Tintin au pays des Soviets |
Ecole de Lvov |
colonel Sponz |
PS (2023 )
Tintin au pays des Soviets |
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Je n'avais pas du tout remarqué la consonance très semblable de ces trois noms: Julien Benda, Julien Torma, Jules Lermina (sur ce dernier voir mon billet précédent). De Torma, Jean Wirtz, qui lui consacra un essai ( Metadiscours et déceptivité Peter Lang 1996), soutenait qu'il aurait « laissé (ou fait) croire à sa propre inexistence ». D'autres ont dit que c'était une invention du Collège de Pataphysique. On peut se demander si son nom n'a pas été forgé par ses créateurs sur le modèle de Julien Benda.
Mais la vérité est que Torma était, et entendait être un objet meinongien. Meinong distinguait les objets complets ( comme Emmanuel Macron) et les objets incomplets (unvollständig) comme le triangle en général qui, tant qu'on n'a pas précisé ses autres propriétés (comme être équilatéral) n'est pas complet. Or Torma est notamment l'auteur d'Ecrits définitivement incomplets. Cela nous met sur la piste: il était donc un objet incomplet. Il est mort dans une excursion dans le Tyrol. Or Meinong était de Graz, près du Tyrol. Il distinguait l'existence (Existenz) et la subsistance (Bestand) . Torma serait un inexistant. Mais c'est faux. Torma subsistait. C'était donc un objet incomplet subsistant et incomplet, mi-Torma, mi Benda. Mais Meinong ne dit pas ce qui se passe quand on accole un objet complet (Benda) à un qui ne l'est pas (Torma), ni quel est le mode d'existence d'un être mi-existant (Benda) mi subsistant (Torma). Est-ce comme les centaures?
Torma en quasi Pléiade |
Goscinny-Uderzo Oumpah-Pah(1958) |
Le père
Tout-à-tous désirait enseigner à l'Ingénu l'art de la dissertation de philosophie.
"C'est un art, lui dit-il, qui te servira, pour peu que tu saches le bien manier, ta vie
durant, et qui te vaudra le succès auprès des dames et la jalousie des messieurs."
Le Huron lui demanda quelle était cet art merveilleux, et comment l'acquérir pour
plaire à Mademoiselle de Saint Yves. "C'est l'art, lui dit Tout-à-tous, de parler
philosophiquement de n'importe quoi. Les bons élèves des classes supérieures de nos écoles y
parviennent aisément, pourvu qu'ils aient quelque vernis des doctrines
philosophiques du passé et puissent citer à propos quelques maximes, de préférence en
latin,, qu'ils sachent un peu de rhétorique et faire un plan en trois parties (thèse,
antithèse, synthèse), qu'ils s'expriment correctement en français, et qu'ils puissent
donner l'allure de la profondeur même aux choses les plus plates du quotidien."
Mais même des choses en apparence aussi simples dans la bouche du jésuite paraissaient
à l'Ingénu inintelligibles. Il demanda d'abord ce que c'était qu'une doctrine
philosophique. Tout-à-tous lui répondit que c'était une réponse cohérente aux
grandes questions que tout un chacun se pose sur la nature de l'univers, sur
ses causes et ses lois, et sur la volonté du Créateur qui a voulu que les choses soient
ainsi. "Mais si le Créateur a voulu que les choses soient ainsi, dit l'Ingénu,
pourquoi devrait-on s'interroger sur ses raisons?" — "Bravo!,
s'exclama Tout-à-tous, en
disant cela tu as fait de la philosophie." L'Ingénu s'étonna d'être aussi
philosophe, sans même avoir appris les rudiments de la philosophie. "C'est
que
Il trouva l'art de la dissertation
merveilleux, et il se mit à disserter à tout va. Il lut, d'abord en manuel,
Victor Eriatlov, ancien directeur de l'antenne universitaire de Falaise (Calvados)
scène de l'Ingénu |
"J'balance pas, j'évoque" (Danny Carrel, in Le pacha) |
Selon Dominique Maingueneau, « Trouver sa place dans l’enceinte philosophique : penseurs, gestionnaires, passeurs », Argumentation et
Analyse du Discours 22 | 2019,
pp. 6-12) :
" Le sens du terme « philosophe » a varié selon les époques. Ceux qu’on catégorise aujourd’hui comme tels sont censés appartenir à un domaine ancré dans le monde universitaire qu’on s’attache à bien distinguer d’autres : la littérature, le journalisme, la politique, la science… L’usage courant appelle « philosophes » tous les spécialistes de philosophie, sans tenir compte d’une hiérarchie dont Alain Badiou se fait l’écho au début de son Manifeste pour la philosophie en opposant une poignée de « philosophes » à une population moins prestigieuse de « commentateurs », d’« érudits », et d’« essayistes » : Les philosophes vivants, en France aujourd’hui, il n’y en a pas beaucoup, quoiqu’il y en ait plus qu’ailleurs, sans doute. Disons qu’on les compte sans peine sur les dix doigts. Oui, une petite dizaine de philosophes, si l’on entend