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Le célèbre Aeon Muscle a annoncé récemment une invention révolutionnaire: la machine à effacer le temps perdu. La publicité disait : « Plus fort que Proust, Italo Svevo, Buzzati et Pessoa ». Je tentai l’expérience. Ce logiciel fonctionne sur le modèle des programmes usuels de désinstallation et de nettoyage des fichiers encombrants de nos ordinateurs, à cette différence près : il accède, grâce au logiciel neuralink implanté grâce à une puce électronique dans votre cerveau, à la totalité de vos souvenirs, mais aussi aux parties de votre cerveau où sont stockés les événements dont vous ne vous souvenez que de manière tacite, et non épisodique (dans le genre petite madeleine). Il est aussi possible, grâce à une sorte de souris interne guidée par votre glande pinéale, de sélectionner, au sein de ces milliards de synapses, les souvenirs et informations qui portent spécifiquement sur les temps perdus de votre vie. Ce sont tous les moments et périodes où vous avez perdu votre temps : temps morts d’attente dans des salles du même nom ou dans les antichambres, pas perdus dans les halls de gare, temps passé dans des queues à attendre l’ouverture d’un magasin ou d’un cinéma, attente à la pêche que çà morde, à la chasse que le gibier se montre, longues veilles des sentinelles, des médecins de garde dans les hôpitaux, temps passé sur un brancard dans les mêmes lieux par les malades en attente d’un lit, des amoureux en attente d’un rendez-vous ou d’une missive, longues après-midi à la plage à se dorer bêtement la pilule, mais aussi tous les moments où l’on ne fait rien, comme quand on baille aux corneilles, se poste dans un piquet de grève, quand on se tourne les pouces ou contemple fixement le vide devant soi.
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Certaines attentes ne sont pas perdues |
Le logiciel efface aussi les rêves, les cauchemars, sauf quand ceux-ci sont prémonitoires et destinés à nous avertir de dangers futurs (ainsi il n’effacerait pas le rêve de Priam, ou le songe d’Athalie).
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François Chifflart Songe d'Athalie |
Mais le logiciel fait plus fort : il efface aussi – bien que cela prenne plus de temps – les périodes de nos vies où nous nous consacrons à des tâches vaines, impossibles ou qui se révèlent telles : chercher à s’enrichir en montant une entreprise de vente de fixe-chaussettes, cultiver du cacao dans le désert du Negev, faire des escalades impossibles, passer des vacances sur Jupiter, démontrer la conjecture de Golbach en employant seulement des méthodes statistiques, mais aussi des entreprises plus triviales qui se révèlent des échecs, comme essayer d’entrer à Polytechnique, de renverser l’empire financier de Bernard Arnault, tenter de séduire Delphine Seyrig, ou écrire un livre de philosophie qui ait plus de succès que ceux de Michel Onfray.
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Muriel ou le temps d'un retour |
Je tentai l’expérience. Une fois que le logiciel eut effacé tous les moments triviaux qui encombrent ma vie, libérant en principe seulement ce qui importe, je me sentis un peu plus léger, mais il restait quand même de gros blocs de mémoire qui encombraient mon cerveau. De mon enfance s’effacèrent peu d’épisodes et de périodes, parce que je n’avais pas encore le sens de ce qui est vain et ennuyeux, et à vrai dire parce que je n’eus guère le temps de m’ennuyer, car tout m’y était nouveau – comme caresser le chat, goûter la socca, lire des livres de la bibliothèque rose ou passer des heures aux chiottes à lire Tintin - y compris les moments désagréables, quand il fallait dire bonjour à la dame et patienter dans le jardin. L’adolescence offrait plus de plages de temps perdu, que ce soit au lycée, aux scouts, au Temple à écouter les paraboles du Christ, à faire du vélo en forêt ou à espérer qu’une fille me remarque, mais je ne savais pas encore l’effet de mes apprentissages. Il y avait tous les dîners de famille, où l’on vous oblige à écouter les fadaises de nos oncles et tantes, cousins et cousines, en échangeant des propos sur le temps qu’il fait – qui représentent à eux seuls quasiment 500 Go – ou sur le Général de Gaulle. Il y avait tous les cours au lycée où les professeurs nous bassinaient avec leurs dadas alors que seul Dada nous fascinait, tous les discours de réception des prix, tous les cours emmerdants qu’on écoutait en pensant avoir une note correcte pour sauver sa moyenne trimestrielle, tous les livres qu’on lisait seulement parce qu’on nous avait dit de les lire, tous les films qu’on allait voir parce qu’on croyait qu’ils allaient nous distraire, tous les voyages dont on croyait qu’ils forment la jeunesse.
