Le piège diabolique est le plus grand et le plus sombre des albums de E.P.Jacobs. Je le lus dans Tintin quand j’avais 6 ans et il a durablement inspiré ma vision du monde.
Envoyé – mais
avec en partie son consentement car il tombe dans le piège - dans l’abîme du
temps - par le Pr Miloch qui veut assouvir sa vengeance d’avoir été irradié dans SOS
Météores, Mortimer visite trois époques : le Jurassique, le Moyen Age,
et le 51eme siècle. Toutes trois sont infernales : la première parce qu’aucune
trace humaine n’y figure, la seconde et la troisième parce que les humains y vivent
une vie nasty, brutish and short. Seules les figures d’Agnès de
la Roche, du chapelain et de Focas se détachent sur fond de révoltes sanglantes
et de destructions. Le voyage dans le futur est le pire : Mortimer
parcourt les couloirs d’une cité parisienne en ruines détruite par une guerre
nucléaire, où l'on parlait un baragouin pas moins absurde que l'écriture inclusive et aboutit dans une sorte de blockhaus où des « assujettis »
préparent, sous la direction de leur chef Focas, une révolte contre des tyrans planétaires. Il déjoue un complot d’un traître infiltré et parvient, grâce à sa maîtrise de
l’arme nucléaire, à détruire une « chose » épouvantable masse en
fusion, avant de pouvoir revenir à son époque. CE qui me frappait le plus, en 1960, était l'ectoplasme de lui-même que Mortimer revoit à chaque fois qu'il met en marche le chronoscaphe: fantôme du présent, présent spécieux? Non Moi, autre moi, moi dissout parfitéen?
Les planches représentant le cinquante et unième siècle sont particulièrement noires, couloirs de métro baignées d’une lumière glauque, souterrains, ciels jaunes, drones anticipateurs de nos guerres du vingt et unième siècle. La vision jacobsienne du futur n’incite pas à l’optimisme, même si Mortimer parvient à revenir au temps présent, et peut , avec Blake qui écoutait la conversation de deux gentlemen à l’Hotel Louvois, aujourd'hui disparu, admettre que le meilleur temps n’est ni le passé ni le futur, mais le présent. Mais le présent ne fut pas plus bénéfique à Jacobs : l’histoire, parue en 1960 dans Tintin , fut interdite en album en 1962 par la Commission sur les publications destinées à la jeunesse notamment en raison de la « hideur de ses images ». La censure eut raison du plus grand des récits de Jacobs jusqu’en 1967, où il put reparaître.
Jacobs s’est
notoirement inspiré de Wells. Mais traite-il vraiment du voyage dans le Temps ?
Le piège diabolique tendu par Miloch n’est-il pas aussi celui de sa vie même,
que ni son passé de chanteur d’opéra ni son présent de dessinateur ne pouvait considérer
comme réussie ? Sa vision du présent au temps de la guerre froide, qui
transparaît déjà dans SOS Météores, n’est pas plus reluisante. L’atomium
de Bruxelles, que le chronoscaphe reproduit, n’est pas de meilleur augure.
Jacobs minimise, dans Un opéra de papier (Gallimard) ce pessimisme en disant qu'après tout les civilisations sont mortelles. Mais se rendait-il compte qu'il décrivait la nôtre? Après cet album , Jacobs renonce aux histoires qui ont un écho moral ou
philosophique, pour faire des albums fadasses, comme L’affaire du collier et
Les trois formules du professeur Sato, où il n’est plus que l’ombre de
lui-même. On a aussi noté qu’Olrik, qui incarne Satan dans tous les autres
albums, a disparu du Piège. Il ne reparaît dans L’affaire du collier que
comme un demi-sel sans envergure, flanqué de sbires pâlots, même si Sharkey est
toujours là. Pourquoi cette lutte du bien et du mal, qui a lieu dans tous les
albums de Jacobs, n’est- elle plus là, tout comme Blake, qui ne joue ici aucun rôle ?
La réponse me semble claire : le piège diabolique , c’est la vie elle-même, celle de Mortimer comme la nôtre.On a beau remonter dans le passé, se projeter dans l'avenir, c'est le même enfer.
Le personnage le plus mystérieux du Piège diabolique est Focas. Il est le chef des assujettis et mène la révolte avec leurs alliés de l’espace. Il est assez intelligent pour comprendre d’où vient Mortimer, malgré son incrédulité. Il a foi en sa cause. On a souvent noté qu’il est le portrait craché de Yul Brynner, selon le principe qui veut que Jacobs s’inspire des célébrités du moment pour ses personnages. Mais un chauve ressemble toujours à un autre chauve. Je suis très étonné que l’on n’ait pas rapproché Focas d’un autre chauve célèbre, qui lui aussi portait un kimono.
Certes, comment Jacobs aurait-il pu connaître Foucault,
qui à l’époque du piège diabolique n’avait pas encore publié L’histoire de
la folie et n’avait rien d’une vedette, comme il le fut plus tard ? Mais
n’oublions pas que l’album fut interdit de 1961 à 1967. A cette date Foucault
était devenu célèbre, avec Les mots et les choses, paru en 1966, le plus grand succès de l'édition en sciences humaines du siècle dernier. Certes
Jacobs ne refit pas les dessins, mais les lecteurs de l’album reparu en 1967 ne
pouvaient manquer de voir dans Foucault une réincarnation de Focas (ou l'inverse?). Foucault
lui-même mit toute son œuvre ultérieure au service d’une analyse de "l’assujettissement",
et le pouvoir dont il parle ressemble étrangement à la Chose. Le pouvoir est partout, comme la Chose, il ne se laisse pas leurrer. On en viendra à bout qu'en le faisant exploser, mais selon Foucault, il n'est justement pas une grosse Chose, mais mille petites mailles et filaments qui nous enserrent.
La Chose est-elle extérieure à nous ou sommes-nous la Chose, ou bien autre chose ... peut-être même qu'une chose, ou pas ? Et l'Enfer s'impose-t -il à nous par un déterminisme causal implacable ou en sommes-nous tout de même ici et là quelque peu susceptibles d'en être responsables ? Le jugement moral n'implique-t-il pas au moins qu'une option différente était possible ? Ou bien : la conviction morale n'engagerait pas toujours la capacité d'application (ce qui paraîtrait curieux) ou du moins celle-ci aurait des limites récurrentes à se montrer pleinement conséquente ?
RépondreSupprimeron est peu d'chose...
RépondreSupprimerFoucault a-t-il écrit Les mots et la Chose?
SupprimerJacobs a parlé de La Chose. Beaucoup de mots et de choses pour un enfer ...
SupprimerLà j'm'incline. Mais un peu capable de trop.
RépondreSupprimerÉtonnante photographie que vous publiez là "d’un autre chauve célèbre, qui lui aussi portait un kimono." Effet kaléidoscopique d' un renversement en miroir d' un vêtement qui enserre en " mille petites mailles et filaments." Qui est donc ce photographe? On connait les photos de Michel Foucault en gros plan réalisées par l' ami de Jean-Louis Bory, Bruno de Monès . Mais celle-là? J'en suis à la page 118 de votre dernier essai fascinant à propos de Michel Foucault. ( Lu votre conclusion aussi..) Il met en cause de manière charpentée et admirablement bien argumentée une bonne quarantaine d' années d' écrits théoriques et littéraires français. Cela va hurler dans les chaumières!
RépondreSupprimerC'est une photo fort connue, qui illustre même un livre intitulé "The passion of Michel Foucault". Quant aux chaumières je doute que cela les ébranlera.
RépondreSupprimerFoucault a pratiqué le zen, non ?
RépondreSupprimerje ne crois pas, mais ses disciples oui.
RépondreSupprimerEnfer : Ne pas pouvoir en sortir. Ce qu'on ne pense pas suffisamment quand on rêve que l'âme est immortelle. Passé, présent, futur — dont nous n'avons plus aucun espoir d'être un jour exclus. La vie éternelle en est un, plus "emmerdant" encore que l'écriture inclusive. Infiniment plus. Dieu nous en préserve. Perseverare diabolicum est.
RépondreSupprimerEn effet, Mortimer aurait pu vivre le scenario de "Un jour sans fin", qui est le vrai visage de l'enfer.
SupprimerJ'avais des souvenirs de lui en kimono noir de pratiquant dans un temple. J'ai donc vérifié, vous avez raison : il a bien effectué un séjour de pratiquant au Japon, mais guère plus, parce qu'il s'interrogeait surtout alors sur les pratiques religieuses. Il le dit lui-même : c'est moins la philosophie bouddhiste que la pratique qui l'intéressait. Encore qu'il est à noter que le zen est justement le courant bouddhiste qui met le plus l'accent sur la pratique, sur l'attention la présence à soi (ou à non-soi ou au non-soi...) se méfie du champ intellectuel spéculatif et discursif, quoique à la vérité ne soit pas dénué de toute théorisation ... Il a observé (et non pas étudié puisqu'à son propre aveu : il l'ait peu compris) la branche rinzaï qui use par exemple de la méthode des koans (les questions sur lesquelles la logique est sensée buter) et observe des rituels quotidiens très stricts, plutôt que celle dite sôto : encore plus épuré de moyens et donc austère, mais avec moins de cadre construit, plus à nu. Ceci dit sans prétention, j'ai pensé que ça pouvait être intéressant. Hadot aussi devait connaître, m'est avis, sans vérifier.
RépondreSupprimerJadis une bouddhiste suivait mes cours de philosophie. Elle trouvait que je raisonnais trop.
RépondreSupprimerMais raisonnait-elle assez avant de conclure ? L'absence d'en soi bouddhiste peut aussi prêter à la critique.
SupprimerLa rencontre improbable entre un rationaliste platonicien analytique et une bouddhiste ... Et pourquoi pas ? Ça pourrait être intéressant. Tant que ça vire pas à la seule confrontation ou au pur malentendu. Mais on peut légitimement considérer certains aspects du bouddhisme comme douteux, tout en reconnaissant une certaine finesse sur d'autres points. Et à l'occasion, ça leur arrive de manier l'argumentation logique, certes à leur drôle de façon (le tétralemme de Nagarjuna n'est pas le syllogisme d'Aristote). Faut de tout pour faire un monde ou ... un enfer, of course. L'idée centrale du bouddhisme serait de s'en libérer, plutôt que d'être sauvé, de la Chose ptêtre, mais pas en soi ..., ou de ce qu'ils nomment "ahimsa" : la soif insatiable (et donc notamment du pouvoir ou des pouvoirs puisqu'il s'agit de relations plutôt qu'une entité, chez le bouddhisme comme chez Foucault ...) l'attachement inopportun, d'après lui, mais "shunyata", le nectar de la vacuité, ne serait cependant pas un nihilisme. Boniment subjectiviste à Gourou ? Je ne crois pas en tous points, mais il s'agit de rester vigilant ...
M'enfin, allons, monsieur le professeur, on a beau être peu d'chose, pas "unrat" tout de même ..., ou pas tout de suite, quand bien même ce serait notre destin tôt ou tard à tous, le bouddhisme par exemple dit que nous ne sommes qu'agrégat impermanent tissé d'interdépendances, du moins quand il ne vire pas vers un spiritualisme plus tendancieux (bien que souvent mal compris, notamment lorsqu'il fût mis à la mode occidentale des trublions du postmodernisme).
D'ici là, avant qu'on rejoigne tous la Grande Éboueuse Démocrate à la faux universelle : tout ne se vaut pas non plus, et sans flagornerie : z'avez scribouillé des bouquins pas mals, si si, on ne peut vous l'enlever, même si certains de vos lecteurs (des comme moi) sont peut-être parfois maladroits dans la compréhension et sans doute pas à la hauteur, il en restera bien un p'tit quelque ... chose ... quelque part, du moins tant qu'il reste un peu du monde tel qu'il va encore malgré tout, et puis à tout prendre : avoir rappellé, contre vents et marées, à ne pas faire trop aisément l'économie de la notion de vérité, y'a pire comme bilan ou occupation (même si ingrate) en tous cas. Haut les cœurs en ce si bas monde. Bon, ça fluctuera selon les jours. Encore une fois : tant qu'il en reste ...
Ce que j'aime dans le bouddhisme est l'aspiration au silence
SupprimerPetite histoire du Bouddha qui montre une fleur à trois de ses disciples et leur demande : qu'avez-vous vous retenu de mon enseignement ?
SupprimerLe premier répond : tout est impermanence et seul le détachement libère.
Le Bouddha commente : Tu as eu ma peau.
Le second : tout n'est qu'interdépendances et rien n'a d'existence en soi, nul besoin de détachement et de libération.
Le Bouddha : Tu as eu mes os.
Le troisième ne dit rien et se contente de regarder la fleur en souriant.
Le Bouddha souriant à son tour : Tu as eu ma moëlle.
Théorie ou/et pratique ..., allez, je ferme mon clapet, au moins pour un temps ...
:)
SupprimerChacun peut commenter ce qu'il veut de mes billets. Mais je rappelle que celui ci est sur Le piège diabolique. Mais ce qui est intéressant dans votre insistance pour parler du bouddhisme est que Focas en effet a un bonnet tibétain, et pas simplement un kimono.
SupprimerBein oui j'avais remarqué... et puisque vous vous permettiez des liens éloignés entre Jacobs et Foucault ... Sans parler du rapport à la question du pessimisme. A noter aussi des références récurrentes chez Jacobs et Hergé à la culture extrême orientale. Assez courante dans les bd de l'époque (par exemple le judo qu'on découvrait ...). Je précise que le smiley n'est pas de moi, j'y tiens.
SupprimerEuh j'm'en rends compte que j'ai lu unrat en allemand ... Errare humanum etc, si c'est le cas.
RépondreSupprimerQuel lien entre La Chose de Jacobs et les choses de Foucault ? Quelque lien avec la notion de ou des pouvoirs qui mèneraient ce monde à la catastrophe ? Quel lien avec le bouddhisme ? De pointer du doigt le désir possessif, l'attachement violent comme source probable du problème. Certes, parmi d'autres.
RépondreSupprimerEt vous permettez de dire n'importe quoi !
