Pourquoi a-t-on tendance à plagier plus souvent
des auteurs inconnus ou de notoriété faible que des auteurs célèbres ou bien
connus ?
Parce que les chances
d’être découvert comme plagiaire sont moindres dans le second cas que dans le
premier, et le coût de la découverte plus grand dans le second que dans le
premier.
Nihil rerum mortalium tam
instabile ac fluxum est quam fama potentiae non sua vi nixae
.(Annales, XIII, 19, 1)
Pourquoi certains chercheurs mettent ils sur
internet toutes leurs publications en accès libre avant leur parution ?
En général parce qu’ils
se sentent suffisamment connus pour ne pas craindre le plagiat.
Maior e longinquo reverentia , Annales, I, XLVII, 3
Pourquoi les gens qui vous ont fait des crasses
vous détestent-ils ?
Parce qu’ils ne vous
pardonnent pas toutes les saloperies qu’ils vous ont faites.
Proprium humani ingenii est odisse quem laeseris ( Vita Agricolae,
I, Ch 42, 4)
Pourquoi les gens qui vous écrivent pour vous demander un service le font-elles
de manière désagréable, en adoptant un ton arrogant et souvent agressif ?
Parce qu’elles sont
gênées de s’adresser à vous soit que, sachant qu’elles ne peuvent se prévaloir
de l’amitié elles n’aiment pas l’idée de vous devoir quelque chose, soit
qu’elles craignent un refus, et vous en font le reproche anticipé.
Si irascare, adgnita videntur.( Annales
IV, 34)
Pourquoi ceux qui vous écrivent sur internet pour
vous demander un service, ne vous répondent-ils pas pour vous remercier ou
simplement accuser réception de votre réponse, même quand vous satisfaites leur
demande ?
Quand la demande est
satisfaite, il est aisé de comprendre que le coût d’un mot de remerciement est
plus grand que la peine donnée à émettre la demande. Et quand elle n’est pas
satisfaite, remercier est au-delà des capacités du demandeur.
Tanto proclivius est iniuriae
quam beneficio vicem exolvere, quia gratia oneri, (Historiae, IV,3)
Pourquoi ceux qui vous
doivent un succès dans le domaine intellectuel et le savent (réussite à un prix
ou un concours, accès à un poste) ne vous en manifestent ils jamais la moindre
reconnaissance ?
Parce qu’il leur est désagréable de penser
que leur succès pourrait ne pas être dû à leur seul mérite.
Ubi multum antevenere
, pro gratia odium reddetur (Annales,
IV, 18, 3)
Pourquoi les candidats à
un poste pensent-ils être toujours les seuls destinés à l’obtenir et
oublier qu’il peut y avoir d’autres candidats, aussi bons et peut être
meilleurs qu’eux ?
Exercice : trouver
la citation appropriée de Tacite
Par exemple, à propos de Mucien:
RépondreSupprimer"...superbia uiri aequalium quoque, adeo superiorum intolerantis."(Tacite, Histoires, IV, LXXX)
"...l'orgueil d'un homme incapable de souffrir d'égaux, encore moins de supérieurs."
Arnaud M.
Pas mal, merci !
RépondreSupprimer" Tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les moeurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l'on ne fait que glaner après ces anciens et les habiles d'entre les modernes."
RépondreSupprimerCeci dit, la glanerie de ce glaneur-là vaut moisson !
Sur la question des raisons de l'ingratitude du débiteur par rapport au créancier, Aristote est tout de même plus riche que Tacite (Ethique à Nicomaque, 1167b 15 - 1168a 25)
RépondreSupprimerAristote parle dans ce passage du mécanisme de l'"effet Perrichon" (J. Brunchwig) par lequel on aime ceux à qui on a fait des bienfaits, mais pas de la relation converse , la haine que l'on a de ceux à qui on a fait du mal, dont à ma connaissance Aristote ne parle pas
SupprimerOui, vous avez raison, l'objet de l'enquête est les raisons de l'amour du bienfaiteur pour le bénéficiaire. Mais en 1668a 10, Aristote donne aussi, à la marge, les raisons de l'ingratitude : a) le bénéficiaire voit un geste intéressé alors que le bienfaiteur voit un beau geste b) une conséquence de a est que le bienfaiteur cultive avec plaisir le souvenir de sa belle
Supprimeraction alors que le bénéficiaire ne le fait pas car le souvenir d' une action utile pour lui n'est pas plaisant c) "être bien traité n'implique pas d'effort pénible, tandis que faire du bien, c'est de la besogne" ; or on donne plus de prix aux biens obtenus avec peine qu'aux biens reçus sans peine.