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Rancé , par Hyacinthe Rigaud, musée L'Inguibertine, Carpentras |
Mais je réalisai vite que même les moments où je trouvais de l’intérêt et du sens, les amitiés et les amours passionnées, les lectures dont se croit sorti plus riche en esprit, les épreuves dont on se dit qu’elles vous ont grandi, les succès obtenus à réaliser des choses difficiles et qui vous valent l’estime de beaucoup de gens, et même celles dont personne ne vous congratule mais dont on est fier, étaient du temps perdu.
tombes de Moines, Salvador de Bahia oct 2013 |
Au bout de peu de temps, le logiciel avait quasiment effacé tout en mémoire. Il ne restait plus que les fichiers les plus indispensables pour continuer ma vie électronique, et cela me rendit, on s’en doute, stupide. J’étais dans l’état que décrit Chateaubriand dans la Vie de Rancé au sujet de frère Pacôme, qui « n’ouvrit jamais un livre, mais [il] excellait dans l’humilité » , ou de « frère Benoît, gentilhomme plein d’esprit, qui avait passé ses premiers jours à ne point penser ». Moi c'était les derniers. Il me restait à aller à la Trappe, dans le fond de ces vallées que l’Abbé voulait occuper avec ses moines, et à attendre Godot. Et même là je ne parvenais pas à me convaincre que je ne perdais pas mon temps, et que Mr Muscle n’aurait pas quelque raison de l’effacer.
On n'ose du coup rajouter au temps perdu.
RépondreSupprimerDonc : touché juste, et pas qu'un peu, hé hé.
Bon, en mode plus dark et lourd que votre billet, mais en lien ...
RépondreSupprimerDans la biographie de James Knowlson, il y a cet entretien de Beckett avec un journaliste (de mémoire, mais cette fois assez nette bien que vaine) :
"-Sur quoi écrivez-vous ?
-Je parle d'un art ... qui s'en détourne avec dégoût, las de pouvoir, las de prétendre pouvoir, las de faire un tantinet mieux la même sempiternelle chose, las de faire quelques petits pas de plus sur une route morne.
-Ahhh... D'accord. Mais alors en ce cas, pourquoi écrivez-vous (bref, pourquoi ne pas plutôt la fermer) ?
-L'expression du fait qu'il n'y a rien à exprimer, rien avec quoi exprimer, aucun désir d'exprimer, aucun pouvoir d'exprimer, et tout à la fois ... l'obligation d'exprimer."
D'une maigreur complaisante ou d'une absence de gras superflu plutôt lucide ?
Quant à savoir s'il aurait oublié le droit ou l'indication de se taire, s'il aurait mieux fait justement ou quand bien même, si on peut trouver son propos "bôô" ou de complaisance insensé, je ne me prononcerai pas mais ça peut se discuter.
Mais pourquoi ne pas mettre les pieds dans le plat, aborder frontalement le sujet : alors, nihiliste ou pas nihiliste ? A quel degré d'enjeu ou juste de jeu ?
Mais ouais : en mode surexposé et pas qu'allusif, j'admets qu'on peut y perdre, surtout sur le plan "artistique" (perte pas que du temps mais du significatif, si tant est qu'il reste assez de sens peut-être plus philosophique ... pour ce faire, et ce paradoxalement à trop l'affirmer ou le nier ? Et puis aussi, à flirter avec le risque du encore trop long ou toujours trop court, that's often the question ... qu'on pourrait certes dissoudre plutôt que demeurer indécis.).