RépondreSupprimerMais je conviens que mes associations sont farcesques...
Et si je parle beaucoup de Foucault, c'est parce que j'ai discuté ailleurs ses vues.
Tout est dans le nom : Llang Escape, une langue qui se sauve ( celle de la vérité chez notre philosophe Foucault?) ou bien plutôt qui joue à s'enfuir? Ne pas oublier que notre hôte est pataphysicien sans être toutefois un " intellectuel spécifique"! :)
RépondreSupprimerLe Foucault rasé et en kimono, comme un samouraï, affrontait la maladie avec tout son courage.
RépondreSupprimerC'était une mort à l'antique, stoïcienne entre garçons, rapportée par Hervé Guibert, et inspirée par la citadelle intérieure de Marc-Aurèle selon Pierre Hadot.
Ajoutons que Michel Foucault avait été maoiste, puis islamo-gauchiste.
Blake et Mortimer ont commencé leurs aventures en affontant un tyran asiatique, Basam-Damdu, lors d'une Troisième Guerre mondiale uchronique qui avait lieu dans le Golfe persique, et qui laissait peu de traces irréversibles. C'était prémonitoire, mais cela s'inscrivait dans la lutte contre ce que l'on appelait "le péril jaune". L'actualité pourrait faire reprendre du service à Blake et Mortimer et aux dessinateurs de leur fan club qui prolongent leurs aventures, mais la menace d'une Guerre mondiale renoue étrangement avec la "Guerre en dentelles" du XVIIIe siècle : une guerre aux frontières, avec des places fortes prises, perdues et reprises, et des armées qui sont sur le front pour s'entraîner et tester de nouvelles armes.
Si à la fin Jacobs et Hergé n'avaient plus d'idées, c'est parce que l'actualité était devenue trop pauvre ou trop déconcertante pour les intéresser.
Une mort stoicienne est une mort volontaire,pas d'une maladie.
RépondreSupprimerFoucault fut il islamo gauchiste avant la lettre?
Hervé avait encore des idées, Jacobs à la fin était découragé: on le forçait à faire des albums qui n'étaient pas son genre. La grande période était finie.
Il y aurait aussi à dire sur le style de narration BD de Jacobs, assez statique, je trouve : plus à l'aise dans l'arrêt sur image que la décomposition de l'action, avec souvent beaucoup de texte qui ne décrit pas plus que ce qui est montré - par rapport à l'enchaînement de l'histoire, quand ce n'est pas d'autres fois l'extrême inverse ... Souvent aussi : l'impression peu naturelle que le personnage commente son action ou la situation tout en la faisant ou la vivant. Bon, c'est d'époque, mais la façon ne passe pas toujours par ce qui paraît propre à la BD : le montage case par case étant un médium spécifique, propice à pouvoir faire parfois liaison détaillée des actes/gestes, ou a contrario ellipse, dans l'articulation narrative, sans nécessité de redondance ou de comblement de substitution à l'image par le texte. Il arrive au Hergé plus tardif d'en jouer, mais ça reste rare. Ce n'est qu'un avis, discutable. Il y a une forme d'observation plus distanciée, posée, dans la BD européenne d'époque qui a aussi certes ses vertus. Et j'imagine que Jacobs avait des délais et obligations de format à tenir (d'où les aventures en deux tomes ? J'ai souvenir, lointain, que Le secret de l'Espadon était très dense...). Mais il est très bon pour les plans d'ensemble, notamment l'atmosphère des lieux. Sur l'illustration justement : il semblerait qu'il attachait beaucoup de soin à la couleur, mais qu'une fois imprimée, le résultat trahissait souvent son intention de départ. Très tracassé d'ailleurs par son perfectionnisme et peu indulgent sur son travail ... Quant à la ligne claire, elle n'était pas le style spontané de Jacobs (certains parlent d'une inclination pour Hogarth, le dessinateur de Tarzan ... Un crayonné plus esquissé vif, encrage plus sombre aussi, entre stylisation et réalisme). M'enfin, il m'apparaît moins lisse net que Hergé, et je trouve le "mixte" plus intéressant.
RépondreSupprimerMeric, fort bien vu, mais pas d'accord. Ou plus exactement : ces caractéristiques de la narration de Jacobs sont celles que je prise. Jacobs était , et reste exceptionnel par son désir de donner un récit très écrit, sans prééminence du dessin. Quand j'étais enfant, je peinais sur ses bulles interminables, et adorais ses tableaux ( comme dans Le mystère de la grande pyramide). Il était en effet déjà old fashioned. C'est ce qui me plaisait. Aurait il pu illustrer Lovecraft? Je ne sais, mais il eût, à la différence des auteurs de BD d'aujourd'hui , respecté le texte. Vous avez raison de le lier à l'époque: en particulier le suspense arrive toujours sur la denière case d'une page, où le héros dit "Hell" , ou "By Jove", ce qui met le lecteur en attente du prochain épisode, qui venait la semaine suivante. J'en étais presque à attendre devant le kiosque l'ouverture pour avoir le prochain Tintin.
SupprimerC'est vous dire combien je suis vieux jeu.
La mise en page et en cases reste cependant très sage par rapport à ce qui se faisait déjà dans les comics us (par exemple, Alex Raymond, le dessinateur de Flash Gordon, que, je crois, Jacobs appréciait, le space...opera, et qui fût un précurseur, dès les années 30, à faire sortir les personnages des cases, à user de gros plans et de perspectives exagérées, ou à organiser ces cases de façon moins alignées, renforçant l'illusion de relief et de mouvement, un peu plus cinématographique et moins roman illustré, une réflexion donc sur la spécificité narrative de la BD. Par exemple, dans une aventure de Rip Kirby, un personnage se défenestre et la case éclate en morceaux ou bascule avec le personnage qui tombe sous un coup de poing ... Certes, c'est juste un style différent, on peut aussi considérer qu'il en rajoute trop dans l'effet, mais pour l'époque, très en avance.). Quant au fond, il y avait sans doute aussi les exigences dûes à la publication spécifiquement pour jeunesse en Europe. Peut-être Jacobs aurait été plus à l'aise dans un autre contexte que l'équipe de Hergé, voire dans une évolution de la BD vers plus réaliste, adulte ? Ou l'approche plus "moderne" n'aurait pas plus convenue à son classicisme ? Sinon, c'est à noter : moins d'humour qu'Hergé. Et sans faire du woke, peu de présence féminine chez les deux. Mais en tous cas : Le piège diabolique semble en effet marquer une évolution (ou un sommet qu'il ne réitérera plus) du style de Jacobs, plus moderne, dans le fond comme la forme.
RépondreSupprimerTrès bien vu. En effet Jacobs est tombé dans la BD un peu par raccroc, il fait plutôt des décors d'opéra (voyez ses mémoires). C'est pas Winsor Mc Cay. C'est ce ton sérieux, solennel, qui me plaisait, je l'avoue. Et à l'époque, dans les BD belges, pas question de montrer un nichon! Tintin eut un procès suite à la planche , parue en couverture du journal, de La marque jaune, ou Septimus lisait un magazine avec une danseuse en tutu! Jacobs était en un sens anti-BD . C'est pourquoi il était méticuleux dans ses scénarios. C'était un écrivain moraliste.
Supprimer51ème siècle ... Je propose un autre titre pour l'article : L'optimisme démesuré de Jacobs ! A moins que ce ne fût pour essayer de déjouer la censure ... Ou qu'en finir au plus tôt serait par trop idyllique ...
RépondreSupprimerHaïku, pour faire exprès une association incongrue -si c'est bien un luxe qui ne soit pas réservé qu'à un seul ... : "Nous marchons sur les toits de l'enfer / et regardons les fleurs ".
Quand ce n'est pas "ailleurs ", en dilapidant les fleurs, dans un grand feu même pas de joie ... Selon qu'on considère l'enfer comme inhérent ou pas forcément. Que ce soit l'arbitraire qui serait propre à la vie, voire la fatalité, ou la furieuse tendance, plus évitable, à rajouter sans cesse au combustible, dans une sorte de frénésie addictive. Je m'arrête donc ici. Et si tout ça vous paraît encore hors de propos et trop long, zappez-le, ça simplifiera.
Entre Hergé et Jacobs, il existe la même tension qu'entre rationalisme et vitalisme. Hergé souhaitait que Tintin incarne des valeurs intemporelles, en accord avec la vision idéaliste de Benda, où l'œuvre atteint une essence parfaite et achevée, devant cesser avec la mort de son créateur. À l'inverse, Jacobs a permis à ses personnages, Blake et Mortimer, de poursuivre leurs aventures après lui, incarnant un principe de continuité et de renouvellement proche du vitalisme bergsonien, valorisant le changement et la créativité continue.
RépondreSupprimerCette distinction souligne deux philosophies de la création artistique : l'intemporalité figée des œuvres classiques versus l'évolution dynamique des séries modernes. Il faut reconnaître le génie de Jacobs dans sa capacité à léguer un univers adaptable, en contraste avec la vision plus fermée d'Hergé, fidèle à une certaine conception de la pureté artistique.
Néanmoins, la britannicité des héros de Jacobs dévoués au service de la couronne est immuable. Seul Olrik semble évoluer vers plus de profondeur et de mélancolie.
Il faut aussi reconnaître le talent des continuateurs de Jacobs tels que Jean Van Hamme, Yves Sente, et Jean Dufaux. Certains albums apocryphes ne dépassent-ils pas les originaux ? Le dernier album, le Tome 30 "Signé Olrik" est une réussite incontestable. "Le Cri du Moloch" est peut-être le plus réussi, avec un vaisseau d'extraterrestres caché dans le métro londonien, et un caméo de Winston Churchill. Mais il y a eu aussi "La Vallée des Immortels" et sa reconstitution du Hong Kong édouardo-victorien. Les continuateurs abordent de manière plus appuyés les thèmes de l'espionnage et du fantastique. Les phylactères pédagogiques à la Verne-Hetzel sont devenus plus discrets.
Avant Blake & Mortimer, il y a eu "Le Rayon U", avec des héroïnes un peu trop jolies dont seront privés Blake et Mortimer, condamnés à une solide amitié virile. Les continuateurs de Jacobs lui ont même donné une suite : "La Flèche ardente".
est ce que jacobs a AUTORISE la continuation de la série pard'autres? C'est à vérifier. Ma source majeure est le livre de Francois Rivière, et je dois vérifier.
Supprimerle voyage de Michel Foucault au Pérou très drôle!
RépondreSupprimerA méditer avant toute visite au Paraguay ou en Argentine
Supprimerje ne suis pas sûr que Jacobs aurait beaucoup aimé qu'on poursuive ses bandes dessinées, même s'il a autorisé Bob de Moor. J'ai regardé ces "suites" . La graphie et l'ambiance sont là, mais quelque chose manque. Sans doute le moralisme des albums de Jacobs. Je regarderai l'Olrik dont vous parlez.
RépondreSupprimerEn fait, factuellement, Foucault, ce n'est pas le Pérou pour employer cette expression triviale, non?
RépondreSupprimerSi l'on en croit ses thuriféraires, si. Vous aurez l'occasion de vous en rendre compte quand des CR paraîtront du livre de PE sur icelui. Si cela arrive!
SupprimerQuelques soumissions à l'Académie, par les frères Flaubart.
RépondreSupprimer"Hell !" : Ne l'est pas. Anglicisme purement interjectif et expectatif. Ne coïncide donc jamais avec l'enfer proprement dit. Exclamation traduisant un état de surprise, d'impatience et/ou d'alerte par une formule d'usage hyperbolique. Également employé pour maintenir son lecteur en haleine jusqu'au prochain épisode.
Avec l'élection de Trump, bien des mines ébahies et des lèvres interdites l'ont soupiré de désarroi :
– As we were fed up with a future without prospects we chose to elect a totally unpredictable guy.
– Hell !
Moralisme : Comme le chocolat de Noël, rituel et obligatoire. Risque fort d'être consommé sans modération. Sérieuse menace pour la moralité elle-même. Ne pas en abuser ! L'âme impure ou démoralisée se dédommage en lui.
Écrivain moraliste : Homme de lettres qui n'a pas le moral. Gustave Flaubert l'était. Certains en ont eu une glorieuse carrière, nonobstant une vie dissolue. Pis-aller transitoire entre l'amoralité et l'état de sainteté. S'exerce à la manière de n'importe quel métier. Dispensé du devoir de vertu morale.
Sainteté : Homme moral qui n'a pas l'art des lettres. Donne sa morale sans avoir à l'écrire.
Moralité homérique.
Morale : Pour un temps.
merci , j'adore ces définitions flaubertiennes, et m' livre souvent
SupprimerEn passant, même si je suis plutôt de la génération de l'arrivée plus affirmée des comics en Europe (Strange et cie), qui avait une forte attractivité visuelle, pouvant être discutable, pour l'enfant que j'étais, ça a eu au moins le mérite de me donner goût à la lecture. Tout n'y était pas à jeter sur le plan narratif, d'ailleurs. Même si ce type d'approche a peut-être joué un rôle dans mon abordage relativement plus tardif de la lecture sans image. Qui commença par la mythologie, pas sans lien, quand bien même lointain, avec ce qui avait précédé. Mon parcours n'étant d'ailleurs qu'un bref échantillon, un simple avant goût juste un peu représentatif d'un problème qui n'allait cesser de croître pour les générations d'après. Sans doute liée à un trop grand privilège accordé à la stimulation sensorielle.
RépondreSupprimerEn tous cas, j'ai tout de même moi-aussi connu les affres du suspens du "à suivre" ... Et la pire punition était de ne pas m'accorder le mensuel prochain. Levier de chantage dont l'efficacité n'échappa pas à l'autorité parentale, hé hé. Rendez-vous compte du degré de maltraitance, du trauma : je ne saurai jamais comment Spiderman échappa aux griffes du Bouffon Vert (et bien que je me doutais déjà un peu qu'il s'en sortirait, malgré toutes les apparences contraires) !
