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Anatole France (Les fous dans la littérature), puis Raymond Queneau (Les enfants du Limon), et les pataphysiciens, ont recensé les fous littéraires. A ma connaissance on n'a pas encore recensé les fous philosophiques, même si on a ici ou là des études sur Swedenborg (Kant), Hoené Wronski, Fourier, ou sur les tocades de Berkeley pour l'eau de goudron et d'Auguste Comte pour l'Humanité, sans parler de l'admirable Lucien de Samosate. Peut être les post-modernes français seront-ils un jour dans une telle anthologie. Mais s'il est un livre qui a suscité toutes sortes de vocations fantaisistes, et qui peut être dans certains de ses aspects peut apparaître comme l'oeuvre d'un fou philosophe, c'est bien le Tractatus de Wittgenstein. Plusieurs contemporains émirent l'hypothèse. Il y a même un livre intitulé La folie Wittgenstein, par Francoise Davoine (Editions du Croquant 2012). Souvent la folie rôde quand il est question, de près ou de loin, de religion. Mais il y aussi des fous du Rationnel. Je voudrais attirer l'attention sur un autre tour de folie, celui de la traduction du Tractatus. En 1962, un certain Valentin Dru, professeur de mathématiques dans un Collège de Normandie, mécontent de la traduction de Pierre Klossowski, qu'il trouvait obscure, entreprit de traduire lui-même - partiellement - le Tractatus, avec l'intention de rendre plus clair un texte qui pourtant proclamait que le but de la philosophie est de clarifier les pensées. Il ne parvint jamais à publier sa traduction - et je crois pour cause - mais elle a récemment été retrouvée dans le déménagement des archives d'un éditeur parisien. Nous en livrons ici au lecteur, quelques extraits. Le traducteur , on le verra, avait négligé de larges parties du texte, celles qui portent sur la logique, dont de toute évidence il ne comprenait traître mot.
1 Le monde, c’est ce qui se passe
1.1. Le
monde ce sont les faits, pas les choses dedans.
1.21
Quelque chose peut se passer sans que rien ne se passe à côté.
2. Ce
qui se passe donne lieu à des situations compliquées
2.02 – Les
choses pourtant sont bien simples.
2.032 Pour le dire vite : elles sont en noir
et blanc
2.024 La substance c’est ce qui reste quand on a
tout enlevé
2.05 La
totalité de ce qui reste en place c’est le monde
2.063 Le
monde est réel.
2.022 -
Il est évident que, si on rêve d’un autre monde, celui-ci aura quelques traits
communs avec le nôtre.
2.1 Nous
imaginons
2.12
L’image ressemble à la réalité
2.141 L’image
est authentique.
2. 1 5 1
– les choses ressemblent à ce qui en est l’image
2. 1 5 1
4 – L’image représente les choses
2. 1 7 1
– l’image spatiale représente tout ce qui est spatial, l'image en couleurs tout
ce qui est coloré, etc.
2.202 -
L'image représente une situation possible sur un tableau.
3. L'image
pense à nous.
3.01 Penser
nous donne une image du monde.
3.03 -
Nous ne pouvons rien penser d'illogique, mais rien de logique non plus
3. 144 -
Les situations peuvent être décrites, sans qu’on puisse leur donner de nom. (Les
noms pointent, les propositions indiquent comme des flèches,)
4 - La
pensée est une proposition pleine de sens.
4.003 -
La plupart des propositions philosophiques ne sont pas fausses, mais absurdes.
Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à de telles questions, mais
seulement établir leur absurdité. La plupart des propositions et questions des
philosophes découlent du fait qu’ils ne comprennent pas la logique. (Elles sont
du même type que la question : le Bien est-il plus ou moins identique que le
Beau?) Les problèmes les plus profonds ne sont pas des problèmes.
4.01 La
proposition représente la réalité. Avec les propositions nous modélisons le
réel.
4.027 -
Il est dans la nature de la proposition de pouvoir nous dire quelque chose de
neuf.
4. 1 1 2
- Le but de la philosophie est de nous mettre au clair. La philosophie ne se
théorise pas : elle se pratique. Une oeuvre philosophique doit clarifier. La
philosophie n'a pas à produire des «thèses », mais à rendre claires les thèses
des autres domaines. Tout est trouble. La philosophie doit dissiper ce trouble.
5 - La
proposition est vraie en fonction des propositions qui la composent.
Une proposition
simple est fonction de sa propre vérité
5. 1 24 - Une proposition
dit déjà tout ce qui s’ensuit.
5. 1 5 1 1 – les
propositions probables ne parlent de rien du tout.
5.454 1 - Les solutions
des problèmes logiques doivent être simples, car elles sont le parangon de la
simplicité. Les hommes ont toujours soupçonné qu'il devait y avoir un domaine
de questions dont les réponses formeraient une construction close et régulière,
et où Simplex sigillum veri.
5.47 1 - La forme
générale de la proposition est sa nature même.
5.47 1 1 – L’essence du
monde est ce que décrit la proposition
5.473 - La logique doit se
prendre en mains.
. 6 – Mon langage circonscrit
mon monde.
5.6 1 - Le monde est
plein de logique; c’est elle qui contrôle les frontières du monde. Mais la
logique ne nous dit pas ce qu’il y a dedans.
5.62 1 - Le monde c’est
la vie.
5.63 – C’est moi le monde.
(Le microcosme, c'est moi.)
5 .632 - Le sujet n’est
pas dans le monde, il est à sa porte.
6.
et il n’y a rien d’autre à dire.
6. 1 25 1 – La logique ne
peut pas nous surprendre par derrière.
6. 1 3 - La logique est
une image du monde. Elle nous dépasse.
6.42 1 - Il est clair que
l'éthique n’a rien à dire. Elle nous dépasse. (Éthique et esthétique c’est
pareil.)
6.43 L'homme heureux n’est pas
malheureux.
6.43 1 1 – Quand on est mort on ne s’en
aperçoit pas
6.44 – l’élément Mystique est présent,
mais on ne sait pas comment.
6.5 1 - S’il n’y a pas de question, il
n’y a pas de doute. S’il n’y a pas de doute, il n’y a pas de question, et si
pas de question pas de scepticisme. Donc le scepticisme est irréfutable.
6 . 5 4 J'éclaire, mais ce que je dis est un non sens (mon lecteur doit éviter de tomber de l'échelle.)
7 – Ceux qui n'ont a rien à dire feraient mieux de se taire.