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jeudi 11 septembre 2014

BOSSE DE NAGE

                                             Grotte des nageurs,Gilf al-Kabir




   Les philosophes, peut-être depuis que Rousseau et Nietzsche en ont fait l’éloge, adorent la marche, et soutiennent même qu’elle aide à penser. Une vague récente d’essais de philosophes nous ont vanté la marche non seulement comme accoucheuse de la pensée, mais aussi comme style de vie philosophique et comme éthique. Du coup le philosophe barbu, rondouillard, vêtu de velours côtelé et fumant perpétuellement la pipe de notre jeunesse a pris un coup de vieux. Nos philosophes sont à présent en short, en chaussures de marche, avec tee-shirt couvert de sueur et sac à dos. Sans doute un autre effet de la fin de la philosophie en fauteuil, et du triomphe de la philosophie en laboratoire, ou en plein air, en summer camp revendiquée par les philosophes expérimentaux. 

     Les arguments en faveur de cette transformation du corps du philosophe sont d’abord que la marche, et même la course aident  à penser. J’avoue que je n’ai pour ma part jamais été un adepte des pieds pour produire cette fonction. Je ne pense jamais mieux qu’assis, la plupart du temps en écrivant et en lisant (on se demande comme le marcheur peut écrire en même temps, même si lire peut à la rigueur se faire, bien que ce soit souvent au détriment de l’orientation du marcheur), voire couché. Ces philosophes aiment à citer la phrase de Nietzsche dans Ecce Homo : « Le cul lourd est un péché contre le Saint esprit ». Cette phrase a toujours inspiré en moi de la honte, car j’ai, je dois l’avouer, un cul gros et lourd. Mais ce qui est surprenant est le retournement qui s’est produit dans le statut du marcheur. Pour Nietzsche le marcheur était un aristocrate, un promeneur à qui aller sur les chemins d’Eze ou de Sils Maria conférait une noblesse d’esprit. La marche que l’on nous conseille aujourd’hui est supposée être démocratique : c’est celle de l’individu ordinaire, de l’homme du commun, auquel le philosophe est supposé s’identifier, que ce soit au nom de Foucault ou de Stanley Cavell. C’est le sport qui, selon ces modernes Philippidès, permet de penser au niveau des vies ordinaires et précaires. Il a détrôné la bicyclette des congés payés des années 30 qui se ruaient sur les routes du Front populaire à coup de pédales. Et on n’y est pas en tandem, mais seul, ce qui va bien à l’individualisme de nos temps . Mais est-il si « ordinaire » d’acheter les coûteuses chausses de course ou de marche bariolées qu’on trouve dans les magasins Courir ou Jogger, et de se payer des voyages dans diverses capitales pour y courir le Marathon local ? La course fut jadis le sport des exclus (voir Sillitoe), mais elle est à présent le sport des joggers de ville. 

     A la course à pied ou à la marche, on peut préférer la nage. Elle requiert, certes, aussi des équipements, des piscines, des lacs ou des mers, si possibles propres et assez chauds, ce qui restreint un peu le choix ( qui irait se baigner de nos jours dans le cloaque des gentils enfants d’Aubervilliers ?). Mais à part cela, et si on ne s’amuse pas à prendre masque , tuba, et équipement de plongeur,  seul le caleçon suffit, et même pas si on veut jouer les éphèbes  et faire a bigger splash. Je suis étonné que nos penseurs du sport comme accoucheur des pensées profondes  négligent à ce point la nage . En fait de profondeur, on l’ a sous soi, dans les gouffres marins qu’on entrevoit. On a aussi la surface de l’eau, pour contraster, et donc la base de la pensée.

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.