Je ne suis pas "old school" mais pas non plus tant à la pointe, ni fermé à tout intérêt pour un héritage plus classique. Ni d'ailleurs contre un parcours "généalogique" jusqu'à aujourd'hui.
pour ma part, je suis resté bloqué sur la ligne claire, la belgitude. Mais c'est vrai qu'elle était réactionnaire déjà à l'époque, quand on pense aux audaces des années précédentes. Zig et Puce était nul, mais Forton pas mal, et Alex Raymond génial. Je me demande si on a fait mieux que Topffer, lu aussi dans l'enfance. Mais je n'ai pas pris à la BD très visuelle de la dernière moitié du XXeme siècle, Druillet etc. Vous noterez que l'un de mes blog préférés , ici référencé, est Topferiana.
SupprimerVous avez raison de rappeler Winsor mc Kay, comme véritable précurseur inventif en BD, il se pose là. Raymond est déjà plus formaté, même s'il développe des idées en effet du premier quant au traitement narratif ET graphique. À remarquer cependant que sa maîtrise formelle de certaines séquences d'action ou la luxuriance baroque de certains de ses plans n'implique pas dans l'ensemble de meilleurs scénarios que ceux de Jacobs.
RépondreSupprimerJacobs adaptant Lovecraft, l'idée est bien trouvée. Pour l'ambiance, le fond, le côté "Hammer films ", un peu english touch gothique, et surtout le ton "en voix off", le rythme narratif, oui ... Même si le sens horrifique, le monde et le bestiaire, de Lovecraft demeurent singuliers ("weird"). Mais le début du Piège avec la lettre d'héritage du Pr Miloch, la maison abandonnée, la curiosité irrésistible à aller dans la gueule du loup, a quelque chose d'une introduction lovecraftienne. Sans parler de l'idée d'impasse pessimiste (Lovecraft aurait plutôt dit : indifférente) à l'échelle cosmogonique. Voir cependant comment Jacobs s'en serait sorti avec les créatures chtoniennes. Sans doute d'ailleurs serait-ce plus indiqué de les faire deviner ou juste entrevoir plutôt que les représenter en détails (certes Lovecraft peut parfois les décrire, peut-être trop, mais à la façon distanciée presque d'une autopsie, et quand il est bon : par bribes éparses, par éclairs entrevus, et il n'use pas d'un medium directement visuel, il garde forcément une plus grande dimension suggestive)... En revanche, pour les architectures cyclopéennes sur des îles lointaines et oubliées..., le sens pictural de Jacobs aurait pû s'épanouir.
La BD US est d'ailleurs aussi l'enfant des "pulps" dans lesquels Lovecraft (un autre décliniste conservateur... plus extrémiste et barré, mais bon conteur) écrivait. Mais le soin qu'il apportait au texte, d'esprit plus européen, se démarquait du style de la plupart de ses collègues (à l'exception peut-être de C. Ashton Smith dont je n'ai lu qu'un récit, de Robert Bloch l'auteur de Psychose -encore mieux que le film, et dans une moindre mesure : R.E Howard, une fantasy plus brut réaliste qu'un Tolkien, mais de qualité certes en dessous. Tous trois avec des univers cohérents propres identifiables à fort potentiel visuel) sans parler des tentatives décevantes, trop explicites, de ses continuateurs (Derleth surtout). C'était tout de même le début d'une approche industrielle de la production culturelle de divertissement, avec tous ses travers, pas toujours au service de la minutie. Lovecraft y reste à part, un poil comme Jacobs avec la BD, et fût en tous cas une influence dans mon adolescence.
J'enchaînerai peut-être sur la question délicate de l'adaptation d'une oeuvre littéraire en BD, aussi casse-gueule qu'au cinéma, bien que de façon différente. L'esprit ne tient pas qu'à la lettre mais s'expose à se perdre sans elle. La question qui se pose alors tout de même, c'est : pourquoi adapter dans un médium visuel, dans quel but, et qu'est ce que cela implique de plus ou de moins, de différence ? S'agit-il de servir l'oeuvre ou s'en servir ? Comment lui demeurer fidèle tout en la trahissant nécessairement de par la différence du médium, ou inversement, bref le comment et la priorité : à quel degré de l'un ou l'autre ? Ce qui interroge assez bien un sujet plus général dont vous parlez, comme Jacobs, dans d'autres billets : le rapport écrit/image. Ce que peut entraîner de dérive et de perte la domination trop unilatérale de la seconde. Voire ce qu'elle peut avoir de qualité autre. Leur liaison d'apport mutuel possible ou de différence irréductible, voire conflictuelle. Le type de réceptivité plus ou moins active ou passive que cela favorise. Si cela est dû avant tout au propre de l'image ou de l'écrit, ou surtout de la façon de les traiter en une narration. La mise en avant de la stimulation sensorielle ou/et de l'idée plus abstraite.
RépondreSupprimerMais voilà que je suis déjà trop long. Vaste sujet. J'y reviendrais peut-être, une autre fois. En essayant au mieux d'être concis sur des points saillants sans perdre la portée de l'enjeu général. Et avec l'univers romanesque référentiel plus propre à Jacobs et sa façon de le traiter.
Une BD, selon moi, doit penser. La plupart de
Supprimercelles récentes que je connais sont semblables aux blogbusters holywoodiens. Je n'aime pas trop Hugo Pratt , si d'autres BD pensantes italiennes, même si l'esprit ne me déplaît pas. Mais je confesse mon ignorance
Je me permets juste un exemple et j'arrête. Mais d'abord, sur ce qui se fait majoritairement en BD actuelle, surtout de "genre" ultra codifié, très influencée en effet par les dérives du cinoche actuel us, l'emballage m'as-tu-vu, le bombardement d'effets, le rythme stroboscopique (même en BD il y en a un, même si s'impose moins directement qu'au ciné) promettent souvent plus que le contenu, bien plus maigre, hélas (En passant, plus sur 70's, genre Druillet : graphisme parfois intéressant, quoique trop surchargé, répétitif, et faiblard en scénar. Moëbius : des choses parfois intéressantes, mais moins de niveaux de lectures différents possibles que ce que proposait déjà mc Kay, par exemple. Pratt, mouais, mais reste : pas mal graphiquement, assez bof niveau histoire...). Sans parler de la répétition des mêmes schémas d'histoire et des archétypes de personnages limités. Il y a eu perte, en Europe comme USA, du sens de la contemplation, de l'histoire, des personnages, pas seulement au profit de l'action, mais vraiment par la saturation d'effets visuels, très techniques mais souvent formatés, l'extinction de traits et de "pattes" vraiment spécifiques, pour l'overdose de stimulations se croyant auto suffisantes, jusqu'à l'écoeurement. Quant à l'art du montage, il ne suffit pas d'être virtuose "en faisant virevolter les assiettes", il s'agit d'être pertinent, opportun, comme un rythme ajusté, une ponctuation, une respiration. Le ciné comme la BD n'ont pas à se résumer à un tour de grand huit pour parc d'attractions. Ceci dit, à quelques exceptions notables près, de maîtres contemporains en la matière (Pour les USA : Franck Miller, même si pas tout, et d'idéologie parfois douteuse, mais d'une réelle créativité. Ou Bill Sienkiewicz, fût un temps fort audacieux. Le scénariste Allan Moore, anglais qui a officié dans les comics, parfois très bon aussi, mais pour le reste : je ne suis plus à la page depuis un certain temps ...et quand je jette un oeil : souvent déçu. Oublions la dérive ciné d'adaptation, assez catastrophique).
SupprimerMais surtout, il y a parfois, certes rarement, des réussites de synthèses contemporaines d'un niveau de maturité exceptionnelle. Pas seulement d'influence outre-atlantique mais bien aussi de spécificité d'"œil" européen. Je pense à Blast, de Larcenet. Qui confine à l'"artistique" sans rien perdre du narratif. Où, moralité : on revient presque au tableau, tout en l'articulant à un sens de l'ellipse suggestive et une vraie histoire. Un accord juste entre traitement visuel et narratif. Une réflexion en acte sur le medium. Un auteur, quoi. Même si : noir, c'est noir ... Ce qui n'empêche pas d'atteindre à une grande poésie esthétique et originale. Et à du fond, une résonance. Vaut le détour, juste jeter un oeil sur le premier tome, pour se faire une idée du potentiel spécifique trop négligé de la BD, ici contemporaine et française ... Quant à Topfferiana ..., aah là oui, grand merci pour la découverte. Et pour Topffër himself, j'connaissais à peine, je redécouvre, j'avais sous-estimé, j'avoue ... Rendre à César, etc.
je dois avouer ne pas connaître les BD depuis une trentaine d'années. Je suis resté figé à la ligne claire. Quand il y a des grands prix de BD à Angoulême, je regarde un peu les planches, mais je ne suis pas trop séduit. Crumb, qui m'amusait ado, est quand même limité, et Bretécher est surtout bonne dans les textes, pas le graphisme.
SupprimerTopfferiana est référencé dans les blogs préférés de ce blog, si on scroll down just un peu
Juste en passant 2..., au plus court, mais davantage sur la question de la morale, et puisque la question a été effleurée, bien que je n'ai pas lu le Olrik.
RépondreSupprimerUn principe de scénario très simple que rappelait Hitchcock et qui est trop souvent négligé : plus le méchant est réussi, mieux s'en portera votre histoire. C'est à dire que le méchant doit être soit véritablement barré et effrayant, soit encore mieux : que le méchant ne soit pas que méchant, qu'il ait déjà a minima des qualités : intelligence machiavélique etc, et surtout qu'il aît des raisons a minima d'être "mauvais", d'en avoir gros sur la patate, ce qui ne veut pas dire le justifier entièrement moralement, disons que cela peut affûter une dimension plus critique du jugement moral. L'ange qui chuta fut orgueilleux. Mais son insoumission peut parfois s'argumenter, jusqu'à un certain point, et demeurer tentante ... Bref, une pointe d'ambiguïté, et moins de manichéisme. Sans perdre la morale, au contraire. De par un souci de vérité à travers l'affinement de l'archétype ... Sur le plan de l'histoire en général, une des forces de Jacobs est en effet de ne pas souscrire à l'angélisme bisounours. Même si, publication jeunesse oblige, il concède a minima au happy end (bien que sans doute qu'apparent dans le Piège, en tous cas plus subtil).
le principe hitchcokien me semble axiomatique. Mais Olrik me semble parfaitement l'illustrer. De même que Rastapopoulos, le Dr Müller, Mitsuhirato, et les autres méchants tintiniens, même si le banquier juif lippu et fumant cigare des albums des années 30 sent trop mauvais.
Supprimer@ Amateur,
RépondreSupprimerQue voulez-vous dire exactement par : "Ce qui n'empêche pas d'atteindre à une grande poésie esthétique et originale." ?
Disons par rapport à une vision stéréotypée ou une certaine auto censure qui évite par trop soigneusement et puérilement les sujets susceptibles de déranger un peu plus les chaumières. Ou a contrario : qui use de la noirceur comme une forme de complaisance auto justifiée. Car noirceur n'implique pas non plus qualité. Tout dépend la façon dont s'est traitée et aussi l'intention (parfois critique, parfois complaisante). C'est vrai que je pourrais davantage donner des exemples de plans et de scènes précises plutôt que ce type de critiques elle-mêmes assez générales et abstraites un peu traversées de poncifs. Mais je suis déjà suffisamment intervenu comme ça en un temps court pour un blog, je laisse un peu la place. Rien n'interdit d'aller y voir de plus près.
RépondreSupprimerNéanmoins, je n'esquive pas tout débat possible si constructif, le but est aussi de provoquer un peu l'interrogation, attiser la curiosité, et je ne prétends pas à l'omniscience indiscutable sur le sujet, je reste ouvert. Mais pour comparer de plus près les auteurs, la construction respective des oeuvres, et les tendances, ça demande forcément à se montrer beaucoup plus détaillé.
RépondreSupprimerBD : Acronyme. Littérature imagée à base de cases et de bulles. N'a pas encore son agrégation. Cathédrale d'allumettes : trop chiadé pour convenir aux illettrés mais trop enfantin pour initier à la "vraie vie" (« la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue (...)» ). Sert souvent d'amorce ou d'appât aux petites dames omniscientes des bibliothèques et des CDI.
RépondreSupprimerCDI : Acronyme. BNF pour les nuls. Plus étriqué et moins studieux. Point de manuscrits mais beaucoup d'atlas. Abyme d'initiation, d'expérimentation et d'approfondissement pour jeune public. L'ado y fait pour la première fois la rencontre du « silence éternel des espaces infinis ». Pour la plupart premier (et dernier) effroi. Les plus assidus y reviennent pour travailler leur minute de silence, les plus assidus pour y cultiver des records de profondeur – tout comme l'apnéiste aime à retenir son souffle. Et tout le reste est littérature.
Chiadé : "Trop stylé !"
détrompez vous: il y a eu l'an passé une chaire de BDologie au Collège de France
SupprimerC'est effectivement un progrès qui m'avait échappé. Décidément la réalité dépasse ma définition..
SupprimerMais chut, n'en dites surtout rien à Gustave (mon frère). Il est déjà très affecté moralement et risquerait fort en l'apprenant de contracter, euh...comment dit-on aujourd'hui...oh oui : un "beurnâout"!
Burn-out : Deadlock sur la machine humaine avec fatal error. Modernité mal programmée.
;-)
(C'est mieux ainsi, me souffle Gustave)
RépondreSupprimerCDI : ... Les plus téméraires y reviennent pour travailler leur minute de silence, les plus assidus pour y cultiver des records de profondeur – tout comme l'apnéiste aime à retenir son souffle. Et tout le reste est littérature.
Bon, un exemple, pour essayer d'être clair par rapport à la question qui m'avait été posée, bien que j'aurais apprécié que celle-ci se précise également. Car si la question portait moins sur la signification de ma phrase dans le texte, mais sur ce que j'entends par des termes comme poésie ou original, j'admets être dans de beaux draps. On peut sans doute essayer de mieux définir ici, mais disposer d'une définition qui soit claire, exhaustive et définitive me paraît très difficile, voire impossible. Un peu comme quand on veut définir le beau ou le bien en soi. En revanche, on peut sans doute mieux exemplifier certaines occurrences où on use de ces termes, même s'ils me semblent impliquer tout un arrière plan d'usages qu'on ne saurait réduire en quelques formules. Essayons quand même un peu, en restant dans l'approche picturale narrative, puisque c'est aussi le sujet.
