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mardi 30 juillet 2024

Mauriac juge des romans de Benda

 


"Le cahier vert de M. Julien Benda est remarquable à plus d'un titre. D'abord, vit-on jamais si longue préface à de si courtes histoires ? On songe à ces repas russes où le hors-d'œuvre est l'essentiel. Dans sa préface, M. Julien Benda interroge son cœur, qu'ont ému les critiques des Amorandes : parce qu'il est philosophe, on ne veut pas qu'il soit romancier. M. Julien Benda, qui a des idées, a bien raison de croire qu'il a aussi le droit de les incarner. Mais ses incarnations sont-elles des romans ? On n'ose rappeler à un philosophe qu'il faut d'abord définir les termes de la discussion, si l'on veut éviter une querelle de mots. Peut-on définir le roman, l'incarnation des idées ? Nous ne le pensons pas. Le roman crée d'abord des êtres qui vivent, et, si du conflit de leurs passions, se dégagent des idées générales touchant les caractères et les mœurs, il faut que ce soit à l'insu du romancier – ou que, du moins, les lecteurs puissent croire que c'est à son insu. Les êtres que nous ayons créés il importe qu'ils nous dominent et s'imposent à nous ; sinon nous substituerons à la vraie destinée de nos héros notre caprice et notre passion. Le romancier doit être pareil au Dieu de Malebranche, qui n'intervient pas par des volontés particulières. Ainsi, Dostoïevski est à chaque instant débordé par ses personnages, qui l'entraînent où il ne voudrait pas aller.
Cela ne veut pas dire que nous condamnions l'art de M. Julien Benda. Mais faut-il appeler roman ces récits ? Pour la Croix de Roses, conte philosophique nous paraîtrait mieux convenir — ou, si M. Benda y tient, roman philosophique. "La nature n'a pas besoin que votre partenaire vous plaise. Notre excitation seule est nécessaire pour l'amour. La vôtre n'est qu'un luxe." Cela est dit dans le silence de la nuit, sous les baisers de sa maîtresse, par le héros de M. Julien Benda. Quelle alcôve entendit jamais de tels accents ? Conte philosophique, vous dis-je. Mais comme les idées de M. Benda sont fort ingénieuses et excitantes, nous ne nous plaignons pas. Voyons-les d'un peu près. La Croix de Roses est celle où se crucifie le malheureux homme dont la destinée est d'être amant. M. Benda nous fait de son martyre une peinture qui nous tire les larmes. Les femmes l'aiment, mais elles le méprisent ; il est un objet à leur usage et détourné par elles de toute grande œuvre. Cependant, il n'a jamais la femme tout entière, celle que le- mari, même trompé, possède. Il ne connaît d'elle que le petit animal luxueux et qui aime qu'on le caresse. Il l'ignore humiliée, souffrante, et quand il fout la secourir, et quand elle donne la vie. Tout cela est vrai, d'une vérité relative. Ce cahier vert est un livre consolant à l'usage des personnes pas aimées. Mais les idées perdent bien de leur vérité en s'incarnant, C'est l'inconvénient des contes philosophiques en général que si les idées y sont quelquefois vraies les personnages y sont presque toujours faux.
Et d'abord M. Benda nous montre une jeune femme qui se partage entre l'homme qui lui plaît, mais qu'elle dédaigne, et un grand physiologiste qu'elle admire. Et, selon l'auteur, c'est le grand physiologiste qui a la meilleure part. Il ne s'agit pas ici de la "femme parfaite", telle que l'a conçoit Barrés, quand il écrit à un endroit du Jardin de Bérénice :"Une femme parfaite se choisirait un amant plein d'ardeur dans l'élite de la cavalerie française et, pour l'aimer d'amour, un prêtre austère comme notre divin Lacordaire..." Certes, nous imaginons une dame cérébrale, de celles qu'enchantent les Dialogues d'Eleuthère, s'essayant à cette perfection. Mais, dans aucun cas, si elle adore son amant, elle n'ira par amour de la science caresser chaque samedi le grand physiologiste. Lui faire la lecture, tout au plus.
Nous ne croyons pas non plus beaucoup à cet amant crucifié sur des roses, à ce condamné aux travaux forcés de l'amour. Il nous semble que M. Benda a été trop impressionné par le théâtre de Porto-Riche. Il répète que ce sont toujours les mêmes qui sont amants, et jusqu'à l'âge le plus avancé. Nous ne pensons pas que ce soit aussi simple. Certes, rien n'est si commun que l'homme qui n'est pas né amant. Mais l'amant jusqu'à l'âge le plus avancé est un type fort rare ailleurs que sur les planches. Porto-Riche et, à sa suite, tous les fournisseurs habituels du Boulevard, aiment faire triompher le quinquagénaire, pour des raisons plus humbles qu'ils ne le croient eux-mêmes : peut-être parce qu'ils ont passé cet âge, on parce qu'il faut que, le rôle aille à Guitry, ou encore parce qu'une salle est toujours pleine de vieux messieurs qui ont besoin qu'on les rassure. Le vrai est qu'il y a un âge pour être amant et un autre pour être cocu, et que la justice immanente distribue équitablement aux deux extrémités de notre vie les grâces requises pour ces deux états.
Enfin, au risque de rendre vaincs les consolations que prodigue M. Benda à ceux qui ne sont pas nés amants, reconnaissons qu'il n'est aucune de leurs joies matrimoniales que ne puisse goûter l'homme-à-femmes lorsqu'il se résout à se fixer. La moindre liaison suffit pour qu'il connaisse le corps de son amie "dans toute sa condition humaine, non pas seulement dans ses triomphes, mais dans ses tristesses, dans ses défaites..." Bref, s'il y a des hommes qui ne connaîtront jamais la joie des amants, il n'est pas d'amant qui, une fois au moins dans sa carrière, ne connaisse la grandeur et la servitude conjugale ; un collage y suffit. L'homme qui a eu la plus brillante destinée amoureuse est sûr, tôt ou tard, au moins une fois, d'aimer et de n'être pas aimé.
N'empêche qu'il y a beaucoup de sagesse et de lucidité dans les aphorismes de M. Benda touchant le servage des amants. L'homme sage, après avoir lu son livre, reconnaîtra qu'il faut se déprendre de la Croix de Roses. Mais c'est un effort que tout le monde n'a pas l'occasion de tenter. Car on ne peut renoncer qu'à ce qu'on a, se dit l'homme qui n'est pas né amant. Du moins, ce petit livre acide et contracté le fournira de raisons pour se glorifier de l'indifférence des femmes à son égard et pour être bien content de sa part ici-bas qui, d'un point de vue bas, n'est peut-être pas la meilleure, mais dont il est bien sûr qu'elle ne lui sera pas ôtée.


