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lundi 30 décembre 2013

Le vieux qui ne voulait pas aller sur Face Book et l’imbécile qui savait twitter



                                                 
Hej Jonas Jonasson
     Je  serre  ici une liste de bêtises lues dans le Monde du 26/12/13 où un article nous déclare que « les élites sont débordées par le numérique » : 

Selon l’auteur,  le fait que des gens se mettent à twitter en masse par solidarité avec un bijoutier agressé, ou que des mouvements se produisent sur internet pour défendre telle revendication sont la preuve de « mouvements [sociétaux] d’un nouveau type  qui [révèlent] que, dans leur grande majorité, les élites tombent de l’armoire numérique et ne soupçonnent pas la lame de fond sociétale qui se forme. L’« homo numericus » avance à toute vitesse. Bien plus vite que les gouvernants, institutions et intellectuels, souvent dépassés ». La rapidité des changements numériques laisse les « élites sur la touche ». Elles ne se rendent pas compte qu’elles ont affaire à des « natifs numériques ».

Mais quelles élites ?  Les banquiers, les dirigeants politiques, mais avant tout  les énarques, responsables de la sclérose de la société française. On les imagine déjà acculés sur leur Boulevard Saint Germain comme jadis Tocqueville effrayé par les masses pendant la Révolution de juillet. On cite un « membre du prestigieux Institut universitaire de France, » Dominique Rousseau  -  lequel n’appartient bien entendu pas aux élites en question et dont le titre ne signale aucune autorité -  

« Face à ce nouveau monde, cette élite réagit classiquement : « Elle a été formée à l’idée que la volonté générale ne peut être produite que par elle et non par la société, où il y a trop d’intérêts et de passion. C’est une culture de méfiance des risques de fauteurs de trouble, poursuit-il. Mais la déconnexion n’est pas à sens unique. En bas, la société fonctionne sur elle-même, en réseau. Elle pense, communique sans les élites, invente ses propres règles et se moque de les faire passer par le haut. Le peuple se déconnecte aussi. »  Comme en 68 on s’en prend à cette pseudo élite, celle des professeurs: “Le droit de propriété est remis en cause, le principe même de l’autorité remis en question. Tout cela est déstabilisant pour le corps professoral. C’est souvent parce que l’on pense avoir une autorité que l’on n’écoute plus. Il s’agit d’un véritable défi de formation. » 

Autrement dit: chers profs, écrivez vos textes sur internet et ne vous étonnez pas d’être plagiés, ou de retrouver sans votre consentement vos « œuvres » à télécharger moyennant finance. Professeurs « dépassés » et (dé)confits, ne vous étonnez pas, le jour où on vous remplacera par un Mooc. « Cours, cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! »

Bref, un monde nouveau se crée, forcément bon, forcément au service du progrès, qui va faire du balai et mettre les élites au rancart, faisant place à plus de démocratie, une société en réseau guidée par un peuple éclairé, où tout le monde sera un « natif numérique », et où l’autorité disparaîtra, laissant les connectés se gouverner tout seuls et prendre la place des professeurs. On suppose aussi des journalistes. Wow !

Mais quel monde, quand on sait qu’internet laisse sur le bord du chemin numérique les deux tiers de la population mondiale? Quelles élites dépassées quand on en voit d’autres, tout aussi branchées, se constituer sous nos yeux? Quels natifs numériques « nés quelque part » ? Quels connectés super intelligents qui sont prêts à gober sans broncher l’adjectif « humoriste » accolé au nom d’un antisémite médiatique ou à donner crédit à la moindre rumeur? Quelles masses prêtes à bouger au quart de tour sur internet aussi bien que jadis au stade de Nuremberg ? Quelle société civique auto-organisée autour d’une soi-disant démocratie où l’on voterait sur internet comme on choisit déjà Justin Bieber? Quelle autorité distribuée auprès de réseaux manipulés?

7 commentaires:

  1. Internet favorise sans doute la circulation de l'information et l''expression des opinions. Mais entre la circulation de l'information et l'interprétation compréhensive (qui n'est pas la réaction émotive) il y a un abîme. Et entre l'expression d'opinions individuelles et la constitution d'une opinion publique débouchant sur une action collective, il y a encore un abîme. Je suis assez pessimiste sur ce qu'internet peut apporter à la politique sans être pour autant portée à accuser internet de tous les maux car ce n'est certainement pas internet qui est cause du discrédit du politique aujourd'hui.

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  2. Est ce qu'il était question dans ce billet du discrédit du politique ? Pas chez moi, peut être chez la journaliste que je citais. En tous cas je ne la suivais pas, comme, je l'espère, je l'ai rendu assez clair, nonobstant l'ironie.
    Mais toute la question est de savoir si la circulation permet l'information et surtout la critique. J'en doute. Or la politique bien comprise, c'est la critique.