Une fois lancé, avec une brasse simple, on peut laisser l’esprit dériver, et les pensées viennent bien. Mais à condition de revenir au bord ou au rivage, pour se replonger dans un livre. Car autrement pas de pensée. Je ne vois pas ce que le nageur ou le marcheur peuvent bien penser. On ne pense, dans ces circonstances , que si on pense déjà. Et le nageur solitaire, qui fait sa brasse au petit matin, vaut bien le marcheur. C 'est fatigant, mais plus agréable. 
 
Il vaut donc mieux avoir la bosse de nage que celle des maths ou de la philosophie à pied. Quand on nage, on ne se sent pas pion!



                                           Et le Magot considéré,
                                           Il s'aperçoit qu'il n'a tiré
                                           Du fond des eaux rien qu'une bête.
                                           Il l'y replonge, et va trouver
                                           Quelque homme afin de le sauver.
       

36 commentaires:

  1. Il est dans l'ordre des choses que les adeptes de la marche soulève la question du fondement, mais il est souhaitable que ce soit avec légèreté.
    La danse, plus que la nage, était l'option nietzschéenne.

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  2. Certes.
    raison de plus pour ne pas suivre nietzsche.

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    1. En tout cas d'autres que Nietzsche ont choisi l'option danse...http://www.youtube.com/watch?v=q5zEbOx2Ov4

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  3. Pataphysique, quand tu nous tiens ! "Ah ! ah ", pour citer une parole
    profonde : un babouin de jouvence (Jarry sous cape)...

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  4. J'ai comme principe dans ce blog de me citer le moins possible , mais je vous renvoie à mon article

    http://www.3ammagazine.com/3am/pataphysics-is-dead-serious/

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  5. " Et comme si tout à coup j'étais tombé dans une eau très profonde, je suis tellement surpris, que je ne puis ni assurer mes pieds dans le fond, ni nager pour me soutenir au-dessus."
    Il semble bien que dans ces premières lignes de la seconde méditation, Descartes identifie la nage à une activité superficielle. Une philosophie fondationnaliste a logiquement recours en revanche à l'idée du sol vraiment dur, sur lequel on pose en toute sécurité les pieds. Philosopher est donc ici moins nager que plonger et marcher au fond de l'eau...
    Ne pas oublier aussi que pour dire qu'on est perdu, on dit "je nage" et non "je marche"...Certes c'est distinct si on "sait nager"...

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  6. Nager n 'est pas patauger, mais glisser sur l'onde. On peut se noyer en effet. Mais il y a aussi un sens de "nager" qui dit qu'on se sort bien des obstacles. Et il y a un sens de "marcher" qui dit qu'on piétine, ou qu'on vous fait marcher. En effet il faut savoir marcher. Mais aussi nager, personne n'en disconvient. Toute activité ambulatoire est dans ce cas. Je notais juste que les marcheurs semblent se prévaloir d' un monopole de la pensée, que les nageurs peuvent leur disputer. On dit : penser avec ses pieds, mais on ne dit jamais penser avec ses palmes.
    Je n'ai jamais vu de philosophe en scaphandre, avec de lourds chausses plombées; Pire que le cul lourd de Nietzsche.

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  7. "Pour Nietzsche le marcheur était un aristocrate, un promeneur à qui aller sur les chemins d’Eze ou de Sils Maria conférait une noblesse d’esprit. La marche que l’on nous conseille aujourd’hui est supposée être démocratique : c’est celle de l’individu ordinaire"

    Depuis que la randonnée pédestre s'est démocratisée, n'est-ce pas l'escalade qui a hérité de la dimension aristocratique qu'avait la marche pour Nietzsche? La métaphore de l'escalade a, d'ailleurs tout pour plaire aux nietzschéens : mouvement d'ascension vers les cimes (où l'air est vif et d'où le regard est surplombant), risque de chute ...
    Avec Bas van Fraasen nous tenons d'ailleurs semble-t-il un authentique philosophe escaladeur, du moins si j'en crois sa page personnelle (qui contient également des photos de chats).