François MAURIAC. 

les nouvelles littéraires, 17/ 04/2023 

https://mauriac-en-ligne.huma-num.fr/items/show/514

Mauriac a parfaitement raison. Plus tard, Benda, dans La jeunesse d'un clerc, avouera que le roman fut son grand échec, et qu'il ne parvint jamais à animer des idées abstraites.  Mais pourquoi chercher à faire cela? Hegel écrivit le roman de la conscience, Sartre celui de l'être, Merleau-Ponty celui du visuel,  qui sont assez réussis dans le genre

20 commentaires:

  1. Amateur persévérant30 juillet 2024 à 20:26

    Prenons Dostoïevski. Il est à noter que la plupart de ses grands romans furent rédigés en feuilletons hebdomadaires, ce qui explique assez le traitement de la forme. En effet, on sent chez D que sa préoccupation première n'est pas dans la richesse ou les fioritures du style (néanmoins, si on en croit ses traducteurs, il y a un souci de réalisme brut direct, plus travaillé qu'il n'y paraît), et que l'évolution du roman n'est pas toute entière planifiée, elle est cependant amorcée et guidée par une idée centrale névralgique latente, voire parfois récurrente de façon souterraine, avant de se développer et s'exposer, mais qui ne s'oriente décisivement justement que par la mise en situation ou en scène ... Rédaction chez lui s'y confond presque avec narration en train de se faire, avant de former proprement histoire, elle bifurque et se déploie en fonction de l'écriture en cours, et donc à travers les actions les considérations les dialogues qui viennent progressivement étoffer les personnages, bref à travers l'activité, fictive, et celle concrète de l'écriture. Même si les grands traits de caractère des personnages ou leurs fonctions sont posés assez vite, ils peuvent toutefois soudain se manifester de façon contrastée inattendue fort vive, lors d'une situation dramatique par exemple qui fait tout basculer, qui déchire un espace, crée un décalage irrémédiable entre l'avant et l'après du récit, un moment décisif qui dévoile quelque chose de ce qui s'en tenait aux apparences jusqu'ici. Il y a une ingéniosité dramaturgique, mais pas seulement, ça ne saurait suffire, l'auteur est lui-même en partie taraudé par les enjeux qu'il soulève. Il y a certes une progression, des étapes, il peut y avoir des raisons données aux comportements, mais il reste toujours une part des motivations qui n'est pas que justifiée et pourtant loin d'être incompréhensible ... Et le non-dit participe de la grandeur de l'oeuvre, elle offre différentes interprétations possibles. Disons qu'y est privilégiée l'approche comme vivante vécue, parfois "viscérale" de la psychologie. La littérature est cet art qui a le plus la faculté d'accorder immersion et distanciation, sans verser au privilège d'une seule de ces approches.

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  2. Amateur persévérant30 juillet 2024 à 20:26

