
    -- Critique de la théocratie :
    - Le "Traité théologico-politique" insiste sur les dangers de la fusion entre religion et politique, tandis que le "Traité politique" explore les moyens de construire un État rationnel où la religion est séparée du pouvoir.
    -- La souveraineté fondée sur la raison :
    - Pour Spinoza, un État est légitime s’il peut assurer la liberté, la sécurité et la coopération entre ses citoyens. Ce n’est pas une question de dogme ou de volonté divine, mais de capacité à organiser efficacement la puissance collective. Mais quid du droit international dans un droit naturel étendu ?

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