RépondreSupprimerB-A-BA : soit une femme qui ouvre une fenêtre. Geste banal, quotidien. Sans doute pour aérer. Ça dépend ptêtre de l'heure de la journée. Mais disons que l'image peut n'être qu'informative, basique, ne signifier presque rien d'autre qu'elle-même, ou plutôt à vrai dire : guère plus. Intégrez-là ensuite à une narration. Par exemple, après une dispute avec son époux qui lui a annoncé qu'il la quitte. L'acte d'ouvrir la fenêtre peut prendre une autre signification, celle de chercher de l'air, une "issue" (certes, pas au sens littéral...), etc ... On remarquera donc qu'il s'agit que l'image ne renvoie pas qu'à elle-même, cependant il ne suffit pas qu'elle renvoie à autre chose pour être poétique, la fumée est signe qui renvoie au feu et peut presque en rester là (ça implique tout de même tout un monde en arrière plan), en revanche si elle renvoie davantage à des usages humains, voire des valeurs ou des émotions, elle prête sans doute davantage à une forme de poésie possible (je ne dis pas que ma proposition suffit, c'est juste une amorce de définition à un type d'applications spécifiques difficilement réductibles en une unité clairement circonscrite). Autre image : un homme marche. Est-ce sur une route, dans une ville peuplée, inhabitée, un paysage naturel, un désert, etc, quel saison temps, luminosité, attitude corporelle, échelle du plan, angle, etc ... Selon le traitement visuel et narratif, l'image autour d'un même thème principal, voire même d'une apparence identique si on en reste en gros rapidement ou d'assez loin à la surface, peut prendre de multiples sens différents, dès qu'on est plus attentif. Le "background" en BD tient rarement qu'à ce qui est montré, d'ailleurs. Ou même qu'à dire pour un roman. Le monde, la vie, ou du moins le réel qui les sous-tend, n'ont pas attendu d'être décrits ou exprimés par un tiers pour advenir, en principe, quand bien même ma compréhension de ceux-ci passe par la description/expression réceptive et émettrice que nous en avons ou faisons, voire que nous sommes. Seulement si l'art peut peut-être se réduire à des lois causales explicatives, on n'est pas encore, pour le moment en tous cas, à un niveau de connaissance qui nous en donnerait la formulation générale théorique de type physico-mathématique, planifiable et réitérable de façon qu'"à tous les coups, on touche la cible". On peut s'en affliger trouver cela obscur ou douteux, ou s'en réjouir y concevoir une ouverture stimulante, c'est une autre question ...
Pourquoi tel type de plan me paraît ici "juste" et un autre fort ressemblant, ailleurs, de l'esbroufe ? Il y a un lien clé non seulement avec l'illustration, la manière, mais aussi avec la narration et l'articulation de l'ensemble. Le sens. Si on ne se satisfait pas de l'opposition souvent facile entre objectivité et subjectivité, on peut sans doute dégager davantage une clarification, mais encore une fois : jusqu'où une raison disons ici esthétique peut se ramener à une causalité externalisable complète ?
RépondreSupprimerFranchement, "Amateur", vos réponses sont aussi incompréhensibles que votre phrase d' origine! Celle-là : "Ce qui n'empêche pas d'atteindre à une grande poésie esthétique et originale." ? Bon, on peut comprendre qu' une poésie soit originale dans le sens trivial de ce terme mais une "poésie esthétique"? Je vous le demande enfin.. Peut-on en parler comme une poésie anesthésique? Une poésie néolithique? Une poésie arthritique? Que sais-je encore!
RépondreSupprimerC'était maladroit, ok. J'ai essayé d'éclaircir. Maintenant, si tout ce que j'ai pu dire n'a aucun sens , en effet aucun dialogue n'est souhaité ni possible en ce cas.
RépondreSupprimerDire qu'associer esthétique à poésie ne fait pas grand sens, je suis d'accord. Dire que c'est un non sens au même titre qu'y associer arthritique, non. De plus, le mot esthétique comme adjectif, tel qu'on en use dans le langage courant et qu'on le rappelle dans le dictionnaire, n'est qu'un synonyme de beau. Encore une fois, on peut trouver cet adjectif trop vague et large, mais il ne revient pas à n'importe quoi pour autant. Et le mot esthétique cette fois comme nom, en revanche, revient plutôt au domaine d'investigation philosophique. Ce n'est pas le même usage ni strictement la même signification. Dans le contexte de ma phrase qui parlait de cette BD, où je faisais l'association de poésie à esthétique, je voulais surtout dire que le plaisir ressenti à la lecture participait à la fois de la forme visuelle et de la signification au sens plus métaphorique, l'image et ce qu'elle suggérait. Maladroit et guère suffisant, je peux l'accorder, mais pas non plus totalement incompréhensible, il me semble.
RépondreSupprimerAprès les mésaventures d'Olrik en Cornouailles, nous attendrons en 2025 "Les Revenants du Doggerland". Il s'agira d'une suite de "L'Enigme de l'Atlantide", située en Mer du Nord. Il y a vingt ans, les relevés de la recherche pétrolière en Mer du Nord ont effectivement signalé la présence d'une plaine engloutie entre l'Europe et la Grande-Bretagne. Il s'agira donc d'une vraie "sequel", du même acabit que "Le Dernier Pharaon", suite de "La Grande Pyramide", même si cela aura le goût de la "ginger ale" Canada Dry.
RépondreSupprimerIl est également intéressant de suivre la franchise transmédiale de Blake et Mortimer, la "Translatio Blake&Mortimeri". En 1996, j'ai eu "Le Piège diabolique" en jeu vidéo interactif, qui insistait sur l'aspect encyclopédique de la BD. Jacobs fait des confusions dans les ères géologiques, car il dépend du socle épistémologique de son époque, ou bien ses sources ne sont pas à jour, quand il veut faire de la vulgarisation pour la jeunesse. Le coffret comprenait une interview du Pr Charpak, une gloire scientifique de l'époque, qui parlait justement de la scientificité de Blake et Mortimer. Mais il est vrai qu'en science-fiction, tout est permis. D'ailleurs, le problème était le même avec Jules Verne. Si l'on avait envie de faire un grand plongeon dans la mer ou d'affronter le dilemme du plus gros passager à éliminer, il valait mieux ne pas emporter "Cinq semaines en ballon" dans son aéronef plus léger que l'air.
Pour "L'Oreille cassée" notamment, Hergé s'était appuyé sur les connaissances en arts premiers d'un religieux anthropologue et ethnographe, équivalent de l'abbé Breuil en préhistoire.
J'admire la capacité de Van Hamme de se mouler dans le trait de Jacobs, et je conviens que les intrigues des albums apocryphes sont dignes de celles des albums originaux. Mais il leur manque l'esprit, le ton moraliste de Jacobs. Il n'est pas trop difficile de faire une suite de Rocambole, ou même de Sherlock Holmes, mais une suite de Tintin ou de Blake et Mortimer doit retenir plus que le dessin et l'intrigue. Contre exemple : les Pieds Nickelés de Forton, très bien renouvelés par Montaubert et Pellos. Et pourtant tout n'est il pas imitation, imitation d'imitation?
SupprimerMise en abyme, reflet du reflet, voire jusqu'au pirandellesque ... La question se pose de façon saillante en BD qui recycle beaucoup d'archétypes culturels, mythe roman ou ciné en les mêlant à des références plus actuelles, souvent à travers les mêmes personnages, ce qui souligne l'aperçu quant à ce qui est gardé ou modifié, mis en avant ou en retrait, d'un héritage culturel. La culture vue comme un passage en continuité du même témoin, mais qui varierait plus ou moins en fonction de chaque passeur. Certains passeurs plus décisifs que d'autres ?Jusqu'où identique et différent ? Y'a-t-il préservation de l'essentiel, évolution, gain, perte, simple différence, voire retour en arrière possible, au passage ? Mais à quoi ressemblait le témoin au premier passeur ? On juge de la différence du dernier dans les limites de l'héritage légué par la postérité parvenue jusqu'à nous. Mais aussi en vertu de constances de la nature humaine. Déplacement du sujet. C'est une question qu'on se pose aussi parfois devant les journaux : si on considère qu'un archétype fictif peut tirer pour partie son origine et inspiration de l'histoire réelle, jusqu'où alors l'histoire peut elle-même être influencée en retour par un archétype ? Mais l'enjeu est ici certes autre et plus sérieux. Sur un ton plus acerbe quant à un certain règne croissant de la simulation dans notre construction sociale : "Tout n'est qu'une copie d'une copie d'une copie ..." (Chuck Palanhiuk. Fight Club) ... Bon, quand bien même tout accès à l'original n'en serait plus qu'une imitation, il n'en demeure pas moins une origine qui ne s'y réduit pas quelque part, sans laquelle aucune imitation ne saurait être ...
SupprimerImitation : Vague ressemblance et grande amplitude des résultats. Peut aller jusqu'à imiter le contraire. Plagiat est le terme d'usage pour sa version morale. Plusieurs types : par anticipation, par improvisation, par itération...
SupprimerParadoxe BDo-sceptique : Plusieurs spécialistes de la BD ont soulevé à propos du problème de l'imitation (imitation par anticipation et par improvisation) un paradoxe (dit "paradoxe BDo-sceptique"), selon lequel la capacité de "se mouler dans le trait d'un autre" – i.e. de comprendre, d'utiliser et de reproduire proprement dans le futur l'originalité d'un auteur trépassé pour des cas qui ne se sont encore jamais présentés –, ne peut être ni fondée ni justifiée, ni même expliquée par aucun dessin, intrigue ou évidence matérielle objectivable d'aucune sorte auxquels on peut ou pourrait songer à la réduire, a fortiori la confondre. Soit l'impossibilité de garantir le caractère réellement "inspiré", ou au contraire "apocryphe", d'un album à qui il ne manquerait pourtant rien de l'"esprit" de l'auteur disparu dont il est supposé dériver.
Imitation itérative : Imitation d'imitation. Schème heuristique avec plus ou moins de succès. Ma femme est une imitation médiocre de ma belle-mère à la faveur d'une heureuse et providentielle divergence quadratique familiale ! En revanche, et pour comparaison, 1,4142135623730950488016887 est une assez bonne imitation de √2 qui s'obtient sans peine avec, en tout et pour tout, un crayon et un papier (comptez pour ce calcul cinq générations, et un soupçon d'esprit).
Esprit : "22 à Asnières". Si malin que personne n'a pu le localiser. La machine nous l'envie, la grosseur d'une tête en suggère déjà trop. Ne répond jamais lui-même au téléphone. Bien des expérimentateurs entraînés se sont vaillamment attelés autour d'une table à lui poser droitement la question de sang-froid et dans les yeux : "Esprit es-tu là ?". Mais l'histoire raconte qu'ils n'ont jamais reçu qu'un choc en retour qui n'était pas directement l'esprit à proprement parler. En d'autres termes, plus on examine un esprit de près, plus il donne l'impression de s'être retiré loin. Avec lui, c'est une affaire d'intercession sans fin. De quelque manière qu'on l'interroge, aucune réplique, aussi unanime soit-elle, ne reconduit à autre chose qu'un panneau indicateur. Mais cela sans doute n'est pas rien.
Donc vous achetez des sacs Vuitton à prix flambés sans sourciller? Vous êtes content d'aller voir Carmen tuer Don José? D'entendre dire que Sylvain Tesson est un génie du calibre de Sully Prudhomme?
SupprimerEuh... qu'est-ce qui vous fait penser cela ?
SupprimerBen, si on dit qu'il n'y a pas de critères objectifs pour établir une imitation, encore moins pour vois si l'esprit d'une oeuvre est respectée, on peut plagier allègrement, tout est dans tout, non?
SupprimerÀ la relecture, peut-être la définition manque-t-elle effectivement de "critères objectifs", encore que les exemples de "ma femme" et de "1,4142135623730950488016887" les suggéraient très fortement, n'est-ce pas ?
SupprimerMais, en un sens, vous avez raison. Gustave et moi (son frère) sommes, voyez-vous, suffisamment proches pour porter le même patronyme (Flaubart), et en même temps, restons beaucoup trop éloignés pour qu'il ne se trouve pas l'un de nous qui s'emploie le plus sérieusement du monde à donner raison – contre l'autre – à un tiers, et que se dégage du même coup quelque chose comme un "esprit" bien unifié (en l'occurrence un esprit de famille) avec possibilité de le satisfaire comme vous l'entendez. Peut-être votre impression n'est-elle due qu'à ce désaccord interne qui se laisse percevoir entre nous, à cette désunion constitutive qui transparait à notre insu, inévitablement dans ces définitions, et qui, entre parenthèses, nous semble loin d'être un trait propre aux Flaubart. Quadrature du cercle familial, si j'ose dire, qui songe et s'évertue encore à quarrer l'aire d'un disque passant par trois points non alignés n'ayant pourtant pas plus (mais pas moins non plus) qu'un p'tit air de famille entre eux.
Quadrature : Le carré ne serait pas maltraité si ses angles n'étaient pas aussi inflexiblement droits du matin au soir.
Soit dit en passant, lors d'une conférence de presse qui avait suivi la remise solennelle du Nouveau Dictionnaire, l'auguste Académie avait souligné incidemment qu'elle envisageait la possibilité de modifier, dans sa version en ligne, certaines définitions sans attendre le réexamen du mot concerné qui normalement se fait de A à Z sur des cycles, il est vrai, incommensurables aux mortels. Permettez – avec votre aimable autorisation – que Gustave et moi retenions votre scolie et soumettions de votre part, disons pour la prochaine édition papier qui sera normalement publiée, si tout va bien, à + 3° de réchauffement par rapport à l'ère préindustrielle, la nouvelle définition suivante aux Immortels : (que les choses soient claires, ceci n'est pas un plagiat)
Distrait : Qui achète des sacs Vuitton à prix flambés sans sourciller, est content d'aller voir Carmen tuer Don José et d'entendre dire que Sylvain Tesson est un génie du calibre de Sully Prudhomme.