    La psychologie ici exposée ne saurait certes se résumer en une connaissance, l'investissement vivant vécu y est trop vif, et encore moins à une philosophie sans doute, néanmoins l'écriture aussi proche de l'acte qu'elle décrit soit-elle, n'est pas l'acte lui-même, elle offre un pas de côté, un recul à proximité..., et expose implacable l'enchaînement des conséquences, donc n'exclut pas une connaissance possible, même le fameux flux de conscience du soit disant monologue intérieur chez Joyce ou Faulkner n'est pas sans nous faire sentir d'autant plus l'importance du "hors-champ", qui ne s'arrête pas à la subjectivité mais la nourrit (et le pas de côté peut être davantage soulignée dans une littérature plus ironiste, ce qu'on retrouve chez Flaubert ou Laclos, mais pour dénoncer les passions : on en expose quelque chose, et le regard acéré le plus juste sans compromis n'exclut pas l'empathie) ... Cependant, on ne peut nier chez D une obsession thématique, un questionnement de type plus général et abstrait, et qui conditionne l'amorce et la visée du roman, du genre "Si Dieu n'existe pas, tout est-il permis ?". Question névralgique de la modernité qu'on retrouvera chez le Lafcadio de Gide, le Goetz de Sartre, chez Kafka, etc. La question est certes fortement existentielle, elle engage le sort de l'individu. Mais elle interroge aussi une dimension universelle propre à l'humanité. Notre condition. Alors certes, les priorités et les buts ne sont pas strictement les mêmes entre littérature et philosophie, et sans doute trop de l'une amène souvent à pas assez de l'autre (si tant que le sujet abordé implique quelque chose de leur liaison) mais je tends à croire néanmoins que chacune contient une passerelle possible, et souvent fort intéressante vers l'autre, elles ne se remplacent pas l'une par l'autre, mais chacune peut apporter quelque chose qui manque à l'autre.
    Mais oui, un grand philosophe ne garantit pas un grand romancier. Et inversement. Sans l'interdire. Et font tous deux parfois de grands stylistes (qui ne suffit cependant pas à garantir la bonne philosophie, ni même peut-être la grande littérature, mais là... cela dépend de ce qu'on y cherche, et le débat peut être pointu. Il faut de tout pour faire un monde, sans se contenter d'un amas hétéroclite. Ce qu'il faut de passion comme moteur, et de raison comme volant, pour citer un penseur indien, Prajnanpad.).

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  3. bien vu merci. Dostoievski avait une idée abstraite, mais le personnage se met à vivre sans lui. Benda garde tout sous controle. C'est pourquoi il est mauvais romancier

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  4. Amateur persévérant31 juillet 2024 à 09:46

    Oui. Sans doute un personnage réussi ne peut pas être qu'un véhicule pour une idée, bien qu'il existe une littérature qui use d'archétypes (parfois pour les détourner), mais on revient en effet à ce qui tient davantage de la parabole ou du conte. D'ailleurs l'usage ajusté d'une symbolique demande plutôt un art de la suggestion par touches plutôt que trop explicite et soulignée. Mais si on a l'ambition d'insuffler une dimension réaliste et naturelle à son propos, alors on ne peut esquiver de donner davantage relief "à ce qui s'éprouve dans sa chair". Ça rappelle un peu l'opposition apollinien/dyonisien, même si la binarité trop tranchée en art a aussi ses limites de lecture. Il y aurait justement à creuser sur une question récurrente en art : la dimension de maîtrise et pas que... Pas seulement l'opposition entre virtuosité technique et ce qui demande plus vivant, en littérature c'est plus complexe, car il s'agit aussi de la combinatoire la plus susceptible de servir tout de même la portée significative. En art, quand bien même on poursuivrait le but d'édifier, on n'est pas que dans une argumentation destinée à convaincre, du moins je crois que cela ne peut pas fonctionner qu'à travers une volonté d'emporter l'adhésion, il s'agit aussi au moins un peu de ... toucher. Mais de façon ... juste. La question suppose aussi quelque chose de la transition et évolution entre le XVIIIème et le XIXème en France, avec le passage du classicisme au romantisme surtout, le rapport parfois conflictuel à la modernité émergeante, et peut-être une résolution progressive sur le plan de leur opposition en termes d'idées, juste sur le plan littéraire hein, vers et par une maturation d'un souci de ... réalisme (et du dosage de son entrelacement à une portée plus métaphorique). De retrouver pour le lecteur, sans perdre l'enjeu universel, quelque lien avec la vie vécue elle-même. On n'y recherche pas forcément l'identification au prix du sens critique, mais à s'y reconnaître retrouver en l'enjeu, on n'ouvre pas un roman tout à fait pour les mêmes raisons qu'on aborde un ouvrage de philosophie. Bien qu'encore une fois on puisse tisser un jeu de résonances, qui demande sans doute à faire jouer de multiples gradations de nuances, plutôt qu'une binarité dualiste trop appuyée entre raison et émotion, sans négliger qu'ils puissent avoir à se surveiller ... Ce serait peut-être à développer. Mais l'essentiel de la question a été posée. Merci à vous également.

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  5. Amateur persévérant31 juillet 2024 à 10:42

    Plus largement et plus discutable, personnellement aussi, dès que je m'essaie à plus philosophique .... Une raison qui négligerait l'émotion n'est pas toujours si raisonnable. Mais l'émotion qui négligerait la raison ne l'est clairement pas. Et sans doute qu'une dérive due à l'excès de contrôle a quelque source émotionnelle irréductible (qui se cache plus ou moins), à la vérité. Presque autant que l'insuffisance de contrôle (ils peuvent être chacun des réactions à leur contraire), et que l'exhibition apparente ou le vautrage complaisant dans le pathos fuit d'ailleurs aussi ce que son émotion pourrait recéler de vérité plus ajustée à la raison... En tous cas, sujet éminemment plus subtil qu'une frontière nette systématique séparant raison et émotion, et qui ne serait pas non plus une confusion, plutôt une conciliation entre des dominantes, dont la distinction ne relève pas toujours d'une circonscription nette, du moins pas sans liaison d'interdépendance, ni cependant réduction complète de l'une à l'autre, complexe, il me semble. La portée des définitions conceptuelles et celle des contextes incarnés. Et je ne suis pas certain d'ailleurs ici que le meilleur équilibre possible en application relève d'une pure staticité. Entre cadre de régulation et mobilité "animée".