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  8. Oui en effet, mais l'escalade aussi se démocratise !
    Que va-il rester aux penseurs des cîmes ? les voyages spatiaux ?
    parmi les philosophes escaladeurs il y a aussi Crispin Wright et Alexander Rosenberg. L'un est idéaliste, l'autre matérialiste. Il ne semble pas y avoir de rapport entre leurs thèses et leurs escalades.
    Par conséquent j'en conclus que les pieds peuvent penser différemment selon les marcheurs et que l'activité pédestre ou natatoire n'a pas de relation avec le contenu des pensées, juste avec la forme physique. D'un autre côté Stephen Hawking n 'est pas spécialement connu en physique pour ses activités de jogger, et il y a de grands penseurs en chaise roulante.

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  9. J'aimerais bien pouvoir clarifier la position de Socrate par rapport à la marche. À première vue, on est porté, je crois, à l'identifier à un marcheur, ne serait-ce que par différence aux sophistes qui n'ont pas de lieu clos où enseigner. Cependant il me semble, et cela reste donc à vérifier, que Platon associe la réflexion de Socrate à l'immobilité. Je pense en premier lieu au Banquet (174d -175 c : " Aristodème : C'est une habitude qu'il a. Parfois il se met à l'écart n'importe où, et il reste là debout. Il viendra tout à l'heure, je pense. Ne le dérangez pas, laissez-le en paix"). Je pense aussi au début du Protagoras (314c-315d) où Platon manifestement oppose Socrate à Protagoras comme celui qui reste immobile à celui qui n'arrête pas de marcher et fait marcher (sic) :

    " Arrivés devant la porte de la maison, nous nous étions arrêtés pour poursuivre une discussion que nous avions engagée sur le chemin. Afin de ne pas la laisser inachevée, et de n'entrer qu'après l'avoir menée à son terme, nous nous étions arrêtés devant la porte et nous poursuivions la discussion ; finalement nous tombâmes d'accord."

    Certes l'immobilité ici paraît moins être condition nécessaire de la réflexion que condition sans laquelle on est détourné, par les devoirs sociaux, de la réflexion (ne pas marcher, c'est moins entrer en soi que ne pas entrer chez x).
    Platon continue ainsi :

    " (...) En entrant, nous rencontrâmes Protagoras qui marchait dans la galerie, et à sa suite marchaient avec lui d'un côté Callias (...) et son frère Paralos (...) ainsi que Charmide (...), de l'autre, Xanthippe (...), Philippidès (...) et Antimoiros (...). D'autres encore, qui venaient derrière eux, les suivaient en cherchant à entendre ce qu'ils disaient ; pour la plupart , il s'agissait manifestement d'étrangers que Protagoras entraîne à sa suite, de chacune des cités par lesquelles il passe, en les charmant de sa voix, tel Orphée : et charmés par sa voix, ils le suivent (...)"

    Manifestement la marche collective manifeste ici le pouvoir mobilisateur de la rhétorique.
    Pour finir, quelques lignes du Phèdre où Socrate disqualifie moins la marche que les espaces où on marche longtemps, donc la nature du randonneur :

    " Socrate : Par Héra, le bel endroit pour y faire halte ! (...) Mais la chose la plus exquise de toutes, c'est l'herbe : la douceur naturelle de la pente permet, en s'y étendant, d'avoir la tête parfaitement à l'aise (...)
    Phèdre : Toi, en tout cas, homme admirable, tu es bien l'être le plus déroutant qui se puisse voir. Tu as vraiment l'air, comme tu le dis, d'un étranger qu'on guide, et non de quelqu'un du pays : il est de fait que tu ne quittes la ville ni pour aller au-delà des frontières ni même, si je m'en crois, pour aller hors les murs.
    Socrate : Excuse-moi mon cher. C'est que j'aime à apprendre ; or la campagne et les arbres ne souhaitent rien m'apprendre, tandis que les hommes de la ville, le font eux. Toi pourtant, tu sembles avoir trouvé la drogue pour me faire sortir (...)"