...quoique je doute que 1 (Vuitton), 2 (Carmen) et 3 (Tesson) fussent des points aussi compatibles dans la réalité que la définition le laisse entendre. Je parierais même sur le fait que Sylvain Tesson (en accord avec ses nombreux afficionados), s'il n'achèterait probablement pas des sacs Vuitton (à prix flambé ou pas), se vit néanmoins très certainement comme un génie du calibre de Sully Prudhomme, non content de voir Carmen tuer Don José !
Il n'en reste pas moins que – simultanément réalisés ou pas dans les faits – ces trois points non confondus caractérisent et dessinent bel et bien dans l'esprit un cercle parfait et un seul. Au moins en droit, par les grâces et prérogatives de l'imagination exacte. À ce stade, je me garderai cependant de la tentation de vouloir absolument le "quarrer".
"L'humanité, dans ces âges pesamment réalistes (...) objectivait la voix de sa conscience en une voix émanée du ciel." (Renan)
Ce qui ne signifie pas, bien entendu, qu'il n'en soit pas le cas également pour des âges pesamment irréalistes comme les nôtres. Il y a un point au-delà duquel le réalisme vire à l'irréalisme, et réciproquement, si vous voyez ce que je veux dire.
M. Flaubart.
SupprimerEh oui. Comment d'ailleurs pourrait-il y avoir le moindre sens au mot imitation sans l'ombre de possibilité d'un original objectif nulle part ?
L'acrobatie sur "slackline" virait à l'apesanteur. Pas si grave. Mais guère gravitationnel. Ou sensé, et pas uniquement significatif, si vous préférez. Ça nous arrive à tous, je n'en suis pas épargné. Mais je m'en rend compte désormais suffisamment pour être a minima prudent afin de soupeser et envisager éventuellement ma propre personne dans la critique que je serais tenté d'émettre.
Le brillant ne suffit pas toujours au lumineux.
Comme jeter le discrédit sans autre argument ne suffit pas toujours à son crédit.
(mais ça, c'est pour un autre type de ton et comportement ...).
Vous remarquerez qu'il ne s'agit de rien d'autre que ce qui était si bien dénoncé dans votre envoi à propos de la poésie, la griserie excessive du langage au détriment des pieds campés sur le sol. Pris par là où on croyait prendre. Encore une fois : ça m'arrive aussi.
Mais nul besoin de "revanche du silence", ni de pathos d'ego affligé, rien d'autre après tout qu'un nécessaire retour d'un critère a minima objectif. Plutôt sain, à y réfléchir.
Il nous reste à apprendre et cela passera par d'autres "emberlificotages". Mais si nous apprenons vraiment ... nous en ferons moins souvent. Et reconnaître cela est sans doute plus gratifiant que toute reconnaissance de notre seule dextérité verbale. Certes, la tentation reste forte, j'insiste : pour moi aussi, il s'agit de rester vigilant.
Morale : peut-être pas que "pour un temps", puisqu'elle semble nous revenir souvent ... Et celle-là n'aurait rien d'une "bigoterie" ...
N'y voyez pas de ma part une ironie mauvaise voulant se mettre en avant à vos dépends, plutôt un soupçon d'indication où je me montre déjà trop prétentieux, car je suis moi-même encore en apprentissage.
Tous des apprentis ? Certains moins que d'autres (et je ne pense pas à moi : mais à certains passeurs d'un certain héritage philosophique). Et il y a de nouveau un lien avec l'importance du critère objectif, pour que tout ne se réduise pas au subjectif : du moins si vous admettez que tout ne se vaut pas.
SupprimerS'il n'y a qu'un panneau indicateur, qu'indiquerait-il ? Si ce n'est qu'un autre panneau indicateur qui lui-même n'en indique qu'un autre, etc...ainsi à l'infini, ça tourne à vide. Vous dites d'ailleurs que le panneau, ce n'est pas rien, donc pour ne pas tomber dedans ... encore faut qu'il y ait quelque chose, mais qui ne soit justement pas que le panneau. La flèche à elle-seule n'est pas tout à fait la direction, encore faut-il savoir la lire dans le bon sens. Accordons donc au moins un nécessaire quelque part quelque part ... pour qu'un panneau puisse en indiquer un autre. Pour qu'indiquer ait un sens. Mais là, je commence moi-même à dangereusement plus jouer qu'à disposer d'une proposition a minima d'un repère un tant soit peu plus consistant ... Et c'est ainsi que "quand le doigt montre la lune, l'imbécile regarde le doigt" comme il est dit dans l'adage zen (ou plutôt t'chan pour être précis). Je me tais donc enfin, sans y voir une "revanche" du silence à mon encontre, et retourne à ce qu'il ne dit pas, sans interdire cependant tout dire possible qui ne soit pas que lui mais lui est lié : ne serait-ce que celui d'avoir à continuer mon apprentissage. Si j'ai pour le moment compris a minima un ordre : il faut entre autres un espace pour avoir une direction et il faut une direction pour avoir un panneau indicateur intelligible. Un point d'arrivée ne serait pas non plus un luxe superflu. Bref, une base a minima stable pour qu'il y ait un développement et un sens. Et oui : j'ai encore assez de pain sur la planche pour ne pas avoir à tant en étaler ici. Si la critique m'apprend, je suis preneur.
SupprimerAmateur,
SupprimerOctave souffrant depuis deux jours d'une extinction de voix après un méchant surmenage de ses cordes vocales en pleine répétition de son chant de Noël préféré "Entre le bœuf et l'âne gris", son état me conduit naturellement à prendre la parole pour lui au nom et dans le respect du bel esprit de famille qui est le nôtre.
Merci Amateur pour ces remarques, même débordantes mais toujours délicates et sans animosité. Elles témoignent d'une ardeur à exposer vos tâtonnements au prix peut-être d'une formulation qui souffre (mais sans gravité) d'un léger défaut de concision. Mais la volonté d'apprentissage et l'effort d'approfondissement que vous manifestez font que le tout se lit très volontiers. Un silence, il est vrai, ne dirait rien, un soupir n'y suffit pas, tandis que des arguments trop poussés excèdent déjà les chances de se faire comprendre. L'essai de la définition elle-même, comme vous le pointez, n'est pas exempt non plus de défauts, alors...
Vous dites :
"Et oui. Comment d'ailleurs pourrait-il y avoir le moindre sens au mot imitation sans l'ombre de possibilité d'un original objectif nulle part ?"
Qu'est-ce qui dans la définition du mot "Imitation" a pu vous donner l'impression que nous avions retiré l'ombre essentielle dont vous parlez ? L'"original objectif", comme vous dîtes. en est plutôt le présupposé omniprésent, un peu comme la lettre 'e' dont la disparition dans le livre éponyme hante celui-ci d'un bout à l'autre.
Cette définition cherche à attirer l'attention sur un point qui nous paraît, à moi et Octave, fondamental dans le cas présent : le caractère foncièrement incertain de l'évidence des signes. Pour le dire d'un mot, vous ne pouvez pas faire la moindre imitation ni donner la moindre image de quoi que ce soit qui ne puisse pas faire l'objet d'une méprise ou bien d'une confusion. Mais gardons ici à l'esprit que la possibilité de mentir, de trahir qui est liée intrinsèquement aux formes d'expression et aux signes, autrement dit la possibilité d'une infidélité (éventuellement contestable, mais pas nécessairement) inscrite au cœur du processus d'imitation, inclut la possibilité du contraire lui-même, c'est-à-dire la conformité et la fidélité à l'"original" conçu en tant que norme et référence instituées par l'usage et la coutume. N'est-ce pas cela qui est au cœur et au fondement de la grammaire du mot "imitation" et exige d'être préservé dans sa définition ?
Si le concept d"imitation" s'est imposé aussi irrésistiblement dans nos jeux de langage et aux êtres que nous sommes, c'est justement en vertu des potentialités de subversion qui entourent l'original en question, et témoignent à la fois de l'incertitude (scepticisme) et de la diversité (relativisme) persistantes autour de ce qui pourrait être ou pas identique ou conforme et gagnerait à être imaginé autremement que l'exemplaire original. De combien une imitation subversive doit-elle s'écarter de l'original reçu pour cesser de le représenter ? Cette question générale reste ouverte.
Voilà ce que nous avions en tête et à cœur de sauver, ajoutant au passage un soupçon de fantaisie, surmonté d'une fine pointe de provocation pour essayer de rendre, si possible, la définition un peu moins monotone (et pas plus inexacte) que les concoctions officielles.
Quant à la question du "panneau indicateur" qui, multiplié et renouvelé à l'infini, "tournerait à vide" selon votre remarque ; ce que dit cette fois la définition (joueuse) du mot "Esprit", tient bêtement en ceci :
SupprimerL'"esprit" n'est pas plus résolu dans la donnée d'un panneau indicateur que dans la donnée d'une infinité de panneaux. Un seul y suffit quelques fois pour les plus chanceux. Pour d'autres il en faudra peut-être dix, cent, un million, peut-être même que rien n'y fera, c'est ainsi. Tenez, par exemple les coups frappés de l'esprit frappeur conduisent aussi bien à regarder sous la table qu'à lever les yeux au ciel ! Et puis un panneau reste toujours un panneau, un doigt dirigé vers la lune, comme vous dites, reste toujours un doigt dirigé vers la lune, dont la fonction indicatrice (de "guidage"), si elle fait bien signe vers "quelque chose", ne se confond pas, en tout cas pas nécessairement, avec ce qu'elle est supposée satisfaire, en l'occurrence la lune, ou bien encore l'"esprit", celui que l'on prête par exemple à un être, à une personne, aux Flaubart, aux morts eux-mêmes, à une nation, une BD, un opéra, une collection d'objets apparentés, et – pourquoi pas – à une machine...
Je crains d'avoir répondu comme un verbicruciste à qui un philologue de passage non cruciverbiste lui demanderait de s'expliquer "philologiquement" sur le choix des mots dans ses grilles, et le premier de baragouiner tant bien que mal quelque chose de confus sur un ton ennuyé, à défaut de rétorquer droitement à l'autre: "Ma foi, monsieur, ça s'est trouvé bien comme ça".
Allez, pour finir en toute légèreté :
Lexicographe : Au commencement était le Verbe. Obscur commis. Fort en othographe et grand misologue. Souvent érudit mais piètre géomètre. S'applique à faire rentrer le monde entier dans son cabinet de travail étriqué. N'exigez pas de lui qu'il vive dorénavant selon l'arrangement des mots qui figurent dans son dictionnaire. On aiderait pourtant sa Science si on pouvait maintenant lui faire éprouver en personne toutes les implications des définitions qu'il assemble méticuleusement.
Poésie : Jeu d'enfants. Particulièrement casse-gueule à l'âge adulte. Se pratique sans casque, et souvent entre soi, à différentes hauteurs et sur différentes longueurs au-dessus d'un espace vide appelé page blanche. Un peu comme la "Slackline" mais par d'autres moyens. Nait du désir d'exprimer quelque chose d'ultime et de sublime de l'existence à la limite du rire ou du ridicule.
RépondreSupprimerSert quelques fois de substitut anagogique au silence. Se produit lorsque l'âme contemplative, tourmentée à l'idée de se déprendre de l'entrelacs des mots, se débat, puis s'emberlificote, et finit par s'immobiliser dans la nasse. À ce titre, vaut à la fois comme volupté du langage et revanche du silence.
Propice aux bigoteries.
Certains BDologues patentés ont récemment argué qu'elle n'était pas absente de la BD, accusant même leurs adversaires de verser dans le BDo-scepticisme. Querelle dite de la "poésie arthritique" dont le Grand Collège d'Esthétique a démontré par ailleurs que la raison d'être tenait en dernier ressort à des aspects strictement définitionnels du sens de la vie.
Vie (sens de la) : Facultatif. En pleine partie de Tetris ou de Mikado, se demande-t-on jamais à quoi bon vivre ?
Ah, Flaubart, vous êtes monté d' un octave.. Faire la bulle n'est-ce pas nuire au dessein du dessin? Les mots dans la peinture c'est tout une histoire!
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RépondreSupprimerM. Stevel exagère le degré d'inexactitude du terme employé par l'amateur, ce qui revient à commettre lui-même une inexactitude, au nom de l'exactitude revendiquée.
Question technique pour les philosophes :
est-ce alors encore de l'ironie ou n'est-ce pas ce qu'on appelle une contradiction performative ?
Quant au refus de répondre sur le même ton à une certaine tonalité, faudrait voir à pas trop aisément le confondre avec une incapacité de répondre sur le même ton.
RépondreSupprimerLa BD n'est pas contemplative tout à fait systématiquement au même sens que la peinture. Il y a une succession d'images, un montage, une narration en développement. Et oui, des bulles aussi. Certes, on peut aussi faire sans. Ou doser la part respective d'image et de texte. Même si j'ai commencé sur le sujet par la critique de l'excès de texte par rapport à l'image chez Jacobs (qui reste d'ailleurs discutable, j'accepte le désaccord sur ce point), je ne considère pas que la BD se doive à l'excès contraire. Je pense justement qu'elle est l'occasion particulière spécifique de les articuler.
RépondreSupprimerEt d'après moi : en essayant justement de ne pas tant faire alterner le regard de l'un à l'autre que de les combiner en une unité fluide pour le regard, en soutien mutuel, dans la mesure du possible que permettent leurs propriétés néanmoins respectives et cependant conciliables.
Qu'il ne soit que neuvième ne lui retire pas sa potentialité propre d'être un art à part entière, par sa spécificité même (je dis : art, pour user d'un mot trop vague ...).
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur le fait que la BD se soit développée en parallèle de l'évolution du cinéma : c'est à dire l'illusion directe de l'animation de l'image (en fait, succession rapide d'images fixes jouant sur la persistance rétinienne), là où la BD en est une allusion plus indirecte et posée. Ils demeurent à la fois très différents et très liés. Certains ont réfléchi là-dessus, et cela peut à la fois se dire et se voir ...
Et pas besoin du même perpétuel scénario de la petite joute d'egos à deux balles pour proposer quelque chose, non ?