En beckettien à son meilleur, ça serait plutôt : pas plus pas moins, bien que quelques fois : on croit presque entrapercevoir un soupçon fugace d'à peine mais néanmoins quelque chose, sans trop s'y croire pour autant ... ?
La leçon de l'histoire est dans la Vie de Rancé
SupprimerAprès échec acrobatique et lamentable de tentative de se pendre :
RépondreSupprimer-"Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
-"Ne faisons rien. C'est plus prudent ..." (Godot, de mémoire vaine encore).
Satire plus fine et moins leste de votre billet, mais je m'interroge : l'ironie non seulement dénonce, mais comprend-elle la dénonciation elle-même ?
Elle ne semble pas que s'attaquer au superflu et à la sophistication puisque va plus loin et n'épargne rien. On s'attend d'abord à une critique des futilités, voire des vanités, et c'est quasiment tout qui finit par s'avérer futile ... Seulement, il est dit que c'est alors la bêtise qui en découle ... On en revient donc à la question d'un tri minimal possible ou non, alors même que tout revenait presque au même, quoi qu'on essaie de trier. Serait-ce que pour ne pas sombrer dans la bêtise, il faille sauvegarder un peu de ce qui relève du temps perdu ? Selon quel critère distinctif : un degré de moindre futilité ? Il semble demeurer un ordre de progression de ce qui s'avère plus ou moins futile. Le constat a beau être apparemment implacable, on ne verse pas dans le rictus sardonique ou la noirceur appuyée d'un Beckett, la tonalité y reste paradoxalement légère. C'en est d'autant plus fort. Je ne suis donc pas sûr si la dénonciation persiste dans son sens ou joue de l'exagération pour la retourner contre elle-même ? Auto-cancel ironique pour tout y vouer, certes pas comme censure, plutôt simple conséquence du tout temps perdu, ou rappeler aussi nécessité d'un reste de tri malgré tout ?
"L'indifférent préférable", par exemple, demeure un jeu d'équilibriste ambigu du stoïcisme (surtout si on écarte la facilité spéculative de la Providence ou de la fermeté lorsqu'on la fait glisser vers le surhumain guère réaliste ...). Au passage, si tout ne semble pas se valoir toujours, du moins en cours de fuite en avant, ou de route avec direction et semblance d'arrivée, malgré le débitage insuffisamment sélectif des paroles kilomètres et temps au vent ; une fois proche du bilan final toutefois et de l'épitaphe sur du marbre qui s'érodera aussi : ça peut davantage se niveler ... Stendhal : "Se foutre de tout !". Les écrits s'envolent et rien ne reste ? Ou en mesure gardée selon l'échelle à et de laquelle on parle ?
Désolé pour le trop explicite qui ici rompt un peu le charme.
Mais où ai-je bien pû mettre d'ailleurs mon propre Mr Muscle ? Se serait-il lui-aussi dérobé de ma mémoire ... ? Sic transit mundi ou autant en emporte le peu importe.
il y a d'autres pistes dans le billet, si vous lisez bien : l'irréalité du temps, la mémoire qui flanche de Delphine Seyrig dans Muriel
SupprimerD'accord. Je vais prendre le temps d'étudier chacun de vos indices.
SupprimerElon Musk semble s'inscrire dans le prolongement de la "Nouvelle Gnose", qui se manifeste aujourd'hui à travers des mouvements et des technologies qui cherchent à transcender la condition humaine par la connaissance et l'innovation, reflétant des aspirations anciennes sous des formes contemporaines.
RépondreSupprimerLe concept de "nouvelle gnose" fait référence à une résurgence contemporaine des idées gnostiques, caractérisées par la quête d'une connaissance salvatrice et une vision dualiste du monde, opposant souvent matière et vie/esprit. Cette perspective se manifeste dans divers mouvements modernes, notamment le transhumanisme et les technologies émergentes.