par là ceux qui proposent pour notre temps des énoncés singuliers, identifiables, et si, par conséquent, on ignore les commentateurs, les indispensables érudits et les vains essayistes (1989 : 7). Badiou prend ici acte d’un paradoxe : alors que la philosophie est communément conçue comme une activité qui élabore des pensées identifiables, qui se positionnent dans le champ philosophique, la plupart de ceux qu’on appelle « philosophes » se consacrent à d’autres tâches, nécessaires mais moins prestigieuses. Les « penseurs » se distinguent ainsi des « gestionnaires », beaucoup plus nombreux, qui se consacrent à l’étude des positionnements déjà établis ou qui contribuent à les établir. Ces termes de « penseur » et de « gestionnaire » sont à certains égards insatisfaisants. « Penseur » a en effet un sens plus restreint que dans l’usage courant ; pour éviter toute confusion, nous le mettons ici entre guillemets. Quant à « gestionnaire », il ne doit pas être pris péjorativement, ni associé au monde de l’entreprise. Garant d’un ordre de la philosophie, le gestionnaire exerce deux fonctions complémentaires, qu’il mêle selon des proportions variables dans les multiples genres de discours qu’il mobilise : celle de cartographe et celle d’« animateur ». En tant que « cartographe », il organise l’archive philosophique : il y distingue des régions et y dispose des balises, la constituant en un espace pensable, partageable et où il est possible de circuler. En tant qu’« animateur », il se voit confier par l’institution la tâche de donner sens aux textes, d’en montrer l’actualité. Dans ce cas, son attention se porte en général sur un auteur ou une oeuvre. Sera par exemple cartographe l’auteur d’une présentation synoptique de tel courant de la philosophie grecque, et animateur celui qui proposera une « lecture neuve » de Hume ou de Husserl. Si les « penseurs » doivent valider leur appartenance à l’espace philosophique en désignant les manques des positionnements existants pour assoir le leur, les gestionnaires multiplient les relations entre les positionnements, à travers deux démarches complémentaires. La première les amène à découper des régions, à tracer des frontières entre les époques, les auteurs, les écoles, les courants, les genres, les disciplines… La seconde les amène à brouiller toutes les frontières, à circuler su l’ensemble de l’espace : c’est le cas en particulier des entreprises d’ordre lexicographique, où l’on extrait des concepts – unités lexicales ou suites d’unités figées –, en associant dans une même entrée des termes issus des auteurs et des époques les plus divers. Pour la France on peut songer aux ouvrages collectifs dirigés par André Lalande (Vocabulaire critique et technique de la philosophie) ou Sylvain Auroux (Les notions philosophiques (Auroux dir. 1998). A côté des travaux lexicographiques, on peut aussi évoquer les entreprises qui visent à présenter les diverses facettes d’une « grande question » en groupant des textes ou en articulant des résumés de doctrines éloignées d’un point de vue géographique, intellectuel ou temporel. En France, par exemple, la collection « Corpus » de GF Flammarion propose des anthologies de textes philosophiques commentés, précédées d’une solide introduction, sur des thèmes aussi divers que la mort, la justice, la liberté, l’illusion, le pouvoir… Il existe aussi des ouvrages ou des chapitres d’ouvrages qui font de véritables cours sur de telles questions. Ainsi Pascal Engel (1995) qui pour traiter des « croyances » convoque Hume, Kant, Platon, Pascal, Descartes, Reid, Peirce, Wittgenstein… Ces deux démarches des gestionnaires, l’une qui divise, l’autre qui rassemble, ne s’opposent qu’en apparence. La première ne peut découper l’espace philosophique qu’en renforçant sa frontière avec un extérieur et en faisant de chaque région une unité spécifique. Quant à la seconde, elle n’unifie que pour mieux faire apparaître des lignes de fracture : les entrées du dictionnaire regroupent des emplois divergents, les ouvrages de synthèse sur les « grandes questions » philosophiques mettent en scène des différends. "
selon Patrice Maniglier, La philosophie qui se fait, cerf, 2019 p. 42 :
le flic et la grisette (Quai des Orfèvres, Clouzot) |
le flic et l'indic |
sur cette querelle voir
https://www.liberation.fr/debats/2016/11/24/trump-abaisse-le-debat-jusqu-en-france_1530714/
https://www.liberation.fr/debats/2016/11/29/consensus-n-est-pas-verite_1531752/
http://www.francetvinfo.fr/politique/la-verite-importe-t-elle-encore-en-politique_1925183.html
Ce n'est certes pas incompatible d'être à la fois gestionnaire et flic.