RépondreSupprimer" La BD n'est pas contemplative tout à fait systématiquement au même sens que la peinture. Il y a une succession d'images, un montage, une narration en développement." Ne croyez-vous pas, Amateur qu'il y a aussi dans la peinture une succession d' images, un montage, une narration en développement? En ayant lu le formidable essai du philosophe Pascal Engel, Foucault et les normes du savoir chez éliott éditeur, je pense au fameux commentaire des Ménines de Velasquez par Foucault lui-même dans son opus " Les mots et les choses". Eh bien, il y a là un formidable sujet d' une "succession d' images, un montage, une narration en développement". La question est de savoir pourquoi il y aurait nécessité de poser des mots sur une image sans que cela soit superfétatoire. Savoir en quoi une image serait déficiente du langage écrit? Prenez le cas de la peinture de Poussin, autre exemple.
RépondreSupprimerVous avez raison : vouloir souligner la spécificité narrative de la BD m'a fait négligé celle de la peinture. Elle peut en effet se déployer en un jeu organisé de renvois. Toutefois elle ne "marque" pas non plus la succession, la temporalité, le rythme de la même façon, d'après moi. Ce qui ne veut pas dire qu'elle en est dépourvue. Et puis, ce que je dis reste discutable : on peut envisager, sur le plan "physique" ici, que l'ordre et la disposition de plusieurs tableaux sur des murs dans une exposition puisse en effet n'être pas si éloigné des cases sur des pages. Bien que si vous mettiez une BD à échelle humaine et qu'il faille faire deux ou trois pas pour aller à l'autre case, vous modifiez quelque chose du rythme de lecture, mais certes pas forcément le contenu narratif lui-même. Bon, vous pouvez aussi exposer des images de décomposition d'une action, type photos de Muybridge, de façon très fluide, c'est vrai. Mais si les images sont éloignées les unes des autres, disons ce sera une autre proposition (ici au sens trivial).
RépondreSupprimerEt certes et surtout, quant au contenu : il n'y a pas non plus forcément besoin de plusieurs tableaux pour que la peinture "parle", et renvoie à d'autres images et choses, à une histoire, voire des histoires, qui entre elles forment une autre histoire, si j'ose dire. Et puis, la peinture est un domaine très vaste dont je ne suis pas un spécialiste, pas plus que du reste. D'ailleurs peu importe ce que je pourrais en dire, pour le moment, je crois. Je ne vais pas rebondir de suite. Bien que je pense en revanche, à tort ou à raison, disposer de quelques idées, voire tenir un peu quelque chose, sur le rapport mot/image, ou surtout : concept, idée/image, et même sur la relation perception/concept (dont a parlé Bouveresse)... C'est encore un peu en vrac, je garde en réserve.
Bon. Comme je l'ai dit, si j'apprends, je prends. Bien que si la critique reçue ou donnée puisse en être un moyen opportun, elle n'est cependant pas en elle-même l'étalon de la pertinence. Encore faut-il une argumentation, un propos derrière. Et je ne confonds pas non plus l'éventuel tir de sniper avec l'usage de l'ogive nucléaire sur le moindre moucheron. Je peux aussi me taire (si,si) et écouter. Chacun peut proposer et développer, c'est l'administrateur qui tranche en dernier ressort, quant à l'irrecevabilité ou la trop grande inintelligibilité d'un envoi. Mais pour le reste, la voix et voie sont libres, si vous le souhaitez. D'autant que, oui, ce que vous esquissez ne semble pas sans intérêt, dans l'humble mesure de ce que je peux en comprendre. Je ne connais guère Poussin, par exemple, et à peine le fameux passage de Foucault, c'est vous dire ... Mais j'ai tout de même lu d'autres ouvrages de M. Engel et certaines de ses références. Voili, voilà, à vous d'abord la balle, pas forcément au sens de cartouche ni de joujou, si vous souhaitez en user.
Je vais toutefois préciser un angle de vue.
RépondreSupprimerUne image peut-elle signifier sans aucun concept (mais le concept n'est pas forcément un mot ...) ? Autre difficulté : une sensation n'est pas une perception. Et il semble bien qu'une perception implique un jugement (Bouveresse disait protoconceptuel). Qui plus est, une représentation picturale n'est pas la perception "directe". Si la peinture n'est pas figurative, on remarquera que les frontières sont moins claires. Ça me rappelle lointainement la distinction faite entre description et expression. Ou des remarques de Wittgenstein : on peut avoir les mêmes traits du visage et une expression différente, ou avoir des traits d'un visage différent avec la même expression. Ses questions aussi sur l'aspect qui change sans que le donné sensible ne se modifie dans la fameuse expérience du canard-lapin en psycho. Jusqu'où sensible, conceptuel ? Les illusions d'optique, les lois d'associations perceptives de proximité de ressemblance d'orientation de continuité etc ...
Pour en revenir à l'image, les mots, à la première impression peut-être trompeuse ou pas, paraissent souvent superflus (mais peut-être pas tout des concepts qui leur sont liés -d'autant si c'est figuratif ...). Mais pour en revenir au mot, c'est parfois l'image qui devient superflu (mais peut-être pas tout de la sensibilité dont a émergé perceptions et pour partie concepts qui ne s'y réduisent pas.).
Il faut parfois beaucoup de mots là où une seule image semble suffire. Il faut parfois beaucoup d'images là où un seul mot suffit.
Un concept (ou des) peut amener à produire un ordre d'enchaînement de plusieurs images (en une narration successive, voire en une synchronisation configurative d'un ensemble). Une image (ou des) peut peut-être faire "affleurer" un concept ou une conception d'ensemble, un monde. Jusqu'où par elles-seules ?
L'image n'interdit pas toujours les mots, pas plus qu'elle n'y oblige toujours. Et à nouveau inversement les mots pour les images.
Une image ne peut pas tout faire de ce que peut faire un mot (ou un concept), je crois.
RépondreSupprimerEt un mot (voire même des, n'est-ce pas) ne peut pas tout faire de ce que peut faire une image (la part sensible ...mais tout de même au sens de savoir si elle peut suffire à la signification, et de savoir si le jugement conceptuel implique une verbalisation. En passant, il y a des cas d'aphasies où l'individu perd les mots, mais pas forcément les concepts. Il y a des cas d'agnosies où on peut ne plus reconnaître visuellement un objet, sans que le sens visuel ou la mémoire soit touché, savoir le dessiner en gros, mais n'en reconnaître l'idée le sens l'usage que si on vous en donne le mot sans forcément parvenir à l'associer à l'objet perçu, sans trop savoir à quel degré d'exactitude il relie encore la signification à une image mentale. Il y a même l'aphantasie, des gens seraient incapables de visualiser mentalement, ou alors de façon très schématique. Or, ce n'est pas nécessairement une pathologie, on peut mettre des années avant de s'en apercevoir. Très curieux. Enfin il y a les cas où le type reconnaît l'objet vu, mais est incapable de le dessiner même schématiquement de façon a minima correcte. Oui, complexe et vaste, et je m'éloigne un peu de l'art et narration. Mais on parle aussi ici de leur base : de mot sens et image... Il y aurait aussi à dire sur le lien de la signification avec comportement et action. Avant celui avec les usages sociaux, symboliques, etc).
Mais je tends à croire que ni mot ni image ne font guère plus que ce qu'ils sont sans ce que nous en faisons.
Un mot peut prendre une forme visuelle ou phonétique, mais cela ne signifie rien sans nous. Ce qui ne veut pas dire que le concept, l'idée, ne vienne que de nous et n'ait pas un lien avec ce qui est indépendant de nous ! Et si l'image signifie, cela ne tient sans doute pas qu'au stimulus sensoriel, bien que passe par lui.
On peut remarquer toutefois que l'image est plutôt particulière et le mot plutôt général voire abstrait ... Cependant un concept peut être instancié par une image ou un mot n'être qu'un nom propre.
J'essaierai de faire plus attention aux miens, de mots.
Et ce type de sujet nécessite aussi de donner des exemples. Enfin, chaque image peut aussi renvoyer à d'autres images, idées, usages, situations, actions (ou dé-composer une action), et constituer narration. Et puis l'histoire interne et externe d'une peinture se relie aussi à l'histoire de la peinture, des sociétés, des connaissances. A un rapport non seulement à l'espace mais au temps (du peintre, de l'objet, du représenté, de l'observateur).
Je trouve que, juste pour la thématique générale, cette fois articulée à la narration, ce que vous dites n'est pas si éloigné de ce que j'ai essayé de dire, si vous avez suivi -depuis le début, peut-être trop maladroitement, encore une fois : l'image peut peut-être suffire à la narration, bien qu'à mon avis c'est parce qu'elle s'intègre à un réseau de relations de renvois pour véritablement signifier et aussi raconter, quant aux mots au sens strict, ils peuvent s'y articuler, de façon optionnelle ou nécessaire, ou se passer de l'image. Dans une BD notamment, on peut se demander comment, pourquoi, quel choix/sélection l'auteur a fait, ce n'est pas obligatoire non plus.
RépondreSupprimerÇa dépend certes autant de qu'on veut montrer et/ou dire. Des types de narration (voyez la différence entre Jacobs et Raymond). Selon aussi qu'on est dans un registre plus implicite, explicite, de quelle façon, etc. Si on tend à circonscrire l'objet perçu (forme ou/et contenu), ou si on l'ouvre et l'articule à un ensemble, à un arrière plan d'usages, sociaux, symboliques, voire des actions. Si l'objet présente ou représente. Je parlais plutôt de BD au départ tout de même, puisque c'était en partie le sujet.
Pour bien parler de la BD, il faudrait faire revenir la métaphysique par la petite porte. On dit que Deleuze a parlé de la bande dessinée, mais évidemment, c'était sur de la BD qui n'en était pas vraiment.
RépondreSupprimerEn tout cas, du cinéma, pouvait-on mieux en parler sans faire revenir la métaphysique par la grande porte ?
Souvenons-nous d'un cours de Deleuze sur le cinéma : https://www.webdeleuze.com/textes/297 .
Le cours du 1er décembre 1981 proposait une réflexion fascinante sur les concepts de conscience selon Husserl et Bergson, en les comparant aux modèles du stroboscope et du cinéma.
1) Opposition entre Husserl et Bergson
- Husserl : Dans la phénoménologie husserlienne, "toute conscience est conscience de quelque chose", ce qui signifie que la conscience est toujours intentionnelle, dirigée vers un objet extérieur. Ce modèle pourrait être comparé au stroboscope, où la lumière intermittente crée l'illusion du mouvement en fixant notre attention sur des objets discrets.
- Bergson : Pour Bergson, en revanche, "toute conscience est quelque chose", indiquant que la conscience elle-même est un phénomène intégral, un flux continu d'images et de mouvements. Cette approche est similaire au cinéma, où des images projetées de manière continue créent une perception de mouvement fluide. Bergson voit la conscience comme un écran noir sur lequel les images se projettent, évoquant un projectionniste caché à la manière du Dieu baroque de la seconde moitié du XVIIe siècle.
2) Conscience et Cinéma
- Conscience Baroque : Le modèle de Bergson suggère une conscience où les images sont continuellement créées et projetées, similaire à l'idée d'un Dieu baroque qui crée de manière continue le monde et son image. Cette perspective rappelle la conscience universelle de la sagesse indienne, où tout est perçu comme interconnecté et en mouvement constant.
- Impact sur la Perception : Cette analogie avec le cinéma permet de mieux comprendre comment notre conscience fonctionne, non pas comme une série d'instants figés, mais comme un flux constant et dynamique de perceptions et d'images.
3) Implications Philosophiques
La distinction que Deleuze fait entre ces deux modèles a des implications profondes pour notre compréhension de la conscience et de la perception. En comparant la conscience à un stroboscope ou à un cinéma, il met en lumière les différentes façons dont nous pouvons appréhender le monde et notre place en son sein.
Cette analyse montre comment Deleuze utilise les concepts de Husserl et Bergson pour élaborer une théorie de la perception qui transcende les frontières entre philosophie, psychologie et art.
Je ne suis pas sûr de bien vous comprendre sur tout. Et au vu des auteurs que vous citez, je serais tenté de vous dire que lorsque Bouveresse analyse la liaison entre sensibilité et jugement conceptuel pour faire perception, ce n'est pas pour basculer dans le pur subjectivisme. On est bien d'accord que vous comprenez que la philosophie analytique en général ne tend pas vers le deleuzisme hein ... Ce n'est pas le "tout n'est que création de concepts", ou tout revient à la conscience de type mentale, c'est plutôt le concept a un lien avec la réalité qu'il permet de dégager, parce que le donné sensible n'y suffit pas à lui-seul (et pas uniquement en tant que le réel se réduirait à l'appréhension mentale que j'en aurais mais bien aussi en lien avec la réalité indépendante du mental, à une vérité possible. Jusqu'où etc, là ça devient plus compliqué selon les théories).
SupprimerM Gepetto. Je vous ai relu. Ce que vous dites sur la conscience stroboscopique ou plus continue n'est pas sans lien avec mon propos. Ni sans valeur ni intérêt. Et je vous en remercie. Simplement, comment vous dire ? Pour moi c'est davantage liée à l'activité de raconter, de façon plus ou moins continue ou stroboscopique si vous voulez, mais en tant que ça ne relève pas tant que prioritairement de la conscience mais de sa relation à une réalité objective externe. Pour moi, la représentation en une narration est un certain traitement qu'on fait de cette réalité, mais elle ne se confond pas entièrement avec la perception/conception de la réalité même. J'espère que vous comprendrez ce que j'essaie de vous dire. Au demeurant, que nous ayons des différences peut être intéressant, pas forcément une opposition.
Supprimersi pour Bergson la conscience est"quelque chose", cela veut il dire qu'elle n'est pas dotée d'intentionnalité?