Il y a aussi l'ingratitude propre au magnanime (1124b 10-15) " les magnanimes passent même pour faire mémoire des bienfaits dont ils sont l'auteur et taire ceux qu'ils ont reçus, car l'obligé est inférieur au bienfaiteur ; or, le magnanime souhaite avoir la supériorité. Il prend plaisir aussi à entendre parler des premiers, mais pas des seconds". S'il doit demander quelque chose à quelqu'un, c'est "à regret".
Ceci dit, je n'ai pas en effet en tête de passage d'Aristote sur la haine pour quelqu'un qui naît de lui avoir fait du mal.
Aristote est excellent sur le cas Perrichon, mais il 'na rien a dire sur le cas Tacite. Je serais content, cela dit, d'avoir d'autres textes classiques , soit latins soit modernes, sur le phénomène de haine de ceux à qui on a fait du mal.
SupprimerOn peut penser à cette parole de Galilée (dont la source n'est malheureusement pas citée) que Canguilhem rapporte à la fin de l'article consacré à Galilée dans ses Etudes d'histoire et de philosophie des sciences :
Supprimer"Il est difficile de pardonner à un homme l'injustice qu'il a subie".
oui, mais la citation en question ne dit pas que celui qui a du mal à pardonner est celui-là même qui a commis l'injustice en question ( même si cela semble implicite). Galilée, s'il avait été aussi clair que Tacite ( qu'il cite peut être) aurait dû dire : "Il est difficile de pardonner à un homme l'injustice qu'on lui a fait subir"
SupprimerSi l'on se reporte au contexte dans lequel Canguilhem propose cette citation de Galilée, elle n'a, en effet, rien à voir avec la haine qu'on peut ressentir à l'égard de quelqu'un à qui on a infligé du mal, ne serait qu'à cause du souvenir douloureux ou du remords cuisant de l'injustice dont on s'est rendu coupable à son égard. On reporte en quelque sorte sur la victime la haine qu'on ressent pour soi-même. En supposant que c'est bien ce dont il est question dans cette discussion...
SupprimerLa citation de Galilée porte clairement sur son propre sort. On pourrait la traduire ainsi: quelqu'un qui a subi une injustice comme celle dont j'ai été victime est toujours soupçonné implicitement de l'avoir méritée.
Arnaud M.
En fait je trouve la phrase de TAcite immensément profonde à la fois psychologiquement et , si je puis dire métaphysiquement: on déteste avoir été la cause d'une injustice subie par quelqu'un, et on déteste aussi avoir voulu être cette cause, à la fois parce que l'on n'aime pas être le genre de personne qui fait ce genre de choses, mais aussi parce que l'injustice est en soi un désordre dans l'être, dont on n'aime pas penser que l'on puisse en être résponsable. Je ne vois cala ni chez Aristote, ni chez Galilée. Seul le grand Latin l'a vu
SupprimerLa description que vous faites ici évoque plus la haine de soi que la haine de celui à qui on a fait du mal mais la haine de la victime ne nous épargne-t-elle pas quelque chose de plus douloureux, la haine de soi précisément ? N'y a-t-il aussi un phénomène de réduction de dissonance cognitive ? Je désire nuire et je crois que celui à qui je désire nuire ne le mérite pas, alors j'adapte ma croyance à mon désir.
SupprimerJe trouve dans La Bruyère une référence à l'ingratitude haineuse et une autre à la gratitude "auto-centrée" :
Supprimera) " On se nourrit des anciens et des habiles modernes, on les presse, on en tire le plus que l'on peut, on en renfle ses ouvrages ; et quand enfin l'on est auteur, et que l'on croit marcher tout seul, on s'élève contre eux, on les maltraite, semblable à ces enfants drus et forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui battent leur nourrice."
b) " Quelques habiles prononcent en faveur des anciens contre les modernes ; mais ils sont suspects et semblent juger en leur propre cause , tant leurs ouvrages sont faits sur le goût de l'antiquité : on les récuse."