-- Le Transhumanisme et la Nouvelle Gnose :
Le transhumanisme vise à transcender les limitations humaines par la technologie, cherchant une forme d'immortalité ou de perfection. Cette aspiration rappelle les doctrines gnostiques qui prônent la libération de l'esprit des contraintes matérielles. Selon certains chercheurs, le transhumanisme peut être perçu comme une forme moderne de gnose, proposant une transformation radicale de l'humain vers un état supérieur, voire divin.
-- Neuralink et la Quête de la Connaissance :
Elon Musk, avec son entreprise Neuralink, développe des interfaces cerveau-machine visant à intégrer l'intelligence artificielle à la conscience humaine. Cette initiative peut être interprétée comme une quête de connaissance ultime, permettant à l'esprit humain d'accéder à des niveaux de compréhension et de contrôle inédits, en écho aux aspirations gnostiques de transcender la condition humaine par la connaissance.
-- L'Hypothèse de la Simulation et la Vision Gnostique du Monde :
L'hypothèse de la simulation, popularisée par des figures comme Elon Musk, suggère que notre réalité pourrait être une simulation informatique. Cette idée résonne avec la vision gnostique d'un monde illusoire, créé par un démiurge imparfait, dont il faudrait s'éveiller par la connaissance. Ainsi, la croyance en une réalité simulée peut être vue comme une réinterprétation moderne des thèmes gnostiques de l'illusion et de la quête de vérité.
-- Critiques et Débats Contemporains :
Ces parallèles entre les technologies modernes et la gnose suscitent des débats sur les implications éthiques et philosophiques de la quête de transcendance par la technologie. Certains critiques soulignent les dangers potentiels d'une telle approche, notamment en ce qui concerne la dévalorisation du corps et de la réalité matérielle, rappelant les critiques historiques du gnosticisme.
Très juste. Le gnosticisme est un déboucheur de nos tuyaux embouchés. Après, savoir ce qui coule à la place est une autre affaire
RépondreSupprimerSouvenir : Ce je-ne-sais-quoi de présent dans les tablettes humaines qui n'est pas tombé (encore) dans les oubliettes du temps.
RépondreSupprimerOubli : L'être le craint comme le non-être en personne. Grande source émotionnelle du croyant. Que Dieu le lui garde au-dessus de la tête. Que seraient nos religions sans cette épée de Damoclès ?
Effacement : La vie d'Octave Flaubart, une fois vécue et obliterée de la conscience du dernier homme qui se souvient de lui. On meurt deux fois. À l'état civil d'abord, comme n'importe qui. Puis, avec d'énormes disparités dans les délais, par l'effacement progressif et généralisé de toute mémoire qui put en conserver quelque part une trace selon les modalités propres du souvenir et de l'inscription physique et psychologique, rendus à la fois de plus en plus vagues et clairsemés avec le temps. Il n'est cependant pas encore nécessaire que tout se passât après, comme si l'être enterré et oublié n'avait point exister du tout.
Une règle d'or :
"Jusqu'à la première fois vivons !"
Culture de l'effacement (ou "cancel culture") : Amnésie sur mesure. Encore à l'état d'ébauche. Ingénierie mnésique ambitieuse sur le modèle du redoutable et mythique "Mr Muscle". Avec elle nous ne savons pas de quoi le passé sera fait. Rivalise avec l'âge pour la possession et le contrôle de notre mémoire. Résultats prometteurs, mais pour lors assez médiocres. Règle d'or du cancel-culturiste :
« Cancel that bitch, i'd buy another one. »
Temps (subjectif) : Entreprise de triage et de centrifugation des souvenirs. Difficile tâche de distinguer entre "temps perdu" et "temps retrouvé" ; de pouvoir démêler l'utile de l'inutile en l'homme. Beaucoup de temps perdu à le définir.
Utile : L'alpha et l'oméga de la nature. Peut mieux faire. En attendant Godot et sa panacée universelle, on l'adopte par provision. Dernière marche avant l'Idéal.