    L'ironie de Socrate certes prise en compte, on peut cependant se demander si l'éloge de la marche chez Rousseau et Nietzsche n'est pas la manifestation d'une certaine misanthropie.
    Aussi on peut se demander si, quand Nietzsche dans Le crépuscule des idoles (Maximes et pointes 34) accuse de nihilisme Flaubert pour avoir écrit qu' "on ne peut penser et écrire qu'assis", il ne cherche pas d'abord à renverser le (personnage principal du) platonisme.

    Pour finir, je renvoie à ce texte de Humain, trop humain II 134 où Nietzsche loue la musique de Wagner pour obliger celui qui l'écoute à cesser de marcher, à cesser de danser et bien plutôt à nager, ce qui est compris comme "s'abandonner (...) à la merci de l'élément agité."

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    1. Il faut ajouter que, chez Nietzsche, la louange associée à l'immersion dans le flux sonore, image que Wagner utilise lui-même pour décrire sa propre musique, sera retournée par la suite en réprobation radicale. Nietzsche écrit en effet (dans Contre Wagner) :" Richard Wagner [...] a bouleversé toutes les conditions physiologiques de la musique. Nager, planer, au lieu de marcher, danser...[...] Si l'on imitait un tel goût, s'il devenait dominant, il en résulterait pour la musique le danger le plus grave: la totale dégénérescence du sens du rythme, le chaos à la place du rythme."
      Commentaire de Eric Dufour : "...De même que la nage est la caractéristique de l'esprit immergé dans le flux wagnérien qui exclut toute balise, la danse et la marche relèvent d'un état spirituel produit par une musique dans laquelle on peut effectivement s'orienter au moyen de repères." (L'esthétique musicale de Nietzsche, p.245, Septentrion, 2005)
      Arnaud M.

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    2. Voir mes autres réponses. Dans la nage on peut se noyer, mais dans la marche on peut vagabonder, ou on peut vous faire marcher. Il y a une nage orientée, et une nage noyade. Il faut que Léandre guide Hero avec sa lampe ( voir la tableau de Turner). Dans élévation Baudelaire parlait de la première non de la seconde.
      Mais on en dirait autant de la danse: on peut danser la valse, ou la danse de Saint Guy.

      plus généralement mon point dans ce billet était celui-ci: anti-nietzschéen: penser ne s'associe à aucune fonction spécifique du corps et à aucun exercice sportif consacré.
      De toutes manières c'est toujours au sens intransitif du mot marcher ou nager que l'on fait référence. Comme disait Benda, penser, c'est penser quelque chose. Les néo-nietzchéens revendiquent au contraire l'usage intransitif. Que pensent-ils en marchant?

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    3. Oui, on pense à x ou on pense que p (n'est-ce pas ce qu'on appelle l'intentionnalité de la pensée ?), mais on peut comprendre plus généreusement "marcher me fait penser" ; on veut dire en termes un peu elliptiques qu'idiosyncrasiquement - il ne faudra donc pas écrire un livre sur la valeur absolue de la marche ! - on développe des pensées particulières sur des sujets déterminés. Mais d'autres feront la même chose en fumant leur pipe ou en faisant la vaisselle. Il semble clair aussi que, dès que la marche est sportive et très accélérée(c'est une remarque psychologique), elle est au centre de la pensée et ne peut sans doute guère favoriser la réflexion. On peut donc se demander si ces éloges de la marche n'ont pas finalement une dimension un peu narcissique et ne tiennent pas plus de la confidence que du travail philosophique...

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    4. Julien Benda, nous raconte Paulhan, fut un jour invité à jouer aux boules avec lui aux arènes de Lutèce. Benda joua aux boules ASSIS.

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    5. Et il était assez sage pour ne pas écrire un "Éloge de la position assise au jeu de boules" !