Il s'agit d'ailleurs moins de gratitude auto-centrée que d'éloge (indirect) de soi.
peut être est ce de la haine de soi, mais Tacite ne dit pas que le fait de faire du mal à autrui en le sachant produit de la haine de soi. Il décrit seulement un mécanisme producteur de haine d'autrui: le fait même d'être conscient qu'on a faire des crasses à quelqu'un ( c'est à dire injustifiées) conduit à le haïr encore plus si on le haïssait déjà, ou à le haïr tout court si on a commis une injustice envers lui sans le haïr. L'expression et le comportement désigné par " il ne m'a pardonné toutes les saloperies qu'il m'a faites" est quand même claire, non ?
SupprimerLe contexte littéraire dont parle La Bruyère est un peu spécial je trouve, cela ne me semble pas probant pour décrire l'ingratitude. A nouveau ce qui 'intéresse, comme Elster, ce sont les mécanismes
Ou encore :
RépondreSupprimer« Bruttedium artibus honestis copiosum et, si rectum iter pergeret, ad clarissima quaeque iturum festinatio extimulabat, dum aequalis, dein superiores, postremo suasmet ipse spes antire parat »
(Tacite, Annales III, LXVI)
Traduction : « Brutidius, rempli de belles qualités, pouvait, en suivant le droit chemin, arriver à la situation la plus brillante ; mais une impatiente ambition le sollicitait à surpasser d'abord ses égaux, puis ceux d'un rang supérieur, enfin ses propres espérances »
Merci beaucoup.
RépondreSupprimerCe qui me frappe chez Tacite, mis à part son extraordinaire laconisme qui la quintessence de la brièveté latine , c'est sa sensibilité à l'ingratitude.
Sur l'ingratitude, Sénèque a son mot :
RépondreSupprimer« la différence est grande, entre se hâter de montrer de la reconnaissance, pour rendre la pareille, ou pour ne plus devoir. Celui qui veut rendre la pareille, s'accommodera aux convenances de son bienfaiteur, et souhaitera l'arrivée d'une occasion favorable ; celui qui ne désire que de se libérer, trouvera tous les moyens bons pour y parvenir : ce qui indique une disposition très blâmable. Ce trop grand empressement, je le répète, est d'un ingrat ; je ne puis mieux le démontrer qu'en revenant sur ce que j'ai dit. Vous voulez moins rendre le bienfait, que vous y soustraire. C'est comme si vous disiez : “Quand donc serai-je débarrassé de cet homme ? Il me faut prendre tous les moyens pour ne plus lui être obligé.” Si vous souhaitiez de vous acquitter avec le propre bien de votre bienfaiteur, vous paraîtriez bien éloigné d'être reconnaissant. Ce que vous désiriez est encore plus injuste ; car vous le maudissez, et vous frappez d'imprécation sa tête, qui doit être sacrée pour vous. »
« Multum interest, utrum properes referre gratiam ut reddas beneficium, an ne debeas. Qui reddere vult, illius se commodo aptabit, et idoneum illi venire tempus volet : qui nihil aliud quam ipse liberari vult, quomodocumque ad hoc cupiet pervenire : quod est pessimæ voluntatis. Ista, inquam, nimia festinatio ingrati est ; id apertius exprimere non possum, quam si repetivero quod dixi. Non vis reddere acceptum beneficium, sed effugere. Hoc dicere videris, “Quando isto carebo ? Quocumque modo mihi laborandum est, ne isti obligatus sim.” Si optares ut illi solveres de suo, multum abesse videris a grato : hoc quod optas, iniquius est. Exsecraris enim illum, et caput sanctum tibi dira imprecatione defigis. »
Très intéressant. Où est-ce ?
SupprimerMais Sénèque parle ici de la manière dont on montre sa reconnaissance, ce qui suppose qu'on ait envie d'en montrer. Mais il y a des ingrats plus frustes qui ne se soucient tout simplement pas de remercier ou de montrer une quelconque reconnaissance. Mais la psychologie humaine ne devient intéressante quand quand a affaire à autre chose qu'à des brutes.
Des bienfaits, livre VI, XXXIV
SupprimerJe rectifie :Livre VI, XXXV
RépondreSupprimerDe Beneficiis, lib. VI, xxxiv-xxxv
RépondreSupprimerJ'aime les leçons de Sénèque, que j'imagine goulument éventé par quelque éphèbe d'ébène le style à la main.
J'en bénéficie, merci .
RépondreSupprimer