Inutile : Anomalie de la nature. Doit faire ses preuves. Longue liste d'attente en marge de l'utile. A ses propres voies d'homologation, certaines assez réputées du reste (concours Lépine, prix Ig-Nobel...). Toutes choses, en général, qui ne sont pas, a priori, directement convertibles en un avantage vital net : Se brosser les dents de sagesse qui ne sont pourtant pas sorties. Remuer du coccyx quoi qu'on ait perdu sa queue. Les ongles de madame, qu'elle lime sans arrêt bien qu'ils soient nets. Les cheveux même de votre tête qui sont, paraît-il, comptés... Il se dit que la Vie elle-même pourrait l'être, bien que cette thèse soit contredite par d'éminents penseurs.
« De l'inutilité première des choses naturelles se dégage un monde suffisamment utile pour qu'une forme de vie sans projet bien défini – "préméditée" si l'on peut dire –, en vienne tout de même à la longue et pour finir à acquérir toute seule par elle-même une sorte de finalité malgré tout et à poursuivre ainsi le dessein irréductiblement erratique de réaliser sa propre nature, si possible le plus parfaitement, par identification et satisfaction de ses besoins essentiels. » (Théodule Roger Martin Puyvert, Fragment 36, Cahier XXVI, Tractatus de rerum natura, Œuvres pré-abortum)
Besoins essentiels : Hébéatitude. Genre "fraternité de moines dans un couvent". Excellence dans l'humilité et l'art de ne point penser, mais grande source d'acédie. Par opposition aux besoins dits naturels.
Ces définitions vous ont-elles été utiles ?
merci, je rajouterai à ce billet
RépondreSupprimerhttps://lafrancebyzantine.blogspot.com/2020/11/dictionnaire-des-idees-recues-sur-la.html
RépondreSupprimerBon, je n'ai encore fini mes études sur vos indices, mais je me permets, juste si ça apporte un peu de grain à moudre.
Nietzsche le "rappelait", mais certes avec un souci plus vitaliste qu'objectivement fonctionnel : l'oubli, si mesure est gardée, n'est pas tant l'opposé de la mémoire que son complément indissociable : la fonction du tri, sans laquelle aucune mémoire ne saurait fonctionner de façon a minima efficiente (mais peut-être pas qu'au sens d'efficace...). Tout reposerait en dernière instance sur la justesse des critères de sélection.
Mais avant d'aller plus loin, il convient que je retourne d'abord à ces questions de conception A ou B du temps que pose mc Taggart. Fort intéressant, bien qu'un tant soit peu vertigineux, et pouvant occasionner quelque casse-tête. Surtout quand j'en arrive à des questions du type : si l'éternel est fixe, est-il fini ? Ça m'a rappelé un peu les paradoxes de Zénon (qui m'a toujours semblé pouvoir autant mettre en doute le mouvement que l'être fixe...la divisibilité infinie du point rend toute mesure indécise, alors certes : on peut aussi s'"arrêter" quelque part puisque tout de même : Achille peut dépasser la tortue ... ), la dialectique fondamentale Parménide/Héraclite (forcément incompatibles ou non ? Nécessite sans doute précisions et aménagement), et aussi les conceptions du temps chez Platon (image mobile de l'éternité immobile, si mon souvenir est correct) ou d'Aristote (nombre de l'antécédent et du postérieur si je ne m'abuse. Reste que le Stagirite ne semble pas dans une conception uniquement B. Qui pose un problème quant à ce qui assure la liaison entre les évènements et pas seulement par leur ordre de succession -position, si je l'ai comprise, dont je n'arrive pas à me satisfaire complètement, la continuité d'un objet malgré la variation de ses propriétés, qu'est-ce qui fait que c'est le même, et puis admettre la variation des propriétés de l'objet mais pas le changement temporel comme semble le faire mc Taggart pose des difficultés..., de même isoler l'objet de ses propriétés, par exemple. Il y a une tension récurrente entre ce qu'implique une conception d'ensemble du temps et celle davantage prise dans son flux. Entre temps gelé ou fleuve ... Je dirais qu'on peut aussi poser le problème un peu différemment. Par exemple, le passé n'est plus, le futur n'est pas encore, donc seul le présent existe. Seulement du coup, on peut retourner l'argument : le présent ne peut pas être que l'instant sans dimension, puisqu'à peine il est, il n'est plus et est à nouveau ou/et encore ... Il serait sans cesse en n'étant pas sans cesse ... Ou alors : le présent impliquerait une durée ...