    Vous semblez dire que la circulation c'est très bien, du moment que les gens n'en pensent pas moins. Mais est ce que vraiment ils n'en pensent pas moins? je lis toutes sortes d 'infos , relayées merveilleusement, mais je vois peu de gens qui les mettent en doute ou avancent des critiques.

    Je n'accuse pas internet de tous les maux , ni ne l'associe au discrédit du politique, mais accuse seulement ceux qui s'imaginent qu'il sera un contrepoids à ce discrédit.


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  3. Je suis bien d'accord avec votre billet. On sait bien que l'enseignement par Internet, et donc les MoOC en particulier, est adapté uniquement à la transmission d'un savoir reposant sur des savoir-faire et des méthodes. On peut certes aussi donner de bons cours de mathématiques. mais il est peu adapté à toute la dimension critique et réflexive. Donc une manière en somme d'abêtir les masses. Par ailleurs, on est stupéfait de voir l'ampleur que peuvent prendre des phénomènes abjects (histoires de "quenelle" etc.) simplement à partir des réseaux sociaux que rien ne peut parvenir à contrer, et de voir que c'est par centaines de mille qu'il faut compter les adeptes de ce prétendu "humoriste" qui regrette la disparition des chambres à gaz, ces "adeptes" étant comptés en termes de "followers" sur Twitter ou Facebook. Les beaux esprits qui se pâment devant l'intelligence des réseaux riront moins quand toute cette haine déversée leur explosera à la figure.

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  4. La diffusion très rapide des infos, ou prétendues, telles sur internet, ne m'étonne pas, et en un sens me laisse assez froid. Ayant habité Orléans à l'époque de la fameuse "rumeur" en 1969 je sais combien cela peut aller vite, même comme à l'époque dans une petite ville provinciale avec pratiquement pas de "media" autre que le bouche à oreille. Ce qui m'énerve plus est le fait que cette diffusion passe, aux yeux de journalistes et de mediacrates pour le parangon de la démocratie et de la révolte des masses contre les élites. Je ne peux, comme antidote, que renvoyer à ce livre admirable et prophétique de Ortega Y Gasset, La rebelion de las masas (1927), qui décrivait tout , un siècle avant internet. Ce qui m'énerve autant ce
    sont les MOOCs, parce qu'ils prétendent, diffuser du savoir et enseignement, et le faire de manière "universitaire". Cela fait des lustres que tous ceux dont c'est le métier se posent la question de ce que veulent dire ces termes, et voilà qu'on vient leur dire qu'on le sait mieux, qu'on enseigne mieux , juste parce que la diffusion est multipliée par des millions. Que le changement quantitatif doive induire aussi un changement qualitatif et obliger à réviser tous nos principes, OK. Mais qu'on vienne nous expliquer que tout va changer juste parce qu'il y aura des publics exponentiellement immenses, j'en doute.

    Timeo telam, et dona ferentem

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  5. Je me permets d'intervenir à nouveau ! Un point de vue de provinciale ! Le Mooc me semble très bien pour les collègues, j'avoue que j'apprécie de pouvoir écouter une conférence chez moi, même s'il est vrai que je tirerai le même bénéfice (voire plus) de lire l'article. Mais parfois, il est moins fatigant intellectuellement de se laisser porter par le son et l'image. Pour ce qui est du cours, simplement, mon expérience d'enseignante : le cours n'est pas le fait qu'un enseignant déverse un savoir dans un public. Il y a une interaction entre l'enseignant et sa classe, j'avoue que les questions de mes élèves m'aident beaucoup moi-même à progresser et à y voir plus clair. C'est cette interaction qui risque de disparaître avec le Mooc. Il ne s'agit pas dans un cours de transmettre de l'information mais de former une communauté de réflexion qui progresse en synergie au moins pour ce qui est de la philosophie. Et je pense que c'est impossible à obtenir en dehors d'une présence réelle des protagonistes.

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  6. Que le mouque soit agréable, personne n'en disconvient. Le problème est : est-ce que cela doit remplacer les cours, à l'université ou au lycée, comme nous le proposent les "digital champions" ( voyez les déclarations que je reproduis dans divers autres billets sur ce blog)? Et beaucoup de gens, même avant l'avénement des mouques, considèrent qu'enseigner c'est transmettre de l'information. Et je le leur concède, si enseigner c'est cela, à quoi bondes enseignants plutôt que des mouques ? Un bon site internet remplace un préposé hargneux et ignorant dans une administration. Mais un mouque remplace t-il un prof , même hargneux ( je concède qu'il vaut mieux un prof savant qu'ignorant)?

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  7. La victoire des MOOCs, c'est en somme la victoire des Sophistes (au sens platonicien) sur Socrate ! Plus sérieusement tout cours pensé comme a work in progress (progrès entre autres facilité par les questionnements des auditeurs) est en contradiction avec le règne sans partage des MOOCs (condamner le MOOC dans ce cadre ressemble à la condamnation de l'écriture dans le Phèdre : le cours écrit atteint d'autant plus son but qu'il prend au sérieux les interventions orales).

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