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  6. Faut-il "canceller" le premier Julien Benda, ses romans et son essai "Belphégor" qui en était la clé de lecture ? Comme son maître Paul Bourget, qu'il reniera, Benda a d'abord écrit des romans psychologiques à thèse, c'est-à-dire des romans d'idées. Or, quelles sont ces idées, qu'il emprunte largement à Bourget et à ses inspirateurs, Nietzsche (la volonté de puissance) et Spencer (le darwinisme social) ? Ce sont la guerre des sexes et la guerre des races, qu'à cette époque on n'appelle pas encore le choc des civilisations.
    1. Dès "L'Ordination", la guerre des sexes de Benda est alignée sur la misogynie cruelle et vengeresse de Nietzsche. Benda invente le personnage philosophique du Clerc laïc, qui se donne pour modèle vague Thomas d'Aquin dans sa cellule de moine, mais les valeurs du Clerc sont proches de celles du Surhomme de Nietzsche.
    2. Ou bien, dans "La Croix de roses", c'est la misogynie cynique à la façon du théâtre de boulevard : contre les femmes, mais tout contre. En réalité, la recherche du Clerc vise la vita bona et son Summum Bonum. Or, le bonheur réside dans la séduction et la possession d'une femme. Mais il est impossible au Clerc de posséder l'âme d'une femme. Le Clerc est condamné à être l'amant de service, et jamais l'éternel mari. Il ne deviendra pas un mari par ancienneté, car à la fin il sera un vieil amant pathétique et ridicule, personnage idéal pour le Boulevard. Benda évoque bel et bien la notion dangereuse d'inégalité naturelle entre les hommes, par le biais d'un contexte frivole.
    3. Dans "Les Amorandes", Benda va plus loin. Avec la saga familiale des Hirsauge, dynastie de juges dont le devoir est la devise, au Manoir des Amorandes, Benda fait un roman national qui célèbre les valeurs et les traditions de la Vieille France (Benda se venge de l'Action Française qui le prend pour un rastaquouère, en montrant qu'il comprend et aime la francité de souche : c'est ce que feront aussi Proust et Colette, l'un avec Illiers-Combray, l'autre avec la Bourgogne où sa mère Sido, citadine belgo-martiniquaise, avait été placée en nourrice).
    Au nom de la morale de la société, qui assure par elle la reproduction de l'espèce humaine, le Clerc devra se séparer de la femme mûre et expérimentée, sensuelle sans fausse pudeur, qu'il aime, pour faire un mariage de raison avec la cousine que sa famille lui destine. Hanté au Manoir, la nuit, par la femme qu'il aime toujours, au point de ressentir physiquement sa présence, le Clerc Hirsauge trouvera la ressource stoïcienne de jouer à aimer vraiment son épouse, jusqu'à ce que le transfert fonctionne. Dans "Les Amorandes", Benda termine lyriquement ses paragraphes. Il cite abondamment Spencer, et aussi Virgile avec un certain snobisme.
    Le Clerc oppose l'éternel-maternel à l'éternel-virginal, c'est-à-dire Hélène à Velléda.
    4. Nous retrouvons l'opposition entre Belphégor, la divinité androgyne des Sémites, qui s'effémine dans la sensation, - et Minerve, la déesse virilisée de la raison du monde indo-européen. Dans "Minerve ou Belphégor ?" (accessible en ligne), Gaëtan Bernoville a critiqué cette division, clé interprétative de l'Histoire qui était dans l'air du temps depuis le XIXème siècle. C'est sur ce terreau que prospérera le nazisme. Néanmoins, la théologie féministe (cf. Merlin Stone, "Quand Dieu était femme", 1976) réutilisera cette division en la détournant : le monde patriarcal et patrilinéaire du monothéisme, venu du monde indo-européen, contre le monde égyptien de la Déesse-Mère, matriarcal et matrilinéaire, qui a exporté aussi son modèle.

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    1. Excellent, je vous remercie de cette très bonne analyse des romans de Benda. En effet il y a chez lui un nietzschéisme , qui fait qu'on l'on l'a comparé à Jules de Gaultier. Mon premier Testament est clairement très nietzschéen. Je ne suis pas convaincu que le Clerc soit le Surhomme. Il me semble plutôt le contraire, dès que sa figure se profile dans l'Ordination, puis dans Dialogue d'Eleuthère. Les sentiments de Critias et Belphégor, écrits pendant la guerre, prennent congé avec le nietzschéisme. Bien sûr il y a une forme d'élitisme classiciste, qui plut au maurrassiens comme Bourquin, mais très vite il a pris ses distances, ne serait-ce que parce que Maurras le rejette comme juif. Mais votre analyse des Amorandes , du rôle de la femme, est juste. et la misogynie de Benda est réelle.