Bon, pas la place pour développer, mais si on cherche à sortir de l'imbroglio temps objectif ou subjectif, voire proposer l'intemporel comme objectivité plus résolue, ça finit par nous interroger forcément sur les questions de fondement et/ou d'origine. Il semblerait que Aristote puisse envisager l'idée d'une puissance pure mais qui finisse par se confondre avec l'acte pur, cependant avant d'être tout à fait défini ... De plus, Platon lui-même, s'il semble poser l'idée de l'être idéal éternel immuable plutôt dé-fini, admet l'idée de l'Un infini qui le dépasserait ... La question par exemple d'une unité et/ou continuité d'une succession infinie d'univers (je laisse de côté la question des univers parallèles autant qu'il y a de possibles qui ne me paraît pas si nécessaire, encore que si on cherche à articuler déterminisme nécessaire de la relativité générale et la contingence peut-être guère réductible de la physique quantique -je manque encore de connaissances ici. Je suis tenté par : que tout le temps soit déterminé fixé n'implique pas qu'il le soit à l'avance. Du point de vue du présent, le nécessaire garderait une part de contingence. Depuis celui de la durée, tout le contingent reviendrait au nécessaire. Contradictoire, trop tiré par les cheveux ? En plus, du coup, ça n'écarte pas assez la théorie d'univers parallèles autant que de possibles. Or, j'aime bien garder la distinction possible et existant, j'y tiens. Ça me semble une condition de ... sagesse, à ne pas se laisser déborder par son imagination. Garder un lien théorie/pratique, quoi. De là à savoir si je suis bien cohérent.) ... Ce qui nous amène aussi à savoir si les problèmes de logique incluant la temporalité et remettant en cause le tiers-exclu (Schrodinger et l'intrication d'états) sont encore de la logique au sens classique, comme vous dites ailleurs. Et si celle-ci n'aurait pas justement encore son mot intemporel à dire. Tout en nous guidant dans l'apparent temporel. Sur le plan de ma pratique de vie, je n'envisage guère qu'un chat soit à la fois vivant et mort. Question d'échelles ? Comment les relier alors ? La causalité inversée de Dummett, ou de Zielinger, voire le paradoxe de Newcomb, trop de grand huit pour moi ... Je vais d'ailleurs déjà un peu loin un peu vite, me permettant des sauts dans la liaison de mon propre raisonnement, mais ça pose aussi des questions sur jusqu'où des lois éternelles et nécessaires présideraient à tout possible, lois auxquelles on pourrait peut-être mieux conformer sa propre attitude dans la vie ou en disposant davantage d'un regard en surplomb, se faisant a minima moins "rattrapé" par les contingences et nécessités de ses manifestations temporelles plus secondaires, en théorie en tous cas ... ou si ses lois elles-mêmes ne seraient pas elles-mêmes tributaire d'une histoire (certes ici au sens de celle de l'univers, pas que de nos civilisations et existences). Il semble en tous cas que je ne sois pas le premier ni le dernier à trouver que l'incompatibilité supposée entre temps A et B soit possiblement discutable. Quant à savoir exactement comment s'y prendre, au vu de l'encre déversée sur le sujet, je ne suis pas sûr. Reste que souligner une dominante de l'un ou de l'autre peut engager un enjeu philosophique assez conséquent ... Et encore une fois, au vu des quantités écrites sur le sujet, je ferais mieux de me montrer plus prudent à balancer mes vagues suppositions. Il y a là un travail beaucoup plus complet cohérent et sourcilleux à faire. Et je manque trop de formation logique, voire mathématique, et surtout scientifique, pour tout suivre