RépondreSupprimerIntéressant. Là je crois que c'est subtil. Lorsqu'on un intentionnaliste type Anscombe semble considérer la volonté comme le sens d'un signe que serait l'acte, est-ce que cela signifie réduire le sujet à la façon dont on décrit l'acte d'un sujet ou/et est-ce que cela admet l'existence d'un sujet comme objective ? Et quand un causaliste type Davidson semble davantage considérer la volonté comme une cause, tend-il à réduire le sujet à une causalité purement physiologique ou admet-il que la cause disons interne a quelque spécificité de survenance ou d'autonomie ? Bon là on arrive au difficile pour un blog. Mais si vous avez des indices pour nous éclairer juste un peu ...
SupprimerEuh juste une précision : j'ai un peu compris le monisme anomal. Mais forcément je tends à me demander jusqu'où Davidson... Il semble réduire par principe le sujet au physique, tout en admettant qu'on n'a pas les connaissances pour en établir exhaustivement les lois causales ... Mais ce que je me demande : est-ce qu'une raison peut être objective tout en n'étant pas une cause réductible au purement physiologique ? Est-ce que c'est défendable ?
SupprimerSi ce n'est pas déjà fait, trouvez un bon manuel d'introduction à ce qu'on appelle la philosophie de l'esprit (M.Engel a écrit un livre dessus mais il faut avoir déjà quelques notions). Ça vous permettra de mieux juger la différence de la philo analytique dans l'approche des problèmes par rapport aux philos que vous semblez déjà bien connaître. Il n'est pas question ici de dire que votre approche est moins bonne, je ne me le permettrais pas, parce que je n'ai pas le niveau suffisant, mais cela vous permettra peut-être de mieux juger et comparer les deux types d'approche. Maintenant, si vous l'avez déjà fait, vous êtes en droit de privilégier l'autre approche. Je suis moi-même encore un mixte un peu bancal entre les deux. Mais je trouve l'approche analytique assez complète et éclairante pour le peu que j'en comprends. Reste qu'elle demande une telle quantité de travail que j'ai souvent trop tendance à simplifier ou inutilement compliquer.
RépondreSupprimerVous avez parfaitement saisi les distinctions que Deleuze établit entre la phénoménologie et la métaphysique de Bergson dans le contexte du cinéma.
RépondreSupprimer-- Phénoménologie et Éclairage Stroboscopique.
Pour Deleuze, la phénoménologie husserlienne utilise une approche que l'on pourrait comparer à un éclairage stroboscopique. Cette métaphore illustre comment la conscience, telle que décrite par Husserl, fonctionne comme un pinceau de lumière périodique qui éclaire des objets discrets de manière intentionnelle. Cela donne l'illusion d'une perception continue et claire du monde, alors qu'en réalité, c'est une série d'illuminations fragmentées.
-- Métaphysique de Bergson et Conscience comme Écran Noir.
En revanche, la métaphysique de Bergson propose une perspective différente. Pour Bergson, la conscience est comparée à un écran noir sur lequel des images sont projetées de manière continue. Ces images, dotées de réalité et de vérité, sont le produit d'un agent caché. Cette conception rappelle le modèle du Dieu baroque de Leibniz et Spinoza, qui crée et maintient le monde et son image pour nous. Ce Dieu baroque agit comme un projectionniste invisible, offrant une vision fluide et intégrée de la réalité.
-- Implications Cinématographiques.
-- Stroboscope vs. Cinéma : La comparaison entre le stroboscope (phénoménologie) et le cinéma (Bergson) met en lumière deux approches différentes de la perception. Le stroboscope suggère une perception fragmentée et intentionnelle, tandis que le cinéma offre une perception fluide et continue.
-- Conscience et Réalité : Chez Bergson, la conscience elle-même est un flux dynamique de mouvements et d'images, suggérant que la réalité est perçue comme un tout intégratif plutôt que comme une série de moments distincts.
Cette opposition entre les deux perspectives éclaire peut-être la compréhension de la perception et de la conscience, en illustrant comment différentes approches philosophiques peuvent influencer notre vision du monde et de nous-mêmes. Quant à la bande dessinée et à sa succession d'images fixes, elle semble être
une application du modèle stroboscopique.
Inspirant. Beaucoup de ce vous dites a des liens avec des études en psycho et en neurosciences. Et interroge en effet la frontière entre les deux. Sans parler de la question de l'intentionnalité qui interroge non seulement continuité/discontinuité de la conscience mais aussi le degré d'activité ou de simple réceptivité (ce qui me rappelle de loin ce que dit M. Engel sur nos croyances épistémiques, pas forcément volontaires mais pouvant demander un certain engagement) ... Mais je ne vais pas développer et me contenter de suggérer. En passant, je ne connais guère ce qu'a pû dire Deleuze sur le cinéma dit temps ou action, même si j'en ai quelque idée et qu'on peut peut-être lointainement relier à la conception narrative tableau ou BD (?), Godard qui semble s'être opposé à Deleuze, et bien que je ne me souvienne plus en quoi, ne semble pas si éloigné dans ce qu'il a pu dire (et faire) à propos du montage ...
SupprimerPour finir, j'irais revoir ce fameux passage de Foucault sur les Ménines que m'a rappelé M.Stevel...
RépondreSupprimerEt pour résumer court en reprenant son propos avec rappel étymologique entre dessein et dessin, je répondrai : Jusqu'à quel point le dessin peut-il avoir un dessein sans quelque bulle, même invisible ...?
A revoir simplement une reproduction du tableau de Velasquez, il me semble de prime abord interroger fortement le rapport regardé/regardeur, que ce soit chez le peintre, les modèles directement montrés ou reflétés, et le contempleur. Ce sera mon point final si pas de réaction.
RépondreSupprimerA l'extérieur et participant au tableau, au bord de se retrouver en lui. Très subtil.
RépondreSupprimerEn ce qui concerne à proprement parler " l'intrusion" philosophique de Michel Foucault dans le tableau Les Ménines de Valasquez, je vous livre en lien une bien intéressante analyse : https://www.erudit.org/fr/revues/racar/1993-v20-n1-2-racar05602/1072763ar.pdf
RépondreSupprimerArticle riche et intéressant, panorama fort complet à partir d'une seule œuvre, merci. Je serais tout "disposé" (hé hé) à y rebondir. Surtout sur les dominantes d'approche selon les notions dites de dispositif et d'histoire. Dont j'ai toujours été convaincu qu'ils s'agissait moins de les cloisonner que les accorder. Qui n'ont d'ailleurs jamais été entièrement séparables. D'autant plus dans un art visuel figuratif, il me semble. Un autre point qui m'est cher : disons la question de l'immersion et distanciation dans le rapport à l'oeuvre. Enfin, sans oublier le rappel opportun de l'article à ce qui fait aussi la spécificité de la peinture : sa matérialité, ses outils, ses aspérités, que néglige souvent la théorisation. Il y aurait pourtant là déjà à dire. Mais le plus sage pour moi ici demeure sans doute de laisser d'abord l'espace et l'initiative aux autres. J'ai suffisamment accaparé le champ des commentaires, je vais attendre un peu.
RépondreSupprimerUne petite précision toutefois : que dispositif et histoire vont l'un avec l'autre n'est bien-sûr pas les réduire l'un à l'autre.
RépondreSupprimerIl y aurait une thèse à écrire sur le Dieu baroque projectionniste, qui fait du cinéma sur l'écran noir de nos consciences, chez Spinoza, Leibniz, Malebranche et Berkeley.
RépondreSupprimerEn effet, écrire une thèse sur le concept du Dieu baroque projectionniste pourrait offrir une nouvelle perspective sur la manière dont ces philosophes perçoivent la conscience et la réalité.
Plan de Thèse Potentiel :
-- Introduction
-- Contexte historique et philosophique : Présenter le contexte du baroque et son influence sur la philosophie de l'époque.
-- Définition du concept : Introduire l'idée du dieu projectionniste et son importance dans la philosophie de la conscience et la métaphysique.
-- Chapitre 1 : Leibniz et le Dieu Baroque
-- La Monadologie : Explorer comment les monades de Leibniz, avec leurs perceptions internes, pourraient être comparées à des écrans sur lesquels Dieu projette la réalité.
-- Dieu comme projectionniste : Analyser le rôle de Dieu dans la création continue et la perception de la réalité.
-- Chapitre 2 : Spinoza et la Substance Unique
-- Ethique : Étudier la conception de Spinoza selon laquelle Dieu (ou la Nature) est la seule substance, et comment les modes (comme nous) perçoivent la réalité.
-- Conscience et perception : Expliquer comment, pour Spinoza, la conscience peut être vue comme un écran où la substance divine se manifeste.
-- Chapitre 3 : Malebranche et la Vision en Dieu
-- Occasionalisme : Discuter de la manière dont Malebranche voit Dieu comme le seul véritable acteur qui projette ses volontés et actions.
-- Connaissance et perception : Examiner comment Malebranche conçoit la connaissance humaine comme étant dépendante de la vision divine.
--- Chapitre 4 : Berkeley et l'Immatérialisme
-- Principes de la connaissance humaine : Explorer la notion de la réalité perçue comme une projection dans l'esprit des individus, orchestrée par Dieu.
-- L'esprit comme écran : Analyser comment, chez Berkeley, l'esprit humain perçoit les idées directement projetées par Dieu.
-- Conclusion
-- Synthèse des concepts : Résumer comment chaque philosophe utilise l'idée du projectionniste divin pour expliquer la conscience et la perception.
-- Implications contemporaines : Discuter de l'importance et des implications de ces idées pour la philosophie moderne et la théorie de la connaissance.
-- Potentiel de Recherche
Une telle thèse pourrait non seulement apporter une nouvelle lumière sur les philosophies de Leibniz, Spinoza, Malebranche et Berkeley, mais aussi enrichir notre compréhension de la relation entre la métaphysique, la perception et la conscience. C'est un sujet riche en possibilités et en profondeur.
Bon, pour être précis encore, je tendrais à penser que la notion de composition est sans doute un moyen d'articuler la syntaxe du dispositif (tel que défini dans l'article) et la signification plus proprement narrative du contenu.
RépondreSupprimerDissous
RépondreSupprimerUn exemple précis, une signification exacte à proposer, sur le rapport mot/image peut-être ? Ou est-ce une exigence qui n'est réservée qu'à l'autre ?
SupprimerBon, j'insiste une dernière fois par rapport au conseil de Anonyme 1. Qui semble assez affirmé et au clair avec lui-même pour user de l'impératif et du tutoiement. Ok, ça m'interpelle vraiment. Donc est-il possible d'avoir une réponse à une question ? S'il s'agit de distinguer problème à résoudre de faux problème à dissoudre : pourrait-on avoir au moins un exemple précis, ou ne serait-ce qu'un indice pour permettre une meilleure compréhension, ou est-ce encore trop demander ? Qu'on pointe du doigt une inexactitude, d'accord, mais alors pourquoi ne pas plus faire comprendre exactement en quoi une meilleure approche consisterait ? Est-ce parce que l'autre va définitivement trop vite pour pouvoir espérer lui faire comprendre quelque chose, qu'il n'a pas assez le niveau requis et que cela demanderait trop long pour lui expliquer ? Ce qui est étrange : c'est que d'un côté on est ramené à ce que notre propos aurait de trop vague ou confus, mais qu'on ne nous clarifie pas en quoi : serait-ce un sophisme particulier dont on pourrait préciser le processus de façon à ce qu'il se réitère moins ? Si une approche disons trop "littéraire" tissée d'analogies trompeuses ou d'approximations tirées par les cheveux se manifeste, et qu'on commence par la dénoncer, est-il possible ensuite de développer et lui indiquer plus précisément la voie qui serait plus correcte de façon à lui faire comprendre et apprendre où il se plante ? Ou est-ce définitivement un travail qui serait trop long pour espérer ici dans ce blog pouvoir atténuer la confusion de l'autre ? N'y-a-t-il aucun moyen de trouver un argument précis susceptible de le mettre sur la voie ? Ou est-ce que cette confusion révèle déjà une trop grande surdité pour lui faire entendre quoi que ce soit en quelques lignes ? J'essaie de rester de bonne foi.
SupprimerPour parler de l'image et du mot aujourd'hui, il est peut-être nécessaire d'aller voir en Fac de Lettres.
RépondreSupprimerC'est pourquoi j'ai avancé dans mon projet de Mémoire de M1 pour 2025-2026. Il portera sur le faux assassinat de Marli Renfro, doublure de Janet Leigh sous la douche d'Hitchcock, raconté par Robert Graysmith, l'auteur de l'effrayant "Zodiac".
Je propose comme titre provisoire : "Non-lieu et séduction de l'image dans 'The Girl in Alfred Hitchcock's Shower: a murder that became a real-life mystery, a mystery that became an obsession' ". Voici quelques pistes pour articuler une problématique et un plan autour de ce titre :
Problématique
Comment l'idée de "non-lieu" s'articule-t-elle à la séduction intrinsèque de l'image, dans un texte où l'enquête semble échouer à fixer une vérité, et où la ville du cinéma, Los Angeles, apparaît elle-même comme une projection vide de sens anthropologique ?
Cette problématique permettrait d'explorer plusieurs axes :
-- La notion de non-lieu appliquée à l'enquête littéraire, qui échoue à établir des liens concluants entre des crimes et la fiction, mais réussit à séduire par sa narration.
-- Le rôle de l'image dans l'élaboration d'un "mirage narratif", où la recherche de la vérité est supplantée par une fascination esthétique.
-- L'anthropologie urbaine du cinéma, en particulier Los Angeles comme ville non-ancrée, entièrement dominée par la fabrique des images.
Plan proposé
I. Le non-lieu de l'enquête : une vérité insaisissable et circulaire
-- L’enquête pseudo-judiciaire : la promesse d’un mystère à résoudre (publicité du livre).
-- La déconstruction des attentes du lecteur : la révélation que Marli Renfro est vivante.
-- Une enquête qui produit de la fiction plutôt que des certitudes.
II. La séduction de l'image : Marli Renfro et le pouvoir iconique
-- La scène de la douche dans "Psychose" comme mythe visuel.
-- Une icône culturelle qui transcende le film.
-- Marli Renfro, entre érotisme et naturisme : une esthétique anti-puritaine.
-- Renfro comme une Vénus moderne : la fascination pour son image et ses mamelons dépasse les faits.
-- La tension entre image fixe et narration : immobiliser l'image pour mieux la raconter.