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    6. " Il semble clair aussi que, dès que la marche est sportive et très accélérée(c'est une remarque psychologique), elle est au centre de la pensée et ne peut sans doute guère favoriser la réflexion."

      On ne peut que confirmer vos dire, une marche nordique nous fait transpirer et lorsque comme ce soir on finira à la nuit tombante avec une lampe frontale, même pas le temps de s' extasier sur la beauté du paysage des causses!
      Concentration sur les efforts à fournir et sur l' application la plus efficace de la technique de marche.

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    7. j'aime l 'expression que j ai toujours entendue en Provence. On y dit pas "se promener", mais "promener" intransitivement ( je ne l'ai jamais entendue dans le Sud Ouest). " J'ai promené" , cela veut dire : J' ai fait une promenade. La promenade est propice à la réflexion, pas l 'effort physique. De même la nage, pas le crawl ! Cela dit je ne sais pas ce qu'est "la pensée" ( Was Heist Denken). Je suis déjà bien content si je pense quelque chose, si possible à quoi je n'avais jamais pensé. Et la marche, ou la nage, ne m' y aident pas vraiment. ce qui m'aide , c' est la maturation.

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    8. Maturation, en quel sens précisément?

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    9. Laisser venir à soi les idées , les travailler, les digérer,
      les ruminer, ce qui suppose souvent de la rêvasserie. la marche, encore moins la course n y sont propices.

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    10. Comme cela a déjà été évoqué, la question de la vitesse me paraît fondamentale. La marche pas trop rapide ou, pour certains, la course lente (car quand on est bien entraîné la course lente équivaut à la marche) me paraît être tout à fait compatible avec l’exercice de la pensée, voire propice à celui-ci. Peut-être avez-vous tendance, lorsque vous marchez, à vous focaliser sur le monde extérieur, sur ce que vous voyez autour de vous, ce qui vous distrait de vos pensées, en vous empêchant d'accéder à l'intériorité et à l'abstraction nécessaires à cette activité (la rêvasserie). J'aurais personnellement tendance à dire que la marche peut être propice à la pensée (même si c’en certainement pas une condition nécessaire), du moins lorsqu’on parvient à s’isoler suffisamment du monde extérieur, mais que cela ne va pas, malheureusement, sans quelques risques, comme celui de se faire écraser par une voiture, ou autres similaires (cf. Thalès et son puits). Il faut bien choisir son parcours quoi.

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  10. Excellent ! j'aurais pensé aux lignes que vous citez du Phère, mais pas à celles du Protagoras.
    Mais la marche , n'est-ce pas plutôt les Péripatéticiens ? Aristote ?
    de toutes façons ces philosophes *se promènent*. c'est pas comme ns philosophes marcheurs et coureurs joggers d'aujourd'hui. lls nous vantent une marche sportive. Chez les Grecs, les messagers couraient, mais pas les philosophes.

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  11. Le sportif, c'est Chrysippe !
    " Au début, il s'exerçait à la course de fond, puis, après avoir été l'auditeur de Zénon (...) il quitta ce dernier de son vivant et devint quelqu'un d'important en philosophie" écrit Diogène Laërce en VI 179.
    Ceci dit, vous avez raison : quand les philosophes anciens marchent, c'est promenades et même allées et venues à l'intérieur d'un espace délimité (sans aller jusqu'à dire qu'ils tournent en rond !).
    Concernant Aristote, un passage éclairant se trouve dans D.L. encore :
    " Il s'éloigna de Platon alors que celui-ci vivait encore ; ce qui, dit-on, fit dire à ce dernier : " Aristote nous a lancé une ruade, comme font, à peine nés, les petits poulains avec leur mère." Hermippe dit, dans ses Vies, que c'est au moment où il était en ambassade chez Philippe pour les Athéniens que Xénocrate fut placé à la tête de l'école située à l'Académie . ayant vu, à son arrivée, l'école sous la direction d'un autre, il choisit pour promenoir (peripatos) celui qui était situé au Lycée, et, allant et venant jusqu'à l'heure de s'oindre d'huile, il philosophait en compagnie de ses disciples : de là qu'il fut surnommé Promeneur. (Pour d'autres, c'est parce que, s'entretenant avec lui de questions diverses, il tenait compagnie à Alexandre qui, au sortir d'une maladie, faisait des promenades.)" (V 2)