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  7. Il faut reconnaître que le socratique Julien Benda pose toujours de bonnes questions, même quand il s'égare sur des chemins de traverse, et même quand elles sont gênantes. Quand la littérature est réflexive, que fait-elle de l'émotion ? Quand elle n'est pas réflexive, que fait-elle des idées claires et distinctes ?
    Benda se tient à l'écart de la littérature d'ingéniérie, théorisée par Valéry et Musil, et revisitée par Jacques Bouveresse : épuiser le champ de la modalité du possible. Mais Benda ne veut pas non plus de la négativité hégélienne sans emploi, du non-savoir de Blanchot-Bataille qui succède au Savoir Absolu : faire un chantier infini d'écriture fragmentaire, un espace sacrificiel de graphomanie où l'on joue et où l'on jouit.
    Pour tenter de résoudre ce dilemme entre logique-rhétorique, et terrorisme dans les Lettres, Jean Paulhan, qui se garde bien de choisir, reconnaît à Benda un statut de Maintenicien, c'est-à-dire de néoclassique, bien que le nominaliste Paulhan appelle les essences et valeurs éternelles des "grands mots". Le néoclassicisme, pourquoi pas, si c'est celui de l'architecture de Boullée et Ledoux ?
    L'art des questions, Benda le pratique aussi en amour, dans "Les Amorandes". Quand le Clerc Hirsauge table sur le darwinisme social de Spencer qui découle du vitalisme naïf de celui-ci pour choisir, dans la douleur, entre d'une part la communion physique et, croit-il, spirituelle, avec une salonnière, et d'autre part la procréation avec une femme jeune de sa famille, il se demande si dans ce cas un homme pense réellement de manière phylogénétique à la survie de l'espèce, ou s'il ne pense pas d'abord à lui en tant qu'individu. Hirsauge se cherche de bonnes raisons de croire qu'il fait un bon choix, mais le darwinisme a ses limites.
    En ce qui concerne Belphégor, Benda a fait un tabac dans les débats littéraires, à la charnière des années 1910 et des Années Folles. Belphégor avait eu une longue carrière littéraire, depuis la Bible, mais la nouveauté est que Benda inscrit ce nom mystérieux à consonance de magie noire dans le schéma explicatif de l'Histoire, qui oppose hindo-aryens et sémites, schéma qui avait séduit le monde intellectuel jusqu'à Nietzsche, et dont Hitler fera un outil politique et criminel dans sa prison de Landsberg.
    Le nom de Belphégor s'entendait comme une incantation dans les cafés et les salons parisiens, ce qui a attiré l'attention d'Arthur Bernède, lecteur de Nietzsche, féru de crimes et faits divers comme Paul Bourget, homme de grande culture égaré dans le ciné-roman populaire, et qui s'est mis le soir en quête de Belphégor parmi les antiquités du Louvre. Les chercheurs qui étudient la littérature populaire en sont quasi-certains, même si la chose paraît trop belle pour être vraie. Julien Benda serait bien indirectement associé à la série TV des années 1960, par laquelle la France a terrorisé l'Europe.

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  8. Il y eu à un moment une alliance Paulhan-Benda, entre 1930 et 45, Paulhan voyant en Benda un contrepoids au culte valéryen et proustien de la littérature autosuffisante, et surtout un critique de gauche à la droitisation de sa revue. Mais en 40, il du céder la place, Benda fut viré, et mangea la main de celui qui l'avait nourri. Le diagnostic de 1918 , répété en 1945, était juste. Mais entretemps Blanchot et le littératurisme , qui prolongeaient Valéry, avaient pris le pouvoir pour 30 ans. Les idées de Benda sur la littérature étaient justes, mais son oeuvre pas assez impressionnante pour faire contrepoids. Il aurait fallu un Musil français, il n'y en a pas eu.