III. Los Angeles, ville-mirage et "non-lieu" du cinéma
-- La ville du cinéma comme "non-lieu" anthropologique (Marc Augé).
-- Los Angeles comme espace indéterminé, façonné par l'industrie des images.
-- Le rôle des studios dans la création d’un monde parallèle et insaisissable.
-- Le livre comme hommage à la fabrique hollywoodienne, où fiction et réalité se confondent.
IV. Conclusion : Non-lieu et séduction, ou l’impossible quête d’une vérité stable
-- La vérité de l’enquête est rendue secondaire par le pouvoir hypnotique de l’image.
-- Graysmith en tant qu’artiste de la narration circulaire : il transforme le "non-lieu" de l'échec en une œuvre séduisante.
-- Une réflexion sur le cinéma et la littérature comme espaces où la réalité se dissout dans la fiction.
Pourquoi ce titre et ce plan semblent fonctionner
-- "Non-lieu" : Ce concept permet de jouer sur plusieurs niveaux d’analyse. D’une part, il désigne l’échec de l’enquête à établir une vérité stable, et d’autre part, il capture la nature insaisissable de Los Angeles comme lieu, mais aussi comme moteur de l’industrie cinématographique.
-- "Séduction de l'image" : Ce terme renvoie à l'impact hypnotique de l'image dans "Psychose", et à l'ambivalence de Marli Renfro, figure à la fois charnelle et abstraite. Il permet de lier le rôle des images cinématographiques et leur pouvoir narratif, mais aussi leur capacité à occulter la "vérité".
-- Le lien cinéma-littérature : Ce plan met en lumière la manière dont Graysmith réinvente les codes du "true crime" pour en faire une œuvre hybride, entre hommage à l'image et tentative littéraire.
Z'allez trop loin trop vite pour moi, mais pourquoi pas hein, je donne peut-être la même impression aux autres. A la limite, quelques observations sur Psycho. D'abord si mes souvenirs sont exacts : il semblerait que les gens croyaient apercevoir les mamelons, de par l'art du montage dans la scène de la douche, mais qu'aucun plan ne les montre ... Si je ne me trompe pas ? Ce serait l'inverse d'une manipulation par une image subliminale, plutôt un art de suggestion qui vous entourloupe ... Il y a aussi une rumeur, qui contredit cependant le témoignage de Janet Leigh, qui dit que ce n'est pas Hitchcock mais un de ses intimes, spécialiste des génériques, qui aurait mis en scène la fameuse séquence : Saul Bass (il est en tous cas l'auteur du story-board). Leigh aurait usé d'une combinaison couleur chair et n'était pas nue, la doublure aurait surtout servi pour vérifier la prise de vues à travers l'eau ou le rideau de douche. Quoiqu'il en soit un chef d'oeuvre (précurseur mais qui aura ses dérives) de variations précises autour d'un axe, de mixte continuité de l'action/discontinuité heurtée et rapide des angles, avec même micro-suspensions ... Pour le reste, l'image certes, mais aussi : aah le son du couteau qu'on plante dans un melon ... entre deux stridences du compositeur Herrmann ... Le détail juste à tempo. Et puis il y a le livre de Bloch : où on se retrouve carrément dans la tête du tueur, avec par exemple toute la description du laborieux processus pour effacer les traces, noyer la voiture, etc ... sans qu'on sache encore bien si c'est lui ou môman qui l'a fait ... Pour du récit de Pulp, plutôt bien troussé. Et dont l'idée centrale de confusion des identités, non seulement pour le personnage mais aussi le spectateur, fût reprise moult fois. Et même parfois poussé dans ses retranchements pour parvenir à suivre la narration ... Mais nous avons suffisamment égaré, entre autres Jacobs..., comme ça, je crois.
SupprimerUn oubli :
RépondreSupprimerIl y a là-aussi beaucoup de références au rapport observateur/observé jusqu'au monologue final en voix off de Perkins/Bates qui, ça été souligné par d'autres que moi, pourrait se confondre avec une profession de foi de réalisateur (ou d'un mégalo parano, du genre : s'ils m'observent, je leur ferais voir et sa-voir) ...
Pour terminer cette présentation de l'état provisoire de mon Projet, voici le corpus que j'ai rassemblé.
RépondreSupprimer1. Corpus primaire : Les œuvres de Robert Graysmith
a) Textes
"The Girl in Alfred Hitchcock’s Shower" (2009).
"Zodiac" (1986).
"Zodiac Unmasked" (2002).
"Auto Focus" (1993).
"Black Fire" (2002).
b) Éléments visuels
Les illustrations de Graysmith (issues de "Zodiac" notamment), où le graphisme alimente la mise en récit du crime.
Comparer avec les lettres et dessins réels des tueurs (Zodiac, Unabomber), pour analyser les dynamiques méta-textuelles.
2. Corpus externe : le genre du "true crime" et la métanarration
a) Littérature
James Ellroy :
"My Dark Places" (1996) : Autobiographie-enquête sur le meurtre non résolu de sa mère. Comparable dans son introspection et sa quête désespérée de vérité.
"L.A. Confidential" (1990) : Exemple de "faction", mêlant faits réels et fiction, et plongée dans le non-lieu qu’est Los Angeles.
Truman Capote, "In Cold Blood" (1966) : Le chef-d’œuvre fondateur du "true crime". Met en lumière le style documentaire et les dilemmes moraux liés à la narration du crime.
Norman Mailer, "The Executioner’s Song" (1979) : Récit hybride sur un condamné à mort, oscillant entre reportage et fiction, très proche des préoccupations de Graysmith.
b) Théorie et esthétique
Janet Malcolm, "The Journalist and the Murderer" (1990) : Analyse critique de l’éthique dans les récits de true crime.
Susan Sontag, "On Photography" (1977) : Réflexion sur le rôle de la photographie comme art du non-dit, très pertinente pour "The Girl in Alfred Hitchcock’s Shower".
Laura Mulvey, "Visual Pleasure and Narrative Cinema" (1975) : L’étude du regard masculin (male gaze), qui éclaire la fascination pour Marli Renfro. Voir aussi l'histoire du cinéma érotique.
3. Corpus filmique : le cinéma et son mythe
a) Films autour de "Psychose" et de Hitchcock
"Psychose" (1960, Alfred Hitchcock) : Analyse détaillée de la scène de la douche et de son rôle iconique.
"78/52" (2017, Alexandre O. Philippe) : Documentaire entièrement consacré à la scène de la douche, pertinent pour réfléchir sur sa résonance culturelle.
"Vertigo" (1958, Alfred Hitchcock) : La notion de double et de fascination pour une image féminine "recréée".
Une piste à explorer :
Janet Leigh, "Psycho: Behind the Scenes of the Classic Thriller" (1998).
b) Films liés à Graysmith ou au "true crime"
"Zodiac" (2007, David Fincher) : Adaptation majeure de "Zodiac", où le cinéma prolonge l’obsession de Graysmith.
"Auto Focus" (2002, Paul Schrader) : Adaptation du livre de Graysmith, sur la dérive voyeuriste et la chute de Bob Crane.
c) Films sur le non-lieu et la séduction de l’image
"Mulholland Drive" (2001, David Lynch) : Exploration de Los Angeles comme ville du cinéma, entre rêve et cauchemar.
"Sunset Boulevard" (1950, Billy Wilder) : Une autre mise en abîme d’Hollywood, et du pouvoir destructeur des images.
"Laura" (1944, Otto Preminger) : Un parallèle avec Psychose dans l’idéalisation de l’image d’une femme disparue. Une bifurcation finale de la fiction circulaire de Graysmith dans son livre.
"Body Double" (1984) de Brian De Palma est une référence incontournable pour mon sujet, car il s'inscrit pleinement dans la thématique du voyeurisme, de la duplicité, et du rôle des doublures dans le cinéma.
4. Corpus théorique complémentaire : concepts pour nourrir mon analyse
a) Sur le non-lieu
Marc Augé, "Non-lieux : Introduction à une anthropologie de la surmodernité" (1992) : Théorie essentielle pour analyser Los Angeles comme "non-lieu".
b) Sur l’image et le charme
Roland Barthes, "La Chambre claire" (1980) : Essai fondamental sur la photographie et la séduction des images fixes.
Jean Baudrillard, "Simulacres et Simulation" (1981) : Pertinent pour analyser l’illusion performative et le mirage narratif.
c) Sur la fiction circulaire et l’enquête littéraire
Paul Ricoeur, "Temps et Récit" (1983-1985) : Analyse de la circularité narrative, où fiction et histoire s’entrelacent.
Carlo Ginzburg, "Enquête sur Piero" (1981) : Un modèle pour penser la reconstitution des faits à partir d’indices.
Bon. Une question à M. Gepetto. La thématique que vous exposez est potentiellement fort riche et subtil de significations. Néanmoins je vous demande : au bout du bout, avez-vous une idée de ce vers quoi votre conclusion tendrait ? Je suppose que votre conclusion devrait faire en sorte de ne pas se retrouver au même point que la question de l'introduction ? Ou si ? S'agit-il plutôt d'une sorte de circularité infinie entre réel et fiction que vous voulez souligner ou y'a-t-il tout de même une sortie quelque part que vous supposez ? Quelle importance accordez-vous à la fonction au moins hypothétique du réel à éventuellement aider à pouvoir trancher ? Vous semblez insister sur vérité instable, voire inaccessible, sur une dissolution du réel dans la fiction, néanmoins il y a bien quelque chose qui insiste quelque part à ne pas être que la fiction, le terme fiction suppose son autre, que ce dernier ne soit pas complètement et définitivement accessible d'accord, mais il faut bien qu'il le soit a minima d'une façon ou d'une autre, sinon toute signification devient autonome flottante et inconsistante, bref elle y perd le sens : c'est à dire ce qui permet un jugement distinctif comme condition ne serait-ce que de la possibilité même de concevoir un réel et une fiction. A moins que vous ne vouliez pas vous prononcer de façon décisive sur ce point de s'y retrouver a minima dans une réalité ? Même chez Lynch de Mulholland Drive, il y a des indices de distinction entre réel et rêve quand bien même il reste des points non expliqués, et c'est ce qui fait la grandeur du film d'après moi, le rapport entre rêve et retour du réel qu'on ne peut esquiver, quand bien même tragique. Mais voilà, dans le film de Lynch qui a suivi : Inland Empire, expérience de narration ciné certes assez unique, il pousse trop le bouchon, on se retrouve certes dans une sorte de Rubik's Cube narratif assez fascinant à multiples facettes d'histoires possibles, où les identités des rôles joués sont interchangeables entre certains acteurs, mais les fonctions symboliques demeurent les mêmes (mari, amant, etc), simplement on a du mal à les localiser en temps/espace et individus cernés. Encore une fois : ça interroge astucieusement la compréhension qu'on a d'une narration. Oui mais voilà, est-ce vraiment aussi profond que ça en donne l'air ? Ce que j'en conclus : c'est certes un objet filmique non identifié ou multi identifiable qui n'est pas dénué d'intérêt... reste que cette virtuosité à jouer sur les ellipses et les déplacements qui interroge notre propre compréhension, si elle s'avère jusqu'à un certain point intéressante donc, ou du moins ingénieuse ..., nous parle et nous touche beaucoup moins au final, je trouve, que Mulholland Drive, parce qu'il y manque justement la résolution a minima en une vérité et morale possible (le rêve de réussite à Hollywood se fracassant sur la réalité dans M Drive, là où la question du couple dans Inland Empire est trop désincarnée à force de se multi incarner, la trop grande fausse richesse -parce qu'excessive- de significations par multiplication des possibles tue le sens, sa portée ...), morale donc mieux préservée dans M.Drive et qui donne la valeur essentielle au film, bien plus que le jeu sur les couches référentielles ... Et pour en citer l'ultime réplique : silencio ...
SupprimerLynch articule moins concept général et instanciation particulière dans Inland Empire qu'il n'engendre au final une confusion dans l'ordre nécessaire à leur liaison dès qu'il s'agit en tous cas de suivre une narration ou des narrations ..., et ce à force de faire des continuums narratifs parallèles des croisements-imbroglios plutôt forcés au lieu de recoupements ou superpositions qui préservent a minima un caractère distinctif plus sensé et assurant cohérence à l'ensemble. C'est certes hyper habile, mais après plusieurs visionnages : on voit le "truc" un peu trop inutilement systématisé, d'après moi. On perd l'enjeu de ce qui importe : à savoir l'humanité qu'on y retrouve.
SupprimerEt cela passe par le repère incontournable d'une réalité une a minima dont on ne peut faire entièrement l'économie.
SupprimerAvec le livre de Graysmith, esthète du faux, on est dans le dimanche de la pensée. Graysmith fait un arrêt sur l'image d'une doublure au charme insaisissable, génératrice de légendes urbaines, d'où l'on tire le bénéfice du plaisir trouble de l'illusion et du mirage narratifs, du charme fictionnel, de la fausse évidence. On sait qu'on mérite le marquage en public d'une lettre écarlate pour avoir été infidèle à l'ontologie de la réalité, et pourtant on préfère Hitchcock le catholique jésuite, à James Ellroy le puritain de pensée et de mœurs.
RépondreSupprimerPoint n'était mon but, perso, de marquer à l'écarlate qui que ce soit, catho jésuite ou puritain ou bouddhiste à pois verts. Je donnais un avis sans vouer à la vindicte celui de l'autre. Faut de tout pour faire un monde. Et je ne crois pas qu'on était sur un sujet qui mériterait que je juge à ce point inacceptable un avis autre que le mien. J'essayais simplement d'expliquer pourquoi je pensais que la fiction gagne à garder un lien au réel. Un peu comme le sens d'un symbole mythologique garde un lien avec une application possible dans la vie. On n'a le droit de préférer la fiction plus franchement déliée, ça peut se défendre. Et beaucoup de vos références me parlent (de Capote à Ellroy, etc). Aucune volonté de clouer au pilori de ma part, j'exposais juste ici une préférence, et ses raisons, voilà tout. Si je me suis montré quelque part maladroit car trop revendicatif dans ma façon de vous exposer certaines réserves, désolé.
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