    Qu'en penser ? Michel Narcy dans la note érudite correspondant à ces lignes (éd Goulet-Cazé p.556) donne la préférence à la première explication : Aristote serait donc non le philosophe qui se promenait mais celui qui philosophait au Promenoir...

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  12. Certes. Se promener n'est ni "marcher" ni courir au sens que donnent les post nietzschéens et post foucaldiens à ces termes. Et Chrysippe QUITTE la course pour la philosophie. Je devrais préciser que dans ce billet, je traitais de la nage, pas de la natation au sens sportif . Aucune suggestion qu'il faudrait nager à la manière de Michael Phelps, au contraire. Il y a une nage promenade, que je visais. Mais il serait intéressant d'aller regarder dans les Lois ce que dit Platon du sport des philosophes rois.

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  13. Certes Chrysippe quitte la course pour la philosophie mais à la lumière de la philosophie platonicienne, n'y a-t-il pas des conditions physiques nécessaires (et non suffisantes certes) de l'excellence de la pensée ? En effet dans La République comme dans les Lois, l'éducation du corps par l'exercice et l'effort a comme finalité une excellence morale et intellectuelle et n'est jamais prise comme fin. Mais ce n'est pas parce que la pratique "sportive" fait penser ou rend juste, c'est parce qu'elle rend possible une mise au pas du corps qui devient un auxiliaire au service de l'homme recherchant l'excellence intellectuelle et éthique ; comme le dit entre autres le Phédon, le corps fragile et malade empêche le développement de la pensée. Mais l'idée d'un exercice physique qui causerait directement le développement de la pensée n'est pas platonicienne.
    Les cyniques retiendront cet idéal d'endurcissement du corps en vue qu'il se fasse oublier et ne fasse pas obstacle au développement de l'esprit. Dans ce cadre, on pourrait peut-être aller jusqu'à penser le "sport" comme un moyen de mortifier le corps.
    On est à la fois loin de la promenade dans l'eau ou sur pied comme on est loin de l'idée de la marche comme activité philosophique. Comme on est très loin du culte du corps et du culturisme...

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    1. C'est exactement ce que je voulais m'entendre dire.
      les ouvrages qui nous vantent la marche comme maieutique de la pensée veulent dire souvent que le corps EST la pensée parce qu'il est la santé ( la grande santé)

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  14. Le hasard fait que je lis ces lignes de J.M. Muglioni :

    " S'il est possible à celui qui ne veut pas marcher de se faire porter, et ainsi de voir le paysage sans faire l'effort de parcourir par lui-même la route, les meilleurs esprits qui nous ont tracé des voies ne peuvent pas nous porter : à chacun de refaire le trajet par lui-même. Et si parfois une sorte de résumé peut comme une carte aider à suivre la route, rien ne dispense de faire la route. Avoir regardé la carte ne nous apprend rien sur ce que le voyageur voit. Il faut marcher. Et même marcher au sens où c'est faire confiance, jouer le jeu : la difficulté des premières côtes doit être surmontée, et si l'on s'arrête à la première objection, on ne comprendra jamais rien.
    Le massif de la pensée a été sillonné par quelques remarquables ouvreurs de voies : nous pourrons refaire quelques-uns de leur parcours, ou seulement quelques passages, ceux que nous croyons avoir su emprunter." (Repères philosophiques. Comment s'orienter dans la pensée, Ellipses, 2010, p.8-99

    Et si nos marcheurs prenaient littéralement ce qui ne vaut que comme métaphore ?