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  9. Que retenir donc du Benda belphégorien, celui des romans, qui précède le Benda byzantin, lequel ne sera pas une répétition à l'identique ? Faut-il sauver le soldat Benda ? Mis à part l'effet-nostalgie et la lecture au second degré du kitsch, il y a des choses authentiques. Qu'est-ce qui demeure ? D'abord, le Clerc effectue une ascension douloureuse vers des vérités éternelles. Le prix de la vérité et de la justice est le scandale de la cruauté, envers soi-même et envers les femmes. Il vit et il découvre l'illusion suprême qu'est l'amour. Ainsi, dans "L'Ordination", le Clerc réalise une fusion physique et spirituelle dans une vie à deux loin du monde. Mais un jour, elle s'achève aussi vite qu'elle est survenue. La vie conjugale, et son esprit de sacrifice aussi scandaleux que la cruauté, ne lui convient pas non plus, ce que Benda tentera pourtant de conjurer par l'optimisme volontariste de la fin des "Amorandes", roman national par approximation. C'est toute l'ambiguïté des conventions sociales et romanesques, dont Benda ne cache pas la fragilité. On peut les respecter sans y croire.
    Pour achever de démolir l'amour comme fausse valeur éternelle, Benda recourt à Sacha Guitry et à son Tricheur de casino dans "La Croix de roses". Guitry s'attachait à dépeindre le drame perpétuel de l'homme, dont tout le bonheur dépend de l'amour transitoire des femmes, et qui l'accepte avec un fatalisme souriant. Dans l'ambiance durassienne des salons de palace, le vieux dandy de Benda, -- qui tient compagnie aux dames délaissées par leur mari capitaine d'industrie, passant en coup de vent dans leur vie, mais auquel elles restent attachées comme à un roc, -- expérimente qu'il est impossible de tout avoir : l'amour physique d'une femme, et la communion spirituelle avec elle. Comble de malheur, cela ne dépend que d'une chose superficielle au possible : la physionomie ! Car on a définitivement soit une tête de mari, soit une tête d'amant. On fait comme Maigret (ou son parent) chez Simenon dans "Madame Quatre et ses enfants". Il tombe des nues quand la femme en déshabillé qu'il protège d'un tueur psychopathe, lui répond, alors qu’il lui demande pourquoi elle a tant confiance en lui, que ce n'est pas parce qu'il a une tête de policier, mais une tête de mari ! Après cela, allez comprendre quelque chose à la logique des femmes.
    Et bien sûr, on n'oubliera pas Arthur Bernède, cet admirateur encombrant que Benda magnanime n'a pas attaqué pour plagiat. Bernède lui a volé un titre accrocheur en or, un personnage démonique féminin manipulé par un docteur, un dilemme amoureux et une hantise dans un manoir. Mais que venait donc chercher le fantôme des "Amorandes" ? Bernède, qui ne croit plus en l'avenir du roman psychologique classique, va s'associer à Gaston Leroux qui résout les mystères par une explication policière de façon scientifique. Dans le Louvre, Belphégor viendra donc chercher le trésor des Valois. Dans la série TV, la raison sera plus rusée : Belphégor cherchera le secret des Rose-Croix, le métal de Paracelse, ce qui explique le surnaturel en le reconduisant dans un double fond. Pour mettre fin aux mystères de Belphégor, Gaëtan Bernoville, quant à lui, leur substituait le mystère de la foi chrétienne.
    Pour finir, on retiendra l'extraordinaire résilience du roman psychologique. Mis à part la réussite inouïe de "La Chute" de Camus, il y a eu Françoise Sagan dont "Aimez-vous Brahms ?" rappelle "Les Amorandes", mais où la femme belphégorienne hantera toujours la vie du jeune homme, sans se déguiser en fantôme ou en souvenir.

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  10. L'ordination (1912) précède Belphégor (1918), mais pas les Amorandes (1921). Donc Benda romancier vient aussi après. De plus Benda écrivit Dialogues à Byzance en 1900, donc il ne fut pas byzantin après.
    Belphégor était un lieu commun à l'époque, et je doute que Bernède ait "volé" à Benda son titre.
    Je ne me souviens pas de la présence de Guitry dans La croix de roses. Le livre est occupé à moitié par un dialogue d'Eleuthère, où il dit préférer le roman à idées, quand il n'a qu'une seule idée. Il rejette anatole France, où il y en a souvent, mais "jetées". Il lui faut *une* idée, développée. Il cite Resurrection, La peau de chagrin, la recherche de l'absolu.Il trouve les Affinités électives bien fades pourtant.
    Benda qui aime Anatole France aurait dû s'inspirer de lui comme romancier s'il voulait des histoires d'amour "psychologiques", ou même Bourget, qu'il dit ne pas aimer. Il aurait été incapable d'écrire Le lys rouge, qui est du Proust avant la lettre.
    La chute ne me semble pas si réussi, ni Sagan. Benda eut il aimé Le nouveau roman? Michon peut être.

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  11. Amateur persévérant2 septembre 2024 à 13:37

    Michon met peut-être en avant une ou des idées, celle d'un monde ancien qui se perd par exemple, le traitement de la temporalité y est de première importance, on n'est rarement dans une narration simplement linéaire. Et la psychologie subjective individuelle y est importante, bien que travaillée par sa relation à une dimension plus large, qu'elle soit historique ou intemporelle, une sorte d'idée du destin et de la contingence, de sa condition humaine mais aussi sociale. Certes, son écriture ne relève pas tout à fait d'un hyper formalisme "intérieur", fragmenté, à la façon de Claude Simon, et encore moins bien-sûr pseudo objectivé, tel Robbe-Grillet. Néanmoins chez Michon, la question du style, du rythme et de la forme y demeure centrale, si ce n'est prioritaire, sans pour autant occulter le sujet traité.
    Est-ce que Benda a évolué au cours du temps sur ce qu'il pensait de la possibilité d'animer une idée, puisque sa philosophie semble s'appuyer avant tout sur l'idée de sa valeur immuable indépendamment de sa réalisation pratique (sa pensée était-elle déjà clairement posée ou pas encore) ? N'y-a-t-il pas un lien avec la question de représenter des universaux ? Et sa position tend-elle sur ce point plutôt vers un platonisme ou un kantisme (je ne crois pas qu'elle soit aristotélicienne, mais les spécialistes semblent encore discuter de cette dernière quant à savoir si elle relève bien d'un réalisme de l'idée ou d'un conceptualisme ...) ? "La peau de chagrin" relève bien en tous cas d'un récit édifiant, d'un idéalisme moral, voire du salut, par le sacrifice de sa personne pour autrui qui vaut mieux au final que la jouissance éphémère de tous les biens et pouvoirs terrestres de ce bas monde.