RépondreSupprimerMais que ce soit clair : le plus important pour moi revient quand même d'après moi à l'enjeu plus directement propre à notre condition humaine, et que soulève la Vie de Rancé, non pas cependant seulement enjeu pratique ou existentiel, mais tout de même au sens de ce que sa liaison nécessaire à la théorie permet de dégager véritablement d'une pratique qui soit plus claire ou avertie, moins susceptible de travers ou de mieux les accepter si incontournables : le degré donc d'engagement ou de détachement envers les préoccupations temporelles de ce monde, et ce que l'un ou l'autre choix peut avoir de pertinence ou encore d'orgueil ..., et sans doute cela ne peut se résoudre en se contentant de souligner l'importance de la juste mesure ou du degré, mais entraîne de se demander plus précisément en quoi, ou ce que cela amènerait à favoriser comme approche et attitude non seulement dans la vie, mais aussi comme conception philosophique pour la cadrer et guider. Ça me rappelle aussi la distinction faite parfois entre renoncement et détachement dans les pensées extrêmes-orientales. Ce que le premier aurait de trop volontariste et masquerait mal par son insistance ce qui en fait le poursuivrait encore ... Le détachement serait sensé davantage procéder d'une maturation à point, tel le fruit se décrochant de l'arbre, se réalisant presque de lui-même, une fois prêt. On pourrait certes favoriser activement les meilleures conditions et dispositions à son émergence, mais il ne saurait se réduire à l'effort ou à la récompense de celui-ci (grâce ou nirvana... ou leurre à trop idéaliser ? On peut aussi envisager des conceptions plus réalistes modérés et modestes d'"accomplissement".). Ici, on pourrait douter plutôt et à contrario de l'aspect trop confiant ou quiétiste ou de "lâcher prise" et sans effort que cela suppose. Mais encore une fois : doute aussi et autant envers une austérité en sens inverse qui friserait l'auto momification par mortification. Je suis tenté encore de considérer que quelque juste mesure doit pouvoir ici se trouver entre les deux. A quel degré de stabilisation réalisée humainement accessible ? Quelque chose se joue entre ne pas trop renier toute réalisation en ce monde, ou en restant à son contact, sans exagérément et vainement s'y cramponner. (Et en passant : le rappel du risque de l'acédie par M. Flaubart a son importance). De l'importance du discernement juste. Mais ici tout dépend en effet de la conception philosophique qui soit susceptible de préciser une voie qui soit plus claire. Sans doute en pratique s'agit-il de mieux savoir à quoi s'attendre pour ne pas trop ni pas assez en attendre. Mais il ne s'agit pas que d'attente et de savoir non plus, il n'est pas toujours interdit de prendre les devants, même si néanmoins : avec suffisamment de prudence mais encore une fois : elle-même pas excessive. Ce qui demeure assez facile à dire, encore faut-il savoir de quoi ou par rapport à quoi on parle. Et puis mon côté plus postmoderne, malgré ses insuffisances, ne rejette pas tout de l'opportunité éventuelle de la possibilité de rester surpris. Encore faut-il que cela reste a minima dans le "bon" sens et pas pure impulsion aléatoire... Mais oui, peut-être est-ce l'approche plus théorique que je sous-estime et l'attitude plus en surplomb qu'elle peut permettre par rapport aux aléas irréductibles de l'application pratique. Bien qu'elle doit bien aussi quelque part aider plus nettement à l'amélioration de cette dernière, non ?
RépondreSupprimerJe vais encore trop vite, et m'arrête ici.
Si le travail de lecture ... toujours en cours pour le moment à ce sujet ... m'amène à en tirer des conclusions plus claires, je ne manquerai pas de les soumettre à votre jugement ou avis.
Pour revenir aux pères présocratiques Parménide et Héraclite : s'il n'y avait pas de continuité, comment discerner variation ou changement qui soit sensé et non pas pure singularité isolée ? Et s'il n'y avait pas de variation ou continuité, il n'y aurait aucun besoin de parler de continuité, il suffirait d'une pure immobilité. Mais là encore, cela ferait-il alors ... "sens" ?
RépondreSupprimerCorrection : pas de variation ou changement...
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