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  15. Pour que ne soit pas oublié le premier marcheur moderne : " Tout lieu retiré recquiert un proumenoir. Mes pensées dorment si je les assis. Mon esprit ne va, si les jambes ne les agitent." Montaigne (III,3) Ce qui, tout bien considéré, peut valoir aussi bien pour la nage.

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  16. pas d 'accord, et c était le sens de mon billet . Pour penser pas besoin d 'activité physique, marche ou nage ou jardi-nage. La tête suffit.

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  17. Ce n'est pas contre l'activité physique que vous prenez position mais contre un mythe philosophique, l'Activité Physique (ou Telle Activité physique) comme condition nécessaire et suffisante de la Pensée (vous en profitez pour attaquer un autre mythe, celui de la Pensée sans c.o.d ou c.o.i). Donc on ne va pas non plus maintenant instituer le mythe de l'Inactivité physique comme condition de la pensée avec c.o.d ou c.o.i. "Ça dépend", comme disent les élèves !
    Ce qui compte au fond ce ne sont pas les conditions de telle pensée, mais son rapport avec la réalité.

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  18. Oui, en effet, vous me comprenez mieux que moi-même.
    Mais je maintiens, contre tous ceux qui, Montaigne en tête ( pourquoi tout ce que dit Montaigne est il supposé porter la marque de la sagesse? Montaigne est un auteur très souvent superficiel), nous disent que l'activité physique, et particulièrement la marche, est non seulement favorable mais quasi essentielle à la pensée ? Je réagis comme Churchill : no sport !

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  19. Et ça y est ! Vous attaquez un nouveau mythe : Montaigne ! À votre manière (non nietzschéenne !) vous philosophez bel et bien à coup de marteau !
    Qu'en penser ? Certes Montaigne est très à la mode et on propose même de ne pas bronzer idiot grâce à lui ! Paradoxalement aussi on sacralise un auteur sceptique en le citant comme la Bible... Il y a a peu j'ai écouté un philosophe fort réfléchi me dire qu'il laissait tout tomber pour revenir à Montaigne (le retour aux fondamentaux !). J'imagine que ce que vous n'aimez pas, c'est avant tout Montaigne en tant qu'il nourrit un scepticisme et un relativisme contemporains (que vous combattez). Quant à moi, je ne le vénère pas mais j'aime bien le lire : même discutable, il stimule ma pensée (sur, à, que, bien sûr !) plus que la marche quand même...
    Quant au sport, ce qui peut le rendre source de méfiance, c'est que se multiplient aujourd'hui les ouvrages du type : Philosophie du skate, de la planche à voile etc. Ceci sans doute dans un grand mouvement démagogique destiné à flatter le skateur (promu philosophe potentiel) et à gonfler les ventes et la popularité de l'auteur...

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  20. Montaigne c'est l'esprit français kat'exokèn. Je l'aime comme j'aime le fromage et le bon vin, et son scepticisme tantôt souriant tantôt noir est un plaisir à lire. Mais c'est aussi l'esprit littéraire, celui qui saute et gambade, le parangon de ce qui est haïssable dans la conception française de l'esprit. La vénération pour Montaigne aujourd'hui - pas une saison sans un essai sur les Essais , malgré l'excellent livre de Pierre Manent et le stimulant livre de Bernard Sève - ne me surprend pas et me navre. Doit on croire les sceptiques ? Est on forcément dogmatique - voire religieux, comme le croient les post-comtiens - quand on demande un peu plus de logique, de raisons et d'ontologie ? Si Dieu est mort tout n'est pas permis.
    le sport c'est soit le fascisme, soit l'hyper individualisme, et le siècle passe de l'un à l'autre. Je suis pour Churchill. Cela dit la nage, le croquet, la leçon d'amour dans un parc, OK.

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  21. Je crois que vous avez quelque affinité avec

    http://www.jose-corti.fr/titresfrancais/reveurs-nageurs.html

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