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  12. Amateur persévérant2 septembre 2024 à 14:19

    "Merci de m'avoir appris à payer sans marchander le prix exorbitant de la beauté" (Bouvier). Hors byzantinisme lettré, on pourrait peut-être proposer "morale" à la place de "beauté". Et y trouver alors la différence entre ce qu'il demeure de rédemption possible chez Balzac, malgré le sacrifice terrible qu'elle engage, et ce qu'elle garde d'irréductiblement indécis chez Camus. Chez ce dernier, la valeur se juge à son degré de réalisation dans une vie. Balzac suggère davantage ce qui la dépasse, du moins son horizon étriqué individualiste. Un reste d'effluve d'un souffle classique contre une insuffisance inhérente à une modernité dont le réalisme serait trop sceptique et étroit ?

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  13. Pour en finir avec Belphégor, il semble possible d'identifier le lien entre Julien Benda d'une part, et Arthur Bernède & Henri Desfontaines d'autre part, respectivement écrivain et réalisateur associés du "Belphégor" cinéroman. La connexion était faite par Pauline Benda, Madame Simone pour la scène et cousine de Julien Benda, qui avait joué au théâtre dans "Les Butors et la Finette" de François Porché, avec Henri Desfontaines encore comédien. La pièce, assez forte, parlait de la Guerre de 14. Sa publication en 1918 était précédée d'une lettre-préface à Madame Simone.
    Dans le Tapuscrit de Grenoble qui complète son "Journal", Paul Léautaud demande à Benda le 14 août 1917 s'il est exact que Pauline-Simone a littéralement enlevé François Porché, dont elle était follement amoureuse, ce que Benda lui confirme. Pauline était une femme belphégorienne qui prenait des initiatives avec les hommes, alors que Porché était passif ou plutôt actif pour organiser sa passivité, par une inversion des rôles des genres définis selon Freud. Or, en amour comme dans la recherche de la vérité, Benda était du genre "phallogocentrique", et il ne devait pas vraiment approuver les outrances de sa cousine.
    Bernède ne s'était pas limité à la littérature populaire des kiosques de gare. Ancien artiste lyrique, il était librettiste, de Massenet et Saint-Saëns notamment, et dramaturge réputé, impliqué dans la Société des Gens de Lettres. Il pratiquait le nietzschéisme à la française, comme Benda. C'est certainement Henri Desfontaines, qui connaissait Benda par sa cousine, qui a soufflé à Bernède l'idée et le personnage de "Belphégor". Dès avant 1914, Pauline incarnait déjà la garçonne aux mœurs libres, dont le personnage de Simone Desroches sera un archétype dans le cinéroman.
    Benda n'était pas un janséniste qui fuyait les théâtres. "La Croix de roses" propose une série de sketchs comme dans le "théâtre en boîte" de Sacha Guitry, avec une introduction en forme de dialogue à lire sur le ton déclamatoire de la Comédie-Française, cher à Guitry. Le titre rosicrucien, assez étonnant, laissait percer, sous son ironie, l'idée d'une conversion spirituelle, pour échapper à l'inauthenticité du divertissement.
    François Porché eut un fils, Wladimir, qui dirigea la radio et la TV après la Guerre. C'est lui qui invita Léautaud et Benda à venir parler à la radio.

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  14. Oui, vous avez raison sur Pauline B. Belphégor était un lieu commun. L'humour de Benda a été de reprendre ce personnage populaire et même vulgaire pour décrire la société fin de siècle et surtout ses goûts esthétiques,.

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  15. L'ascension de Belphégor dans l'imaginaire populaire, même en l'absence d'un lien certain entre Julien Benda et Arthur Bernède, hormis un échange de politesses dans le salon de Pauline Benda, peut être expliquée par un ensemble de facteurs sociaux, culturels et littéraires qui ont convergé au début du XXe siècle. Voici donc quelques pistes qui permettent de comprendre comment ce personnage mystérieux a pu s'imposer dans l'air du temps et finir par "régner" sur Paris :
    1. Un besoin de mystère et de fantastique post-Première Guerre mondiale :
    Après les horreurs de la Première Guerre mondiale, la société française s'est tournée vers des formes d'évasion, et la fascination pour le fantastique, le surnaturel et l'ésotérisme a pris de l'ampleur. Belphégor, en tant que figure mystérieuse et surnaturelle, répondait à cette quête de mystère et de fascination pour l'inconnu. Les années 1920, avec l'essor du cinéroman, ont vu la montée en popularité de personnages fantastiques ou énigmatiques.
    2. L'influence de la littérature populaire et du feuilleton :
    La littérature populaire, qui se développait dans les kiosques avec des feuilletons et des romans à suspense, jouait un rôle majeur dans la culture de masse. Arthur Bernède, déjà connu pour ses romans-feuilletons, a su capturer l'attention du grand public avec un personnage ancré dans un Paris mystérieux et gothique. Le format du cinéroman, accessible et feuilletonnant, permettait une diffusion large et régulière des aventures de Belphégor, faisant de ce personnage un phénomène.
    3. Le symbolisme de Belphégor comme allégorie sociale :
    Belphégor, dans sa dimension symbolique, représentait les tensions sociales et culturelles de l'époque. Le masque, l’anonymat, et l’intrigue autour de ce personnage capturent une certaine inquiétude liée à l'urbanisation rapide de Paris, aux nouvelles technologies, et à une société en mutation. Il s'agissait aussi d'une période où l'on remettait en question les autorités traditionnelles (religion, gouvernement), ce qui fait de Belphégor une figure subversive en révolte contre l'ordre établi.
    4. L'influence de la psychanalyse et des archétypes :
    Le personnage de Belphégor peut être vu comme une matérialisation des angoisses inconscientes de l'époque, en lien avec des thématiques chères à la psychanalyse freudienne qui pénétrait peu à peu les cercles intellectuels. Le fantasme du monstre caché, de l'identité masquée, fait écho à la dualité de l'âme humaine, un thème qui résonnait particulièrement à une époque de bouleversements personnels et nationaux.
    5. Le pouvoir du cinéma :
    La collaboration entre Arthur Bernède et le réalisateur Henri Desfontaines pour le cinéroman "Belphégor" a renforcé le pouvoir visuel et symbolique du personnage. Le cinéma, encore jeune mais déjà influent, a donné à Belphégor une portée qu'une œuvre littéraire seule aurait eu du mal à atteindre. L'apparition de ce personnage masqué dans des lieux emblématiques comme le Louvre a consolidé sa place dans l'imaginaire parisien.
    6. L'influence des cercles intellectuels :
    Même si le lien entre Benda et Bernède n'est pas prouvé, il est indéniable que ces intellectuels évoluaient dans des cercles culturels où des idées similaires étaient partagées. Les débats philosophiques, le nietzschéisme et les discussions autour du pouvoir, de l'identité, et du mystère faisaient partie de la culture dominante. Belphégor incarne une partie de ces préoccupations.
    Pour conclure, le succès de Belphégor repose donc sur une combinaison de contextes historiques, de tendances culturelles, et de modes de diffusion populaires. Même sans lien direct avec Julien Benda, la figure de Belphégor émerge comme une sorte de miroir des angoisses et des aspirations de la société française de l'entre-deux-guerres. Ce personnage, mélange de mystère, de fantastique et d'allégorie sociale, a su captiver Paris et marquer durablement l'imaginaire collectif.

