Quitte là le bonnet, la Sorbonne et les bancs ;
Et, prenant désormais un emploi salutaire,
Mets-toi chez un banquier, ou bien chez un notaire :
Laisse-là saint Thomas s'accorder avec Scot ;
Et conclus avec moi qu'un docteur n'est qu'un sot. (Boileau, Satire VIII)
Et, prenant désormais un emploi salutaire,
Mets-toi chez un banquier, ou bien chez un notaire :
Laisse-là saint Thomas s'accorder avec Scot ;
Et conclus avec moi qu'un docteur n'est qu'un sot. (Boileau, Satire VIII)
Quand
j’étais professeur à la Sorbonne, deux expressions du jargon local avaient le
don de m’agacer.
La
première, qu’on trouvait la plupart du temps dans les dissertations, les
examens, les rapports de jury de thèse, dans les compte rendus d’ouvrages, était
« convoquer un auteur ». L’étudiant « convoquait » dans sa
copie des auteurs : Kant, Descartes, Spinoza. L’auteur « convoque »
dans son livre tel commentateur. Convoquer, au sens ordinaire, c’est appeler,
au nom d’une autorité, souvent de manière collective. On convoque une
assemblée, par exemple les Etats généraux, l’assemblée générale des
copropriétaires, ou un quidam au commissariat. On est convoqué chez le
proviseur, chez le juge, chez le notaire. L’idée qu’on puisse convoquer un
auteur dans sa copie signifie qu’on fait appel à lui, mais sans argument, par
simple appel à son autorité. En fait la convocation tient lieu d’argument, et n’est
qu’une version de l’argument d’autorité. Plus la copie, le livre, la thèse sont
mauvais, plus on « convoque » d’auteurs.
La
seconde était le propre des jurys de thèse. Au moment de discuter la thèse
du candidat, un des jurés ne manquait pas de dire, sur un ton docte : « Je
parle sous le contrôle de mon collègue X », X étant lui-même membre du
jury. Par là il fallait comprendre : « Ce que j’en dis est mon point
de vue personnel, informé, mais mon collègue en sait plus que moi et pourra me
corriger à l’occasion ». Cela suppose que X soit le spécialiste du sujet
Y, qu’il en sache en principe plus que nous, ce qui ne nous empêche pas de nous
exprimer sur le sujet. Mais pourquoi devrait-on parler sous contrôle ? Ne
peut-on avoir sur un sujet donné sa propre opinion, et prendre la
responsabilité de ce que l’on dit ? Parler « sous le contrôle de X »,
cela signifie que l’on est prêt, le cas échéant, à se défiler, à ne pas parler
en propre, et à passer le relais de l’autorité à l’autre. C’est aussi une
manière de complimenter le collègue, qui est supposé savoir plus que vous ( mais comme on n'en sait rien mieux vaut prendre ses précautions).
Autorité,
veulerie, refus de s’engager dans l’argument en son propre nom.
Je vous trouve bien sévère avec l'expression "parler sous le contrôle de X". S'il y a effectivement quelqu'un de plus expert sur le sujet dans l'assemblée, pourquoi ne pas le reconnaître? Ou, s'il faut le signaler autrement, quelle formulation vous agréerait?
RépondreSupprimerComment faire le départ entre humilité vertueuse et humilité vicieuse en cette matière?
En soi en effet c'est une expression vertueuse. Mais dans le contexte d'une soutenance de thèse, c'est le plus souvent un refus de s'avancer franchement, et de courir le risque de montrer son ignorance. C'est l'expression d'une attitude cauteleuse et de veulerie épistémique.
SupprimerEn vous lisant, je pense aux tuteurs et aux mineurs de l'opuscule kantien "Qu'est-ce que les Lumières ?". Laissez-moi donc ici "convoquer" Kant :
RépondreSupprimer" Les hommes de sciences aiment à l'ordinaire se laisser tenir en tutelle par leur épouse dans les initiatives domestiques. Aux cris d'un valet qu'il y avait le feu dans la maison, un savant enfoui dans ses livres fit cette réponse : "Vous savez que cette sorte d'affaires est du ressort de ma femme" " (Anthropologie I, I, 48)
Certes on peut aussi penser que " tout est dit , et (que) l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent" et donc que "l'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles entre les modernes" ? " On se nourrit des anciens et des habiles modernes, on les presse, on en tire le plus qu'on peut, on en renfle ses ouvrages." Que faire d'autre ?
Sans oublier que ça ne dure que le temps d'un parcours initiatique car "quand enfin l'on est auteur, et que l'on croit marcher tout seul, on s'élève contre eux, on les maltraite, semblable à ces enfants drus et forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui battent leur nourrice."
Ceci dit, convoquer a un sens qui se prête moins à votre critique, car l'autorité paraît être autant du côté du convocateur que du convoqué :
" Gœthe (...) engage, convoque, manœuvre Euripide comme Shakespeare, Voltaire et le Trismégiste, Job et Diderot (Valéry, Variété IV,1938, p. 123)
Enfin concernant l'expression "parler sous le contrôle de mon collègue", n'est-ce pas une formule de politesse universitaire qu'il ne faudrait pas finalement surinterpréter en lui faisant dire plus que son sens dans le contexte ?
" Manoeuvrer" , parfait. Mais convoquer c'est appeler à la barre les témoins, et se reposer sur eux pour ne pas argumenter par soi même. On ne convoque que des autorités, dans les écrits . Quelquefois le sens commun, le quidam.
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