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  16. Certes , mais je trouve le diagnostic de Benda différent, et plus profond . Il ne parle pas de la société post- guerre, mais de celle d'avant.
    Aux ignorants, rappelons que Belphegor pour Benda c'est : 1 VOLONTE QUE L ART
    SOIT UNE UNION MYSTIQUE AVEC L'ESSENCE
    DES CHOSES 2 PROSCRIPTION DE LA NETTETÉ EN ART.
    CULTE DE L'INDISTINCT.3 Religion de la musique.
    Musicalisation de tous les arts.
    Sensibilité plasticienne et sensibilité musicale.4 Volonté que l'art ne traite pas d'autre sujet que l'âme humaine 5 'art doit présente? l'âme hors de toute loi.Haine de tout déterminisme. 6
    Recherche de l'émotion de surprise.7 Volonté que l'artiste vive l'émotion qu'il traite,
    sans s'élever
    au-dessus d'elle par l'entendement.8 VOLONTÉ QUE LA CRITIQUE, l' HISTOIRE, LA SCIENCE,
    LA PHILOSOPHIE SOIENT ÉMOUVANTES.
    LE PANLYRISME etc
    Soif de la nouveauté. 9 VOLONTÉ QUE LA CRITIQUE, l' HISTOIRE, LA SCIENCE,
    LA PHILOSOPHIE SOIENT ÉMOUVANTES.
    LE PANLYRISME

    C'est plus que le goût des fantômes. Mais on pourrait s'interroger sur les liens du Belphégorisme et du spiritisme (qui est antérieur à 1900)

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  17. En ce qui concerne les romans psychologiques de Françoise Sagan, comme ultime avatar du belphégorisme, le célèbre article d'Alexandre Kojève, dans la revue "Critique", avait tout dit. Jacques Lacan le citera dans son Séminaire sur le petit Hans. En effet, "Bonjour tristesse" est un roman post-hégélien écrit après la fin de l'Histoire, qui fait la peinture du changement des rapports entre les sexes à cause de la disparition de l'homme viril, malgré Malraux, Montherlant et Hemingway, que l'on ne regarde plus qu'avec "un certain sourire" saganien. La dernière fois que l'Europe a vu l'homme viril, c'était à la bataille d'Iéna dans une dernière vraie guerre, et Hegel lui a dédié un livre. Depuis, le héros, c'est Hercule aux pieds d'Omphale. Ou bien le dandy Brummell, qui réagit à cela en étant l'anti-Bonaparte par excellence, qui fait de l'effet en créant la surprise, et qui manifeste sa manière d'être parfois par des mots d'esprit sans ménagement, rapportés par William Hazlitt.
    De même, il n'y a plus de vraies révolutions. La dévirilisation contemporaine va de pair avec la démocratie matriarcale, sur le modèle américain protestant, et donc avec le déclin du père. Ce que montrerait Sagan, c'est donc la crise de l'homme comme amplification de la crise du père. Kojève note que Raymond Queneau avait préparé l'œuvre de Sagan, en dépeignant la décadence définitive du héros dans ses romans, dont "Le Dimanche de la vie".
    Julien Benda ne semblait pas être hostile à une forme d'égalité entre les sexes, dans sa critique du belphégorisme. De nos jours, il dénoncerait les excès d'un certain féminisme.

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  18. En effet, Benda aurait dit la même chose. Mais il visait plutôt l'époque du Rosenkavalier

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